Emmanuel Macron |
Des propos tenus pendant la campagne présidentielle de 2017 à li’ntervention devant le Parlement européen ce 19 janvier à l’occasion de la présidence française de l’UE (le lire ci-dessous) en passant par le discours de la Sorbonne et quelques autres tout aussi marquants, personne ne peut suspecter Emmanuel Macron de ne pas être un européen convaincu qui veut faire avancer l’Union et faire de celle-ci une puissance qui compte autant que les Etats-Unis et la Chine dans le concert mondial afin qu’elle ne subisse pas la loi des plus forts qu’elle, plus qu’elle soit moteur des valeurs humanistes qu’elle défend et de la démocratie républicaine libérale dont elle a fait son régime de gouvernement.
Le plan de relance européen qu’il a défendu de bout en bout et qu’il a fait adopter en convertissant Angela Merkel à un interventionisme face aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire est un exemple très concret de son investissement en faveur d’une Europe qui agit ensemble.
Dans tous les domaines où il a pu faire progresser une Union européenne plus intégrée, il l’a fait.
Dans son discours de Strasbourg qui demeurera comme un nouveau plaidoyer brillant en faveur de l’UE, Emmanuel Macron s’est voulu un défenseur d’une Europe démocratique et puissance.
Une construction européenne qui « repose sur trois grandes promesses» a-t-il indiqué.
«Une promesse de démocratie qui est née sur notre continent, qui a été réinventée, refondée sur notre continent et revivifiée ces soixante-dix dernières années. Une promesse de progrès partagée par tous et une promesse de paix».
Il a rappelé l’importance des valeurs et de l’Etat de droit européens face à des pays membres de l’UE qui, comme la Pologne et la Hongrie, les remettent en cause.
Et de parler de «combat pour l’Etat de droit, pour cette idée simple qu’il y ait des droits universels de l’homme qui doivent être protégés des fièvres de l’histoire et de leurs dirigeants».
► Discours devant le parlement européen
Madame la Présidente, Mesdames Messieurs les vice-présidentes
et vice-présidents de la Commission, Mesdames Messieurs les commissaires,
Mesdames et Messieurs les présidentes et présidents, Mesdames et Messieurs les
parlementaires européens, Madame la Présidente, permettez-moi d'abord de vous
féliciter pour votre élection. Vous l'avez dit, nous avons tous ce matin une
pensée pour votre prédécesseur, David Sassoli qui, comme vous tous, croyaient
en notre Europe, cette Europe portée par des valeurs qui nous tiennent et nous
unissent, cette Europe bâtie sur un modèle unique au monde d'équilibre entre
liberté et solidarité, tradition et progrès. En cette civilisation à part,
sédimenté dans le temps long des siècles et cette construction inédite depuis
70 ans, qui a mis fin aux guerres civiles incessantes de notre continent et
dont ce Parlement qui exprime ici à Strasbourg, la volonté de notre peuple
rassemblé et l'incarnation. Cette Europe qui a tenu fermement la barre durant
la pandémie, qu'il s'agisse des vaccins comme de la relance économique. Et je
suis extrêmement heureux et honoré aujourd'hui de m'exprimer devant vous en ce
début de présidence française.
Je voudrais simplement partager quelques convictions avec vous, je ne vais pas
balayer tous les sujets. Je pense que nous y reviendrons dans les questions.
Mais je voudrais partager, au fond, quelques convictions essentielles qui
nourrissent notre agenda commun et notre action commune. Cette Europe dont je
viens de parler notre construction européenne, repose sur trois grandes
promesses. Une promesse de démocratie qui est née sur notre continent, qui a
été réinventée, refondée sur notre continent et revivifiée ces 70 dernières
années. Une promesse de progrès partagée par tous et une promesse de paix. Elle
a tenu ses promesses durant cette décennie. Mais le moment que nous vivons, par
le retour du tragique de l'histoire et de quelques évidences géographiques,
l'ébranlement actuel que nous vivons vient bousculer ces 3 promesses. Je pense
que le défi qui est le nôtre est de tâcher d'y répondre, pas simplement
d'ailleurs dans les mois qui viennent. Mais au fond, la tâche qui est la nôtre
est sans doute celle de notre génération et de répondre en profondeur à la
refondation de ces promesses. Promesses de démocratie, disais-je, et au fond,
c'est notre singularité d'Européens.
