dimanche 29 septembre 2024

Actualité du Centre. François Bayrou: seule l’unité peut sauver le pays et la démocratie


Lors du discours de clôture de l’université d’été du MoDem, François Bayrou, son président, a insisté sur l’absolue nécessité que le pays s’unisse pour se sauver et sauver la démocratie face au danger représenté par l’extrême-gauche et l’extrême-droite.

Il a également insisté sur ce que ce double sauvetage ne pourrait pas se faire sans l’union des Européens face aux défis mondiaux et aux superpuissances ainsi que face aux ennemis de la liberté.

Regrettant que la Gauche n’est pas acceptée de participer au gouvernement, il a également et à nouveau plaidé pour l’instauration de la proportionnelle pour les prochaines élections législatives.

Il a également rappelé qu’à l’opposé de ce que prétendent la Gauche et l’extrême-droite, personne n’a remporté les législatives anticipées, estimant qu’au premier tour un vote d’humeur avait permis au RN d’être en tête et qu’au second, un vote républicain avait écarté la menace d’extrême-droite et avait placé le NFP en tête mais sans aucune majorité, ni légitimité à gouverner seul.

 

Voici le discours de François Bayrou
Mes chers amis, cher Bernard Cazeneuve,
Merci d’avoir partagé cette matinée avec nous pour dire des choses dont elles m’ont semblé qu’elles étaient importantes et qu’elles avaient du sens pour notre avenir commun, comme démocrates, comme Français, comme militants de l’Europe. Donc merci de ta présence et chacun connait la signification de cet effort que tu as fait pour être avec nous ce matin. Chacun connaît la signification de cet effort que tu as fait pour être avec nous ce matin.
Tout le monde sait, tout le monde voit, que les Universités de rentrée que nous tenons à Guidel tous les ans – je crois que c’est la 12ème de suite – interviennent dans un moment dont les historiens se souviendront. Je ne sais pas encore si ce sont les historiens politiques ou si ce sont les historiens de la Grande histoire, mais je suis persuadé que c’est un moment plein de sens parce qu’il est plein de risques.
J’étais très heureux que nous nous retrouvions, tous les militants, autour de Maud Gatel, nos députés, autour de Marc Fesneau, nos sénateurs, Isabelle Florennes en particulier était là, nos parlementaires européens et européennes, et puis nos ministres, Jean-Noël Barrot, Ministre des Affaires étrangères, Geneviève Darrieussecq, Ministre de la Santé, Marina Ferrari, Ministre du Tourisme, et je n’aurai garde d’oublier, il est venu comme tous les ans passer l’après-midi avec nous, Fabrice Loher, maire de Lorient et nouveau ministre de la mer. Quatre responsabilités ministérielles éminentes, probablement plus importantes qu’aucun des épisodes gouvernementaux précédents nous a permis d’occuper.
Nous sommes dans une situation démocratique inédite. Je n’emploie pas le mot démocratie au hasard. Tous les mouvements politiques qui nous ont permis d’incarner notre engagement au cours du temps ont tous porté le mot Démocratie dans leur titre : Union pour la Démocratie Française, au Centre Démocrate, au Centre des Démocrates Sociaux, Force Démocrate, et au Mouvement démocrate. Parce que ce mot « démocratie » a un sens extrêmement précis et profond : porter chaque citoyen, permettre à chaque citoyens de se porter, au maximum de conscience et au maximum de responsabilité. C’est la formule que Marc Sangnier avait choisie pour la démocratie, et tout le monde voit ou devrait voir que ce binôme conscience et responsabilité est au centre du moment historique que nous vivons.
Nous savons tous très bien que partout dans le monde la démocratie est en danger. Et le danger est inscrit dans son nom même : δῆμος, c’est le peuple des citoyens, κράτος, c’est la souveraineté. Peuple des citoyens et souveraineté des citoyens. Or, il se trouve que s’amenuisent chaque jour dans le monde cet idéal qui veut associer les citoyens à la conscience des enjeux et à leur capacité de décider du destin et de l’avenir.
C’est pourquoi, nous savons exactement ce que nous avons à faire quand la situation est si grave, quand on traverse les tempêtes. C’est le moment de se serrer les coudes, c’est le moment d’aider, ce n’est pas le moment des querelles et des préoccupations d’intérêt personnel ou partisan. Ces temps sont des temps de menace sur la nation, et quand viennent les temps de menace on se regroupe, on s’unit, on travaille ensemble, on met les intérêts individuels ou de clans au deuxième plan. Nous ne cédons et ne céderons rien – je vais essayer de le montrer dans ce propos – de ce à quoi nous croyons, mais nous aiderons avec franchise et désintéressement, franchise et désintéressement, autant que nous le pourrons pour que le pays traverse et surmonte ce moment de menaces et de risques.
