François Bayrou |
Accent centriste ou accent populiste?
Les deux sont présents dans le discours de clôture de François Bayrou aux universités d’été du MoDem.
Pour le président du Mouvement démocrate, «on ne gouverne pas contre le peuple».
Devant l’impression des Français de ne pas être écouté, il ajoute qu’il faut bâtir «une société qui vise l’harmonie par la reconnaissance» et construire «un nouveau monde qui soit caractérisé et singularisé par des vertus morales et civiques».
Se voulant le défenseur de la démocratie, il pense qu’elle est la meilleure façon de «réduire les divisions».
François Bayrou donne ici l’impression de vouloir être le défenseur du peuple contre les élites gouvernementales dans le droit fil de ses dernières prises de position notamment contre une réforme des retraites qui serait votée trop vite selon lui.
En agissant ainsi, il jette le trouble dans la majorité présidentielle et donne du grain à moudre à l’opposition qui ne s’est pas faire prier pour utiliser ses propos contre Emmanuel Macron et ses soutiens.
Mais ses accents parfois populistes recèlent le danger de légitimer des mouvements d’humeur et de foule qui, eux, n’ont tien avoir avec l’Etat de droit et la démocratie.
Concernant justement cette dernière, il estime – sans doute pour avoir une meilleure écoute de ses propositions auprès du président de la république, du gouvernement et de ses partenaires de la majorité présidentielle –que «la démocratie ce n'est pas faire triompher ses opinions sur celles des autres» mais «c'est faire reconnaitre la légitimité de son opinion tout en acceptant la légitimité des opinions des autres».
De même, il plaide pour sa nouvelle fonction, secrétaire général du Conseil national de la refondation qui est pour lui le lieu qui permet de faire précéder «toutes les grandes réformes par un travail de concertation, de consultation, de croisement des expériences, et après de rentrer dans les réformes» car, poursuit-il «là nous sommes dans la démocratie au sens propre».
En outre, il assigne à la France la «mission» historique «de reconstruction de l’ordre mondial».
► Discours de
François Bayrou
Nous avons de grands philosophes dans nos rangs, mais il y a une chose qui
nous caractérise, c'est que nous sommes et nous devons être des bâtisseurs.
Nous voulons construire le nouveau monde et nous voulons construire un nouveau
monde qui soit, j'en parlerai, caractérisé et tout à fait singularisé par des
vertus morales et civiques, que j'essaierai d'aborder rapidement dans ce
discours.
Mais je voudrais dire, avant d'entrer dans cet état du monde, que nous ne nous
battons pas que pour nous.
Je voudrais, à cette tribune, évoquer les Ukrainiennes et les Ukrainiens, on a
vu avec Oxana que c'était formidable, la mobilisation d'un peuple, avec les
maris qui disent à leur femme : «Part avec les enfants, moi je reste pour me
battre», d’un peuple qui réussit à renverser l'armée que l'on considérait comme
l'armée de terre la plus puissante au monde.
Alors, je ne dis pas que c'est définitif, je ne dis pas que les combats sont
gagnés, je ne dis pas que la guerre est finie, mais quel exemple absolument
incroyable pour faire mentir les Cassandre mondiales et les Cassandre
françaises, les gens qui se présentent comme visionnaires et qui ont dit des
énormités dans cette affaire, en expliquant qu'il était stupide de croire que
la petite Ukraine - d'abord, ils ne connaissent pas la géographie ceux qui
disent cela - allait tenir tête à l'immense armée russe.
Les Ukrainiens et les Ukrainiennes d'abord, les Iraniennes, les femmes d'Iran,
je trouve extraordinaire et extraordinairement revivifiant, roboratif et
émouvant, que, car une jeune femme a été tuée de manière obscène, pour des
raisons de voile, comme vous le savez, tant et tant d'Iraniennes se lèvent et
que, comme un drapeau, elles arborent le voile enlevé, elles montrent, parfois
en le brûlant, à quel point elles sont de la même race et du même mouvement que
cette jeune femme iranienne assassinée.
Alors, si nous pouvions nous souvenir des femmes iraniennes dans leur combat et
ne pas les abandonner, je trouverais que c'est bien.
Je voudrais, au passage, dire un mot : Elles, elles ne sont pas dans la révolte,
elles sont dans l'oppression. Les femmes afghanes, les petites-filles afghanes
à qui on interdit d'aller à l'école, les adolescentes afghanes à qui on
interdit d'aller à l'université et les femmes afghanes à qui on interdit de
sortir, elles sont, pour nous, toutes celles-là, une raison d'engagement et une
raison de combattre et il faut leur dire.