Je veux ici vous dire que la présidence française sera une présidence de
promotion des valeurs qui nous font et qui, à force d'être considérées
peut-être comme des acquis, on finit ces dernières années par se fragiliser.
Nous sommes cette génération qui redécouvre la précarité de l'État de droit et
des valeurs démocratiques.
D'abord, la démocratie libérale au sens politique du terme, ces dernières
années, on disait ce régime que l'Europe a inventé, devenu fatigué, incapable
de faire face aux grands défis du siècle. Cependant, je veux ici dire combien
ces derniers mois l'ont montré, la gestion de la pandémie par les démocraties,
avec du débat parlementaire, avec une presse libre, avec des systèmes de
recherche et des systèmes académiques libres et ouverts a conduit à des
décisions beaucoup plus protectrices des vies et des économies que celles des
régimes autoritaires. Nous avons in concreto, tous ensemble, démontré l'inverse
d'une idée reçue qui était en train de s'installer. C'est pourquoi nous serons au
rendez-vous du combat pour la démocratie libérale.
Combat pour défendre nos processus électoraux des tentatives d'ingérence
étrangère, combat pour continuer de faire progresser la souveraineté des
peuples. À cet égard, nous aurons des travaux qui d'ici au printemps,
continueront de progresser dans le cadre de la conférence sur l’avenir de
l’Europe. Et si elle en fait la recommandation, la présidence française portera
avec l’Allemagne, l’accord de coalition a été très clair sur ces termes, le
droit d’initiative législative pour votre Parlement.
Combat pour l’Etat de droit, pour cette idée simple qu’il y ait des droits
universels de l’homme qui doivent être protégés des fièvres de l’histoire et de
leurs dirigeants. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour revenir sur nos grands
textes fondamentaux qui ont pourtant été décidés souverainement par les Etats
membres lors de leur adhésion. Mais revenir sur quoi ? Sur l’égalité des hommes
en dignité et en droit ? Sur le droit pour chacun à disposer d’un procès
équitable par une justice indépendante ? Et s’installe comme une idée au fond
que pour être plus efficace il faudrait revenir sur l’Etat de droit, confondant
le changement légitime de tout gouvernement élu de changer l’état du droit,
mais considérant que nous tous avons à nous inscrire dans cet Etat de droit qui
est existentiel de notre Europe, dont les principes ont été bâtis par notre
histoire et sont le fruit de nos engagements communs.
La fin de l'État de droit, c'est le règne de l'arbitraire. La fin de l'Etat de
droit, c'est le signe du retour aux régimes autoritaires, au bégaiement de
notre histoire. Oui, derrière tout cela, il y a un combat idéologique. Ce
combat est d'ailleurs porté par plusieurs puissances autoritaires à nos
frontières et il revient chez plusieurs de nos pays. Nous voyons cette
révolution à l'œuvre qui vient saper les fondements mêmes de notre histoire. Là
où la tolérance et la civilité étaient au fond au cœur du processus de
civilisation qui est le nôtre, revient une idée qui renaît au sein de nos
peuples. Nous ferons donc tout pour œuvrer en ce sens et pour que, par le
dialogue toujours, mais sans faiblesse, nous puissions défendre dans toutes les
situations connues la force de cet État de droit. Je le dis dans le dialogue
parce qu'il ne s'agit pas de laisser s'installer l'idée que l'État de droit
serait au fond une invention de Bruxelles dont le seul dépositaire serait
Bruxelles, qui est un discours que nous entendons naître dans certaines
capitales. Non, c'est le fruit de nos histoires à tous, le combat même de
révolutions pour se libérer du joug des totalitarismes durant le siècle passé.
