Parlant de sa «ligne de conduite» devant «une situation d’une telle gravité», il a promis qu’elle «sera de ne rien cacher, de ne rien négliger et de ne rien laisser de côté».
Il a ensuite évoqué
ses «deux obsessions» en politique:
«La première obsession, qui est pour moi un des risques les plus graves, c'est
le mur de verre qui s'est construit entre les citoyens et les pouvoirs. (…) Le
deuxième point, qui était l'essentiel de la promesse du président de la
République élu en 2017 (…) c'était l'idée qu'on ne pouvait pas se trouver
devant un destin dont on n'était plus maître et dans lequel on n'avait aucune
chance de progression.»
Enfin, il a parlé de sa volonté de réconcilier les Français entre eux, prenant comme exemple la figure historique auquel il se réfère le plus souvent, Henri IV.
► Voici le discours de
François Bayrou:
Monsieur le Premier ministre,
cher Michel,
Vous avez dit que nous nous connaissions depuis longtemps, c'est absolument
vrai. Notre premier engagement ensemble, c'était dans un mouvement qu'on
appelait Les Rénovateurs. Et en effet, c'est une tâche qui est encore devant
nous aujourd'hui.
Je veux commencer en vous exprimant un sentiment de gratitude. Gratitude de
citoyen pour le risque que vous avez pris de vous engager dans cette fonction,
pour avoir affronté la difficulté des temps, et Dieu sait que cette difficulté
des temps est importante, pour le désintéressement que vous avez manifesté qui
donne de l'engagement politique, une image que vous et moi et beaucoup de
millions de Français nous aimons. Et donc je voulais vous dire merci pour cet
engagement et pour ce risque.
Alors je ne serai pas très long pour ne pas m'exposer à des incidents que je
redouterai, étant donné votre verbe. Je veux dire des choses très simples. La
première de ces choses, c'est que nul plus que moi ne connaît la difficulté de
la situation. J'ai pris des risques inconsidérés dans ma vie politique pour
poser dans les élections les plus importantes, dans les échéances électorales
essentielles, la question de la dette et des déficits. J'ai même conduit des
campagnes présidentielles sur ce thème, et tout le monde, nous en disions un
mot avec le sourire tout à l'heure, tout le monde disait : « mais il
est complètement fou, on ne fait pas une campagne sur la dette ». Eh bien,
je crois que cette question-là, déficit et dette, c'est une question qui pose
un problème moral, pas un problème financier seulement. Un problème moral.
Parce que se débarrasser de ses charges sur ses enfants, dans les pays comme
les nôtres, dans les pays de montagne, d'enracinement, c'est très mal vu. À
juste titre. Et donc, votre message sur la gravité de la situation, je le reçois
et je le partage. C'est le premier point.
Et c'est pourquoi, devant une situation d'une telle gravité, ma ligne de
conduite sera de ne rien cacher, de ne rien négliger et de ne rien laisser de
côté. Je sais que la tentation est dure. Écoutez, prenez un ou deux sujets,
concentrez-vous là-dessus et laissez faire le reste dans la médiocrité. Je ne
choisirai pas cette ligne. Je pense que nous avons le devoir, dans un moment
aussi grave pour le pays, pour l'Europe, et devant tous les risques de la
planète, nous avons le devoir d'affronter les yeux ouverts, sans timidité, la
situation qui est héritée de décennies entières dans lesquelles on n'a pas
regardé comme nécessaire et urgent la recherche des équilibres sans lesquels on
a du mal à vivre. Disons simplement que les dernières années, l'accumulation de
crises a été telle que les explications sont parfaitement compréhensibles.