Après avoir parlé de nos frères ukrainiens, je voudrais parler de nos frères
italiens qui votent aujourd'hui et dans une circonstance politique dont chacun
d'entre nous sait qu'elle est délicate, inquiétante et je veux saluer le
mouvement qui s'est constitué autour du Parti démocrate européen dont j'ai la
chance d'être le créateur. Le président et Sandro Gozi, le secrétaire
général, était là hier, il a joué un rôle dans l'édification de cette force-là,
elle est remarquable et, si elle continue, elle sera considérable un jour.
Alors, je salue nos amis italiens de Italia Viva.
J'en viens à l'état du monde que l'on a abordé plusieurs fois, mais qui, pour
moi, est absolument central.
D'abord, parce que nous prenons le monde comme il est, nous essayons, avec
lucidité, de voir où il en est, c'est-à-dire de prendre la mesure de la
spectaculaire dégradation de l'ordre mondial.
Je dis dégradation. L'ordre précédent était imparfait, je ne dis pas que
c'était un ordre idéal, mais au moins il était lisible, c'est-à-dire que tous
ceux dont le métier est de décider à partir d'anticipations, de savoir ce qui
va se passer, tous ceux-là avaient au moins des raisons de prendre des
décisions stables, alors ce n'est pas très commode et pratique aujourd'hui et
je dis que nous prenons le monde tel qu'il est en ayant pour but de le changer
à notre mesure, à la mesure de nos forces.
Alors, il y avait trois moteurs dans le monde d'hier et ils sont aujourd'hui,
chacun des trois, en difficulté, peut-être pas tous en panne, mais pas loin.
Il y avait la Chine, qui traverse ou qui est entrée dans une période de
profonde remise en question intérieure pour deux raisons qui se sont conjuguées
l'une et l'autre. La première, c'est la démographie et, selon les démographes
qui ne peuvent pas se tromper, car tous les gens qui vont mourir sont nés, on
sait à peu près à quel âge ils vont mourir - sauf nous évidemment -, on sait à
peu près à quel âge les choses basculent, jusqu'à quel âge on peut travailler.
C'est donc une science exacte, la démographie, à la différence de beaucoup
d'autres sciences sociales.
Les démographes disent que la Chine va perdre 500 millions d'habitants dans les
30 ans qui viennent. 500 millions d'habitants, c'est la population totale
de l'Europe, de la grande Europe, pas seulement de l'Union européenne.
Et imaginez ce que cela représente. Moi, je suis de ceux qui pensent qu'un
peuple est vivant quand sa démographie est vivante, quand il y a vitalité et
nous avons tort de ne pas y penser pour nous-mêmes.
Le Haut-commissariat au Plan a édité une étude sur la démographie, il y a
quelques mois, qui essaie d'exprimer cette inquiétude-là, pas seulement pour
les autres, mais pour nous et les déséquilibres démographiques, ce n'est pas
seulement le nombre d'un côté et la rareté de l'autre, c'est qu'il y a des
crises économiques et des violences guerrières qui se cachent derrière ces
déséquilibres.
La loi des vases communicants n'est pas vraie qu'en physique, elle est vraie
aussi en géopolitique.
Alors imaginez ce que c'est, un peuple qui a la certitude de perdre plus du
tiers de sa population par l'âge dans les 30 ans qui viennent. Histoire
terrible. On ne se rend pas assez compte que le choix politique que la Chine a
fait de l'enfant unique, cela a une signification que l'on ne mesure pas du
tout, car, pour nous, les familles avec un enfant unique, c'est classique, il y
en a plein et ce sont des amis, il n'y a pas de problème, mais l'enfant unique
généralisé, cela veut dire qu'il n'y a plus ni oncle, ni tante, ni frère, ni
sœur, ni cousins, nulle part dans la société chinoise.
On n'est plus relié que verticalement et un homme ou une femme, un jeune homme
ou une jeune femme a deux parents. Point.
Eh bien, c'est un changement anthropologique dont il faut essayer de prendre la
pleine mesure.
Et vous avez vu que les autorités chinoises, conscientes de cette nécessité
démographique ont, l'an dernier ou il y a 2 ans, libéralisé le deuxième enfant
et l'année dernière le troisième enfant, tant que l'on veut, mais ils n'ont pas
fait plus d'enfants pour autant.
Il n'y a pas eu d'effet, car l'imprégnation du modèle de l'enfant unique sur
les consciences, sur la manière d'être change considérablement ce que les êtres
humains vivent et font ensemble.
Donc cela, c'est la première raison pour que la Chine soit en situation
d'interrogation.
