dimanche 25 septembre 2022

Actualités du Centre. Bayrou affirme qu’«on ne gouverne pas contre le peuple» et souhaite «l’harmonie par la reconnaissance»

François Bayrou

Accent centriste ou accent populiste?

Les deux sont présents dans le discours de clôture de François Bayrou aux universités d’été du MoDem.

Pour le président du Mouvement démocrate, «on ne gouverne pas contre le peuple».

Devant l’impression des Français de ne pas être écouté, il ajoute qu’il faut bâtir «une société qui vise l’harmonie par la reconnaissance» et construire «un nouveau monde qui soit caractérisé et singularisé par des vertus morales et civiques».

Se voulant le défenseur de la démocratie, il pense qu’elle est la meilleure façon de «réduire les divisions».

François Bayrou donne ici l’impression de vouloir être le défenseur du peuple contre les élites gouvernementales dans le droit fil de ses dernières prises de position notamment contre une réforme des retraites qui serait votée trop vite selon lui.

En agissant ainsi, il jette le trouble dans la majorité présidentielle et donne du grain à moudre à l’opposition qui ne s’est pas faire prier pour utiliser ses propos contre Emmanuel Macron et ses soutiens.

Mais ses accents parfois populistes recèlent le danger de légitimer des mouvements d’humeur et de foule qui, eux, n’ont tien avoir avec l’Etat de droit et la démocratie.

Concernant justement cette dernière, il estime – sans doute pour avoir une meilleure écoute de ses propositions auprès du président de la république, du gouvernement et de ses partenaires de la majorité présidentielle –que «la démocratie ce n'est pas faire triompher ses opinions sur celles des autres» mais «c'est faire reconnaitre la légitimité de son opinion tout en acceptant la légitimité des opinions des autres».

De même, il plaide pour sa nouvelle fonction, secrétaire général du Conseil national de la refondation qui est pour lui le lieu qui permet de faire précéder «toutes les grandes réformes par un travail de concertation, de consultation, de croisement des expériences, et après de rentrer dans les réformes» car, poursuit-il «là nous sommes dans la démocratie au sens propre».

En outre, il assigne à la France la «mission» historique «de reconstruction de l’ordre mondial».

 

