Emmanuel Macron |
A l'occasion de la Convention managériale de l'État qui s’est tenue le 8 avril, Emmanuel Macron a prononcé un long discours dans lequel il a détaillé la réforme de l’Etat et de l’action publique qu’il veut voir mise en œuvre pour, selon lui, «bâtir l'action publique qui correspond au siècle qui s'ouvre».
Celle-ci doit s’appuyer sur des «valeurs» d’une «modernité inoxydable»: «l'intérêt général, la défense de la neutralité, la loyauté des fonctionnaires» qui constituent «à travers le temps», «la base de ce qu'est le service public et doivent demeurer».
Cependant, en prenant en compte la «transformation profonde» de la société d’aujourd’hui, ce service public doit avant tout devenir un «facilitateur de vie».
Pour cela l’administration doit être «plus proche et plus humaine» en portant une «politique de proximité et de bienveillance» qui doit se traduire par une «culture du guichet partout sur le terrain» qui est «une forme de révolution culturelle».
Pour cela, il faut du «local» donc une nouvelle étape de la décentralisation, thème cher aux centristes.
Plus fondamentalement, Emmanuel Macron relie la «crise démocratique» à la «crise de l’action publique »:
«Je considère que la crise démocratique dont on parle souvent vient de là : d’une crise de l'action publique qui est avant tout une crise d'efficacité face aux bouleversements du monde. C'est celle qui questionne notre capacité à anticiper les grands changements, à préparer notre pays à ces derniers et à protéger au maximum nos concitoyens pour leur permettre de bâtir notre futur. Et sur la base de ces invariants, mais aussi des changements que je viens d'évoquer, nous devons construire, parfois rebâtir l'action publique du 21ème siècle, et donc, les soubassements et l'organisation de notre administration.»
Et comme la France s’est bâtie autour de son Etat, c’est bien autour de son fonctionnement que se trouvent les problèmes à résoudre et les solutions à mettre en place pour fortifier la démocratie:
«Notre pays a une histoire à part (…), celle d'un pays qui a été fondé comme engendré par l'État. Dans notre pays, l'État précède la nation et c'est sans doute pour cela qu'à chaque moment clé de notre histoire, c'est à l'Etat que tous, nous nous en remettons un peu. C'était vrai, je le disais il y a 75 ans, c'est vrai aujourd'hui. C'est un défi immense qui consiste non seulement à prolonger cette histoire longue, à tirer le fil du lien si singulier qui unit nos concitoyens avec l'État mais c'est aussi de savoir aujourd'hui porter en quelque sorte l'audace qui doit correspondre au temps présent et donc non pas affaiblir l'État, céder à quelques modes mais le rendre plus fort, plus agile, plus efficace pour lui permettre de continuer à jouer ce rôle historique».
► Voici le discours d’Emmanuel Macron
(…) Nous sommes dans notre pays dans une situation
paradoxale. Sans doute sommes-nous l'une des sociétés où l'action publique a
été le plus présente durant cette crise. Et dans le même temps, nous sommes
sans doute l'une des sociétés où nous avons été le plus critiqués, où
l'administration l’a été de manière bien souvent facile et c'est devenu un
propos d'estrade largement vilipendée. Ce paradoxe, il est constitutif de notre
histoire.
La Nation française a été bâtie par l'Etat et avec les personnels de
l’administration. Peu de pays ont cette spécificité. Et donc, cela explique que
l’on attende tout, parfois trop peut-être, de l'administration et on lui
reproche de ce fait souvent beaucoup, même injustement, ce qui ne dépend pas
d'elle. Alors, s’il ne faut pas se laisser intimider par cette situation, il
faut tout de même savoir entendre et tirer les conséquences qui s’imposent.
