Schizophrènes les Français?
On est en droit de poser la question lorsque l’on compare le sondage annuel d’Harris-Interactive pour le magazine Challenges (1) sur «le rapport des Français à la démocratie et les intentions de vote à la prochaine présidentielle et les intentions de vote de ces derniers.
Ainsi, 83% des sondés affirment être «attachés au régime démocratique» et 85% estiment que si, dans dix ans, «la France n’était plus une démocratie cela serait quelque chose de grave» alors que selon les derniers chiffres de l’agrégateur de sondages de Datapolitics sur la présidentielle de 2022, ils sont 48,61% à choisir un candidat qui combat la démocratie (ils étaient même 50,29% la semaine précédente).
Voilà qui ne manque pas de contradiction!
Bien entendu, on ne sera guère étonné de constater que ceux qui sont le plus attachés à la démocratie sont les sympathisants des partis de gauche, du centre et de droite avec respectivement 94%, 90% et 92% de réponses positives et qu’en regard on trouve ceux qui la rejettent principalement chez les partis extrémistes et les soi-disant «apolitiques».
Cela se confirme avec la question de savoir si la France est une démocratie.
82% des sondés répondent oui dont 89% des sympathisants de gauche (92% de ceux du PS), 91% de ceux du centre (97% de ceux de LaREM) et 87% de ceux de droite (92% de ceux de LR).
En revanche, ont trouve 26% des sympathisants d’extrême-gauche (et un même pourcentage de sympathisants de LFI) et 28% de ceux d’extrême-droite (avec 31% pour ceux du RN) qui affirment que le pays vit sous un régime autoritaire.
Evidemment, lorsqu’on demande si, en France, la démocratie fonctionne bien, les sympathisants des extrêmes se lâchent.
Ainsi, s’ils sont 37% à gauche (33% au PS), 27% au centre (14% au MoDem et à LaREM) et 41% à droite (36% à LR), à estimer qu’elle fonctionne mal, le pourcentage monte à 56% pour les sympathisants d’extrême-gauche (52% pour ceux de LFI) et 68% pour les sympathisants d’extrême-droite (70% pour ceux du RN).
Si on continue à dérouler le sondage, on s’aperçoit que les sympathisants des extrêmes sont fort nombreux à croire que les élections sont faussées (36% des sympathisants d’extrême-gauche dont 30% de ceux de LFI, 47% des sympathisants d’extrême-droite et du RN) alors qu’ils ne sont que 21% à gauche (dont 17% de ceux du PS), 15% au centre (dont 6% de ceux du MoDem et de LaREM) et 24% à droite (dont 19% de LR).
On ne sera donc guère étonné que c’est chez les sympathisants des extrêmes que l’on trouve le plus d’opinions positives à l’affirmation «qu’il est compréhensible que certains aient recours à des actes violents contre une décision du gouvernement ou d’élus».
53% des sympathisants d’extrême-gauche (et autant de sympathisants de LFI), 40% de sympathisants d’extrême-droite (38% de ceux du RN) répondent oui à celle-ci.
Ce sondage nous apprend aussi que les Français se disent favorables à des mesures pour «stimuler la démocratie» et que celles-ci concernant majoritairement la démocratie directe avec parfois une dose de populisme.
C’est le cas avec la demande d’organiser plus souvent des référendums et surtout d’instituer des référendums d’initiative populaire qui recueillent de forts pourcentages d’approbation de même que cette mesure assez floue qui ne laisse pas d’interroger sur «La révocation des élus à mi-mandat s’ils n’ont pas tenu leurs engagements de campagne» dont on ne sait comment elle se ferait, quels seraient les critères à appliquer, qui serait en droit de le faire, pourquoi on pourrait juger des résultats de l’action d’un élu à mi-mandat mais qui arrivent pourtant en cinquième position avec 74% d’opinion favorables…
Une mesure ambigüe qui figure dans le top 5 de tous les groupes de sympathisants est celle de la reconnaissance du vote blanc.