► Discours de François Bayrou
Nous avons de grands philosophes dans nos rangs, mais il y a une chose qui nous caractérise, c'est que nous sommes et nous devons être des bâtisseurs.
Nous voulons construire le nouveau monde et nous voulons construire un nouveau monde qui soit, j'en parlerai, caractérisé et tout à fait singularisé par des vertus morales et civiques, que j'essaierai d'aborder rapidement dans ce discours.
Mais je voudrais dire, avant d'entrer dans cet état du monde, que nous ne nous battons pas que pour nous.
Je voudrais, à cette tribune, évoquer les Ukrainiennes et les Ukrainiens, on a vu avec Oxana que c'était formidable, la mobilisation d'un peuple, avec les maris qui disent à leur femme : «Part avec les enfants, moi je reste pour me battre», d’un peuple qui réussit à renverser l'armée que l'on considérait comme l'armée de terre la plus puissante au monde.
Alors, je ne dis pas que c'est définitif, je ne dis pas que les combats sont gagnés, je ne dis pas que la guerre est finie, mais quel exemple absolument incroyable pour faire mentir les Cassandre mondiales et les Cassandre françaises, les gens qui se présentent comme visionnaires et qui ont dit des énormités dans cette affaire, en expliquant qu'il était stupide de croire que la petite Ukraine - d'abord, ils ne connaissent pas la géographie ceux qui disent cela - allait tenir tête à l'immense armée russe.
Les Ukrainiens et les Ukrainiennes d'abord, les Iraniennes, les femmes d'Iran, je trouve extraordinaire et extraordinairement revivifiant, roboratif et émouvant, que, car une jeune femme a été tuée de manière obscène, pour des raisons de voile, comme vous le savez, tant et tant d'Iraniennes se lèvent et que, comme un drapeau, elles arborent le voile enlevé, elles montrent, parfois en le brûlant, à quel point elles sont de la même race et du même mouvement que cette jeune femme iranienne assassinée.
Alors, si nous pouvions nous souvenir des femmes iraniennes dans leur combat et ne pas les abandonner, je trouverais que c'est bien.
Je voudrais, au passage, dire un mot : Elles, elles ne sont pas dans la révolte, elles sont dans l'oppression. Les femmes afghanes, les petites-filles afghanes à qui on interdit d'aller à l'école, les adolescentes afghanes à qui on interdit d'aller à l'université et les femmes afghanes à qui on interdit de sortir, elles sont, pour nous, toutes celles-là, une raison d'engagement et une raison de combattre et il faut leur dire.
Après avoir parlé de nos frères ukrainiens, je voudrais parler de nos frères italiens qui votent aujourd'hui et dans une circonstance politique dont chacun d'entre nous sait qu'elle est délicate, inquiétante et je veux saluer le mouvement qui s'est constitué autour du Parti démocrate européen dont j'ai la chance d'être le créateur. Le président et Sandro Gozi, le secrétaire général, était là hier, il a joué un rôle dans l'édification de cette force-là, elle est remarquable et, si elle continue, elle sera considérable un jour.
Alors, je salue nos amis italiens de Italia Viva.
J'en viens à l'état du monde que l'on a abordé plusieurs fois, mais qui, pour moi, est absolument central.
D'abord, parce que nous prenons le monde comme il est, nous essayons, avec lucidité, de voir où il en est, c'est-à-dire de prendre la mesure de la spectaculaire dégradation de l'ordre mondial.
Je dis dégradation. L'ordre précédent était imparfait, je ne dis pas que c'était un ordre idéal, mais au moins il était lisible, c'est-à-dire que tous ceux dont le métier est de décider à partir d'anticipations, de savoir ce qui va se passer, tous ceux-là avaient au moins des raisons de prendre des décisions stables, alors ce n'est pas très commode et pratique aujourd'hui et je dis que nous prenons le monde tel qu'il est en ayant pour but de le changer à notre mesure, à la mesure de nos forces.
Alors, il y avait trois moteurs dans le monde d'hier et ils sont aujourd'hui, chacun des trois, en difficulté, peut-être pas tous en panne, mais pas loin.
Il y avait la Chine, qui traverse ou qui est entrée dans une période de profonde remise en question intérieure pour deux raisons qui se sont conjuguées l'une et l'autre. La première, c'est la démographie et, selon les démographes qui ne peuvent pas se tromper, car tous les gens qui vont mourir sont nés, on sait à peu près à quel âge ils vont mourir - sauf nous évidemment -, on sait à peu près à quel âge les choses basculent, jusqu'à quel âge on peut travailler. C'est donc une science exacte, la démographie, à la différence de beaucoup d'autres sciences sociales.
Les démographes disent que la Chine va perdre 500 millions d'habitants dans les 30 ans qui viennent. 500 millions d'habitants, c'est la population totale de l'Europe, de la grande Europe, pas seulement de l'Union européenne.
Et imaginez ce que cela représente. Moi, je suis de ceux qui pensent qu'un peuple est vivant quand sa démographie est vivante, quand il y a vitalité et nous avons tort de ne pas y penser pour nous-mêmes.
Le Haut-commissariat au Plan a édité une étude sur la démographie, il y a quelques mois, qui essaie d'exprimer cette inquiétude-là, pas seulement pour les autres, mais pour nous et les déséquilibres démographiques, ce n'est pas seulement le nombre d'un côté et la rareté de l'autre, c'est qu'il y a des crises économiques et des violences guerrières qui se cachent derrière ces déséquilibres.
La loi des vases communicants n'est pas vraie qu'en physique, elle est vraie aussi en géopolitique.