L'État de droit est notre trésor. Et il s'agit partout de reconvaincre les
peuples qui s'en sont éloignés. Il s'agit partout, avec beaucoup de respect et
d'esprit de dialogue, de venir convaincre à nouveau. Parler de cette
singularité démocratique européenne, c'est évidemment donner aussi une force à
ce nouveau combat.
Dans cet esprit, je souhaite que l'on consolide nos valeurs d'Européens qui
font notre unité, notre fierté et notre force. 20 ans après la proclamation de
notre Charte des droits fondamentaux, qui a consacré notamment l'abolition de
la peine de mort partout dans l'Union, je souhaite que nous puissions
actualiser cette charte, notamment pour être plus explicite sur la protection
de l'environnement ou la reconnaissance du droit à l'avortement. Ouvrons ce
débat librement avec nos concitoyens de grandes consciences européennes pour
donner un nouveau souffle à notre socle de droits qui forge cette Europe
forte de ses valeurs qui est le seul avenir de notre projet politique commun.
Cette singularité que j'évoque, c'est aussi un rapport à la solidarité unique
au monde. Nos sociétés ont ceci de singulier qu'elles ont inventé avec l'Etat
providence un système de protection pour chacun face aux risques de
l'existence. C'est un legs de nos démocraties européennes. Et cette pandémie a
montré que la solidarité, loin d'être une faiblesse, est une force
incomparable.
C'est la solidarité qui nous a permis depuis deux ans de sauver des vies, de
protéger des emplois. C'est la solidarité qui nous a permis de disposer d'un
vaccin pour nous, Européens. C'est l'esprit de solidarité qui nous a conduits,
comme Européens, à être les plus ouverts au monde, en termes d'exportations
comme de dons. Et je souhaite que cette présidence française puisse, avec vous,
poursuivre ce travail, qu'elle pose des actes forts pour proposer à tous des
emplois de qualité qualifiés, mieux rémunérés avec des salaires minimums
décents pour tous. Pour réduire les inégalités salariales entre femmes et
hommes, pour créer de nouveaux droits pour les travailleurs des plateformes
numériques, pour introduire des quotas de femmes dans les Conseils
d'administration des entreprises, pour lutter contre toutes les
discriminations. Les progrès que je viens d'évoquer ne sont pas simplement des
mots ou des promesses. Ce sont des textes qui arriveront dans les prochaines
semaines entre nos mains collectivement et que je souhaite que nous puissions
faire aboutir concrètement durant ce semestre. Nous en avons les moyens.
Faisons-le.
Ce qui nous tient ensemble est la singularité de cette promesse démocratique
européenne, c'est aussi celle d'une culture à part, au fond d'un art d'être au
monde – oserais-je dire. Qu'est-ce qu'être Européen ? C'est ressentir une égale
émotion devant nos trésors, le fruit de notre patrimoine et de notre histoire,
la colline de Laponie jusqu’aux bulbes dorées de Cracovie, c'est vibrer de la
même manière à l'esprit romantique, aux œuvres de Chopin comme aux textes de
Pessoa. C’est aussi ensemble avoir une civilité, une manière d'être au monde,
de nos cafés à nos musées, qui est incomparable. Cet art d'être au monde
européen fait partie de notre singularité avec tant de différences. Mais nous
sommes de la Grèce antique à l'Empire romain, du christianisme à la Renaissance
et aux Lumières, les héritiers d'une façon singulière d'envisager l'aventure
humaine. Je souhaite à cet égard que nous puissions continuer ensemble de
promouvoir cette civilisation européenne faite d'universalisme, de culture
respectée, et d'un projet commun respectueux des singularités et des identités
de chacun. C'est pourquoi nous avons proposé de rassembler nos meilleurs
historiens, nos plus grands actuels, pour précisément bâtir ensemble le legs de
cette histoire commune d'où nous venons. Voilà le premier axe à mes yeux pour
tenir cette promesse démocratique, faire de l'Europe à nouveau, et je ne
reviendrai pas sur tous les autres sujets que nous aurons à cet égard à travailler
ensemble dans les six mois à venir : faire de l'Europe une puissance démocrate,
culturelle et éducative fière d'elle-même pour relever ce défi.