Et d’abord parce que, à l’ouverture de ces journées, je l’ai rappelé, la planète – on parle beaucoup de notre pays naturellement – mais la planète  traverse elle-aussi des moments qui sont sans précédent : une lutte de titans, d’une capacité et d’une puissance jamais atteints. Les unes militaires et économiques (je pense à la Chine, aux États-Unis), les autres idéologiques (les pays islamistes), les troisièmes nationalistes et impérialistes, mettant la force militaire au service de leur volonté d’asservissement (la Russie de Poutine). La lutte entre ces puissances a pris ces dernières années un tour si aigu que nous, Européens, avons l’air parfois d’enfants désarmés face à de telles machines et de telles mobilisations de moyens.
Et donc l’enjeu est assez simple : il s’agit de défendre notre mode de vie et de notre liberté en trouvant entre états des équilibres et des méthodes qui permettent de sortir des affrontements de plus en plus violents.
Voilà pourquoi – Bernard Cazeneuve et Marc Fesneau l’ont dit, je le dis à mon tour – la question européenne se trouve désormais posée en termes nouveaux face à une vague de remises en cause et de désintérêt qui s’additionnent et multiplient leurs effets. Qui peut prétendre, qui pourrait prétendre, en dehors des deux extrêmes de notre vie politique, qu’aujourd’hui, en 2024, avec ce que nous venons de vivre en quelques mois, qui pourrait prétendre qu’il y aurait une autre réponse concevable que la réponse de l’alliance et de l’union des pays européens, chacun avec sa culture, mais avec pour tous ou presque la même conception de la liberté individuelle et des libertés publiques ? Hélas, j’ai dit tous, ou presque, parce que même dans notre Union européenne nous voyons désormais des ferments de pays qui refusent ces principes et cette volonté de coopération en trouvant les mêmes règles pour les mêmes droits.
Bien sûr, nous ne sommes que 450 millions, mais ces 450 millions constituent à eux seuls un immense patrimoine d’intelligence, de recherche, d’industrie, et un immense marché, cela compte aussi. Simplement nous savons aujourd’hui, maintenant, pour paraphraser Valéry, que nous, cette société et civilisation européenne, nous sommes mortels. C’est ce qu’a rappelé le Président de la République lors de son deuxième discours de la Sorbonne : on peut, nous pouvons, si nous restons les bras ballants, ou plus grave encore, si nous nous contredisons perpétuellement les uns les autres, on peut être soumis, condamnés à l’impuissance, isolés, appauvris et secondarisés, du point de vue de l’influence.
C’est pourquoi, dans tous les choix que notre pays a à prononcer, la question européenne est évidemment une dimension centrale. Encore faut-il qu’il y ait des forces politiques pour porter cette volonté. Et encore faut-il que ces forces politiques soient capables de s’associer au lieu de se combattre et avec la volonté de se détruire les unes les autres pour laisser la place et l’influence à ceux qui veulent exactement le contraire de ce que nous voulons.
Par exemple, cela a été dit par toi, Bernard Cazeneuve, nous croyons profondément à l’unité. Vous vous souviendrez peut-être du slogan que j’avais choisi pour la campagne présidentielle de 2012 : « Un pays uni, rien ne lui résiste », avions-nous écrit sur notre affiche. Et ce slogan, que je crois profondément juste en 2024, a sa réplique négative : un pays désuni, rien de bon ne peut lui arriver. Or nous avons, depuis des décennies, construit des institutions qui ont beaucoup de mérite (et d’abord le mérite d’avoir duré : notre Ve République), mais qui n’ont pas permis de construire l’unité à long terme, ce dont les récentes élections législatives et la physionomie de l’Assemblée nationale donnent aujourd’hui le plus caricatural constat.
Nous nous sommes peu à peu habitués à une idée que je considère parmi les plus dangereuses. Nous en sommes arrivés à considérer que la démocratie, c’est purement et simplement la victoire d’une majorité et tous les pouvoirs à exercer par elle. Or, nous avons cru que le travail militant consistait à construire cette victoire, et une fois la victoire acquise, à se servir de la majorité pour imposer ses idées aux autres. Et je crois, je confesse que j’ai mis longtemps à arriver à cette conviction, que cette idée est fausse et dangereuse. Elle constitue un piège dont nous aurons du mal à sortir.
Nous, nous croyons que la démocratie ce n’est pas l’affrontement de deux camps qui fourniront à la sortie les vainqueurs et les vaincus.