Alors imaginez ce que c'est, un peuple qui a la certitude de perdre plus du tiers de sa population par l'âge dans les 30 ans qui viennent. Histoire terrible. On ne se rend pas assez compte que le choix politique que la Chine a fait de l'enfant unique, cela a une signification que l'on ne mesure pas du tout, car, pour nous, les familles avec un enfant unique, c'est classique, il y en a plein et ce sont des amis, il n'y a pas de problème, mais l'enfant unique généralisé, cela veut dire qu'il n'y a plus ni oncle, ni tante, ni frère, ni sœur, ni cousins, nulle part dans la société chinoise.
On n'est plus relié que verticalement et un homme ou une femme, un jeune homme ou une jeune femme a deux parents. Point.
Eh bien, c'est un changement anthropologique dont il faut essayer de prendre la pleine mesure.
Et vous avez vu que les autorités chinoises, conscientes de cette nécessité démographique ont, l'an dernier ou il y a 2 ans, libéralisé le deuxième enfant et l'année dernière le troisième enfant, tant que l'on veut, mais ils n'ont pas fait plus d'enfants pour autant.
Il n'y a pas eu d'effet, car l'imprégnation du modèle de l'enfant unique sur les consciences, sur la manière d'être change considérablement ce que les êtres humains vivent et font ensemble.
Donc cela, c'est la première raison pour que la Chine soit en situation d'interrogation.
Il y a une deuxième raison, c'est la politique 0 Covid. La Chine a choisi, pour des raisons que les historiens interrogeront un jour, qu'au lieu de faire ce que nous avons fait, c'est-à-dire vaccination d'abord et vivre avec les épidémies résiduelles ensuite, en ayant ce que - j'ai un fils vétérinaire et spécialisé en virologie - l'on appelle en virologie l'immunité de troupeau, c'est comme cela que cela s'appelle, y compris pour les êtres humains et c'est souvent justifié… 
Avec l'immunité de troupeau, nous arrivons à vivre avec le virus jusqu'à maintenant et peut-être aurons-nous des mutations plus dangereuses, mais nous ferons face, notamment car nous avons beaucoup progressé en vaccin.
Et donc, ils ont choisi une autre politique qui est l'idée, peut-être le fantasme de l'exclusion du virus, zéro Covid19.
Il y a des dizaines de millions de personnes et des centaines et des milliers de centres de production qui ont été totalement arrêtés et toutes les familles interdites de sortir de chez elles pendant des semaines et des mois.
Et tant de gens enfermés qui ne peuvent plus sortir, même pour chercher du secours, parfois, dans des tours, cela donne des images d'une terrifiante violence, violence sans violence et parfois violence avec violence, car il faut punir naturellement tous ceux qui ne respectent pas ces consignes.
Et des centaines de milliers d'Occidentaux sont partis de Chine, tous ceux qui faisaient le lien, le pont entre la Chine et l'Occident sont partis. Alors, est-ce que c'était volontaire, est-ce que cela ne l'était pas ? Les historiens répondront à cette question, mais cela fait que la Chine, qui était sur une croissance moyenne de 7-8 % par an, va se retrouver cette année proche de 0. Au dernier trimestre, la croissance chinoise était à 0,2 %. 
Alors, imaginez ce que c'est une société qui a les problèmes que je décris et qui surfait sur sa croissance pour y répondre et qui se retrouve tout d'un coup en situation périlleuse.
Les États-Unis, je ne vais pas m'étendre longuement, la puissance américaine existe, mais les ruptures à l'intérieur de la société américaine, le retour de tout le refoulé, le retour y compris des références à la guerre de Sécession et vous savez, quel était le sujet de la guerre de Sécession, c'était l'esclavage, c'était la situation des Afro-américains comme l'on dit et cela revient avec une violence et c'est toute l'histoire du wokisme, qui menace l'université américaine et un peu, si nous ne faisons pas attention, l'université française.
Cette idée-là, je vais y revenir et Marc l'a effleurée aussi, selon laquelle nous aurions les grands pays avec la grande histoire qui est la nôtre, des ennemis dans notre propre histoire et qu'il faut relire l'histoire en clouant au pilori, en mettant en accusation ceux qu'on avait l'habitude de considérer comme des Pères fondateurs, avec toutes les erreurs que le temps fait pour ceux qui sont aux responsabilités, et donc cette fragilité de la société américaine, l'ultra-présence de la violence ou la présence de l'ultra-violence constamment et avec des forces politiques dont M. Trump est le porte-parole ou le porte-casquette, je ne sais pas comment il faut dire, et donc Trump est le porte-drapeau de cette remise en cause par les Américains de l'Amérique.
Or, quand vous vous trouvez dans un pays ou une société où les forces de destruction viennent de sources internes au pays et que vous n'avez pas les mécanismes immunitaires pour y répondre, alors c'est un pays qui est en danger et en risque, et je pense avec beaucoup d'affection au peuple américain, car une partie de ma famille est américaine, la famille de ma femme pour être exact, et donc tout cela est impressionnant.
L'Europe, qui était, qui devrait être un facteur de stabilité, de dynamisme, l'Europe se trouve aux prises avec la guerre en Ukraine, avec les conséquences du choix désastreux que les hommes politiques allemands ont fait de se mettre entièrement dans la dépendance de Poutine et du gaz russe.