Notre administration, celle que vous dirigez dans toutes ses composantes,
l'action publique que vous menez, je le disais, est le socle de l'unité de
notre Nation, de notre intérêt général que vous défendez, d'un service du
public et au public qui, tout à la fois protège le pays, le prépare à
l'adversité et qui, avec des fonctionnaires dont nous devons être fiers, porte
des valeurs qui sont le fruit de son histoire, de loyauté, de neutralité, de
défense de l'intérêt général et bâtit par l'engagement de chacune et chacun, la
force des réponses qui sont les nôtres. Mais cette lucidité à laquelle je nous
invite doit aussi nous conduire à voir nos insuffisances, parfois nos ratés, et
à essayer de comprendre en quoi il nous faut continuer ce travail de réformes
de nos propres organisations, de notre propre action. Il y a des décennies
maintenant que l'on parle de la réforme de l'Etat ou de l'action publique, il
ne faut pas désespérer collectivement de poursuivre ce chemin. Il nous faut en
effet, et je crois que c'est la tâche de notre génération : bâtir l'action
publique qui correspond au siècle qui s'ouvre.
Je voudrais devant vous en définir les principes, essayer de nous donner
quelques objectifs, mais aussi vous dire comment j'entends que le Gouvernement
puisse vous donner les moyens de cette transformation qui a été engagée depuis
le printemps 2017, qui s'appuie aussi sur un travail depuis plusieurs années,
mais dans la sortie de crise sanitaire, doit nous inviter à aller encore plus
vite et plus fort.
Pour bâtir cette action publique du 21ème siècle, il y a évidemment des invariants,
si je puis dire, nos valeurs, nos principes. L'intérêt général, la défense de
la neutralité, la loyauté des fonctionnaires, ces valeurs qui se sont
sédimentées à travers le temps constituent la base de ce qu'est le service
public et doivent demeurer. Elles sont d'une modernité inoxydable. Ce sont des
repères qu’il vous faut défendre avec beaucoup de fierté.
En même temps, nous avons devant nous un monde en transformation profonde
depuis plusieurs années, transformation qui s’accélère et évidemment
questionne.
D'abord, le numérique qui vient transformer tout à la fois, les usages et le
regard qui est porté sur l'action publique. Ce n'est pas simplement une
question d'accès et de transformation des modalités d'administrer ou de
l'action publique elle-même. Non, le numérique change d'abord le regard que nos
concitoyens ont sur l'action publique, car il crée de l'immédiateté et de la
transparence permanente. Et donc nous sommes tous et toutes, les décideurs
politiques à coup sûr, mais toutes celles et ceux qui sont dépositaires de
l'action publique, nous sommes confrontés à une accélération absolue du regard
de nos concitoyens, à une transparence absolue de notre action et à une
comparaison permanente. Cette crise sanitaire l'a parfaitement illustré, où, en
temps réel, notre action dans tous les domaines a été comparée avec celle de
nos voisins, questionnant notre efficacité, notre légitimité. Et donc, le
rythme ne peut pas être le même, les modalités de construction de la décision
et la communication de celle-ci ne peuvent être les mêmes, de même que
l’association de nos concitoyens qui doit être repensée à l’aune de ces nouveaux
usages.
L’autre grand élément de bouleversement que nous devons prendre en compte pour
bâtir l'action publique dans le siècle qui est le nôtre, c'est un environnement
de défiance. L'accélération du numérique y contribue sans doute, mais si nous
savons la prendre, elle sera un instrument de restauration de la confiance par
la transparence. Le sujet est plus profond. Pourquoi la défiance ? Parce que la
peur monte dans nos sociétés, que les bouleversements sont historiques. Face
aux transformations de la mondialisation et de la désindustrialisation, bascule
de nombreux territoires, la crise des inégalités qui s'est accélérée ces dernières
années en raison des mutations mêmes du capitalisme ouvert, le réchauffement
climatique et ses conséquences, l’accélération des crises géopolitiques, et
maintenant, les grandes crises sanitaires comme la pandémie : tous ces grands
risques marquent en quelque sorte le retour de l'histoire, de grandes
transformations, et parfois le caractère fragile de notre action publique qui
est bousculée. Pour ma part, je considère que la crise démocratique dont on
parle souvent vient de là : d’une crise de l'action publique qui est avant tout
une crise d'efficacité face aux bouleversements du monde.
