Dans le discours politique, on entend trop souvent une
litanie de mots qui forment peu d’idées.
Ces mots, voire ces logorrhées, sont souvent des opinions à l’emporte-pièce voire
des attaques et des polémiques face à ce que l’on combat et non des plaidoyers
pour ce pourquoi on combat.
Cette perversion n’est pas inhérente à l’essence de la politique
même si elle en fait partie et si elle était utilisée avec réserve, parcimonie,
responsabilité et respect, elle ne serait plus condamnable, au contraire,
serait une caractéristique acceptable de l’engagement idéologique ou partisan
qui peut s’exprimer avec panache, pugnacité et ardeur.
On dit souvent que l’agressivité et l’insulte sont les armes
de ceux qui manquent d’arguments raisonnables voire d’arguments tout court.
Si l’on peut évidemment exprimer ses sentiments de manière
forte voire ostentatoire lorsque des événements nous touchent particulièrement
ou en regard de déclarations que l’on estime inappropriées voire scélérates, le
discours uniquement passionnel révèle trop souvent l’inaptitude à gouverner
celui ou celle qui se fait dominer par ses affects étant entendu que ceux-ci ne
sauraient être absents de son engagement politique.
Cependant, exprimer ses sentiments n’est pas du tout
antinomique d’un corpus où domine les idées, les projets et les programmes qui
privilégient le fond à la forme, dont la substance est avant tout politique et ne
ressort pas d’un spectacle grand-guignolesque, qui privilégie l’agir et non le
réagir.
La maturité de la sphère politique n’a jamais vraiment été
atteinte et ne le sera peut-être jamais avec ce retour constant des passions
négatives et noires où l’irrationnel domine le rationnel, où l’imagination
prend le pas sur le réel, où le populisme et la démagogie l’emportent sur les
valeurs humanistes.
Pour que cela survienne, il faudrait, à la fois, un
personnel politique compétent et responsable et une population bien formé et
informée ainsi que responsable et respectueuse.
Or, nous n’avons majoritairement ni l’un, ni l‘autre en ce
début de troisième millénaire malgré l’âge conséquence de la démocratie moderne,
presque 250 ans.
Dès lors les mots débités sans sens, sans profondeur, sans
attachement au réel envahissent l’espace public et la sphère politique et
noient littéralement les idées et leurs applications concrètes.
Y a-t-il un moyen de sortir de cette ornière?
A court-terme, cela semble bien peu possible et engendre une
possible conséquence dramatique avec la chute de la démocratie face aux coups
de boutoir extrémistes et populistes qui n’est plus du domaine de la
fantasmagorie.
En revanche, à moyen et long-terme, on peut être plus optimiste
car à moins de considérer l’espèce humaine comme un agrégat d’imbéciles et de
crétins notoires par essence, la formation d’un citoyen responsable,
respectueux de la dignité de l’autre et bien informé est possible si l’on s’en
donne la capacité réelle, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent.
C’est d’ailleurs l’ambition de toujours de la démocratie
républicaine qui ne peut exister sans ce citoyen.
Pourquoi ne l’a-t-on pas atteint encore?
Parce que si des moyens conséquents ont été accordés à cette
tâche dans nombre de pays du monde, ils n’ont jamais été à la hauteur du défi
qui est posée à ce régime de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect.
Tant que l’on n’aura pas engagé une mobilisation de tous les
instants, rien ne changera et peu évoluera.
Si les régimes autoritaires et totalitaires n’ont besoin que
d’individus à qui l’on sert un discours propagandiste où les mots claquent pour
mieux les endoctriner, les tenir en laisse et les museler avec, à la rescousse,
un appareil répressif d’une violence extrême en leur rappelant qu’ils n’ont que
des devoirs et pas de droits, le projet démocratique est exactement le
contraire, permettre à toutes les personnes de devenir des citoyens à part
entière avec l’égalité dans la liberté, donc des droits qui leur permettent d’être
responsables de leurs projets de vie avec, en retour, dans une sorte de donnant-donnant
et de gagnant-gagnant, des devoirs envers la communauté et l’autre.
Un projet bien plus puissant mais qui nécessite l’adhésion
effective de ceux qu’il veut émanciper
C’est pourquoi, le jour où le fond aura enfin pris le dessus
de la forme dans le discours politique – avec toutes les réactions en chaîne que
cela produira –, alors nous seront proches de l’idéal démocratique.