«It's Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism» (C'est encore pire qu'il n'y paraît : comment le système constitutionnel américain a été fracassé par la nouvelle politique de l'extrémisme) est un livre très précieux publié en 2012 bien avant l’arrivée de Donald Trump et écrit par deux politistes américains réputés, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre républicain, Norman Ornstein, qui analyse de manière brillante comment les extrémistes de droite ont agi aux Etats-Unis pour cacher leurs desseins afin d’arriver au pouvoir dans le but de faire dérailler la démocratie er le consensus qui l’accompagne nécessairement.
Avec constance, ils ont commencé dès la fin du siècle dernier par répandre sans cesse des thèses selon laquelle le pays étant en danger sur tout et n’importe quoi (de l’immigration aux finances publiques en passant par toutes les avancées sociales et sociétales), qu’il fallait prendre des mesures radicales pour le sauver et que les élus de droite, du Centre et de gauche qui professaient des idées consensuelles et qui cherchaient des compromis démocratiques étaient responsables de cette détérioration, pire, des traitres à la nation, au rêve américain et à l’exceptionnalisme du pays.
Dans un premier temps, ces propos furent traités comme il se doit, c’est-à-dire comme outranciers, s’appuyant sur des contre-vérités flagrantes.
Mais, à force d’être répété, à force de diaboliser l’«autre bord», à force de s’étoffer et d’être patiemment poli, à force de trouver de nouveaux adeptes et de nouveaux relais, ce discours, à partir des premières années de ce millénaire, a acquis la légitimité d’être une opinion qui valait autant qu’une autre même si elle était le plus souvent établie que sur du vent et des mensonges, ne reposant sur aucun fait réel, sur les ancêtres en quelque sorte des fake news et des faits alternatifs ainsi que de l’élucubrationisme (complotisme) actuels.
Une fois acquis ce statut, ses propagateurs affirmèrent dans le même temps, que, eux, étaient toujours positionné sur le même lieu politique, c’est-à-dire qu’ils étaient les représentants de la droite et du centre-droit traditionnels alors même que toutes leurs déclarations et leurs comportements politiques prouvaient exactement le contraire.
Ils ajoutèrent que ce n’était pas eux qui avaient changé mais bien leurs adversaires qui s’étaient déportés vers la gauche et, surtout, l’extrême-gauche.
Ce n’étaient donc pas eux qui pourrissaient le débat politique, qui étaient devenus des subversifs et des séditieux mais bien l’«autre bord».
En somme, ils étaient les «bons» Américains, fidèles à la bannière étoilée, face aux «mauvais» Américains qui voulaient transformer les Etats-Unis en dévoyant toutes les valeurs sur lesquelles ils s’appuyaient jusque là.
Ils furent aidés en cela par des médias radicaux et extrémistes comme, bien sûr, Fox news qui devinrent de simples outils de propagande.
Les médias «mainstream» (grand publlic), c’est-à-dire ceux tentant d’être le plus objectif possible et s’adressant à la majorité de la population, refusèrent au départ d’entrer dans ce jeu pervers qui était en quelque sorte d’accuser l’autre camp de ce que l’on faisait soi-même.
Pourtant, ici ou là, des fissures apparurent dans ce front et, petit à petit, le débat politique dans la presse se fissura avec nombre de médias importants qui se laissèrent embobinés et commencèrent à parler d’une radicalisation, à la fois, de la Gauche et de la Droite alors qu’elle ne venait que de cette dernière à l’époque.
Il faut dire que les oppositions tranchées sont nettement plus faciles à traiter et à vendre…
Dès lors la politique fut dominée par le discours de cette «nouvelle droite» – qui n’était que cette vieille extrême-droite et cette tout aussi vieille droite radicale – c’est-à-dire que chacun devait se positionner en rapport avec ces antagonismes qu’elle avait créés et qui ne correspondait aucunement à la réalité.
De fait, ce glissement idéologique provoqua un glissement sémantique qui déporta mécaniquement les lignes politiques partisanes avec, donc cette droite qui réclamait être la seule légitime à pouvoir bénéficier de cette appellation et tout ce qui était «autre» – c’est-à-dire le spectre allant de la droite modérée à la gauche en passant par le centre – devenait désormais la gauche à laquelle il fallait rajouter les qualificatifs de «anti-américaine», «intransigeante», «socialiste», «extrémiste» pour les plus respectables….
Le tour de passe-passe réussit encore une fois, grâce encore à des complicités médiatiques qui, pour certaines, étaient uniquement un désir de faire du profit commercial sur de nouveaux affrontements qui pouvaient susciter une audience forte ainsi que par l’ignorance, souvent crasse, il faut bien l’avouer, d’une grande partie des électeurs, notamment ceux du Parti républicain dans les Etats du Sud et du Midwest rural mais pas que.