C'est celle qui questionne notre capacité à anticiper les grands changements, à
préparer notre pays à ces derniers et à protéger au maximum nos concitoyens
pour leur permettre de bâtir notre futur. Et sur la base de ces invariants,
mais aussi des changements que je viens d'évoquer, nous devons construire,
parfois rebâtir l'action publique du 21ème siècle, et donc, les soubassements
et l'organisation de notre administration. Et donc, fort de ce double constat,
je voudrais ici revenir sur plusieurs jalons qui ont été posés depuis le début
du quinquennat, à partir desquels je veux que nous puissions rebâtir l’action
publique. Le premier, c'est plus de proximité, je dirais d'humanité. Le
deuxième, c'est plus d'efficacité. Et le troisième, c'est plus de simplicité et
en même temps d'innovation.
Plus de proximité et d'humanité d'abord. Je crois qu'il nous faut continuer
d'avoir une administration, une action publique à portée de femmes et d'hommes
et représenter, incarner par celles et ceux qui, sur le terrain, dans les
compétences qui leur sont données, traduisent cette action publique pour nos
concitoyens. Il y a ce besoin de proximité, je dirai, au fond de bienveillance
de cette action publique. Nous avons en France un débat permanent autour de la
question de la décentralisation. Je pense que cette question est bien souvent
mal posée. La question n'est pas en effet de savoir s'il faut décentraliser
telle et telle compétence. Ce qui est demandé, c'est une plus grande proximité
des services, une plus grande capacité à décider au plus près du terrain. Ce
qui est demandé, ce sont des visages familiers, humains qui portent ces
décisions en responsabilité aux côtés de nos concitoyens.
Je suis convaincu que l'objectif que nous devons nous assigner, c'est d'avoir
une administration où la décision se prend plus localement et qui puisse mener
ce que j'appellerais une politique de décisions, de bienveillance et de
reconnaissance.
De décision, c'est-à-dire qu'il faut au maximum que les décisions concrètes
soient prises au plus près du terrain.
De bienveillance, c’est que je crois que nos concitoyens veulent un État qui
conseille, qui accompagne et pas simplement qui contrôle et sanctionne pour
qu'il y ait un ordre public, qu'il faut évidemment du contrôle et de la
sanction.
De reconnaissance, ne pas être humiliants, reconnaître la diversité des
situations et des réalités que porte notre société contemporaine.
Pour construire cet État plus proche, plus humain et bienveillant, nous avons
commencé à mener un travail depuis plusieurs années.
C'est ce qui a présidé à la décision de mettre en place ce droit à l'erreur.
Engagement que j'avais pris dès 2017, qui a donné lieu à un important travail
de nos parlementaires et de l'administration et qui se décline depuis 2018. La
lucidité à laquelle je nous invite, je me l'applique à moi-même. Je pense que
ce droit à l'erreur est resté très largement une formule. Avons-nous changé en
profondeur nos façons de faire, nos façons de procéder, nos manières
d'appréhender nos administrés, les usagers, les citoyens ? Je le crois assez
peu et je souhaite que nous puissions aller au bout du changement culturel
qu'il y a derrière ce droit à l'erreur, c'est-à-dire cette volonté
d'accompagner, de conseiller avant de sanctionner.
De la même manière, je crois qu’il nous faut remettre de la force, en quelque
sorte de l'action publique au plus près du terrain. J’ai ainsi souhaité une
déconcentration massive des décisions et la possibilité de donner plus de
place, de force aux acteurs de terrain.
Nous avons ainsi pris plusieurs mesures pour libérer l’initiative des acteurs
de terrain, notamment des préfets. Ils ont désormais plus de moyens financiers,
plus de souplesse sur la gestion des ressources humaines. La possibilité de
déroger à la norme en fonction des spécificités locales. La faculté de prendre
95 % des décisions administratives sans en référer au cabinet du ministre. Un
travail colossal a également été conduit ces dernières années pour ainsi
déconcentrer nombre de décisions, en particulier individuelle. Je souhaite
désormais que ça puisse se voir sur le terrain et s'appliquer pleinement.