Il faudra, un jour, interroger les raisons qui ont fait que nombre de politiques allemands ont favorisé, poussé dans le sens de cette politique de dépendance au gaz russe et, quand on regarde l'évolution professionnelle de ceux qui ont exercé ces responsabilités, on a quelques inquiétudes, mais, lorsque l'Allemagne est malade, c'est l'Europe qui est malade et on a donc les trois facteurs, les trois moteurs en situation périlleuse et c'est un très grand danger pour nous.
Dans ce monde-là, c'est la France qui doit assumer une mission, c'est la mission de reconstruction de l'ordre mondial, avec l'ordre le plus équilibré que nous puissions trouver et nous avons des responsabilités. 
Le discours du Président de la République à l'ONU a été, pour la France, un moment de reconnaissance, un moment d'influence, un moment où on a été fier, moi j'ai été fier d'écouter ce discours, car, tout d'un coup, tout ce qui était des questions brumeuses dans l'ordre international, dans la situation de chacun des pays, dans les relations avec chacun des pays, tout cela est devenu parfaitement lisible et parfaitement juste à entendre.
Donc, la France joue un rôle et ce que le Président de la République a dit de la manière la plus explicite, c'était que nous avions des responsabilités les uns chez les autres, que les pays n'étaient pas enfermés dans leurs univers de frontières nationales, qu'ils ne pouvaient pas faire ce qu'ils voulaient, qu'il y avait, entre les pays, selon une charte de valeurs parfaitement claires, des choses inacceptables et que nous n'accepterions pas, que nous n'acceptons pas. Pour moi, c'est très, très important dans l'histoire.
Il y a eu quelque chose qui s'est passé à la Société des Nations, en 1934 si je ne me trompe pas, un Juif a porté plainte devant la Société des Nations, il a réussi à passer les filtres successifs, en dénonçant les exactions, les humiliations, les attentats dont ses coreligionnaires étaient victimes dans le monde nazi.
On est très tôt dans l'histoire et celui qui représente le gouvernement national-socialiste, c'est Goebbels à la Société des Nations et Goebbels monte à la tribune et il ne nie pas du tout les accusations. Il dit cette phrase que nous avons tous en mémoire : «Charbonnier est maître chez soi».
Je cite à peu près exactement la phrase de Goebbels. Il dit : «Charbonnier est maître chez soi. Nous ferons ce que nous voulons de nos communistes, de nos socialistes et de nos Juifs». Personne ne répond… Et René Cassin, qui assistait à cette séance, le très grand juriste René Cassin, celui qui va faire les institutions et la charte des droits de 45 et 46, dit : «C'est à ce moment-là que j'ai compris que l'humanité courait à sa perte», car, à la Société des Nations, personne n'a contredit Goebbels.
Ce que j'aime dans la période, notamment venant des dirigeants français, c'est qu'au lieu d'accepter l'inacceptable, ils sont montés à la tribune pour dire que nous ne l'accepterions jamais, depuis le premier jour, Jean-Yves Le Drian nous l'a rappelé hier, jusqu'au discours de l'ONU et cela mérite que nous soyons fiers.
Alors, je crois que la France serait mieux armée que les autres, pourrait être mieux armée que les autres, car elle est un pays magnifiquement équipé, avec un contrat social dont nous savons tous à quel point il est rare dans le monde, depuis l'école maternelle jusqu'au Collège de France, depuis le dispensaire du coin de la rue jusqu'aux plus grands hôpitaux, quelle que soit la situation sociale de ceux qui sont atteints par la maladie, un pays doté d'une capacité d'indépendance, d'abord de souveraineté alimentaire et cela compte, de souveraineté énergétique grâce à la réorientation qui a été faite - et nous y avons joué un petit rôle - sur la production d'électricité nucléaire, dont j'espère que, d'ici quatre mois, les plus grands embêtements seront effacés.
Nous sommes formidablement outillés pour faire face, mais la division constante, perpétuelle, voulue, alimentée, excitée est malheureusement une menace sur notre destin.
Alors, je voudrais m'arrêter une seconde à cette idée. Ces forces de division et de détestation, les femmes contre les hommes, la couleur de peau contre une autre couleur de peau, la classe sociale contre d'autres classes sociales, la danse du scalp autour des supposés riches, la mise en accusation publique sur des affaires privées par des responsables politiques qui vont à la télévision pour pointer du doigt et clouer au pilori, sans avoir, me semble-t-il, de preuves indiscutables, en disant même qu'il n'y a rien de pénalement répréhensible.
La dénonciation publique, les salariés contre les patrons, les salariés contre les entreprises, tout cela ce sont ces forces de division, cela a un nom, c'est la guerre de tous contre tous.
Et notre mission, contre la société d'affrontement, c'est de construire une autre société, un autre projet d'avenir que j'appelle la société d'harmonie, une société, une cité harmonieuse, pas une cité où il n'y a plus aucune difficulté, mais une cité dans laquelle on affirme sans trembler qu'il y a beaucoup de femmes qui ne se sentent pas prises dans la guerre des femmes contre les hommes. Ils ne sont pas tous formidables, on en sait quelque chose, mais il n'y a pas de guerre, il y a un destin à construire ensemble.
Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas pris dans la guerre des salariés contre les patrons, car ils savent que, s'il n'y a pas d'entreprises, il n'y aura pas de salariés et on ne pourra pas avancer.