Nous, nous croyons que la démocratie c’est au contraire la capacité, ayant mesuré l’influence des uns et des autres, de permettre à toutes ces sensibilités de vivre ensemble, d’être reconnues et respectées chacune pour ce qu’elle est, et de trouver ainsi leur place dans la symphonie nationale. Comme chaque pays doit trouver sa place dans la symphonie européenne. Non pas la domination de la majorité sur des minorités, mais la capacité de se rassembler, de se fédérer pour qu’il n’y ait pas d’exclus dans le concert des convictions, en tous cas, des convictions qui partagent le socle démocratique et républicain que chacun d’entre nous avons évoqué à cette tribune. La capacité de se rassembler, de se fédérer, non pas une domination, mais un concert.
Et la clé de cette unité, je fais ainsi écho au débat que Marc évoquait au sein de notre groupe, c’est la reconnaissance de la légitimité de l’autre. Tu es plus à droite, eh bien tu es légitime à exprimer les attentes que tu ressens : besoin d’ordre, besoin d’identité. C’est juste, moi qui m’apprête à travailler avec toi, je reconnais que c’est juste. Tu es plus à gauche, eh bien tu es légitime : besoin de solidarité, besoin de veiller sur les plus faibles. La générosité est légitime, la volonté sociale est légitime. Tu es avec nous au centre, tu penses que l’ordre n’est pas l’ennemi de la générosité, tu penses que la création de richesses en est au contraire la condition, tu penses que tous les peuples, toutes les communautés, où qu’elles soient, ont besoin d’identité, c’est une exigence de notre temps, on aura beaucoup l’occasion d’y revenir, et qu’il faut savoir qui on est pour pouvoir avancer et avancer ensemble. Et nous pensons que non seulement nous pouvons travailler ensemble, mais que c’est notre devoir, pas seulement que nous ne sommes pas qu’en capacité de discuter de ces nuances, mais aussi de les fédérer. Et que c’est notre devoir. C’est naturellement dans ce cadre que les discussions de notre groupe ont été assez fortes et musclées.
Il faut naturellement une direction, il faut naturellement un fédérateur. C’est pourquoi l’élection présidentielle est la clé de voûte de la Ve République. C’est ce devoir-là que les présidents successifs doivent remplir, non pas d’un camp, mais d’un pays tout entier, avec les nuances et les composantes qui l’habitent.
Les élections législatives sont intervenues. Je ne reviens pas sur la décision de dissolution, elle a été commentée beaucoup. Mais on a entendu, à la lecture de leur résultat, beaucoup de propagande, beaucoup de revendications absolument infondées de victoire, toutes aussi scandaleusement mensongères les unes que les autres. Que s’est-il passé ? C’est très simple. Au premier tour s’est fait entendre le mécontentement des citoyens. Ce mécontentement a été porté en premier par le Rassemblement National qui a obtenu 11 millions de suffrages, et en second par l’alliance qui s’est appelée Nouveau Front Populaire — sous influence idéologique de La France Insoumise.
Et le corps des citoyens ayant pris acte du rejet exprimé au premier tour s’est trouvé au deuxième tour, devant une question déterminante : fallait-il accepter la perspective d’un Rassemblement National ayant conquis la majorité absolue des sièges ? C’était cela, la question du second tour, chacun de nous le sait et chacun des Français ayant participé à cette campagne le sait. Et vous vous souvenez que le président du Rassemblent National, M. Bardella, a affirmé tous les jours pendant cette semaine décisive, qu’il demandait la majorité absolue et qu’il refuserait de gouverner s’il ne l’avait pas. Et la réponse des autres forces politiques, celles de la majorité sortante — nous, au centre et Renaissance — tous ont décidé d’un Front Républicain qui permettrait aux mieux placés des adversaires du Rassemblement National de recueillir les voix de tous ceux qui lui refuseraient le pouvoir, de sorte que comme cela a été rappelé, les électeurs de droite qui ne voulaient pas que le RN ait tous les pouvoirs ont apporté leur vote à des candidats auxquels ils n’auraient jamais songé apporté leur vote : les candidats du Nouveau front populaire.
Ce front populaire a gagné le deuxième tour, chacun des électeurs acceptant de soutenir le candidat opposé au RN sans considération d’étiquette, chacun acceptant de renoncer à ses préférences pour conjurer un danger, sans qu’il soit à aucun moment question du programme des uns ou du programme des autres. C’était un vote de défense républicaine contre la prééminence de l’extrême-droite.
Et donc toute revendication de victoire des uns ou des autres est évidemment déplacée. Vainqueur du premier tour : vote sanction. Vainqueur du deuxième tour : vote de défense républicaine.