La deuxième promesse que j'évoquais, c'est la promesse de progrès. L'Europe ne
s'est jamais pensée dans la seule préservation dans le confort du statu quo.
Nous sommes bâtis dans une volonté de construire la croissance économique, un
modèle d'avenir avec la possibilité offerte à nos classes populaires et nos
classes moyennes de pouvoir tirer tous les bénéfices de ce progrès. Ces
dernières années ont fragilisé cette promesse. Les inégalités croissantes, la
désindustrialisation, les nouveaux défis aussi que sont en particulier le défi
climatique et numérique sont venus plonger le doute sur notre continent et le défi
qui est le nôtre est donc de bâtir un modèle original face aux grands défis du
siècle. Un modèle d'avenir qui nous permet à nouveau de tenir cette promesse de
progrès. Le climat est le premier de ces défis. L'Europe est le lieu où, à
Paris, en 2015, s'est levée une conscience climatique universelle. Elle est
le continent qui, avec l'objectif de neutralité carbone en 2050, s'est
donnée la première les objectifs les plus ambitieux de la planète.
Désormais, nous avons à passer de l'intention aux actes. Transformer nos
industries, investir dans les technologies du futur qu’il s’agisse des
batteries ou de l'hydrogène, c'est l'ambition même du pacte. La Commission a
fait des propositions fortes et nous aurons maintenant à mettre en œuvre
ensemble, dans les prochaines semaines, nombre d'entre elles. Inciter tous les
acteurs chez nous et partout dans le monde à répondre à l'exigence écologique.
C'est le sens même en particulier du mécanisme d'ajustement carbone aux
frontières que nous attendons depuis des années. C'est le sens aussi des
mesures-miroirs dans les accords commerciaux que nous défendons. C'est le sens
également de la négociation pour adopter la première loi au monde contre la
déforestation importée. Durant les prochaines semaines, nous aurons des décisions
importantes à prendre, entre autres, sur ces quelques sujets essentiels dans
notre stratégie. Nous aurons à les déployer au niveau national, nous aurons
également à porter nos objectifs et la réconciliation de nos objectifs en
matière de lutte pour la biodiversité et contre le réchauffement et le
dérèglement climatique. À ce titre, nous aurons au mois de février un important
sommet pour les océans où plusieurs pays membres, la Commission et plusieurs
d'entre nous aurons une stratégie importante à présenter, car nous sommes une
grande puissance maritime et nous avons là aussi, en matière de biodiversité,
un agenda à défendre.
Le second défi du siècle, c'est celui de la révolution numérique. Ce n'est pas
nous, Européens qui croyons plus que tout en la diffusion du savoir, nous qui
avons inventé la figure d'un honnête homme abreuvé d'humanité, qui allons
rejeter ce mouvement extraordinaire. Mais le défi qui est le nôtre est double.
Le premier : bâtir un véritable marché unique du numérique permettant de créer
des champions européens. C'est un investissement dans des technologies
nouvelles, c'est un investissement dans des secteurs nouveaux comme la
Commission l’a proposé à plusieurs reprises. C'est la consolidation d'une
Europe sachant financer ses champions et une Europe aussi qui sait simplifier
son droit pour bâtir un véritable marché unique, c'est-à-dire un marché
domestique à taille de géants. Et dans le même temps, c'est une Europe qui sait
encadrer les acteurs du numérique pour précisément préserver cet esprit des
lumières, c'est-à-dire protéger nos droits, nos libertés, le respect de nos
vies privées. Lutter contre les discours de haine et de division, c'est
pourquoi avec vous, Parlementaires, nous aurons des textes importants là aussi
à parachever, des textes sur les services numériques sur lequel vous vous
prononcerez demain et les prochains mois peuvent être ceux de l'émergence d'un
modèle numérique européen qui, tout à la fois, organise une concurrence loyale
entre les acteurs et lutte contre la tendance des plateformes à tuer
l'innovation, comme il protège les citoyens. Les deux grands textes, entre
autres, que nous aurons à bâtir sont ceux qui nous permettront de protéger
économiquement les acteurs du numérique et les autres, face à ces champions quelquefois
déloyaux, mais à protéger aussi nos citoyens. Et le débat démocratique de
manipulation, de discours, de haine sans responsables à la fin, contre lesquels
nous devrons mettre en place ces régulations nouvelles. Le troisième défi,
c'est évidemment celui de nos sécurités. Cette promesse de progrès d'avenir ne
vaut que si, face aux désordres géopolitiques, à la menace terroriste, aux
attaques cyber, immigration irrégulière, à ces grands temps de bouleversements,
nous savons apporter une réponse. Et face à ce retour du tragique dans
l'histoire, l'Europe doit s'armer non pas par défiance vis-à-vis des autres
puissances, non, mais pour assurer son indépendance dans ce monde de violence,
pour ne pas subir le choix des autres, pour être libre.