Il y a une deuxième raison, c'est la politique 0 Covid. La Chine a choisi, pour
des raisons que les historiens interrogeront un jour, qu'au lieu de faire ce
que nous avons fait, c'est-à-dire vaccination d'abord et vivre avec les
épidémies résiduelles ensuite, en ayant ce que - j'ai un fils vétérinaire et
spécialisé en virologie - l'on appelle en virologie l'immunité de troupeau,
c'est comme cela que cela s'appelle, y compris pour les êtres humains et c'est
souvent justifié…
Avec l'immunité de troupeau, nous arrivons à vivre avec le virus jusqu'à
maintenant et peut-être aurons-nous des mutations plus dangereuses, mais nous
ferons face, notamment car nous avons beaucoup progressé en vaccin.
Et donc, ils ont choisi une autre politique qui est l'idée, peut-être le fantasme
de l'exclusion du virus, zéro Covid19.
Il y a des dizaines de millions de personnes et des centaines et des milliers
de centres de production qui ont été totalement arrêtés et toutes les familles
interdites de sortir de chez elles pendant des semaines et des mois.
Et tant de gens enfermés qui ne peuvent plus sortir, même pour chercher du
secours, parfois, dans des tours, cela donne des images d'une terrifiante
violence, violence sans violence et parfois violence avec violence, car il faut
punir naturellement tous ceux qui ne respectent pas ces consignes.
Et des centaines de milliers d'Occidentaux sont partis de Chine, tous ceux qui
faisaient le lien, le pont entre la Chine et l'Occident sont partis. Alors,
est-ce que c'était volontaire, est-ce que cela ne l'était pas ? Les historiens
répondront à cette question, mais cela fait que la Chine, qui était sur une croissance
moyenne de 7-8 % par an, va se retrouver cette année proche de 0. Au dernier
trimestre, la croissance chinoise était à 0,2 %.
Alors, imaginez ce que c'est une société qui a les problèmes que je décris et
qui surfait sur sa croissance pour y répondre et qui se retrouve tout d'un coup
en situation périlleuse.
Les États-Unis, je ne vais pas m'étendre longuement, la puissance américaine
existe, mais les ruptures à l'intérieur de la société américaine, le retour de
tout le refoulé, le retour y compris des références à la guerre de Sécession et
vous savez, quel était le sujet de la guerre de Sécession, c'était l'esclavage,
c'était la situation des Afro-américains comme l'on dit et cela revient avec
une violence et c'est toute l'histoire du wokisme, qui menace l'université
américaine et un peu, si nous ne faisons pas attention, l'université française.
Cette idée-là, je vais y revenir et Marc l'a effleurée aussi, selon laquelle
nous aurions les grands pays avec la grande histoire qui est la nôtre, des
ennemis dans notre propre histoire et qu'il faut relire l'histoire en clouant
au pilori, en mettant en accusation ceux qu'on avait l'habitude de considérer
comme des Pères fondateurs, avec toutes les erreurs que le temps fait pour ceux
qui sont aux responsabilités, et donc cette fragilité de la société américaine,
l'ultra-présence de la violence ou la présence de l'ultra-violence constamment
et avec des forces politiques dont M. Trump est le porte-parole ou le
porte-casquette, je ne sais pas comment il faut dire, et donc Trump est le
porte-drapeau de cette remise en cause par les Américains de l'Amérique.
Or, quand vous vous trouvez dans un pays ou une société où les forces de
destruction viennent de sources internes au pays et que vous n'avez pas les
mécanismes immunitaires pour y répondre, alors c'est un pays qui est en danger
et en risque, et je pense avec beaucoup d'affection au peuple américain, car
une partie de ma famille est américaine, la famille de ma femme pour être
exact, et donc tout cela est impressionnant.
L'Europe, qui était, qui devrait être un facteur de stabilité, de dynamisme,
l'Europe se trouve aux prises avec la guerre en Ukraine, avec les conséquences
du choix désastreux que les hommes politiques allemands ont fait de se mettre
entièrement dans la dépendance de Poutine et du gaz russe.
Il faudra, un jour, interroger les raisons qui ont fait que nombre de
politiques allemands ont favorisé, poussé dans le sens de cette politique de
dépendance au gaz russe et, quand on regarde l'évolution professionnelle de
ceux qui ont exercé ces responsabilités, on a quelques inquiétudes, mais,
lorsque l'Allemagne est malade, c'est l'Europe qui est malade et on a donc les
trois facteurs, les trois moteurs en situation périlleuse et c'est un très
grand danger pour nous.
Dans ce monde-là, c'est la France qui doit assumer une mission, c'est la
mission de reconstruction de l'ordre mondial, avec l'ordre le plus équilibré
que nous puissions trouver et nous avons des responsabilités.
Le discours du Président de la République à l'ONU a été, pour la France, un
moment de reconnaissance, un moment d'influence, un moment où on a été fier,
moi j'ai été fier d'écouter ce discours, car, tout d'un coup, tout ce qui était
des questions brumeuses dans l'ordre international, dans la situation de chacun
des pays, dans les relations avec chacun des pays, tout cela est devenu
parfaitement lisible et parfaitement juste à entendre.