Cette-ci serait certainement un bienfait pour la clarté des élections sachant qu’un citoyen qui se déplace à un bureau de vote pour mettre une enveloppe vide à l’intérieur de l’urne exprime une opinion, celle qu’il ne trouve pas de candidat qui puisse le représenter mais qu’il est attaché à la démocratie.
Dénier son vote n’est pas correct.
On comprend, en retour, l’inquiétude de certains si ce vote était reconnu quant à la légitimité démocratique de ceux qui seraient élus face à des bulletins blancs qui pourraient représenter un pourcentage très important de l’élection.
Nul doute que les adversaires de la démocratie en feraient un argument pour la décrédibiliser alors que la motivation de l’électeur n’est pas celle-ci.
Mais, l’item qui vient en tête, avec 79% d’opinions favorables, est qui faut mettre en place «un contrôle de la véracité de ce que publient les médias» et pose problème.
Car cette volonté peut être appréciée de deux manières.
La positive, celle que nous défendons depuis toujours au CREC est de permette aux citoyens d’être informés correctement afin d’être maître de leur existence et de prendre les décisions la concernant en toute connaissance de cause.
Cela implique de lutter contre les fake news et la propagande, les faits alternatifs, les théories élucubrationistes (complotistes) et tout ce qui veut tromper sciemment la population.
La négative, c’est ce contrôle sur ce que publie un média qui a le droit, s’il a prévenu ceux qui le consultent, d’avoir une opinion.
Comment dès lors apprécier la «véracité» si cette opinion n’est qu’une appréciation d’un fait exact qui n’a pas été déformé.
Ici on touche à l’essentiel débat démocratique.
Sans doute faut-il des médias de service public qui ne soient pas dans l’opinion mais dans l’information.
De même, il faut lutter contre les mensonges quand ils sont érigés en vérité et ne reposant sur aucun fait réel.
En revanche, l’existence de médias d’opinion ne peut être remise en cause dans un régime démocratique et un contrôle de leurs points de vue serait une atteinte à leur liberté.
Pour répondre à l’interrogation sur le paradoxe de se sentir attaché à la démocratie et de voter pour des candidats qui la remettent en cause, il y a certainement une distance entre ce que signifient les valeurs, les principes et les règles démocratiques et l’idée que s’en font une partie importante de la population.
Tout cela sur fond d’autonomie irresponsable de l’individu, de communautarisme parfois exacerbé, de défense d’intérêts particuliers que l’on associe faussement à ce qu’est ou devrait être la démocratie, d’esprit partisan qui n’accepte que son point de vue comme réellement démocratique, etc.
D’où cette nécessité que l’individu soit formé et informé correctement sur ce qu’est la citoyenneté sous un régime démocratique.
Et celle qu’il ne faut pas trop se féliciter des résultats du sondage d’Harris-Interactive tout en considérant qu’il est malgré globalement positif pour les défenseurs de la démocratie.
Pour finir, notons que les sympathisants centristes sont très attachés à la démocratie et à son fonctionnement.
Outre les chiffres déjà cités, on peut y ajouter que 89% d’entre eux estiment que ce serait grave si la France n’était plus une démocratie dans dix ans (94% pour ceux du MoDem et de LaREM) et que 82% – le plus fort pourcentage avec les sympathisants PS – estiment que le pays serait encore sous régime démocratique dans une décennie.
En outre, les cinq mesures qu’ils voudraient voir adopter en premier sont la mise en place d’un contrôle de la véracité de ce que publient les médias (86%), la mise en place d’un vote électronique (80%), la mise en place d’un vote par correspondance (77%), la comptabilisation du vote blanc (76%), le recours plus fréquent aux référendums (63%).
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
(1) Sondage Harris-Interactive réalisé par internet 21 au 29 octobre 2021 auprès d’un échantillon de 10320 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus / Méthode des quotas / Marge d’erreur selon l’institut entre 0,4 et 1 point.