D'abord, pour retrouver la maîtrise des frontières et de notre espace. Nous
avons beaucoup progressé avec le renforcement en cours de Frontex et la
présidence française portera une réforme de l'espace Schengen qui est la
condition du respect de sa promesse originelle d'un espace de libre
circulation. Protéger nos frontières extérieures, y compris en élaborant une
force intergouvernementale d'intervention rapide. Acter d'un accueil partagé
solidaire entre les États membres, comme nous l'avons fait entre 2018 et 2021.
Bâtir des partenariats avec les pays d'origine et de transit pour lutter contre
les réseaux de passeurs et rendre efficace notre politique de retour.
Construire au fond une politique plus efficace, mais respectueuse de nos
principes pour lutter contre l'immigration irrégulière.
En matière de défense, enfin, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'être en
réaction aux crises internationales. Il nous faut une puissance d'anticipation
qui organise la sécurité de notre environnement. Des avancées considérables, inédites
dans notre histoire, ont eu lieu ces dernières années. Durant ce semestre, nous
aurons à acter de plusieurs progrès considérables avec l'adoption de la
Boussole stratégique lancée sous la présidence allemande, avec la définition de
notre doctrine de sécurité propre, en complémentarité avec l'OTAN, avec aussi
une véritable stratégie en matière d'industrie, de défense et d'indépendance
technologiques sans laquelle cette Europe de la défense n'a pas de sens ni de
réalité. Vous l'avez compris au travers de cet agenda, c'est de retrouver
ensemble une Europe puissance d'avenir, c'est-à-dire une Europe apte à répondre
aux défis climatiques, technologiques, numériques mais aussi géopolitiques, une
Europe indépendante en ce qu’elle se donne encore les moyens, de décider pour
elle-même de son avenir, et de ne pas dépendre des choix des autres grandes
puissances.
Enfin, j’évoquais la promesse de paix. Notre Europe aujourd’hui est confronté à
une escalade des tensions, en particulier dans notre voisinage, à un dérèglement
du monde, à un retour je disais tout à l’heure du tragique de la guerre. Or,
notre modèle, qui déborde nos frontières et cultive dans la tradition de nos
pères fondateurs une vocation universelle, a aujourd'hui une responsabilité qui
est de repenser quelques-unes de ces politiques de voisinage, et de repenser
cette place dans le monde pour bâtir une véritable puissance d'équilibre, car
je crois que c'est la vocation de notre Europe.
L'Europe a ainsi le devoir de proposer une nouvelle alliance au continent
africain. Les destins des deux rives de la Méditerranée sont liés, et nous ne
pouvons d'ailleurs décemment aborder le sujet des migrations sans en traiter
les causes profondes, et évoquer le destin commun avec le continent africain.
C'est en Afrique que se joue une partie du bouleversement du monde, une partie
de l'avenir de ce continent et de sa jeunesse, mais de notre avenir.
En lien avec Charles Michel et Ursula von der Leyen, nous avons ainsi souhaité
tenir un sommet au mois de février, afin de refonder notre partenariat avec le
continent africain. Nous aiderons ainsi nos amis africains à faire face à la
pandémie. 700 millions de doses auront été distribuées d'ici juin 2022, mais
nous devons franchir dans les mois à venir une nouvelle étape, réinventer une
nouvelle alliance avec le continent.