Donc, la France joue un rôle et ce que le Président de la République a dit de
la manière la plus explicite, c'était que nous avions des responsabilités les
uns chez les autres, que les pays n'étaient pas enfermés dans leurs univers de
frontières nationales, qu'ils ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient, qu'il
y avait, entre les pays, selon une charte de valeurs parfaitement claires, des
choses inacceptables et que nous n'accepterions pas, que nous n'acceptons pas.
Pour moi, c'est très, très important dans l'histoire.
Il y a eu quelque chose qui s'est passé à la Société des Nations, en 1934 si je
ne me trompe pas, un Juif a porté plainte devant la Société des Nations, il a
réussi à passer les filtres successifs, en dénonçant les exactions, les
humiliations, les attentats dont ses coreligionnaires étaient victimes dans le
monde nazi.
On est très tôt dans l'histoire et celui qui représente le gouvernement
national-socialiste, c'est Goebbels à la Société des Nations et Goebbels monte
à la tribune et il ne nie pas du tout les accusations. Il dit cette phrase que
nous avons tous en mémoire : «Charbonnier est maître chez soi».
Je cite à peu près exactement la phrase de Goebbels. Il dit : «Charbonnier est
maître chez soi. Nous ferons ce que nous voulons de nos communistes, de
nos socialistes et de nos Juifs». Personne ne répond… Et René Cassin, qui
assistait à cette séance, le très grand juriste René Cassin, celui qui va faire
les institutions et la charte des droits de 45 et 46, dit : «C'est à ce
moment-là que j'ai compris que l'humanité courait à sa perte», car, à la
Société des Nations, personne n'a contredit Goebbels.
Ce que j'aime dans la période, notamment venant des dirigeants français, c'est
qu'au lieu d'accepter l'inacceptable, ils sont montés à la tribune pour dire
que nous ne l'accepterions jamais, depuis le premier jour, Jean-Yves Le Drian
nous l'a rappelé hier, jusqu'au discours de l'ONU et cela mérite que nous
soyons fiers.
Alors, je crois que la France serait mieux armée que les autres, pourrait être
mieux armée que les autres, car elle est un pays magnifiquement équipé, avec un
contrat social dont nous savons tous à quel point il est rare dans le monde,
depuis l'école maternelle jusqu'au Collège de France, depuis le dispensaire du
coin de la rue jusqu'aux plus grands hôpitaux, quelle que soit la situation
sociale de ceux qui sont atteints par la maladie, un pays doté d'une capacité
d'indépendance, d'abord de souveraineté alimentaire et cela compte, de
souveraineté énergétique grâce à la réorientation qui a été faite - et nous y
avons joué un petit rôle - sur la production d'électricité nucléaire, dont
j'espère que, d'ici quatre mois, les plus grands embêtements seront effacés.
Nous sommes formidablement outillés pour faire face, mais la division
constante, perpétuelle, voulue, alimentée, excitée est malheureusement une
menace sur notre destin.
Alors, je voudrais m'arrêter une seconde à cette idée. Ces forces de division
et de détestation, les femmes contre les hommes, la couleur de peau contre une
autre couleur de peau, la classe sociale contre d'autres classes sociales, la
danse du scalp autour des supposés riches, la mise en accusation publique sur
des affaires privées par des responsables politiques qui vont à la télévision
pour pointer du doigt et clouer au pilori, sans avoir, me semble-t-il, de
preuves indiscutables, en disant même qu'il n'y a rien de pénalement
répréhensible.
La dénonciation publique, les salariés contre les patrons, les salariés contre
les entreprises, tout cela ce sont ces forces de division, cela a un nom, c'est
la guerre de tous contre tous.
Et notre mission, contre la société d'affrontement, c'est de construire une
autre société, un autre projet d'avenir que j'appelle la société d'harmonie,
une société, une cité harmonieuse, pas une cité où il n'y a plus aucune
difficulté, mais une cité dans laquelle on affirme sans trembler qu'il y a beaucoup
de femmes qui ne se sentent pas prises dans la guerre des femmes contre les
hommes. Ils ne sont pas tous formidables, on en sait quelque chose, mais il n'y
a pas de guerre, il y a un destin à construire ensemble.
Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas pris dans la guerre des salariés contre
les patrons, car ils savent que, s'il n'y a pas d'entreprises, il n'y aura pas
de salariés et on ne pourra pas avancer.
Je vous rappelle qu'il y a beaucoup de gens qui demandent
que l'on requalifie leur contrat de travail, quand ils sont indépendants, en
contrats de salariés et puis il y a beaucoup de gens, nous, en somme,
permettez-moi de dire en votre nom que j'en suis, qui considèrent que le
pluralisme des religions ne doit pas entraîner de guerre de religions.
