Peut-on rire de tout?
Au-delà de cette interrogation, peut-on poser une responsabilité de l’humour et de l’humoriste en démocratie?
Cette question se pose avec acuité en ce début de troisième millénaire où la libération de la parole notamment grâce aux réseaux sociaux – d’où viennent nombre de nouveaux humoristes – a engendré ce que beaucoup estiment comme des dérapages qui ne sont pas sans conséquence sur le fonctionnement de la démocratie.
Le propos ici n’est évidemment pas d’interdire l’humour, ni de prôner une législation spécifique – il existe des lois pour protéger les individus contre des attaques personnelles violentes et ordurières ainsi que contre les discours qui vont du racisme à l’homophobie en passant par l’appel au meurtre.
Non, il s’agit de se demander quand l’humour de drôle passe au message politique stricto sensu qui a pour but de déstabiliser la démocratie.
Et que l’on ne dise pas que les humoristes ne sont que des saltimbanques qui n’ont aucune conscience politique, aucun engagement partisan et aucune volonté de faire passer un message.
Ce n’est pas vrai et cela n’a jamais été vrai.
De plus, l’explosion de la scène humoriste, notamment en France, démontre que leur performances touchent un très large public que ce soit dans les théâtres ou sur les écrans divers et variés.
Désigner des coupables, insulter au dernier degré, s’en prendre à l’aspect physique ou aux choix de vie d’une personne, développer des faits alternatifs ou des théories du complot, tenir meeting politique sous couvert de one-man show, voilà ces dérives dont nous pourrions citer des exemples quasi à l’infini.
Certains prétendent que l’humour est nécessairement disruptif et même méchant pour être drôle.
Et c’est vrai que nous rions facilement à un bon jeu de mots souvent à la limite du respect de le dignité de l’autre, parfois au-delà de celle-ci.
Mais il est possible aussi de faire rire de ce qu’est la vie, de ce qui est notre quotidien, de nos défauts collectifs, de soi-même comme le font si bien les spécialistes du stand-up.
On peut même faire rire sainement en s’en prenant à des personnes ou à des organisations qui ne partagent pas notre point de vue.
Mais point n’est besoin de devenir ordurier, violent et d’attaquer une personnalité ou de lancer un appel au meurtre contre elle.
Au fil des ans, il est vrai, nombre d’interdits – certains légaux d‘autres sociétaux – se sont abattus sur les humoristes avec la reconnaissance de toutes les différences qui étaient autrefois utilisées pour faire rire que ce soit sur l’aspect physique, l’orientation sexuelle et les défauts ou accidents dus à la vie elle-même.
Certains d’entre eux s’en plaignent et ils ont parfois raison quand n’importe quelle allusion pourtant très légère suscite des indignations au-delà du raisonnable.
Cependant, une société démocratique ne peut accepter que l’on s’en prenne à des gens simplement parce qu’ils se sont pas comme vous, parce qu’ils n’ont pas le même physique ou qu’ils vivent différemment notamment s’ils ne représentent aucun danger, aucune gêne pour la société ou sa propre vie.
Et quand c’est le cas, c’est plutôt par l’engagement politique que par un sketch humoristique que l’on doit répondre à un danger ou à une gêne de la sorte, ce que font certains humoristes d’ailleurs en ne confondant pas les deux.
Il n’y a évidemment pas de conseils à donner aux humoristes mais sans doute doivent-ils interroger leur conscience à chaque fois qu’ils trouvent une blague qui est potentiellement odieuse pour les valeurs humanistes qui sont le fondement de la démocratie, donc de notre liberté, donc de la leur de faire de l’humour.
Et comme le disait le célèbre professeur de rhétorique romain Quintilien: «Mieux vaut perdre l’occasion d’un bon mot qu’un ami».
[Retrouvez quotidiennement ce billet rédigé par l’équipe du CREC concernant l'actualité du jour]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires anonymes ne sont pas publiés ainsi que ceux qui seraient insultants ou qui ne concernent pas le Centre et le Centrisme.