J’ai la certitude, et j’imagine que vous la partagez, que si la question avait été : est-ce qu’on donne tous les pouvoirs à l’extrême droite ou est-ce qu’on donne tous les pouvoirs à l’extrême gauche ? J’ai la certitude que la réponse aurait été la même. Et que les échanges de soutien, ce que les Français ont repoussé, c’est l’extrémisme, l’idée que des gens voulaient imposer une vision du monde qui était en réalité une contradiction et une menace pour les principes qui ont fait notre société politique, notre démocratie et notre République.
Et donc la tentative qui a été conduite de prétendre à la victoire d’un courant ou d’un autre n’était pas autre chose qu’une tentative de hold-up sur les résultats de ces élections. Une tentative qui aurait été vouée à l’échec parce que le pouvoir de censure des députés aurait inéluctablement entraîné la chute de ces gouvernements que j’appellerais latéraux, d’un côté ou d’un autre.
Et comme la Constitution fait obligation au Président de la République « d’assurer par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics »..., il a nommé à la tête du gouvernement une personnalité, Michel Barnier, dont il était relativement assuré qu’il pourrait au moins entamer la tâche si importante qui serait la sienne. Il aurait pu faire un autre choix. Pour ma part, cher Bernard, j’avais d’autres idées, et peut-être que tu aurais accepté une telle mission. Mais il faut bien avouer que le vote du PS, repoussant la motion qui mettait en attente une censure éventuelle, a fourni à tous ceux qui n’avaient pas envie de cet équilibre au centre et au centre-gauche un prétexte d’une efficacité redoutable. J’exprime le regret que nous n’ayons pas réussi à convaincre autour de nous pour qu’une majorité assez large se fasse entendre. Et comme tu l’as dit, nous avons proposé notre aide au gouvernement Barnier, dont nous connaîtrons les axes après-demain. Il y avait un mérite à la nomination de Michel Barnier : il apportait l’assurance d’élargir le socle de soutien en apportant l’adhésion du groupe LR, 47 voix. Il apportait aussi, et c’est très important, l’adhésion de la majorité du Sénat. Ce n’est pas mince. Cet élargissement est un pas en avant, je regrette simplement que ce pas en avant d’un côté n’est pas été équilibré par un pas en avant de l’autre. Ce choix-là, évidemment, crée une situation politique nouvelle.
J’entends beaucoup d’affirmations étranges sur ce sujet. On dit que le gouvernement serait à la merci du Rassemblement national : je m’inscris en faux. Le gouvernement est à la merci de tous les groupes politiques qui seraient capables de voter une motion de censure qui le renverserait. L’idée qu’il y a un monopole de la menace d’un groupe ou d’une autre n’est pas la réalité, et il est bon de le rappeler.
Notre conviction c’est que la France ne comptera en Europe et dans le monde que si elle sait résoudre ses problèmes intérieurs. Il n’y a qu’un chemin, c’est le réformisme. Socio-démocrates, écologistes responsables, démocrates-chrétiens, libéraux démocrates, gaullistes : il n’y a entre eux que des nuances. Et donc, ils n’ont qu’un devoir, prendre leur part dans le ressaisissement de notre nation.
Nous voyons bien que les deux extrêmes nous plongeraient dans un cycle de division, d’affaiblissement et de violence.
LFI : ce que Mélenchon lui-même a défini comme méthode le conflit systématique, quel que soit le sujet, « tout conflictualiser » disait-il, l’affrontement généralisé dans le but de susciter la révolution. La révolution, c’est le désordre, la violence généralisée, la déstabilisation du pays, son effondrement face aux pays concurrents, la division et l’échec. C’est ce que nous rejetons dans ce courant politique.
RN : le soupçon généralisé, le ciblage de toute une partie de nos compatriotes, ceux qui ont des noms venus d’ailleurs, l’obsession de l’Islam, la remise en cause des droits, la violence dans les affrontements politiques, la déstabilisation et au bout du compte, la division et l’échec.
Quelle est la première condition de l’unité nationale ? C’est qu’on accepte de vivre, de parler et de travailler avec des gens différents de soi ! Sinon, ce n’est pas l’union, c’est voisinage et parenté, c’est endogamie.
La feuille de route de ceux qui sont élus aujourd’hui et du Gouvernement, c’est qu’ils doivent affronter les périls qui menacent notre pays. Je voudrais en décliner quelques-uns. Le premier de ces périls, c’est un péril mondial, c’est la violence du monde. Et la violence des rapports de force.
Le monde est plus violent en réalité qu’il ne l’a jamais été, entièrement tourné vers l’esprit de domination et la volonté de soumission, avec le retour de tous les impérialismes, militaire, économique, matières premières, technologique, numérique, religieux, donc le devoir européen est le premier de nos devoirs.
Dans ce monde des rapports de force, il est inutile de vouloir jouer un rôle si l’on est soi-même fragile, fatigué, en déséquilibre.