Et notre affirmation ici, c'est que, contrairement à ces feux de broussaille
que l'on allume constamment et dont on sait les dégâts qu'ils peuvent faire, on
l'a vu assez souvent, ces temps-ci, contre tout cela, nous, nous pensons que
nous pouvons vivre ensemble, que nous pouvons et que nous devons vivre ensemble
et tel est notre projet, telle est notre résistance, telle est notre volonté de
ne pas nous laisser entraîner dans cet affrontement de divisions qui dérivent
en haine.
Nous voulons construire ensemble le monde meilleur que nous attendons.
Ne me prenez pas pour un idéaliste déjanté. Je sais que la division est dans la
nature humaine, c'est même dans l'étymologie.
Vous savez que le mot «diable» vient du grec «diabolos», ce qui veut dire le
diviseur et il n'est pas un militant d'association de pêche à la ligne ou de
joueurs de bridge, je ne parle même pas des associations sportives et encore
moins des associations culturelles, il n'y a pas un engagé qui ne sache que,
tout le temps, la division est présente et c'est Jules César qui disait
cela : «Dans les villages gaulois, il y a toujours au moins trois parties
: un pour, un contre et celui qui est contre les deux autres».
C'est vrai, la dernière partie de la phrase c'est moi qui l'ai inventée ! Mais
qu'il y ait toujours au moins trois parties - tres partes -, cela,
c'est de Jules César, c'est dans la Guerre des Gaules. Vous pouvez le
vérifier.
Je sais très bien la nature humaine, mais, nous, nous pensons, c'est là que
nous entrons dans notre philosophie politique, dans ce qui nous fait avancer et
vivre ensemble, nous, nous pensons qu'il y a des stratégies pour réduire les
divisions et rendre le monde plus vivable.
Et le moyen de réduire les divisions et de rendre le monde plus vivable, cela
s'appelle démocratie. La démocratie, c'est ce qui transforme les haines et les
détestations en pluralisme.
On s'affronte, on n'est pas du même avis, on est différents les uns des autres,
mais, après, on peut vivre ensemble et, donc, cette manière de ne pas nier les
divisions et l'esprit diviseur, mais de les sublimer, de les métaboliser, c'est
évidemment très important et il y a des techniques.
Il y en a plusieurs, il se trouve que cela tombe bien, il y a une première technique
qui est de penser l'avenir dans des plans.
Je me suis battu pendant des décennies, vous en êtes témoins pour essayer de
faire revivre cette idée de plan en France.
Le plan, c'est la capacité de faire le constat de la situation dans laquelle on
se trouve, de désigner l'avenir que l'on compte atteindre et de marquer des
étapes pour y parvenir.
C'est ce qu'a fait Jean Monnet après la guerre. Vous savez que le Général de
Gaulle à propos du plan disait : «L'ardente obligation du plan». Ardente
obligation du plan…
Alors, vous avez été témoin, j'ai été fortement moqué pendant un grand nombre
d'années et pas mal de décennies, car je défendais cette idée et puis, le
Président de la République a bien voulu dire qu'après tout, on vérifiait avec
la covid19 que c'est parce que l'on n'avait pas eu des plans sur un très grand
nombre d'équipements, de dispositifs médicaux que l'on était dans la situation
où l'on était. Alors, il m'a dit : «Essayez de le recréer» et on l'a fait.
Et, tout d'un coup, je vous passe les lazzis. C'était le retour au Gosplan
stalinien, léniniste, je ne sais pas quoi. On a lu tout cela, sous des plumes
autorisées et, 2 ans après, on ne parle plus que du plan dans tous les domaines
de l'action publique. On veut planifier écologiquement, on veut planifier
médicalement, on veut planifier…
J'ai un petit goût de victoire quand je vois cela !, mais j'ai l'habitude !
Edgar Faure, l'homme d'État de la IVème République et des débuts de la Vème,
a écrit ses mémoires et le titre de ses mémoires est : Avoir toujours
raison est un grand tort. Il y a des parentés comme cela !
Cela, c'est donc la première option qui permet en effet que le concert des
opinions puisse se référer à quelque chose que l'on partage pour l'avenir. Ce
n'est pas immédiatement dans l'actualité que se situe l'essentiel de l'action
publique, c'est dans le long terme.
Il m'est souvent arrivé de dire, les Chinois – j'observe beaucoup, comment ne
pas observer 1,400 milliard de personnes et un régime comme il n'y en a
jamais eu – raisonnent à 30 ans. C'est leur horizon de temps. Nous, si
nous raisonnons à 30 jours, c'est qu'il y a vraiment des gens qui ont de la
vision…
Je ne plaisante pas, je dis cela avec tristesse, car la vérité est que ce sont
les sondages qui conduisent l'action publique. Je dis souvent ce ne sont pas
les gouvernants qui gouvernent, c'est l'opinion qui gouverne, au travers de ce
que les gouvernants ressentent de ses attentes.