D'abord à travers un New Deal économique et financier avec l'Afrique, qui doit
s'appuyer sur ce que nous avons construit au mois de mai dernier - l'Europe
ayant proposé, défendu et acté une émission de tirages spéciaux au FMI, et la
réallocation de nos droits - mais avec des propositions d'investissement très
concrètes. Deuxièmement, avec un agenda en matière d'éducation, de santé, de
climat pour le développement du continent et l'espoir de la jeunesse africaine.
Troisièmement, avec un agenda de sécurité par le soutien européen aux États
africains confrontés à la montée du terrorisme, comme nous avons su le faire
ensemble au Sahel. Enfin, en luttant contre l'immigration illégale et les
réseaux de passeurs pour mieux favoriser les circulations liées aux alliances
culturelles, académiques et économiques.
Deuxièmement, l'Europe ne peut pas se détourner plus longtemps des Balkans
occidentaux. Les Balkans occidentaux sont, par leur géographie comme par
l'histoire, par la part de tragique comme par la promesse d'avenir qu'ils
charrient, au cœur du continent européen. Ils portent des cicatrices qui nous
rappellent tout à la fois la précarité de la paix et la force de notre union.
C'est pourquoi, nous avons aujourd'hui vocation là aussi, à savoir repenser
notre relation avec les pays des Balkans occidentaux et leur donner de manière
plus claire, lisible, volontariste, des perspectives sincères d'adhésion. Pas
d'adhésion contre, pour repousser les tentatives de déstabilisation étrangères
des temps présents. Une adhésion pour, avec une adhésion de projet qui
s'inscrit dans un temps raisonnable.
Nous avons modernisé la procédure de négociations ces derniers mois, mais nous
savons aussi très concrètement que ce n'est pas l'Europe actuelle, avec ses
règles de fonctionnement, qui peut devenir une Europe à 31, 32 ou 33, ça n'est
pas vrai, nous nous mentirions à nous-mêmes. Nous avons donc dans le cadre de
la conférence et des résultats du mois de mai prochain, à repenser nos règles
en profondeur pour les rendre plus claires, plus lisibles, pour pouvoir décider
plus vite et plus fort, mais aussi politiquement à être sincère sur le cadre de
cette Europe où les Balkans occidentaux ont leur place. Il nous faut donc
réinventer à la fois les règles de fonctionnement et la géographie de notre
Europe. C'est pourquoi la Conférence sur l'avenir de l'Europe devra être suivie
d'une conférence sur les Balkans occidentaux, organisée juste après, qui sera
l'occasion d'aborder ce sujet crucial.
Troisièmement, l'Europe et le Royaume-Uni doivent aussi retrouver le chemin de
la confiance. Je ne ferai pas - compte tenu du temps qui m'est imparti, je veux
conclure dans un instant - plus long sur ce sujet. Rien ne remettra en cause le
lien d'amitié qui nous lie au peuple britannique. Notre compagnonnage dans la
défense de la démocratie libérale, de la liberté, du progrès économique et
social est trop ancré, trop ancien. Mais suivre ce cheminement commun après le
Brexit, suppose du gouvernement britannique qu'il s'engage de bonne foi dans le
respect des accords conclus avec notre union et que nous fassions respecter
avec clarté les engagements pris. Qu’il s’agisse de la mise en œuvre du
protocole sur l’Irlande du Nord ou de droits de nos pêcheurs, comme il s’agira
d’ailleurs d’immanquables sujets de discussions à venir. Soyons fermes et
clairs, pour que les engagements pris soient tenus. C'est la condition pour
pouvoir rester amis.
L'Europe doit enfin construire un ordre de sécurité collective sur notre continent.
La sécurité de notre continent nécessite un réarmement stratégique de notre
Europe comme puissance de paix et d'équilibre, en particulier dans le dialogue
avec la Russie. Ce dialogue, je le défends depuis plusieurs années. Il n'est
pas une option parce que tout à la fois, notre histoire et notre géographie
sont têtus, à la fois pour nous-mêmes comme pour la Russie, pour la sécurité
dans notre continent qui est indivisible. Nous avons besoin de ce dialogue.