Or ces déséquilibres français nationaux, après trois crises majeures et successives, ils se sont aggravés. La crise morale, sociale et sociologique des gilets jaunes, la crise terrible du Covid, la crise énergétique et monétaire provoquée par la guerre déclenchée par Poutine en Ukraine, inflation et renchérissement de l’énergie, ces trois crises se sont additionnées pour mettre notre pays en difficulté.
Je veux dire un mot du déséquilibre des finances publiques : Dieu sait que nous n’avons pas été nombreux depuis des années à nous saisir de cette question et à présenter ce problème comme crucial, le déficit et la dette ! Nous l’avons fait. J’ai même eu l’imprudence de conduire une campagne présidentielle centrée autour de ce sujet des déficits et de la dette. Et à l’époque, tous les observateurs experts et patentés présentaient le choix de ce sujet comme une dangereuse, électoralement, lubie. Simplement, nous avions parfaitement vu le dérapage, l’addiction à laquelle notre société et notre pays étaient en voie de se soumettre. Ce dérapage a été patent depuis le début des années 2000, d’ailleurs exactement symétrique, ce n’est pas par hasard, d’un dérapage semblable sur le commerce extérieur. Si vous regardez les courbes de l’influence et des réalisations de la France, l’année 2000 a été une cassure de ces courbes. En l’an 2000, autant dire hier à l’aune de l’Histoire, nous étions devant l’Allemagne, en tête de tous les pays de l’Union européenne. En 25 ans, nous avons décroché et sommes passés au plus bas du classement, au plus bas en termes de déficit, au plus bas en termes de dette, au plus bas en termes de commerce extérieur.
Que peut-on proposer pour en sortir ? Il ne suffit pas de se lamenter et de chercher des responsables toujours dans le camp des autres. Il faut un plan décennal de retour à l’équilibre des finances publiques. Je défends cette idée depuis longtemps : en prenant soigneusement, chapitre par chapitre, nos sources de déficit, et en relisant, chaque année, nos lignes de dépenses publiques. Beaucoup d’entre nous, élus locaux, savent que l’on peut réinventer l’action publique, pour que ces agents soient plus épanouis dans leur travail, que les résultats soient meilleurs, grâce à une organisation différente et que le coût soit moindre. C’est ce que nous faisons dans nos mairies, chaque fois que c’est nécessaire et que les contraintes existent. Mais cela ne peut pas se faire par à-coups. On a l’impression en écoutant les responsables publics, que la veille on peut dépenser sans limites et que le lendemain c’est fini, on passe à la rigueur extrême. Ces démarrages et freinages successifs sont du plus mauvais effet pour nos concitoyens car ils les empêchent de prendre conscience de la difficulté qui se présente à eux et des résolutions qu’il faut prendre pour en sortir. Les citoyens ont le sentiment que pendant des années l’argent est facile et que le lendemain la malédiction fera qu’il sera impossible de maintenir des efforts.
Pour cela il faut de la continuité, de la persévérance dans l’action, des principes qui ne peuvent pas durer qu’une année. Je vais dire quelque chose d’hétérodoxe : il n’y a rien de plus stupide que la principe d’annualité budgétaire. L’idée que chaque année, on revote sans prendre compte ce que tous vivent chaque jour. Quand on achète une voiture, c’est pendant plusieurs années qu’on programme le service de son emprunt ! Quand on achète une maison, cela se compte parfois en décennies ! Cette manière de décliner annuellement… tous les membres du gouvernement le savent… Il est des ministères où il fallait impérativement dépenser avant le 31 décembre de manière à ce que les crédits soient réinscrits pour l’année suivante… Les principes qui sont les nôtres dans l’examen et le vote de nos budgets sont stupides. Je suis persuadé qu’un jour ou l’autre, il faudra remettre tout cela en cause. Les temps changent, mais pas trop, n’est-ce pas. Il y a là une vision des choses, un plan, à mon avis, de dix ans, c’est d’ailleurs ce qu’a soutenu Jacques de Larosière, vendredi soir, qui du haut de ses 94 ans d’expérience à la Banque de France, à la Banque européenne, au FMI, est venu soutenir une idée semblable : on peut réduire de 200 milliards la dépense publique tout en maintenant les acquis sociaux. Cela mérite d’être affiné et vérifié. Moi qui ai tant insisté pour que renaisse un Haut-Commissariat au Plan, je suis persuadé que cette nécessité d’introduire le long terme dans notre vision est nécessaire et central. Il faut donc un plan décennal de rééquilibrage des dépenses publiques.