C'est pourquoi vous avez, chacun, chacune d'entre vous, toi et toi, vous avez
des responsabilités majeures dans le destin du pays pas seulement car vous
votez, mais car vous transformez la vision de ceux qui vous entourent.
C'est un militantisme de tous les jours, de conviction à faire partager. Cela,
c'est la première idée.
Il y a une deuxième idée que le Président de la République a eue et je n'y
étais pour rien, c'était cette idée de concertation en continu sur les
fondamentaux du pays, qu'il a appelée Conseil national de la refondation, pour
faire écho au Conseil national de la résistance, bien entendu.
C'est une idée très fructueuse. Au début, je n'étais pas enthousiaste, car on
parlait de tirage au sort et, le tirage au sort, ce n'est pas quelque chose
dans quoi je me reconnais. Je l'avoue humblement. Il y a des débats entre Erwan
Balanant et nous sur ce sujet, mais lorsque le Président de la République a
précisé qu'il s'agissait de faire représenter toutes les forces sociales, les
entreprises, les syndicats, les mouvements des élus, les grandes associations
d'élus, les associations de jeunesse, les associations écologistes et de les
inviter à poser ensemble les problèmes de notre avenir, alors, là, c'est devenu
beaucoup plus intéressant et comme, de surcroît, il m'a proposé, peut-être
imprudemment, de prendre une responsabilité d'organisation dans ce grand
mouvement, alors, là, je trouve que c'est intéressant.
Faire précéder toutes les grandes réformes par un travail de concertation, de
consultation, de croisement des convictions et des expériences et après –
cela peut aller vite j'en dirai un mot –, seulement entrer dans la partie
décisionnelle et législative des réformes, alors il me semble que, là, nous
sommes dans la démocratie au sens propre du terme, pas dans la démocratie qui
suppose que les uns vont trancher contre les autres par un passage en force. Je
pense donc qu'il est légitime et important que nous défendions cette vision.
Alors, naturellement, je le fais sur les retraites. Je vais vous dires trois
choses sur les retraites.
Je considère que la réforme est indispensable pour trouver un équilibre pour
les régimes de retraite dans le futur et dans le long terme. Je considère que
c'est indispensable et vital.
Je suis persuadé qu'un très grand nombre de Français sont persuadés de cette
nécessité, car ils voient bien ce qu'il en est des problèmes démographiques et
qu'il y a beaucoup plus de gens à la retraite qu'autrefois par rapport aux gens
qui travaillent et qui fournissent le versement des pensions tous les mois. Je
suis persuadé de cela.
Mais personne ne leur donne des éléments précis sur cette affaire. Le nombre
d'amis qui me disent : «Mais, François, est-ce que c'est bien utile, car
il y a des rapports du corps qui disent que ce n'est pas vrai, que n'est pas
nécessaire, que les régimes sont équilibrés, que ce n'est pas une nécessité,
que ce n'est pas fait pour cela?»
Je suis absolument certain que nous pouvons établir des éléments indiscutables,
les donner à connaître aux Français et aux forces sociales qui organisent les
Français pour que chacun se forme sa conviction sur ce sujet et cela ne prend
pas des années. On me dit que cela fait des années que l'on discute. On discute
peut-être, mais les Français n'en savent rien.
Autour de vous, aucun de ces éléments n'est connu : Combien cela
coûte ? Combien cela peut durer avant que l'on ne mette en cause le
paiement des pensions ? Or, ce sont des éléments que l'on doit aux citoyens, ce
n'est même pas que l'on doit leur faire plaisir, c'est que c'est un devoir
lorsque l'on est gouvernant de partager les raisons de l'action avec ceux qui
vous ont donné la mission de les gouverner.
Alors, j'entends des critiques qui disent que cela va traîner, que l'on ne
fera plus rien. Je me permets de signaler qu'en refusant cette méthode, on a
bloqué les réformes pendant des décennies.
J'étais au gouvernement au moment du plan Juppé et quelques-uns d'entre vous
étaient à la fondation de Force démocrate pendant les grandes grèves de cet
hiver-là, à Lyon. On avait traversé la France en stop, si j'ose dire, tous en
voiture, car que tous les transports en commun étaient bloqués au mois de
décembre 1995. C'est donc évident pour moi.