La crise que nous avons vécue, celle qu'on a appelée des gilets jaunes, nous a
fait toucher du doigt ce besoin, là aussi, d'une action publique sensible et
proche pour nos concitoyens. J'en ai acquis la conviction d’abord que la maille
départementale restait pertinente. Elle est ancienne, mais elle est comprise,
connue, structurée et à bonne échelle. L’autre maille pertinente, c'est celle
des bassins de vie, qu'ils soient bassins économiques ou bassins de vie pour
nos concitoyens, qui correspond à peu près à la structuration de nos
intercommunalités. Or, le problème que nous avons, auquel nous sommes tous
confrontés, c'est que les réformes de l'Etat successives ont construit une
forme d'éloignement de l'action publique par rapport à cette double maille,
cette trame de vie. De deux manières. La RGPP, il y a un peu plus de 10 ans, a
réduit ce qu'on appelait alors l'appareil productif de l'Etat. Et nous avons,
il faut bien le dire, largement taillé dans les effectifs locaux ; les
administrations centrales ont peu réduit leurs effectifs. Les administrations
locales, en particulier départementales, beaucoup. Ce premier mouvement a été
accompagné par la constitution des grandes régions, qui a éloigné la décision
des villes moyennes et de nos départements. Il faut aujourd’hui, et nous avons
commencé à le faire dans certains réseaux comme celui des finances publiques,
un mouvement inverse. Remettre des fonctionnaires, remettre de l'action
publique au contact des citoyens pour justement apporter de la présence et du
réaménagement de territoires, de la matière grise dans ces territoires qui ont
besoin du service, de l'accès, du contact physique et de penser l'outil
numérique non pas comme un instrument d'éloignement de nos fonctionnaires au
terrain, en dématérialisant des tâches et en concentrant les gens ou en
capitales régionales ou à Paris, mais comme un instrument de réinvention du
temps administratif et en permettant d'être au plus près de nos concitoyens.
Nous avons besoin de ce contact. Il est indispensable.
2 500 postes créés cette année le seront dans l'administration déconcentrée et
nous sommes en train d'accélérer justement le transfert à l'échelon
départemental et local de nos fonctionnaires. C'est une première.
Il faut poursuivre ce mouvement parce que nous retrouvons là le cœur, cette
mission première de l'action publique que j'évoquais, celle qui permet de faire
nation et de restructurer dans des territoires parfois en fragilité, une unité
par les services de l'Etat, par la présence de l'Etat.
À cet égard, le déploiement des France Services s'installant au plus proche des
Français dans leur quotidien est un axe à mes yeux extrêmement important de
cette action publique plus proche et plus humaine. 1 123 espaces ont été
labellisés depuis janvier 2020, plus de 2 000 l’auront été à la fin de l'année,
et encore 500 en 2022. C'est un maillage essentiel de notre territoire qui
permet là aussi d'avoir un visage humain, d'avoir des heures d'ouverture qui
correspondent à la vie de nos concitoyens sur ces territoires et de créer des
plateformes d'action publique où nous décloisonnons les services de l'Etat
entre eux, mais également les services de l'Etat avec des opérateurs de
celui-ci, avec des opérateurs locaux et avec les services de nos collectivités
territoriales. C'est au fond un service au public, indispensable, compris et
aujourd’hui reconnu par nos concitoyens.
Cette administration plus proche et plus humaine, qui porte du politique de
proximité et de bienveillance que j'évoquais et, vous l'avez compris, ce n'est
pas simplement des sujets d'effectifs, des sujets de lois, de décrets, c'est
aussi une forme de révolution culturelle à laquelle je vous appelle,
c’est-à-dire vraiment de pousser en quelque sorte la culture du guichet partout
sur le terrain. Nous avons progressivement trop intégré la culture de la norme
et vous m'entendrez y revenir à plusieurs reprises, plutôt que celle du
guichet.
Je crois au contraire que nous avons besoin d'avoir, tous à notre niveau, des
facilitateurs de leur vie. C'est ainsi que la légitimité de l’action publique
pourra se reconstruire et, au-delà de cette bienveillance que j’évoquais, cette
nécessaire reconnaissance de chacune et chacun, il y a encore deux éléments
clés sur lesquels je veux insister : la responsabilité et l'association.
La responsabilité, c'est celle qui va avec la déconcentration des décisions. Je
pense que la grandeur du service public, la grandeur des chefs de service de
l'Etat, en particulier déconcentrée, c'est de pouvoir prendre vis-à-vis des
acteurs qui sont les nôtres, leurs partenaires sur le terrain, les décisions
importantes et structurantes, le faire, évidemment, en respect avec les grands
objectifs que nous nous donnons au niveau national. Mais le faire aussi avec
l'esprit de jugement qui est le leur, la capacité à adapter ces décisions aux
réalités du terrain et à répondre aux demandes et aux exigences du terrain, et
donc, je vous invite vraiment à retrouver tous et toutes cette culture de la
prise de responsabilité au bon niveau. Je pense que nous prenons trop de
décisions encore au niveau central et je pense que nous devons aller encore
plus loin dans cette capacité à nous tenir à des grands objectifs et à déléguer
au maximum les décisions au niveau local. Cela veut dire aussi retrouver de la
culture de la responsabilité. Et je veux insister sur ce point vis-à-vis de
vous. Prenez des risques. Prenez des décisions. Je ne reprocherai jamais à
personne de faire des erreurs. Nous en faisons tous, et moi le premier. Je
pense que ce qui est aujourd'hui impardonnable, c'est en quelque sorte
d’accepter de ne plus prendre de décisions en les remontant ou les en délayant
dans des processus devenus trop longs et qui ne correspondent plus au rythme de
la vie de la nation et de nos concitoyens. Nous devons retrouver, par la
responsabilité, de la capacité à décider, parfois à nous tromper et à
réajuster, mais à être à la bonne vitesse de décision. Je le dis ici avec
beaucoup de force car je suis comme vous le témoin d’une judiciarisation
croissante de notre vie politique et administrative. Ce chantier, nous aurons à
l’affronter dans les prochaines années et je veux ici dire tout mon soutien à
celles et ceux qui, ministres, fonctionnaires, portent l’action publique et,
dans le cadre de celle-ci, font l’objet de procédures diverses et variées,
inquiétantes, angoissantes. Le contrôle est légitime, l’action de la justice
tout autant, mais quand il devient contemporain de l’action et quand il devient
en quelque sorte un inhibiteur de celle-ci nous avons collectivement un
problème. Et donc, de là où je suis, je veux insister sur cette importance de
la responsabilité de la prise de risque et cette acceptabilité de l'erreur qui
accompagne nécessairement la prise de risque. Un État qui ne prend plus de
risques est un État qui ne fait plus d'erreurs. Mais c'est un État impotent qui
perd sa légitimité.
A côté de la responsabilité, c’est l'association sur laquelle je veux insister.
Oui, je pense qu'il nous faut à tous les niveaux rebâtir la grammaire de
l'action publique en associant constamment et davantage toutes les parties
prenantes. Notre démocratie est constamment questionnée sur ces sujets de
verticalité. J'ai moi-même essayé plusieurs innovations à travers le Grand
débat national, la Convention citoyenne, et nous aurons d'autres
transformations de notre démocratie immanquablement à vivre. Mais ce que nos
concitoyens appellent de leurs vœux, c'est au fond d'être associés à la prise
de décision, pas simplement dans des procédures qui se sont complexifiées et
qui sont devenues de plus en plus longues et qui, peut-être, souvent, ont perdu
de leur sel parce qu'elles se sont elles-mêmes bureaucratisées. Non, par une
association chaque fois réinventée dans le cadre de notre action, par une forme
de conférence des parties prenantes où, lorsqu'on prend une décision sur le
terrain, il est important d'associer à celle-ci celles et ceux qui en sont les
co-dépositaires et ont à la vivre avec nous. Je crois que ça fait partie de la
modernisation de l'action publique et du travail qui est le nôtre et c'est un
corrélat de la responsabilité que j'appelle de mes vœux.