Je voudrais évoquer le sujet de l’immigration. Sujet crucial pour tous les pays qui nous entourent. Je regarde les pays autour de nous, l’Italie par exemple. Mme Meloni s’est fait élire avec l’idée « immigration zéro ». Cette année, elle a annoncé 450 000 régularisations de travailleurs clandestins, et le Président des chambres de commerce et d’industrie italien a fait la déclaration suivante : « c’est insuffisant, il en faut au moins 800 000 probablement plus d’un million ! » Mme Meloni, alliée du RN, en Italie !
En GB, le Brexit s’est joué sur le slogan : take back control, et notamment sur l’immigration. Écoutez bien les chiffres, au moment du Brexit, l’immigration nette par an en GB était de moins de 500 000 personnes par an, ce qui était en effet beaucoup (en France, c’est 180 000 cette année). Depuis le Brexit, ce chiffre de l’immigration clandestine en GB a explosé atteignant 800 000 personnes par an. Et 850 000 si l’on ajoute l’estimation du nombre de clandestins, qu’on n’arrive pas à repérer. GB, Brexit, explosion de l’immigration.
Et l’Allemagne ! Le chancelier Scholtz a annoncé cette semaine qu’il allait rétablir les contrôles aux frontières. Le même jour, ou la veille de cette annonce, il a annoncé, en catimini qu’il allait signer un accord spécial avec le Kenya pour importer 250 000 émigrants kenyans ! 250 000 d’un coup après le million de Syriens, vous vous en souvenez, que l’Allemagne a reçus il y a quelques années…
Alors qu’est-ce qui explique ? Il y a deux mouvements qui se conjuguent : c’est le travail, les postes de travail qui ne sont pas pourvus et sans lesquels, l’économie italienne, l’économie allemande, l’économie britannique ne peuvent pas fonctionner, et c’est le besoin irrépressible des peuples plongés dans la guerre, dans la misère, de fuir pour aller trouver un avenir meilleur. Ce n’est pas nous, Français, qui allons regarder cela comme épouvantable ! Et nous aussi, les Bretons, les Basques, les Béarnais, nous aussi nous partions il y a un siècle ou un siècle et demi. Tous les jeunes gens partaient en Amérique, notamment du Sud, pour essayer de trouver un avenir meilleur. Si l’on ne regarde pas en face cela, on fait la politique du bouc-émissaire, tellement classique en politique.
Et nous, dont certains voudraient nous faire croire que nous pourrions immigration zéro. Je vous demande une chose toute simple : lorsqu’ils se promènent dans nos grandes villes et chaque fois qu’ils passent au pied d’un échafaudage, qu’ils lèvent les yeux. Regardez qui est sur l’échafaudage. Allez au restaurant et jetez un coup d’œil dans les cuisines. Si vous travaillez tôt le matin dans des bureaux, un jour venez plus tôt, vers cinq ou six heures du matin, et dites-moi qui nettoie ces bureaux en se levant à quatre heures, en laissant les enfants… Ce sont, bureaux, cuisines, échafaudages, ce sont ces immigrés qu’on prétend rejeter à la mer et qui viennent chez nous parce qu’ils fuient la misère. Je trouve indigne d’essayer d’en faire des bouc-émissaires.
Je sais très bien qu’il ne peut pas y avoir de politique d’immigration sans un vrai effort de régulation. Je sais très bien que la question de l’immigration est une question numérique aussi. Ce rapport de nombre n’est pas à mes yeux fondé essentiellement sur des questions d’origine, de race, de couleur de peau. J’ai une profonde affection pour nos amis de Mayotte. Il y a ici celle qui a été la plus jeune conseillère générale de France, en Mayotte, Hélène. Mayotte est parcourue de vagues de rejets d’immigrants qui viennent en très grand nombre pour profiter des avantages d’un département français. Ce n’est pas une question de race. Ce sont les mêmes origines, les mêmes communautés, les mêmes langues, avec les Comoriens, et les rejets sont terribles. Pareil pour les Haïtiens. Je ne parle pas de la Guyane, la frontière la plus importante de la France, avec le Brésil… 1800 km de frontières. Il faut une régulation, elle est nécessaire cette régulation. C’est très difficile à mettre au point, tous les efforts qui doivent être faits en ce sens méritent d’être soutenus, mais il ne faut pas déformer la réalité. Ce ne sont pas ces hommes et femmes qui viennent de la misère qui sont la cause des difficultés de la France. Ce sont les difficultés de la France qui ont rendu l’intégration impossible ou très difficile.
Nous avons des centaines, à Pau, des milliers à l’échelon nationale, des jeunes qu’on loge dans des hôtels réquisitionnés, dont la puissance publique doit offrir des passe-temps pour les occuper et à qui on interdit de travailler. C’est absurde. Le parcours d’intégration doit être construit avec autant de soin que le parcours de régulation. C’est un débat que nous avons eu lors de la loi sur l’immigration, qui dans sa première conception était équilibrée, et qui après, par facilité de propagande, a été déviée vers un déséquilibre. Nous, nous pensons que travailler et faire l’effort de parler la langue, c’est aussi une manière d’échapper à cette fatalité.