Nous devons, nous, Européens, poser collectivement nos propres exigences et
nous mettre en mesure de les faire respecter. Un dialogue franc, exigeant face
aux déstabilisations, aux ingérences, aux manipulations.
Ce qu'il nous faut bâtir, c'est un ordre européen fondé sur des principes et
des règles auxquelles nous sommes rangés et que nous avons acté non pas contre
ni sans, mais avec la Russie, il y a maintenant 30 ans. Et que je veux ici
rappeler. Le rejet du recours à la force, à la menace, à la coercition, le
choix libre pour les Etats de participer aux organisations, aux alliances, aux
arrangements de sécurité de leur choix, l'inviolabilité des frontières,
l'intégrité territoriale des Etats, le rejet des sphères d'influence. Ce dont
je parle, ce sont les principes que nous, Européens, et que la Russie, avons
signés il y a 30 ans. À nous, Européens, de défendre ces principes et ces
droits inhérents à la souveraineté des Etats. À nous d'en réaffirmer la valeur
et d'en sanctionner efficacement la violation. La souveraineté est une liberté.
Elle est au cœur de notre projet européen. Elle est aussi une réponse aux
déstabilisations à l'œuvre sur notre continent. C'est pourquoi nous
continuerons avec l'Allemagne dans le cadre du format Normandie, à rechercher
une solution politique au conflit en Ukraine, qui reste le fait générateur des
tensions actuelles. Et votre soutien collectif est nécessaire pour appuyer nos
efforts.
C'est pourquoi aussi, nous veillerons à ce que l'Europe fasse entendre sa voix
unique et forte sur la question des armements stratégiques, de la maîtrise des
armements conventionnels, de la transparence des activités militaires et du
respect de la souveraineté de tous les États européens, quelles que soient
leurs histoires. Ces prochaines semaines doivent nous conduire à faire aboutir
une proposition européenne bâtissant un nouvel ordre de sécurité et de
stabilité. Nous devons le construire entre Européens, puis le partager avec nos
alliés dans le cadre de l'OTAN. Et ensuite, le proposer à la négociation à la
Russie.
Mesdames et Messieurs les députés, je suis né en 1977 et ma jeunesse fut celle
de l'évidence européenne. Sur les terres ensanglantées du nord de la France sur
lesquelles j'ai grandi, l'Europe était la paix comme une évidence intangible.
J'ai vécu, ensuite, comme beaucoup d'entre vous ici, le grand doute européen.
Le référendum de 2005, l'accusation technocratique, le risque de dislocation
face à la crise des dettes souveraines. Nos générations ont aujourd'hui à
refonder notre Europe pour faire face à ses promesses de démocratie, de progrès
et de paix. Nous avons collectivement donné les moyens de faire de notre Europe
une puissance démocratique, culturelle et éducative, une puissance d'avenir,
une puissance d'équilibre. Pour ce faire, nous aurons nombre de textes essentiels
dans les semaines et mois qui viennent et je compte sur le travail étroit,
harmonieux avec le Parlement européen compte tenu de tous ces textes, et des
ambitions partagées. Tous, ensemble, face à la tyrannie de l'anecdote et des
divisions entre Européens, nous avons à retrouver le sens de l'unité, le goût
du temps long qui font la nécessité de l'audace, le sens de ce que Robert Schuman
appelait les efforts créateurs. Ni injective, ni les divisions, ni les
interdictions, ni les facilités. Ces efforts créateurs ont fait notre Europe.
Ce qui veut dire que ni les politiques d'hier ou d'avant la crise, ni les
formats d'hier ou d'avant la crise, ni les réflexes passés, ni le retour au
nationalisme, ni la dissolution de nos identités ne seront les réponses à ce
monde qui advient. Mais notre capacité à inventer un rêve possible, à le rendre
tangible, à le faire réalité, à le rendre utile à nos concitoyens, est la clé
de notre succès. Nous en avons la force, nous en avons les moyens. C'est pour
cela que j'ai confiance en nous.
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC