Ceux qui détestent la Révolution adorent Napoléon et ceux qui détestent Napoléon adorent la Révolution.
Derrière cette formule lapidaire et peu nuancée se cache néanmoins cette bataille mémorielle sur l’empereur des Français, tel était son titre.
Mais l’Histoire, elle, nous dit que sans Révolution pas de Napoléon et sans Napoléon pas de Révolution.
Car, que l’on aime ou non l’homme, que l’on aime ou non l’événement, Napoléon est un fils de la Révolution et nombre des legs de la Révolution sont dus à Napoléon même s’il en a piétiné allégrement bien d’autres...
Alors que l’on fête le bicentenaire de sa mort, il serait bon de ne pas oublier l’intrication de la Révolution et de l’Empire pour le meilleur et pour le pire.
Oui, il y a un héritage positif de Napoléon et oui c’était un dictateur.
Certains vont jusqu’à estimer qu’il est de la même engeance qu’Hitler ou Mussolini qui eux aussi, surtout le premier, peuvent être crédités d’améliorations de leur pays et vis-à-vis de leur peuple mais qui ont été des personnages sanguinaires, imbus de leur grandeur ainsi que de leur pouvoir et qui ont conduit, et leur pays et leur peuple, à un désastre militaire.
D’ailleurs, Hitler n’était-il pas un admirateur de Napoléon qui, comme lui, était issu du peuple, même si le Corse venait d’une famille de petite noblesse mais désargentée?
Pour autant, on ne peut faire une stricte analogie entre un réel bâtisseur, Napoléon, et un aventurier avide de grandeur mégalomaniaque comme Hitler, qui fut in fine qu’un destructeur, même si tous deux pensaient d’abord à eux-mêmes avant de penser à ceux qu’ils gouvernaient.
Et puis, si Napoléon a enfermé ses opposants, s’en est même débarrassé, même si ses guerres à répétition ont semé la mort et le chaos, il n’est pas responsable d’un génocide et n’a pas été le leader d’un parti qui a commis des atrocités et des ignominies sans nom.
Bien sûr, faire une distinction sur le degré de barbarie d’acteurs majeurs de l’Histoire n’est pas vraiment une échelle de valeur positive!
De plus, Napoléon n’est pas celui qui déclare la guerre qui va mener au chaos mais il en hérite de la Révolution qui, elle-même, n’en est pas responsable mais doit faire face à la coalition de monarchies qui veulent abattre un régime qui prône – sans toutefois toujours tenir ses promesses – la liberté, l’égalité et la fraternité.
Et puis, il convient de ne pas oublier que l’Europe entière des monarchies voulait se débarrasser de Napoléon.
Non pas parce qu’il était un «usurpateur» – tous les monarques n’en sont-ils pas?! – mais parce qu’il amenait avec ses troupes les idées de la Révolution qui étaient bien plus dangereuses que ses fusils et sa personne.
Reste la question centrale de sa place dans notre époque.
Si l’on peut trouver du bien et du mal dans le gouvernement de la France par Napoléon à l’époque où il s’est déroulé et si l’on peut trouver des héritages positifs qui ont permis de faire de la France ce qu’elle est, on ne peut, en revanche, faire l’impasse d’une analyse de son règne en y appliquant les valeurs humanistes.
Non pas celles d’aujourd’hui mais celles qui ont plusieurs millénaires et que des personnalités de paix et d’amour ont professées, parfois dans le désert, mais qui ne sont pas seulement «modernes» ou «contemporaines», c’est-à-dire qui ne peuvent, selon certains, s’appliquer à une période différente de la nôtre.
On pense évidemment à Jésus ou Bouddha, par exemple mais il y en avait bien d’autres comme Confucius ou Zoroastre qui permettent de pouvoir utiliser une grille de lecture un peu différente de celle que l’on nous ressasse sans cesse «les réalités du moment» qui ne peuvent faire fi d’une vision morale que, par exemple, nous utilisons toujours malgré «les réalités de notre époque».
Non pas pour nier ces réalités mais pour ne pas laisser à ces dernières l’exclusivité d’une analyse où l’on doit toujours réintroduire des valeurs millénaires basées sur le respect de l’humain.
Et avec cette grille humaniste, les circonstances atténuantes en faveur de Napoléon sont quasi-inexistantes!
Mais, ajoutons immédiatement, que cela est le cas pour bien d’autres figures historiques qui sont célébrées, voire glorifiées…
En conclusion, nous ne devons pas nier les aspects positifs de l’Empire sur la construction de la France moderne parce qu’il y en a mais nous ne pouvons pas absoudre Napoléon de tous ses manquements au respect de l’humain au nom de ceux-ci.
Alors, à l’inverse de que certains prônent, si l’on doit positiver, ce n’est pas l’héritage de Napoléon mais bien de l’Empire en disant bien que ni l’un, ni l’autre ne sont des modèles pour l’avenir de la France.
Si l’exercice de style auquel s’est livré Emmanuel Macron à l’occasion de ce bicentenaire, à la fois dans l’éloge et la critique de Napoléon, n’était pas des plus convaincants sur ses conclusions somme toute favorables pour l’empereur, on ne peut être que d’accord avec lui sur le fait qu’il faut étudier l’homme et son œuvre pour savoir d’où nous venons, nous, Français, et dans quel environnement nous vivons mais aussi pour apprendre ce que nos ancêtres étaient et ce que nous voulons être.
Oui, étudier Napoléon et tous ceux qui ont fait l’Histoire, pour comprendre comment s’est formée la France et le monde mais aussi pour avoir cette capacité critique d’évaluer le passé afin d’y puiser le bon et rejeter le mauvais pour construire un avenir meilleur.
Reste que l’homme et l’époque où il vécut ont tellement d’ambiguïtés que nous n’avons certainement pas fini de nous interroger sur l’un et l’autre et sur ce qu’ils nous ont donné.