Le deuxième axe de réforme du service public, que nous poursuivons depuis le
début du quinquennat et qui est à mes yeux essentiel, c'est l'efficacité,
c'est-à-dire avoir le souci constant de l'exécution et du respect des
engagements pris.
Un constat simple était au cœur de mon projet présidentiel et je vous le
rappelais tout à l'heure : celui de la défiance, peut-être plus marquée dans
notre pays qu'ailleurs. Défiance entre les citoyens et ceux qu'on appelle,
souvent dans un résumé trop rapide, les élites. S'il est évidemment plusieurs
explications à ce phénomène, un facteur pour moi les emporte tous, c'est le
décalage entre le dire et le faire, entre les mots et les choses. L'avons-nous
réglé durant ces quatre dernières années ? A coup sûr, non. Mais il nous faut
intensifier, poursuivre le travail que nous avons ensemble commencé. Si je
résume, l'habitude que nous avions collectivement prise, c'est pour le
Président de la République, lorsqu'il disait quelque chose, de penser que
c'était fait, puis de constater plusieurs mois après quand il allait sur le
territoire que les gens lui disaient “Mais point du tout, Monsieur le
Président, vous n'y pensez pas.” C'est de considérer ensuite que, une fois que
le Président l'avait dit, qu'on voulait bien faire les choses, on passait une
loi et qu'on s'arrêtait à la loi. Ensuite, on allait jusqu'au décret et puis on
s'arrêtait au décret. Parfois, on allait même jusqu'à la circulaire et on
s'arrêtait là, trop souvent. Au fond, ce qui a dévoré notre action publique, c'est
la culture de la norme. Je le crois très profondément. C’est le décalage entre
le discours politique et administratif et le discours de nos concitoyens. Nous
leur disons chaque matin, “Mais ce que vous me dites est fait, nous avons pris
le texte, nous avons tenu les réunions, nous avons mis 100 millions ou 1
milliard sur telle ou telle chose”. Et avec la même sincérité, nos concitoyens
nous disent “C’est faux, ce que vous dites n'est pas vrai” parce que ça n'a pas
été appliqué à l'endroit où ils le disent, parce qu'ils n'en ont pas vu les
conséquences directes. Notre rôle, le cœur de l'action publique, n’est pas de
prendre des normes. C'est de contribuer à changer des vies. Et c’est parce que
nous réussirons à faire cela que nous pourrons aussi retrouver de la
crédibilité et de la légitimité face aux grandes transformations que j'évoquais
tout à l'heure et que nous pourrons résoudre pour partie cette crise de
défiance que j'évoquais. L'action publique est aujourd'hui surdéterminée par
trois maladies qui sont les nôtres : la norme, le primat du budgétaire et la
multiplication des priorités qui se sédimentent. Ce qui fait que pour nombre
d'entre vous, je le sais, votre quotidien est surdéterminé par ce qu'on
appelait encore naguère les services votés et, au fond, ce qui n’est pas
rappelé chaque jour mais constitue la multiplication des priorités qu'on a
assignées aux unes et aux autres. Face à cela, je pense qu'il nous faut
collectivement mener un effort en profondeur.