Par ailleurs, prenez les réformes successives jusqu'à la dernière sous le
gouvernement d'Édouard Philippe. Tout s'est bloqué. J'avais dit, au moment
des gilets jaunes, pardon de me citer que je sentais venir les gilets jaunes et
j'ai fait une interview un peu dans le genre de ces jours-ci pour dire : Attention
sur la taxe carbone, il faut trouver un moyen d'adaptation, car les plus
pauvres ne supportent plus la montée en flèche du prix du carburant et
cherchons une adaptation qui permette de faire varier la taxe carbone en
fonction du prix du brut. C'était une idée qui avait déjà été évoquée… Bon…
J'avais dit, on ne gouverne pas contre le peuple. Je suis absolument persuadé
de cela. Les gouvernants portent des réformes, elles sont souvent bien
inspirées, mais, s'ils n'ont pas le soutien du peuple qui les a élus, ces
réformes sont bloquées et ne passent pas, car la société est tellement
éruptive, tellement capable de s'enflammer et même capable de violence - on l'a
vu à des moments dont nous avons tous la mémoire -, la société est tellement
éruptive qu'il faut se donner pour objectif de la convaincre avant de
l'entraîner.
Nos concitoyens sont tous sur les réseaux sociaux. Ils suivent tous les télés
en continu. Ils ont besoin d'éléments de choix et le travail que nous avons à
faire dans le Conseil de la refondation ou tout autre organisme qui traitera de
cette question des retraites, nous pouvons le faire très vite.
Je considère que 4 mois suffisent. 4 mois, cela nous porte au début de l'année
2023. Le Président de la République a dit : «Je veux que cette réforme soit en
place à l'été 2023». Nous sommes dans l'agenda et, s'il faut, une fois que le
débat a eu lieu, que l'on a partagé les raisons avec les citoyens, que l'on a
montré quelle était l'inspiration du pouvoir, car ce n'est pas une réforme pour
les gouvernants, ce n'est pas une réforme pour les partis politiques de la
majorité, ce n'est pas une réforme pour un avantage idéologique, c'est une
réforme pour les Français, pour continuer à payer les pensions, même quand la
société française avancera en âge.
Et ce n'est pas seulement une réforme budgétaire, c'est une réforme de société.
La retraite, j'en ai parlé avec plusieurs d'entre vous ces jours-ci. La
retraite, pour une femme, pour un homme, c'est un moment très important
d'entrer dans une nouvelle manière de vivre et il arrive qu'à l'âge de la
retraite on soit usé. Je pense beaucoup aux jeunes ou moins jeunes femmes qui
travaillent au CCAS dans ma ville et qui doivent lever des personnes âgées qui
parfois pèsent 90 kilos, et parfois plus. Alors, bien sûr, elles ont ce que
l'on appelle des affections musculo-squelettiques, mal au dos, elles n'en
peuvent plus. Je pense toujours à cela.
Dans les rues de Paris, il y a assez souvent des ouvriers qui réparent les
trottoirs avec du goudron liquide, brûlant. Ils ont une taloche et ils
talochent le goudron liquide dans une température qui doit avoisiner les 60
degrés, avec les vapeurs de goudron. Moi, je ne vais pas leur demander de
rester jusqu'à 65 ans dans ces activités-là. Alors cela veut dire deux
choses : Un, l'âge de la retraite est fonction de la vie de chacun et
j'aimerais qu'il soit fonction de son choix. La retraite choisie et vous savez
que je me suis battu beaucoup pour la retraite par points, c'était l'idée que
chacun choisisse son départ à la retraite et on peut tout à fait imaginer, en
aidant à ce choix, d'inciter à l'allongement du travail, mais l'incitation,
cela respecte la liberté de chacun.
Par exemple, j'ai souvent proposé l'idée que l'on puisse continuer à travailler
en touchant une partie de sa retraite. Vous avez un revenu, vous pouvez
continuer le travail et il y a beaucoup de gens qui sont en pleine forme au
moment de prendre leur retraite. Nous avons à imaginer, à inventer des
approches nouvelles. Très souvent, on dit : «Mais on a discuté de cela pendant
des années».
Avons-nous exploré toutes les pistes ? Je ne le crois pas et c'est pourquoi je
dis : prenons un temps court dans lequel on fera deux choses ensemble. Premièrement,
on partagera des éléments factuels, indiscutables. On se mettra d'accord, si
l’on peut se mettre d'accord, j'aperçois déjà deux ou trois sujets sur lesquels
il y aura des interprétations différentes, mais, si les chiffres sont les
chiffres, on peut arriver à les établir. On se mettra d'accord et on regardera
de bonne foi si on peut imaginer des sorties plus positives, plus respectueuses
de ce que nous avons voulu faire.
Après tout, vous avez, les parlementaires, discuté pendant des mois et des mois
sur la loi précédente sur les retraites. On n'est pas aux pièces. Prendre trois
ou quatre mois pour réfléchir ensemble, mettre sur la table des faits, des
options et des propositions, moi, je pense que ce serait bon, pas seulement
pour la paix civile, cela compte, mais pour la réforme elle-même, car, derrière
tout cela, il n'y a pas que la question des retraites, il y a la question de la
méthode de réforme que l'on veut suivre pour le pays.