Je vous rappelle qu'il y a beaucoup de gens qui demandent que l'on requalifie leur contrat de travail, quand ils sont indépendants, en contrats de salariés et puis il y a beaucoup de gens, nous, en somme, permettez-moi de dire en votre nom que j'en suis, qui considèrent que le pluralisme des religions ne doit pas entraîner de guerre de religions.
Et notre affirmation ici, c'est que, contrairement à ces feux de broussaille que l'on allume constamment et dont on sait les dégâts qu'ils peuvent faire, on l'a vu assez souvent, ces temps-ci, contre tout cela, nous, nous pensons que nous pouvons vivre ensemble, que nous pouvons et que nous devons vivre ensemble et tel est notre projet, telle est notre résistance, telle est notre volonté de ne pas nous laisser entraîner dans cet affrontement de divisions qui dérivent en haine.
Nous voulons construire ensemble le monde meilleur que nous attendons. 
Ne me prenez pas pour un idéaliste déjanté. Je sais que la division est dans la nature humaine, c'est même dans l'étymologie.
Vous savez que le mot «diable» vient du grec «diabolos», ce qui veut dire le diviseur et il n'est pas un militant d'association de pêche à la ligne ou de joueurs de bridge, je ne parle même pas des associations sportives et encore moins des associations culturelles, il n'y a pas un engagé qui ne sache que, tout le temps, la division est présente et c'est Jules César qui disait cela : «Dans les villages gaulois, il y a toujours au moins trois parties : un pour, un contre et celui qui est contre les deux autres».
C'est vrai, la dernière partie de la phrase c'est moi qui l'ai inventée ! Mais qu'il y ait toujours au moins trois parties - tres partes -, cela, c'est de Jules César, c'est dans la Guerre des Gaules. Vous pouvez le vérifier.
Je sais très bien la nature humaine, mais, nous, nous pensons, c'est là que nous entrons dans notre philosophie politique, dans ce qui nous fait avancer et vivre ensemble, nous, nous pensons qu'il y a des stratégies pour réduire les divisions et rendre le monde plus vivable.
Et le moyen de réduire les divisions et de rendre le monde plus vivable, cela s'appelle démocratie. La démocratie, c'est ce qui transforme les haines et les détestations en pluralisme.
On s'affronte, on n'est pas du même avis, on est différents les uns des autres, mais, après, on peut vivre ensemble et, donc, cette manière de ne pas nier les divisions et l'esprit diviseur, mais de les sublimer, de les métaboliser, c'est évidemment très important et il y a des techniques.
Il y en a plusieurs, il se trouve que cela tombe bien, il y a une première technique qui est de penser l'avenir dans des plans.
Je me suis battu pendant des décennies, vous en êtes témoins pour essayer de faire revivre cette idée de plan en France.
Le plan, c'est la capacité de faire le constat de la situation dans laquelle on se trouve, de désigner l'avenir que l'on compte atteindre et de marquer des étapes pour y parvenir.
C'est ce qu'a fait Jean Monnet après la guerre. Vous savez que le Général de Gaulle à propos du plan disait : «L'ardente obligation du plan». Ardente obligation du plan…
Alors, vous avez été témoin, j'ai été fortement moqué pendant un grand nombre d'années et pas mal de décennies, car je défendais cette idée et puis, le Président de la République a bien voulu dire qu'après tout, on vérifiait avec la covid19 que c'est parce que l'on n'avait pas eu des plans sur un très grand nombre d'équipements, de dispositifs médicaux que l'on était dans la situation où l'on était. Alors, il m'a dit : «Essayez de le recréer» et on l'a fait.
Et, tout d'un coup, je vous passe les lazzis. C'était le retour au Gosplan stalinien, léniniste, je ne sais pas quoi. On a lu tout cela, sous des plumes autorisées et, 2 ans après, on ne parle plus que du plan dans tous les domaines de l'action publique. On veut planifier écologiquement, on veut planifier médicalement, on veut planifier…
J'ai un petit goût de victoire quand je vois cela !, mais j'ai l'habitude !
Edgar Faure, l'homme d'État de la IVème République et des débuts de la Vème, a écrit ses mémoires et le titre de ses mémoires est : Avoir toujours raison est un grand tort. Il y a des parentés comme cela !
Cela, c'est donc la première option qui permet en effet que le concert des opinions puisse se référer à quelque chose que l'on partage pour l'avenir. Ce n'est pas immédiatement dans l'actualité que se situe l'essentiel de l'action publique, c'est dans le long terme.
Il m'est souvent arrivé de dire, les Chinois – j'observe beaucoup, comment ne pas observer 1,400 milliard de personnes et un régime comme il n'y en a jamais eu – raisonnent à 30 ans. C'est leur horizon de temps. Nous, si nous raisonnons à 30 jours, c'est qu'il y a vraiment des gens qui ont de la vision…
