dimanche 5 juin 2022

Une Semaine en Centrisme. Gouvernance «avec» le peuple: une «méthode Macron» qui pose question

Emmanuel Macron

Les différentes crises de ces dernières années auraient donc été un révélateur sur la nécessité de changer la gouvernance du pays et d’y associer le plus possible les citoyens par des conventions citoyennes et autres événements de ce genre, et bientôt une sorte de Parlement bis, le «Conseil national d la refondation» ou par le biais de représentants sociaux, économiques ou culturels.

A moins que la montée de l’autonomie individuelle et d’un fractionnement de plus en plus grand au sein de la société nécessitent de trouver de nouvelles formes de consensus que les élections politiques ne parviendraient plus à créer autour de leurs vainqueurs.

Toujours est-il que la grande nouveauté, une «révolution» annoncée par Emmanuel Macron, devrait être que la démocratie, lors de son nouveau quinquennat – et si Ensemble remporte les élections législatives – ne serait plus seulement le gouvernement du peuple (élection) par le peuple (représentation) et pour le peuple mais également avec (participation, délibération et décision) le peuple.

Le président de la république a maintes fois évoqué le sujet mais écoutons-le dans les propos qu’il a tenu lors de se dernière interview, celle pour les quotidiens de la presse régionale:

«Pour atteindre [les cinq priorités du nouveau quinquennat], je veux réunir un Conseil national de la refondation, avec les forces politiques, économiques, sociales, associatives, des élus des territoires et de citoyens tirés au sort. Il faut rassembler la nation autour de ces priorités. Ce conseil, que je lancerai moi-même, sera enclenché dès après les législatives. Je souhaite que la Première ministre et son gouvernement puissent le faire vivre. Il y aura une première séquence de plusieurs jours puis des rendez-vous réguliers. Ce sera l’instance dans laquelle nous ferons vivre nos réformes.»

Et de poursuivre:

«Nous sommes dans une ère historique qui impose de changer profondément de modèle. (…) Dès septembre, je souhaite que des discussions aient lieu sur le terrain, dans les 1.200 bassins de vie, auxquelles seront associées toutes les parties prenantes. (…) Cette révolution culturelle part du terrain et associe tous les acteurs. Nous mettrons les moyens correspondants.

Puis de lâcher la sentence définitive et quelque peu populiste:
«Les Français sont fatigués des réformes qui viennent d’en haut. Ils ont plus de bon sens que les circulaires. Paris doit être au service du terrain.»

Ce «avec» le peuple explicité par Emmanuel Macron pose néanmoins trois grandes questions.

La première, d’abord, ce que cela signifie concrètement.

La deuxième, ensuite, si cela est possible.

La troisième, enfin, si cela est souhaitable.

Associer le peuple autrement que par les élections n’est pas nouveau et il existe des procédures participatives pour cela, la plus emblématique étant évidemment le référendum où le pouvoir politique demande à celui-ci de décider lui-même à partir d’une question qu’il lui pose.

Mais, évidemment, un référendum ne peut être organisé tous les jours et la technicité de certaines questions à régler ne peut passer par une question simple, voire simpliste, posée à une population ignorante du sujet.

Ajoutons que le référendum d’initiative populaire sur le modèle des «votations» suisse que demandent certains n’est pas souhaitable ici ni ailleurs parce que cela transforme la gouvernance en une campagne électorale sans fin où, dans un pays comme la France, celle deviendra inévitablement un affrontement, notamment sur la légitimité du pouvoir en place, et non un échange civilisé d’arguments.

D’autant qu’une telle mécanique remet également en question la légitimité d’élections qui pourraient être contredites constamment par des décisions «populaires» qui iraient à l’encontre de leurs résultats.

En revanche, vouloir associer quotidiennement le peuple dans la gouvernance du pays serait une nouveauté.

Lui demander ce qu’il veut dans nombre de domaines et sur des réformes prévues alors même que les élections ont tranché entre différents programmes serait une forme de démocratie directe sur une grande partie du pouvoir de décision qui lui serait donc remis.

Savoir si c’est possible, c’est se demander si cette gouvernance avec le peuple peut «accompagner», voire se substituer à celle du pouvoir politique élu démocratiquement sur un programme précis.

Mettre en place de tels mécanismes ne pose pas de problèmes véritablement insolubles et les Conventions citoyennes ainsi que le fonctionnement du Conseil économique, social et écologique le démontre aisément.

On a vu avec les conventions que ses participants pouvaient remettre une feuille de route plus ou moins précise au pouvoir politique et que les débats du conseil peuvent accoucher de résolutions de qualité.

Au niveau pratique, c’est plutôt dans la durée qu’il faut se demander comment pourrait fonctionner correctement cette «association» mais rien ne dit que ce ne soit pas, et possible, et réaliser avec succès.

Savoir, maintenant, si c’est souhaitable, c’est se demander si cette gouvernance avec le peuple qui va «accompagner», voire se substituer dans certains cas à celle du pouvoir politique élu démocratiquement sur un programme précis est une bonne chose.

La première réponse intuitive serait de dire que demander son avis au peuple est une bonne idée puisque la démocratie est à son service.

On n’entrera pas ici dans les débats fondamentaux de ce qu’est le «peuple», s’il existe vraiment et la relation entre majorité et minorité.

On se bornera à dire que demander son avis, ses recommandations et ses desideratas à la population, dans le principe, ne peut pas faire de mal à la démocratie.

Ayant dit cela, on ne peut non plus évacuer tous les problèmes que cela pose et qui instaure une sorte de voie alternative à la décision politique que celle prévue par la Constitution et par les règles de la démocratie représentative.

Bien entendu, ces instances de démocratie directe ou participative, comme on veut, ne pourront rien décider puisque, in fine, leurs conclusions devront être traduites en lois par l’Assemblée nationale et mises en œuvre par le gouvernement.

Mais enclencher ce processus est peut-être mettre en route une machine qui peut produire l’effet inverse de ce qui est souhaité par Emmanuel Macron et déraper en clivant plus qu’en unissant.

Car son projet recouvre nombre de dangers extrémistes, populistes et démagogiques si sa méthode est réellement appliquée avec toutes les paralysies que celle-ci recèle dans son fonctionnement et si elle n’est qu’un gadget avec tous les risques de défiance qui seraient alimenté par tous les discours et actes d’aventuriers et de groupes séditieux.

La démocratie républicaine libérale représentative défendue par le Centre et le Centrisme, fonctionne mal aujourd’hui et peut être nettement améliorée notamment par de plus grands pouvoirs à l’Assemblée nationale dont les députés seraient élus à la proportionnelle, comme le réclame nombre de centristes, avec donc une représentation politique du pays plus équitable.

Mais si elle est devenue le mode de gouvernance de tout pays libre, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’elle est la seule qui permette de prendre en compte la volonté du peuple tout en assurant une gestion stable du pays et une décision politique de représentants qui ont dédié une partie de leur temps et de leur existence à être au service de la population dans une nécessaire répartition des tâches dans une démocratie moderne où il ne suffit plus de se rendre à l’agora et de lever la main pour la diriger.

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires anonymes ne sont pas publiés ainsi que ceux qui seraient insultants ou qui ne concernent pas le Centre et le Centrisme.