Il faut dire un mot des OQTF. Tout ce qui est présenté comme laxisme des gouvernements successifs est dû à cette réalité diplomatique internationale que les pays d’origine refusent de reprendre leurs ressortissants alors-même qu’ils sont frappés d’une OQTF. Il me semble qu’on n’est pas allés au bout de ce qu’on pouvait. Mais il y a d’autres chemins, je voudrais en signaler un : on donne des visas diplomatiques aux diplomates des pays avec lesquels nous pouvons avoir ce genre de débats sur la reprise des OQTF, ces diplomates peuvent venir en France sans contrôle. Peut-être faudrait-il remettre en cause les avantages des puissants de ces pays. Ayons la sagesse et responsabilité de le dire : si on ne traite pas cette question des OQTF, on va rester avec les mêmes polémiques. Seules 7% des OQTF sont exécutées. L’ordre n’est pas établi ni garanti quand les décisions de justice ne sont pas exécutées. On a beaucoup essayé depuis 7 ans, même les années précédentes, mais l’obstacle principal à la régulation et l’exécution des condamnations, est celui-là. Trouver un accord avec les pays d’origine afin qu’il devienne possible de renvoyer dans leurs pays ceux qui présentent un danger. Nous avons connu un drame ces jours-ci, le viol et l’assassinat de Philippine, cette splendide jeune fille, car un délinquant repéré n’avait pas pu être expulsé. Je pense à ses parents. Le ministre de l’intérieur dit : « il faut savoir bousculer l’impuissance et réécrire les règles ». Je suis d’accord avec cette affirmation. Il y a vingt ans, il y a trente ans, qu’on nous dit la même chose, que les mots sont les mêmes et que la réalité hélas est intangible, mais nous sommes prêts à participer à toute réflexion pour que soient plus efficaces sur ce sujet, sans toucher au principe du droit. S’il y a des chapitres améliorables pour réprimer ou écarter les risques, nous sommes prêts à y participer. Simplement, il faut parler du concret et pas seulement de l’émotion, de l’excitation des émotions qui sont considérables, explicables, louables, mais qui ne doivent pas entraîner les responsables publics à des politiques uniquement verbales. Nous sommes prêts à y participer.
Économie et fiscalité, c’est un sujet que nous aimons beaucoup dans notre famille politique. On entend beaucoup d’affirmations sur l’augmentation des impôts, d’autres rangs qui disent qu’ils ne les accepteront pas... on peut s’accorder sur une idée simple que je rougis d’avoir à rappeler : ce n’est pas par la simple augmentation de la fiscalité qu’on remettra le pays sur les rails. Cela peut être une mesure de justice. Ce peut être une mesure d’exemple. Mais ce n’est pas la panacée : si les pays qui ont les impôts les plus élevés étaient les plus prospères et les plus heureux, alors la France caracolerait en tête de tous les classements internationaux ! Et ce n’est pas tout-à-fait le cas. Est-ce qu’il y a un chemin à suivre ?  Je le dis au Gouvernement : oui, c’est au Parlement qu’il se trouve. Que le Gouvernement et et le Parlement explore des voies. Je ne suis pas sûre qu’elles seront totalement nouvelles, mais elles seront justes. Des sensibilités différentes de l’Assemblée nationale pourront y participer. On pourra ainsi trouver un équilibre.
Je veux parler, enfin, de démocratie. Pourquoi est-il si difficile, pour des gens qui pensent à peu près la même chose, de travailler ensemble ? C’est que le mode de scrutin de nos institutions fait naître des affrontements violents et continuels. J’ai des exemples sur les deux bords de gens qui la veille n’ont pas de mots assez durs pour condamner l’extrême de leur camp… et qui, le lendemain matin, baissent les yeux en adoptant la politique du silence et des rougeurs sur des joues qu’on n’expose pas. Il y a eu la même chose à droite. Vous vous souvenez que le président de LR a juré la main sur le cœur à dix reprises qu’il n’avait rien à voir avec le RN… Pourquoi ? C’est le scrutin majoritaire, scrutin unique aux législatives, qui oblige à la constitution de camps. Il n’y a qu’une loi : les vainqueurs et les vaincus. Et pour être au deuxième tour, il faut absolument se rassembler avec ceux y compris avec qui nous n’avions rien de commun. C’est ça, le mal profond, que le scrutin majoritaire a introduit dans notre exercice politique.