Le premier, c'est un effort qui doit s'appliquer avant toute chose au
Gouvernement, mais qui est de retrouver vis-à-vis des administrations
centrales, des services déconcentrés, de l'ensemble des opérateurs de l'État,
retrouver cette culture de l'efficacité qui passe par quelques principes simples
: la clarté des objectifs et leur hiérarchisation, et donc leur sélectivité ;
la pluriannualité dans la capacité à bâtir l'action publique. Si on donne des
objectifs, on les donne sur plusieurs années et on donne les moyens aux
dépositaires de l'action publique et à ses cadres de les mettre en œuvre et
donc on ne surdétermine pas ses leviers. On leur laisse la possibilité de les
décider. Et donc nous devons remettre en œuvre ce qui a été progressivement
re-rigidifié depuis la LOLF qui est la capacité à avoir de la fongibilité, à
avoir des latitudes quel que soit le titre, quel que soit le programme pour les
décideurs. C'est la culture de la responsabilité clairement définie, de
l'évaluation enfin qui va avec celle-ci. Clarté des objectifs et sélectivité, pluriannualité,
responsabilité et latitude de manœuvre, évaluation. C'est cette feuille de
route que je fixe au Premier ministre et au Gouvernement pour vous permettre
d'avoir plus d'efficacité. Nous n'y sommes pas. J'ai moi-même pu par le passé
dire ces mots et ces mots sont restés trop longtemps lettre morte, ce qui n'est
pas bon pour la crédibilité de la parole qui est la mienne. Et donc je ne
souhaite pas que cela puisse se reproduire.
Ce qui accompagne cela, c'est aussi les instruments dont on se dote. À ce
titre, le baromètre des résultats de l'action publique récemment mis en place
est un levier puissant qui accompagne ce que je viens de vous dire. Ce
baromètre, il permet de réconcilier en quelque sorte tous les agendas. Il est
défini en lien avec les ministres pour expliquer ce sur quoi les ministres
rapportent en Conseil des ministres sur leurs actions et donc les actions qui
sont considérées comme prioritaires autour de la table du Gouvernement. Les
ministres rapportent en Conseil des ministres sur leurs actions et donc les
actions qui sont considérées comme prioritaires autour de la table du
Gouvernement. Il doit alimenter le dialogue au niveau des ministères entre les
ministres et directrices et directeurs de l'administration centrale et il doit irriguer
l'action au niveau local et nourrir le dialogue de gestion. Ce baromètre des
résultats de l'action publique définit ses objectifs, mais il permet aussi la
lisibilité pour chaque citoyen qui peut désormais aussi juger par lui-même avec
les données des avancées de nos réformes prioritaires. Car ce qui accompagnera
l'efficacité, c'est cette culture indispensable de la transparence.
Et au-delà de ces grands principes, au-delà de cet instrument, la révolution
culturelle sur ce sujet à laquelle je vous appelle, c'est celle que vous m'avez
peut-être plusieurs fois entendue citer, cette révolution du dernier kilomètre.
Il ne viendrait à l'esprit d'aucun industriel, d'aucun commerçant, d'aucune
petite et moyenne entreprise, ni aucun d'entre vous dans sa vie quotidienne, de
penser qu'un problème est résolu lorsque la personne qui lui a posé la question
n'a pas reçu en mains propres la solution à celle-ci. C'est cette culture du
dernier kilomètre. Il faut que la solution arrive jusqu'à chacun de nos concitoyens,
et donc cette culture du dernier kilomètre, c'est celle qui consiste à
considérer que nous n'avons pas des obligations de moyens, de normes, de
réunion, de chiffres, mais bien de transformation au réel de la vie de nos
concitoyens par des objectifs que nous devons dûment mesurés, qui sont
perceptibles par ces derniers et qui peuvent être mis de manière ouverte dans
ce qu'on appelle l'open data et qui donc, grâce aux instruments du numérique,
pourront être ainsi partagés, jugés, évalués. Cette culture du dernier
kilomètre est indispensable. Elle est pour moi le juge de paix de notre
efficacité collective et c'est ce qui, d'ailleurs, crée un continuum
indissociable au sein de l'action publique, entre la parole que je peux
prononcer et l'engagement que je peux prendre vis à vis de nos concitoyens et
l'action que chacun de vos fonctionnaires aura à vous conduire sur le terrain.
