mardi 15 février 2022

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Nous ne sommes même plus dans l’information-spectacle mais dans le spectacle-informatif

Donald Trump, Eric Zemmour, les mouvements séditieux comme lesdits «convois de la liberté» ici et ailleurs ou les «gilets jaunes», tous des «produits d’appel» mis constamment en «tête de gondole» et bénéficiant d’une campagne promotion en boucle, autant d’exemples qui montrent que les médias ont fait un pas supplémentaire dans la mise en scène de l’information afin de créer l’événement comme on crée une sitcom – oui, parce que le plus souvent à plusieurs épisodes pour les bestsellers –, de bâtir un récit marketing comme on gère un produit dans le but d’augmenter ses taux d’audience et de diffusion afin d’accroitre ses revenus et éventuellement ses parts de marché.

On ne nous donne plus de l’information mais on nous raconte des histoires d’autant plus que la fiction est beaucoup plus facilement malléable que la réalité.

Aujourd’hui, nous ne sommes déjà plus cette «information spectacle» (infontainement) qui prit son véritable essor dans les années 1980 et qui était déjà une perversion de l’information mais dans le «spectacle informatif» c’est-à-dire dans une construction où le spectacle devient le principal composant et l’information une simple aubaine, une sorte de matière première presque secondaire que l’on va transformer et modeler jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un ingrédient parmi d’autres d’un produit fini.

L’important ici n’est plus le contenu mais le contenant, le fond mais la forme, l’appel à l’intelligence mais à l’émotion, la formation du citoyen mais son divertissement, la véracité mais une narration qui emprunte essentiellement aux codes romanesques.

On se rappelle ainsi qu’au départ du mouvement de foule des «gilets jaunes», certaines chaines d’information en continu ont ouvert leurs antennes l’entière journée pour quelques milliers de manifestants et qu’elles le firent également lorsqu’en bout de course, il ne réunissait que quelques centaines d’entre eux.

Dans le même temps, tout un mythe fut construit sur ses origines et ses principales figures qui furent mises en avant tels des têtes d’affiche d’un blockbuster tandis que le moindre soubresaut donnait lieu à l’écriture d’un nouvel épisode où l’on retrouvait les mêmes personnages et quelques nouveaux pour alimenter, à la fois, la fidélité du public et le garder en haleine.

Ce n’était donc pas la dimension de ce mouvement qui importait mais bien ce qu’on pouvait en faire comme spectacle.

Et cela fut une réussite puisque les taux d’audience des médias audiovisuels augmentèrent ainsi que la diffusion de la presse papier.

D’où cette évidente envie de renouveler l’opération avec l’autre mouvement séditieux dit «convoi de la liberté» mais dont l’utilisation médiatique se révèle, pour l’instant en France, un flop comme en connaissent nombre de séries télévisées qui passent à la trappe avant même la fin de la première saison…

Bien évidemment, il existe aussi une volonté politique de certains médias qui s’approprient le procédé afin de pratiquer la désinformation et diffuser des fake news.

Et pas simplement ceux dits «populaires» voire «populistes» mais également ceux dits «sérieux»…

Il s’agit en l’espèce de récupérer le spectacle informatif pour faire de la propagande en surfant sur son succès.

Se télescopent alors ce spectacle à but essentiellement lucratif et cette propagande à but essentiellement idéologique dans une bouillie indigeste et souvent grandguignolesque où tous les rapprochements, surtout les plus fumeux, sont de sortie.

C’est déjà une étape supplémentaire car la dérive de l’information spectacle au spectacle informatif était à l’origine un processus qui n’avait a priori aucune volonté autre que commerciale.

De plus en plus, le spectacle informatif est instrumentalisé pour des motifs avant tout idéologiques.

On assiste ainsi à une double manipulation de l’information pour obtenir, à la fois, un gain financier et un bénéfice idéologique alors que l’information spectacle avait avant tout un objectif financier.

On comprend bien tout ce que cette dérive contient de menaces graves pour la démocratie.

Evidemment, la manipulation des faits pour créer un événement médiatique existe depuis longtemps en témoigne les bandes annonces pour promouvoir un film, un concert ou une rencontre sportive.

Evidemment, l’émergence des réseaux sociaux sur internet a été à la base de ce spectacle informatif mis en place par les médias.

Néanmoins cette dernière ne peut être invoquée comme une excuse ou un argument valables parce que justement le rôle de la presse est de se confronter et s’opposer à la déformation et à la manipulation des faits.

Car ici on n’est pas dans la technique de «faire mousser» un spectacle mais bien dans la volonté d’utiliser l’information, ce bien commun, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec sa mission qui est la formation et l’information de l’individu afin qu’il soit un citoyen éveillé et responsable capable de prendre les bonnes décisions pour sa vie et pour celle de sa communauté.

Dès lors, le spectacle informatif nous éloigne un peu plus du projet démocratique, de l’émancipation des personnes et des peuples, de leur capacité à vivre en égaux dans la liberté en respectant la dignité de l’autre.

Car il ne faut pas se tromper, ce spectacle informatif est tout sauf anodin et il renvoie à cette si appréciée formule par les despotes en tout genre, donner aux peuples du pain et des jeux pour mieux les tenir.

 

 

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