Je ne plaisante pas, je dis cela avec tristesse, car la vérité est que ce sont les sondages qui conduisent l'action publique. Je dis souvent ce ne sont pas les gouvernants qui gouvernent, c'est l'opinion qui gouverne, au travers de ce que les gouvernants ressentent de ses attentes.
C'est pourquoi vous avez, chacun, chacune d'entre vous, toi et toi, vous avez des responsabilités majeures dans le destin du pays pas seulement car vous votez, mais car vous transformez la vision de ceux qui vous entourent.
C'est un militantisme de tous les jours, de conviction à faire partager. Cela, c'est la première idée.
Il y a une deuxième idée que le Président de la République a eue et je n'y étais pour rien, c'était cette idée de concertation en continu sur les fondamentaux du pays, qu'il a appelée Conseil national de la refondation, pour faire écho au Conseil national de la résistance, bien entendu.
C'est une idée très fructueuse. Au début, je n'étais pas enthousiaste, car on parlait de tirage au sort et, le tirage au sort, ce n'est pas quelque chose dans quoi je me reconnais. Je l'avoue humblement. Il y a des débats entre Erwan Balanant et nous sur ce sujet, mais lorsque le Président de la République a précisé qu'il s'agissait de faire représenter toutes les forces sociales, les entreprises, les syndicats, les mouvements des élus, les grandes associations d'élus, les associations de jeunesse, les associations écologistes et de les inviter à poser ensemble les problèmes de notre avenir, alors, là, c'est devenu beaucoup plus intéressant et comme, de surcroît, il m'a proposé, peut-être imprudemment, de prendre une responsabilité d'organisation dans ce grand mouvement, alors, là, je trouve que c'est intéressant.
Faire précéder toutes les grandes réformes par un travail de concertation, de consultation, de croisement des convictions et des expériences et après – cela peut aller vite j'en dirai un mot –, seulement entrer dans la partie décisionnelle et législative des réformes, alors il me semble que, là, nous sommes dans la démocratie au sens propre du terme, pas dans la démocratie qui suppose que les uns vont trancher contre les autres par un passage en force. Je pense donc qu'il est légitime et important que nous défendions cette vision.
Alors, naturellement, je le fais sur les retraites. Je vais vous dires trois choses sur les retraites.
Je considère que la réforme est indispensable pour trouver un équilibre pour les régimes de retraite dans le futur et dans le long terme. Je considère que c'est indispensable et vital.
Je suis persuadé qu'un très grand nombre de Français sont persuadés de cette nécessité, car ils voient bien ce qu'il en est des problèmes démographiques et qu'il y a beaucoup plus de gens à la retraite qu'autrefois par rapport aux gens qui travaillent et qui fournissent le versement des pensions tous les mois. Je suis persuadé de cela.
Mais personne ne leur donne des éléments précis sur cette affaire. Le nombre d'amis qui me disent : «Mais, François, est-ce que c'est bien utile, car il y a des rapports du corps qui disent que ce n'est pas vrai, que n'est pas nécessaire, que les régimes sont équilibrés, que ce n'est pas une nécessité, que ce n'est pas fait pour cela?»
Je suis absolument certain que nous pouvons établir des éléments indiscutables, les donner à connaître aux Français et aux forces sociales qui organisent les Français pour que chacun se forme sa conviction sur ce sujet et cela ne prend pas des années. On me dit que cela fait des années que l'on discute. On discute peut-être, mais les Français n'en savent rien.
Autour de vous, aucun de ces éléments n'est connu : Combien cela coûte ? Combien cela peut durer avant que l'on ne mette en cause le paiement des pensions ? Or, ce sont des éléments que l'on doit aux citoyens, ce n'est même pas que l'on doit leur faire plaisir, c'est que c'est un devoir lorsque l'on est gouvernant de partager les raisons de l'action avec ceux qui vous ont donné la mission de les gouverner.
Alors, j'entends des critiques qui disent que cela va traîner, que l'on ne fera plus rien. Je me permets de signaler qu'en refusant cette méthode, on a bloqué les réformes pendant des décennies.
J'étais au gouvernement au moment du plan Juppé et quelques-uns d'entre vous étaient à la fondation de Force démocrate pendant les grandes grèves de cet hiver-là, à Lyon. On avait traversé la France en stop, si j'ose dire, tous en voiture, car que tous les transports en commun étaient bloqués au mois de décembre 1995. C'est donc évident pour moi.
Par ailleurs, prenez les réformes successives jusqu'à la dernière sous le gouvernement d'Édouard Philippe. Tout s'est bloqué. J'avais dit, au moment des gilets jaunes, pardon de me citer que je sentais venir les gilets jaunes et j'ai fait une interview un peu dans le genre de ces jours-ci pour dire : Attention sur la taxe carbone, il faut trouver un moyen d'adaptation, car les plus pauvres ne supportent plus la montée en flèche du prix du carburant et cherchons une adaptation qui permette de faire varier la taxe carbone en fonction du prix du brut. C'était une idée qui avait déjà été évoquée… Bon…
J'avais dit, on ne gouverne pas contre le peuple. Je suis absolument persuadé de cela. Les gouvernants portent des réformes, elles sont souvent bien inspirées, mais, s'ils n'ont pas le soutien du peuple qui les a élus, ces réformes sont bloquées et ne passent pas, car la société est tellement éruptive, tellement capable de s'enflammer et même capable de violence - on l'a vu à des moments dont nous avons tous la mémoire -, la société est tellement éruptive qu'il faut se donner pour objectif de la convaincre avant de l'entraîner.
Nos concitoyens sont tous sur les réseaux sociaux. Ils suivent tous les télés en continu. Ils ont besoin d'éléments de choix et le travail que nous avons à faire dans le Conseil de la refondation ou tout autre organisme qui traitera de cette question des retraites, nous pouvons le faire très vite.
Je considère que 4 mois suffisent. 4 mois, cela nous porte au début de l'année 2023. Le Président de la République a dit : «Je veux que cette réforme soit en place à l'été 2023». Nous sommes dans l'agenda et, s'il faut, une fois que le débat a eu lieu, que l'on a partagé les raisons avec les citoyens, que l'on a montré quelle était l'inspiration du pouvoir, car ce n'est pas une réforme pour les gouvernants, ce n'est pas une réforme pour les partis politiques de la majorité, ce n'est pas une réforme pour un avantage idéologique, c'est une réforme pour les Français, pour continuer à payer les pensions, même quand la société française avancera en âge. 
Et ce n'est pas seulement une réforme budgétaire, c'est une réforme de société. La retraite, j'en ai parlé avec plusieurs d'entre vous ces jours-ci. La retraite, pour une femme, pour un homme, c'est un moment très important d'entrer dans une nouvelle manière de vivre et il arrive qu'à l'âge de la retraite on soit usé. Je pense beaucoup aux jeunes ou moins jeunes femmes qui travaillent au CCAS dans ma ville et qui doivent lever des personnes âgées qui parfois pèsent 90 kilos, et parfois plus. Alors, bien sûr, elles ont ce que l'on appelle des affections musculo-squelettiques, mal au dos, elles n'en peuvent plus.  Je pense toujours à cela.
Dans les rues de Paris, il y a assez souvent des ouvriers qui réparent les trottoirs avec du goudron liquide, brûlant. Ils ont une taloche et ils talochent le goudron liquide dans une température qui doit avoisiner les 60 degrés, avec les vapeurs de goudron. Moi, je ne vais pas leur demander de rester jusqu'à 65 ans dans ces activités-là. Alors cela veut dire deux choses : Un, l'âge de la retraite est fonction de la vie de chacun et j'aimerais qu'il soit fonction de son choix. La retraite choisie et vous savez que je me suis battu beaucoup pour la retraite par points, c'était l'idée que chacun choisisse son départ à la retraite et on peut tout à fait imaginer, en aidant à ce choix, d'inciter à l'allongement du travail, mais l'incitation, cela respecte la liberté de chacun.
Par exemple, j'ai souvent proposé l'idée que l'on puisse continuer à travailler en touchant une partie de sa retraite. Vous avez un revenu, vous pouvez continuer le travail et il y a beaucoup de gens qui sont en pleine forme au moment de prendre leur retraite. Nous avons à imaginer, à inventer des approches nouvelles. Très souvent, on dit : «Mais on a discuté de cela pendant des années».
Avons-nous exploré toutes les pistes ? Je ne le crois pas et c'est pourquoi je dis : prenons un temps court dans lequel on fera deux choses ensemble. Premièrement, on partagera des éléments factuels, indiscutables. On se mettra d'accord, si l’on peut se mettre d'accord, j'aperçois déjà deux ou trois sujets sur lesquels il y aura des interprétations différentes, mais, si les chiffres sont les chiffres, on peut arriver à les établir. On se mettra d'accord et on regardera de bonne foi si on peut imaginer des sorties plus positives, plus respectueuses de ce que nous avons voulu faire.
Après tout, vous avez, les parlementaires, discuté pendant des mois et des mois sur la loi précédente sur les retraites. On n'est pas aux pièces. Prendre trois ou quatre mois pour réfléchir ensemble, mettre sur la table des faits, des options et des propositions, moi, je pense que ce serait bon, pas seulement pour la paix civile, cela compte, mais pour la réforme elle-même, car, derrière tout cela, il n'y a pas que la question des retraites, il y a la question de la méthode de réforme que l'on veut suivre pour le pays.
