Dans une tribune publiée par Project-syndicate le 27 décembre, Emmanuel Macron estime qu’au niveau mondial l’on ne pourra réussir à protéger la planète en matière environnementale que si on s’attaque en même temps à la pauvreté.
Et effectivement, le Président de la république a raison car, comme il l’explique, «aucun pays n’acceptera de placer sa population dans l’impasse sociale et économique pour protéger la planète».
Pour parvenir à cet objectif ambitieux et a priori
quasi-inatteignable en l’état actuel de l’activité économique des différents
pays de la planète, il propose une stratégie reposant sur sept piliers:
- Sortie des énergies fossile pour les pays les plus avancés;
- Traitement en priorité de la menace du charbon;
- Mise au service de l’Accord de Paris de la finance privée et du commerce;
- Création des conditions d’un choc financier pour aider les pays les plus
vulnérables à financer leur transition, à accéder aux technologies vertes et à
s’adapter au changement climatique;
- Construction des bases d’une « bioéconomie » pour rémunérer les
services rendus par la nature;
- Protection de l’océan, premier puit de carbone;
- Réforme de la gouvernance du système de Bretton Woods, à commencer par la
Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
► Voici la tribune d’Emmanuel Macron:
«Protéger la planète et lutter contre les inégalités, en même temps :
pour un nouveau Pacte mondial face à ces défis»
La poursuite de la guerre en Ukraine et la situation au Proche Orient suite à
l’attaque terroriste du Hamas et les bombardements à Gaza ne doivent pas nous
faire dévier des priorités qui sont les nôtres : réduire nos émissions de
C02, viser la neutralité carbone en 2050, sauver notre biodiversité
et lutter contre la pauvreté et les inégalités.
C’est cette doctrine que nous déclinons à l’international, à travers le Pacte
de Paris pour les Peuples et la Planète et les sommets One Planet. La clé de
voûte de cette stratégie, c’est que nous devons accélérer en même temps sur le
plan de la transition écologique et de la lutte contre la pauvreté, car aucun
pays n’acceptera de placer sa population dans l’impasse sociale et économique
pour protéger la planète.
Cette stratégie repose sur 7 piliers :
1) Les pays les plus avancés, qui sont aussi ceux qui ont le plus émis de C02
depuis la révolution industrielle, doivent sortir des énergies fossiles. Cet
objectif n’est pas négociable si nous voulons tenir les objectifs de l’Accord
de Paris. La science fixe la trajectoire : nous devons sortir du charbon en
2030, sortir du pétrole en 2045 et sortir du gaz en 2050. Dans cette catégorie,
les pays du G7 ont une éminente responsabilité, mais la Chine est également
concernée, parce qu’elle est désormais le deuxième pays émetteur sur le plan
historique et qu’elle est dans la moyenne du G7 en termes d’émissions de C02
par habitant.
2) Traiter en priorité la menace du charbon. Aujourd’hui, c’est 2000 Gigawatt
de capacités installées qui émettront, à elles seules, suffisamment de C02
pour nous faire dépasser les 1.5°C. Alors que l’AIE préconise de retirer
92GW/an, c’est 500 Gigawatt de capacités additionnelles qui sont en
planification. Là encore, le G7 a une responsabilité, celle de sortir du
charbon dès 2030 (la France le fera, dès 2027). Les émergents ont aussi une
responsabilité, car ils sont les plus grands consommateurs de charbon. Dans ces
pays, nous devons accélérer le financement des énergies renouvelables mais
aussi de l’énergie nucléaire dont le rôle est clé car il s’agit d’une énergie à
la fois pilotable et décarbonée.
3) Mettre la finance privée et le commerce au service de l’Accord de Paris. Le
coût de l’investissement doit être à l’avenir plus élevé pour un acteur qui
s’engage dans le secteur fossile. Nous avons besoin d’un taux d’intérêt vert et
d’un taux d’intérêt brun. Cela vaut aussi pour le commerce : nous avons
besoin d’une clause climatique dans nos accords commerciaux, car nous ne
pouvons pas à la fois imposer le verdissement à nos industries et libéraliser
les échanges de produits polluants à l’international.
4) Créer les conditions d’un choc financier pour aider les pays les plus
vulnérables à financer leur transition, à accéder aux technologies vertes qui
sont les nouveaux facteurs de croissance, et à s’adapter au changement
climatique. Cela suppose d’aller au-delà de la traditionnelle « aide
publique au développement » et de faire pour les pays vulnérables ce que
les pays riches ont fait pour eux-mêmes suite à la Covid19, à savoir mener une
politique budgétaire et monétaire non-orthodoxe.
Nous avons d’ores et déjà des résultats : en deux ans, nous avons débloqué
plus de 100Mds $ de « droits de tirage spéciaux » du FMI pour les
pays vulnérables, comme nous en avions pris l’initiative à Paris au printemps
2021. En activant cet « actif dormant », nous débloquons des prêts
sur vingt ans à taux d’intérêt proche de zéro pour financer l’action climatique
et la préparation face aux pandémies dans les pays les plus pauvres. Nous avons
commencé à changer les règles de la dette pour suspendre les paiements en cas
de choc climatique dans les pays les plus fragiles. Nous avons changé le mandat
des banques multilatérales de développement, comme la Banque mondiale, pour
qu’elles prennent plus de risques et qu’elles mobilisent davantage l’argent
privé.
Nous allons continuer ce travail, y compris dans le cadre du nouveau fonds sur
les pertes et préjudices, où il nous faut mobiliser, au-delà des financements
publics, de nouveaux mécanismes d’assurance privée face au risque climatique.
Nous partirons des besoins spécifiques des pays les plus touchés : dès le
premier semestre 2024, la France signera avec le Bangladesh un premier paquet
pour l’adaptation au changement climatique et les pertes et préjudices, avec un
investissement de l’agence française de développement de 1 milliard d’euros, et
de nouveaux prêts du FMI débloqués grâce aux droits de tirage spéciaux, à
hauteur de plus d’un milliard de dollars.
Cela suppose d’identifier aussi des mécanismes de gouvernance à l’échelle
mondiale sur les défis les plus vitaux qui vont s’imposer dans les prochaines
décennies, à commencer par celui de l’accès à l’eau : la France et le
Kazakhstan organiseront à ce sujet un sommet One Planet en marge de la
prochaine AGNU en septembre 2024.
5) Construire les bases d’une « bioéconomie » qui rémunère les
services rendus par la nature. C’est clé, car la nature est notre meilleure
technologie pour séquestrer le carbone à grande échelle. Les pays qui disposent
des plus grandes réserves de carbone et de biodiversité, notamment dans les
trois grands bassins de forêts tropicales, doivent obtenir beaucoup plus de
ressources en échange de la conservation de ces réserves vitales. Cela passe
par des contrats pays par pays. Nous en avons d’ores et déjà lancés trois à la
COP28 avec la Papouasie Nouvelle Guinée, le Congo-Brazzaville et la République
démocratique du Congo.
Cela passe aussi par une réforme en profondeur du marché volontaire pour
l’échange de crédits-carbone : nous avons besoin d’une bourse
internationale du carbone et de la biodiversité qui permette aux acteurs
publics et privés d’organiser des échanges volontaires de crédits-carbone sur
la base de critères suffisamment ambitieux pour éviter le greenwashing et
rémunérer les populations locales.
Mettre la finance privée et le commerce au service de l’Accord de Paris
6) Protéger l’océan, qui est notre tout premier puit de carbone. La France et
le Costa-Rica organiseront conjointement à Nice en juin 2025 la troisième
conférence des Nations unies sur l’Océan, avec l’objectif d’adopter un compact
pour l’Océan qui actualise le droit international, notamment sur l’interdiction
de la pollution plastique et la protection de la haute mer et des fonds marins,
et qui permette d’obtenir des stratégies nationales sur la protection des
littoraux de la part des pays qui disposent de zones économiques exclusives.
7) Enfin, cette méthode ne pourra être appliquée par tous que si nous réformons
la gouvernance du système de Bretton Woods, à commencer par la Banque mondiale
et le Fonds monétaire international, qui ont un rôle éminent pour fixer les
standards et pour financer la transition écologique à l’échelle globale. Or,
quatre-vingt ans après sa création, cette architecture financière est
sous-dimensionnée face à la taille de l’économie, de la population mondiale, et
largement fragmentée, car nous n’avons pas ouvert la porte aux pays émergents
et en développement dans la gouvernance de ces institutions. Or, nous ne
pourrons pas nous mettre d’accord sur des objectifs et des financements si tout
le monde n’est pas sur un pied d’égalité à la table de négociation. Nous devons
donc revoir la gouvernance de Bretton Woods, et réciproquement, demander aux
pays émergents de prendre leur part de responsabilité dans le financement des
biens publics mondiaux.