Pour que les rapports entre formations politiques passent de la soumission et de la loi du plus fort à la reconnaissance de la légitimité de l’autre, et à la possibilité de travailler avec lui, de l’affrontement au partenariat, il faut et il suffit que la France retrouve une loi électorale juste, que nous appelons la proportionnelle.
Je vais aller un peu plus loin. Cette loi, on nous l’a promise sans cesse au cours des dernières douze années. François Hollande l’a promise dans la fameuse énumération « Moi, Président », et il n’a pas tenu sa promesse. Emmanuel Macron l’a promise, et elle n’a pas été mise en application. Promise lors des élections de 2017, puis lors des élections de 2022. Nous en sommes toujours là. Aussi lors des élections qui ont suivi la dissolution, tous les courants l’évoquaient. Elle était reconnue, par tous, comme la clé de comportements nouveaux qui nous permettraient de vivre ensemble.
Et puis, curieusement, on a l’impression qu’elle s’est évaporée. Et on entend dire que le nouveau premier ministre n’est pas persuadé et le ministre de l’Intérieur n’y serait plus favorable. Et que donc, une fois de plus, ce choix décisif serait reporté aux calendes grecques, et que la date de la réalisation de cette promesse, ce serait jamais.
Alors Mesdames et Messieurs de l’exécutif, du gouvernement, Mesdames et Messieurs les provisoirement puissants, nous avons pour vos fonctions beaucoup de respect, mais excusez-nous, nous n’avons pas l’intention de vous laisser nous priver de nos droits ! Car c’est un droit pour les citoyens d’être représentés ! C’est un droit que l’on tienne compte de notre suffrage. Vous avez le pouvoir, mais les citoyens ont la légitimité. Ce n’est pas votre bon plaisir de gouvernant qui doit compter, mais le respect des citoyens.
Alors si la raison venait à l’emporter, ce qu’évoquait Marc tout-à-l ‘heure, la simple loi électorale peut être débattue à l’Assemblée nationale et adoptée. Ce serait une bonne chose. Mais si l’on continue à mettre des bâtons dans les roues, à jouer la montre, à retarder pour mieux repousser, alors il nous reste des voies de recours. Et cette voie de recours, c’est le référendum du peuple citoyen.
On applaudit souvent cette idée mais on ne va pas jusqu’au bout. Vous me direz que le référendum de l’article 11 de notre constitution ne peut être demandé que par le gouvernement, et que donc, le bon vouloir du gouvernement suffirait à nous mettre échec et mat, ou au moins pat comme on dit aux échecs quand on ne peut plus bouger ses pièces.
Mais on n’a pas lu l’article 11, et son quatrième paragraphe :
« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi »
C’est le texte de la Constitution. Un cinquième des membres du parlement, c’est si je compte bien, c’est 185 députés et sénateurs. Cela doit se trouver. Si on nous refuse cette évolution bienfaisante, et bien il faut aller sur les marchés faire signer les Français. Il faut faire signer quelque 4 millions de personnes, soit 40 000 par département moyen. Si nous y croyons, nous avons les moyens de réunir ces signatures, et c’est les Français qui peuvent prendre le pouvoir et choisir leur influence sur une situation politique alors que la demande est assez générale ! La démocratie est aussi importante que le plus important de ce qui nous fait vivre ensemble. Les conditions d’exercice de notre  démocratie dépend des institutions. Je nous encourage à nous engager à l’Assemblée nationale, au Sénat, pour ce débat qui est vital pour l’évolution de nos pratiques.
Je dis à toutes les forces politiques qui considèrent que cette question est centrale qu’il faut s’asseoir autour d’une table, écrivons ensemble une proposition de loi, il en est de très simples comme celle que François Mitterrand fit adopter pour les élections de 1986. On peut en trouver d’autres, moi j’aime beaucoup la loi électorale allemande qui concilie les circonscriptions avec un vote national qui fait que tout le monde a sa part.
Quand un pays est menacé par les extrêmes, le seul garde-fou qui existe est la possibilité que se réunissent ceux qui refusent cette dérive. Cela ne peut se faire que si nous introduisons cette manière d’être nouvelle qui considère que ses voisins et les autres sont des partenaires, pas de adversaires ni des ennemis. C’est ce combat que nous allons devoir mener. Nous sommes devant une tâche plus importante qu’aucune des représentations nationales précédentes n’a eu à affronter. Ceux d’entre nous qui sont au gouvernement sont devant des responsabilités éminentes. Je ne sais pas comment seront les mois qui viennent. J’aperçois exactement les risques d’échec et de désordre. Ce qui nous réunit dans cette famille politique, c’est que nous refusons le désordre et de favoriser les échecs. Nous sommes à notre rendez-vous. Ces journées de Guidel auront permis de mesurer la solidarité et la solidité qui existe dans nos rangs.

 

 

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