Moi, je crois que l'on n'a pas trouvé la clé et qu'avec cette idée qui est, je le rappelle, celle du Président de la République, on va partager les éléments essentiels qui nourrissent la décision et je pense ainsi que l'on fait un pas décisif vers une méthode de réforme qui sera plus respectueuse, plus moderne et plus efficace, car on arrivera à la réforme, alors qu'autrement, on bloquera.
Cette idée d'une méthode de réformisme démocratique, je la crois fructueuse.
Je pense que cette manière de reconnaître dans toute sa légitimité les idées de chacun, la démarche de chacun, derrière tout cela, il y a quelque chose d'extrêmement précieux qui, pour moi, est une redéfinition de la démocratie, telle que nous l'avons vécue.
J'ai mis très longtemps à comprendre que je croyais ce que je vais vous dire. Je ne savais pas ce que je croyais, j'avais l'impression que je croyais la même chose que les autres et j'ai fini par penser que ce n'était pas vrai.
Je pense que la démocratie, ce n'est pas ce que tout le monde croit, car tout le monde croit que la démocratie, c'est faire triompher ses opinions sur les opinions des autres.
Et, moi, je crois - tout à l'heure, Marc l'a évoqué - que la vraie démocratie, ce n'est pas cela. La vraie démocratie, c'est faire reconnaître la légitimité de son opinion tout en acceptant la légitimité des opinions des autres.
Et c'est ce que j'appelle la symphonie démocratique, chaque instrument joue son rôle dans la mélodie que nous allons émettre ensemble.
Je pense que c'est très précieux, si l'on y réfléchit, et je pense que cela s'adapte à tous les domaines que l'on a évoqués ici comme des domaines en crise. Je pense que cela s'adapte à l'école. Je suis persuadé depuis de nombreuses années qu'il y a une richesse incroyable dans les femmes et les hommes qui sont des enseignants.
Chacun d'entre eux, devant sa classe, trouve des méthodes, invente, fait progresser les élèves et, certains jours, est content et d'autres pas et ceux qui font progresser leurs élèves, il y en a plein, sauf que personne ne les repère.
Et la méthode de fonctionnement classique du ministère de l'Éducation, c'est : on donne des instructions au sommet et on les fait appliquer à la base. On ne regarde pas ce qui se passe dans les classes, on impose une démarche qui est venue du sommet.
Or, moi, je crois le contraire. Je crois à la liberté pédagogique et je crois à la capacité de repérer les réussites pour qu'elles fassent tâche d'huile, pour qu'elles se répandent.
Je crois à cela dans le domaine de la santé et j'étais très content d'entendre François Braun, le ministre de la Santé, car il a dit une chose que je considère comme essentielle depuis longtemps, qui faisait partie des programmes que nous avons défendus devant les Français, il a dit : «Bien sûr, on ne peut pas multiplier les médecins, mais on peut augmenter le temps médical».
Le nombre d'heures que les médecins sont obligés de passer pour remplir de la paperasse et qui leur fait, d'une certaine manière, désespérer de leur métier, on peut remédier à cela. J'étais très content que le ministre de la Santé le dise. C'est partir du terrain, en reconnaître la légitimité pour imposer des réformes pour l'ensemble du pays.
Ainsi, cette vision nouvelle, que je crois nécessaire, d'une démocratie qui est une démocratie fondée sur la reconnaissance réciproque, je suis frappé de cela tous les jours dans mes fonctions locales de maire, d'animateur local et national.
Le problème le plus important de la société dans laquelle nous vivons, c'est la reconnaissance. Tout le monde se sent privé de reconnaissance, dans son métier, dans son corps d'État, dans sa manière de participer au débat public et, au fond, les gilets jaunes ne disaient pas autres choses, avec les excès qui vont avec.
Et notamment pour chacun des citoyens et des citoyens professionnels qui se trouve en butte aux décisions des gouvernants qui concernent son état, tous ont le sentiment que personne ne les écoute jamais.
Je vais vous dire, et, en plus, je crois que c'est vrai, que la faculté d'écoute s'est émoussée, que, d'une certaine manière, la multiplication des réseaux d'information a fait que l'on n'écoute plus les gens qui sont enracinés sur le terrain et bâtir une société de la reconnaissance, plus exactement bâtir une société qui vise à devenir harmonieuse par la reconnaissance, c'est un projet qui est à la dimension du siècle, c'est un projet qui est à la dimension de notre famille et je vous propose que l'on essaie de le faire construire ou de le construire ensemble.

 

 

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