Je veux dire simplement que j'ai deux obsessions. La première obsession, qui
est pour moi un des risques les plus graves, c'est le mur de verre qui s'est
construit entre les citoyens et les pouvoirs. Entre la base, les femmes et les
hommes, les familles, ceux qui travaillent, ceux qui cherchent du travail, ceux
qui sont à la retraite, ceux qui mènent la vie des Français dans le voisinage,
ceux qui affrontent des difficultés dont ils ne voient pas le relais dans la
vie publique. Ce mur de verre, cette séparation, cette rupture, pour moi c'est
un ennemi à combattre. Et notamment la compréhension de ce que nous disons. Les
mots qu'on utilise pour décrire la situation. Les éléments de langage comme on
dit. Si je peux, j'ai une absolue conscience de la difficulté de la tâche, si
je peux, j'essaierai de débarrasser notre vie publique et nos débats des
paroles artificielles, des mots dont on a le sentiment qu'ils étaient écrits
bien avant qu'on les prononce, et d'ailleurs qu'on aurait pu deviner à l'avance
ce que ceux qui les prononcent allaient dire. Ça, c'est le premier point.
Le deuxième point, qui était l'essentiel de la promesse du président de la
République élu en 2017. Ce que le président de la République élu avait porté
devant les Français, c'était l'idée qu'on ne pouvait pas se trouver devant un
destin dont on n'était plus maître et dans lequel on n'avait aucune chance de
progression. Et c'est pourquoi, naturellement, je pense à l'école, dont je me
suis occupé pendant des années et qui n'a pas cessé d'être, dans ma vie, un
point fixe. L'idée que, parce qu'on est né dans un quartier ou dans un village,
on aurait tort d'oublier les villages, parce qu'on porte un nom, parce qu'on
pratique une religion ou qu'on est attaché à cette religion… L'idée que, en
réalité, les portes ne sont pas ouvertes pour vous. L'idée que c'est ceux qui
ont les codes qui savent comment se diriger. Ceux-là connaissent la carte et
ont la boussole pour se diriger dans la vie. Et si vous ne les avez pas, cette
carte et cette boussole, ces connaissances, ces réseaux, ces moyens, alors vous
vous trouvez aujourd'hui, je le crains, dans une situation qui est moins
ouverte qu'elle ne l'était il y a quelques décennies. Et pour moi, ceci est
insupportable. Je viens de là. Je viens au pied des Pyrénées bleues. Je viens
de milieux sociaux et de villages. Et j'ai fait toute ma vie sans les quitter.
Je viens de milieux sociaux et de villages qui n'ont pas la chance d'être
protégés, favorisés. Je trouve que notre devoir de citoyen, de père de famille,
notre devoir de républicain, c'est que nous soyons obsédés pour rendre des
chances à ceux qui n'en ont pas. C'est pour moi un devoir sacré et je n'ai pas
l'intention de le négliger. C'était la promesse du président de la République
et c'est à cette promesse que je compte être fidèle dans les fonctions si
difficiles que vous me transmettez.
Je sais que les chances de difficultés sont beaucoup plus importantes que les
chances de succès. Je n'ignore rien de l'Himalaya qui se dresse devant nous, de
difficultés de toute nature, la première est budgétaire, naturellement, puis
politique, et puis de l'éclatement de la société où nous sommes. Je sais tout
ça. Je pense qu'il faut essayer. Et je pense que si on essaie, peut-être
pourra-t-on trouver un chemin inédit. Et ce chemin, en tout cas, je sais de
quoi il est marqué. Il est marqué de la volonté de réconciliation.
Il se trouve que, comme tout le monde l'a noté, c'est aujourd'hui
l'anniversaire de la naissance d'Henri IV. Comme vous savez, c'est un ami pour
moi. C'est un des seuls amis que j'ai eu toute ma vie et un des seuls qui m'ait
vraiment donné un coup de main. Je lui ai consacré beaucoup de livres et c'est
une figure très importante. Il a fondé sa rencontre avec la France dans des
temps aussi difficiles et plus difficiles que ceux que nous vivons aujourd'hui.
Il a fondé cette rencontre sur la nécessité de sortir des guerres stupides ou
des guerres secondaires pour se retrouver sur l'essentiel qui est l'avenir du
pays. Si je peux, à mon tour, j'essaierai de servir cette réconciliation
nécessaire. Et je pense que c'est là le seul chemin possible vers le succès.
Merci de votre présence et de votre amitié.