Moi, je crois que l'on n'a pas trouvé la clé et qu'avec cette idée qui est, je
le rappelle, celle du Président de la République, on va partager les éléments
essentiels qui nourrissent la décision et je pense ainsi que l'on fait un pas
décisif vers une méthode de réforme qui sera plus respectueuse, plus moderne et
plus efficace, car on arrivera à la réforme, alors qu'autrement, on bloquera.
Cette idée d'une méthode de réformisme démocratique, je la crois fructueuse.
Je pense que cette manière de reconnaître dans toute sa légitimité les idées de
chacun, la démarche de chacun, derrière tout cela, il y a quelque chose
d'extrêmement précieux qui, pour moi, est une redéfinition de la démocratie,
telle que nous l'avons vécue.
J'ai mis très longtemps à comprendre que je croyais ce que je vais vous dire.
Je ne savais pas ce que je croyais, j'avais l'impression que je croyais la même
chose que les autres et j'ai fini par penser que ce n'était pas vrai.
Je pense que la démocratie, ce n'est pas ce que tout le monde croit, car tout
le monde croit que la démocratie, c'est faire triompher ses opinions sur les
opinions des autres.
Et, moi, je crois - tout à l'heure, Marc l'a évoqué - que la vraie démocratie,
ce n'est pas cela. La vraie démocratie, c'est faire reconnaître la légitimité
de son opinion tout en acceptant la légitimité des opinions des autres.
Et c'est ce que j'appelle la symphonie démocratique, chaque instrument joue son
rôle dans la mélodie que nous allons émettre ensemble.
Je pense que c'est très précieux, si l'on y réfléchit, et je pense que cela
s'adapte à tous les domaines que l'on a évoqués ici comme des domaines en
crise. Je pense que cela s'adapte à l'école. Je suis persuadé depuis de
nombreuses années qu'il y a une richesse incroyable dans les femmes et les
hommes qui sont des enseignants.
Chacun d'entre eux, devant sa classe, trouve des méthodes, invente, fait
progresser les élèves et, certains jours, est content et d'autres pas et ceux
qui font progresser leurs élèves, il y en a plein, sauf que personne ne les
repère.
Et la méthode de fonctionnement classique du ministère de l'Éducation,
c'est : on donne des instructions au sommet et on les fait appliquer à la
base. On ne regarde pas ce qui se passe dans les classes, on impose une
démarche qui est venue du sommet.
Or, moi, je crois le contraire. Je crois à la liberté pédagogique et je crois à
la capacité de repérer les réussites pour qu'elles fassent tâche d'huile, pour
qu'elles se répandent.
Je crois à cela dans le domaine de la santé et j'étais très content d'entendre
François Braun, le ministre de la Santé, car il a dit une chose que je
considère comme essentielle depuis longtemps, qui faisait partie des programmes
que nous avons défendus devant les Français, il a dit : «Bien sûr, on ne peut
pas multiplier les médecins, mais on peut augmenter le temps médical».
Le nombre d'heures que les médecins sont obligés de passer pour remplir de la paperasse
et qui leur fait, d'une certaine manière, désespérer de leur métier, on peut
remédier à cela. J'étais très content que le ministre de la Santé le dise.
C'est partir du terrain, en reconnaître la légitimité pour imposer des réformes
pour l'ensemble du pays.
Ainsi, cette vision nouvelle, que je crois nécessaire, d'une démocratie qui est
une démocratie fondée sur la reconnaissance réciproque, je suis frappé de cela
tous les jours dans mes fonctions locales de maire, d'animateur local et
national.
Le problème le plus important de la société dans laquelle nous vivons, c'est la
reconnaissance. Tout le monde se sent privé de reconnaissance, dans son métier,
dans son corps d'État, dans sa manière de participer au débat public et, au
fond, les gilets jaunes ne disaient pas autres choses, avec les excès qui vont
avec.
Et notamment pour chacun des citoyens et des citoyens professionnels qui se
trouve en butte aux décisions des gouvernants qui concernent son état, tous ont
le sentiment que personne ne les écoute jamais.
Je vais vous dire, et, en plus, je crois que c'est vrai, que la faculté
d'écoute s'est émoussée, que, d'une certaine manière, la multiplication des
réseaux d'information a fait que l'on n'écoute plus les gens qui sont enracinés
sur le terrain et bâtir une société de la reconnaissance, plus exactement bâtir
une société qui vise à devenir harmonieuse par la reconnaissance, c'est un
projet qui est à la dimension du siècle, c'est un projet qui est à la dimension
de notre famille et je vous propose que l'on essaie de le faire construire ou
de le construire ensemble.