Concernant ces derniers, si certains furent endoctrinés par une propagande habile et insidieuse, pour beaucoup – en particulier les membres des églises évangélistes du Sud – cela releva d’abord de la libération de la parole et d’une haine contenue pendant des lustres face à la modernité comme le prouva d’abord le mouvement du Tea party – un populisme d’extrême-droite – lors de la présidence de Barack Obama puis avec l’élection de Donald Trump – un populiste d’extrême-droite – jusqu’à l’envahissement du Congrès en janvier 2021 pour empêcher la présidence d’un démocrate et centriste légitimement et largement élu – un mouvement de foule populiste d’extrême-droite.
C’est sur cette base, c’est-à-dire un mensonge originel qui avait si bien marché, que toutes les fake news et les théories élucubrationistes (complotistes) actuelles peuvent s’appuyer pour déferler sur internet et, en particulier, les réseaux sociaux mais également relayés par les médias complices dont je parlais plus haut.
On a ainsi pu présenter comme socialistes ou communistes – voire dans des délires d’esprits dérangés et simplistes comme nazis! – les centristes Hillary Clinton ou Barack Obama ou même des élus républicains les moins radicaux qui furent ostracisés par les militants de leur parti et qui, soit décidèrent de jeter l’éponge, soit furent battus à plate couture lors d’élections internes de désignation des candidats aux scrutins locaux et nationaux par des extrémistes jetés dans leurs pattes.
Une partie de ces élus qui avaient été accusé d’avoir viré à gauche, sentant le danger, décidèrent de se radicaliser pour sauver leurs sièges, ce qu’avaient bien entendu espéré les organisateurs de cette stratégie…
De son côté, après une période d’aphasie face à cette offensive, la gauche radicale et l’extrême-gauche profitèrent de ce déplacement artificiel des lignes et y virent une opportunité pour revenir en force dans le jeu politique et acquérir une exposition bien plus grande qu’autrefois en se présentant comme le rempart naturel à l’extrême-droite.
La boucle était bouclée…
Sauf qu’aux Etats-Unis, ce dernier phénomène n’est absolument pas de même ampleur que la transformation de la droite conservatrice en droite radicale et extrémiste.
Et même s’il existe une sorte d’alliance objective entre les deux extrêmes pour s’en prendre d’abord à la démocratie républicaine libérale qui est leur ennemie commune
Et sauf que les courants traditionnels de gauche, du centre et de droite existent toujours.
Reste que le simple fait, désormais, de combattre les arguments de l’extrême-droite et de se montrer intransigeant face à son discours mais aussi sa violence vous catalogue souvent comme un gauchiste dans les médias!
Car, peu importe que ce «nouveau» paysage politique soit une fake news, pour nombre de commentateurs incapables de comprendre ce qui s’était passé, la Droite et la Gauche s’étaient radicalisées de concert tandis que les centristes avaient viré à gauche…
Aujourd’hui, nous sommes donc bien aux Etats-Unis, dans la confrontation entre l’extrémisme radical anti-démocratique et les forces démocratiques qu’elles soient de gauche, du centre ou de droite.
Le seul changement a été l’accaparement par l’extrême-droite de l’appellation «droite».
Et celle-ci est également devenue la règle dans toutes les démocraties républicaines sans exception avec des rapports de force qui ne sont pas exactement les mêmes dans chaque pays.
Bien entendu, les particularités «locales» font que les cas de figure ne sont pas des exactes copies de ce qui se passe en Amérique et que les situations divergent dans le temps mais le processus est le même.
En France, nous voyons bien qu’il y a d’un côté les extrémistes populistes calquant leurs stratégies sur celle du Parti républicain et de Trump – avec Marine Le Pen et Eric Zemmour mais aussi Jean-Luc Mélenchon dans son opposition à la démocratie républicaine libérale – et les démocrates de tous bords.
Et l’on voit, notamment dans le discours de Zemmour, que cette extrême-droite revendique d’être la «vraie droite» en reproduisant à l’identique la stratégie qui a si bien fonctionné aux Etats-Unis et qu’avait déjà initiée, il faut l’ajouter, la famille Le Pen.
La volonté des droites extrêmes et radicales est de fonder un parti qui engloberait selon eux toute la Droite mais qui, comme le Parti républicain d’aujourd’hui, ferait la purge de tout ce qui ressemble à des conservateurs modérés et à des libéraux éclairés.
Evidemment, tout ceci n’est pas donné pour l’éternité.
D’abord du simple fait que c’est une bien une construction fallacieuse qui a permis cette «nouvelle» architecture qui ne correspond à rien sauf aux même clivages qu’avant mais, et c’est là le plus dangereux, avec l’usurpation des étiquettes.
Ensuite parce que cet extrémisme est avant tout destructeur sans avoir aucune capacité à construire quelque édifice solide comme l’a montré la présidence de Donald Trump.
Mais pour lutter contre cet encerclement de la démocratie républicaine par ses ennemis de l’intérieur, encore faut-il rappeler comment il a été mené et consolidé.