Et donc, je vous invite à avoir cette culture au plus près du terrain et
vous-même dans le dialogue de gestion avec l'ensemble de vos services qui est
le vôtre, à vous assurer que votre exigence, c'est bien une exigence de
résultats obtenus, palpables, perceptibles pour nos concitoyens et donc de mise
en œuvre concrète.
Enfin, sur ce deuxième axe d'action, je demande au Premier ministre et au
Gouvernement de procéder à une revue de la cohérence de l'action publique. En
effet, notre efficacité collective est bien souvent empêchée, ralentie, parfois
menacée par l'émiettement de l'action publique. Nous avons, avec le temps,
éclaté les responsabilités entre nos administrations centrales déconcentrées et
des opérateurs de l'Etat, pour certains de ces opérateurs, ils sont
indispensables. Il nous faut alors pleinement les repenser dans la cohérence de
leur mission. Penser la capacité à exercer une tutelle, ce que nous savons
aujourd'hui mal faire au sein de l'Etat, mais nous avons souvent éclaté
l'action publique entre une kyrielle d'opérateurs. Parfois, il faut bien le
dire aussi entre certains opérateurs d'Etat, entre des administrations publiques
locales et sur beaucoup de politiques publiques sur lesquelles nos concitoyens
nous attendent, qu'il s'agisse de l'emploi, de la pauvreté, des inégalités,
pour ne citer qu'elles. Mais il y en a beaucoup d'autres : l'enfance, le
Handicap, la capacité à mener une action publique résolue, rapide, vérifiable
est remise en cause par la multiplication des acteurs et au fond, à travers le
temps, par des susceptibilités institutionnelles qui ont impuissanté toute la
chaîne, l'action publique. Il nous faut là-dessus faire des choix clairs, les
assumer, les rendre perceptibles et sans doute d'ailleurs les faire approuver
par nos concitoyens, mais aussi vrai qu'il faut clarifier les financements, il
faut d'abord clarifier les responsabilités et donc en quelque sorte remembrer,
redonner de la cohérence à l'action publique qui est la nôtre.
Le troisième axe d'action sur lequel je souhaite nous engager collectivement et
que nous avons poursuivi et qui, là aussi, n'a pas attendu ce quinquennat pour
être commencé, porté, c'est celui de la simplification et de l'innovation. Je
veux saluer sur ce sujet le travail remarquable qui a été conduit par les
premiers ministres et secrétaires généraux des gouvernements successifs qui
quand même a conduit à un travail historique en matière de simplification.
En effet, en stock comme en flux, nous avons diminué profondément les
circulaires. Nous sommes passés de près de 30 000 en vigueur début 2018 à 10
000 l'année suivante. Le flux, nous l'avons aussi réduit avec 151 circulaires prises
en 2020. Je suis convaincu que nous pouvons encore faire davantage, car je n'ai
reçu aucune protestation lorsque nous avons supprimé 20 000 de ces circulaires.
Je suis sûr que dans les 10 000 qui restent, il y a encore beaucoup de travail.
Nous avons procédé au même travail en ce qui concerne les décrets autonomes,
une douzaine par an depuis septembre 2017, alors qu'il y en avait environ une
centaine par an dans la période antérieure. C'est un facteur 10 de réduction.
Tout le monde disait que c'était impossible. Nous l'avons collectivement fait.
Nous avons aussi diminué d'un tiers le nombre de comités consultatifs, passant
de 443 à 340. Sont-ils trop nombreux ? Si vous voulez ma conviction, oui, et je
pense que si nous avons une culture de l'action publique qui passe par cette
association que j'évoquais tout à l'heure, nous aurons moins de consultations
normées, souvent largement dévitalisées.
Nous sommes encore loin du compte, mais la direction est claire, elle est
bonne. Et pourquoi elle est importante ? Parce que la simplification est un
gage d'efficacité. Parce que la simplification est un gage d'intelligibilité de
l'action publique et donc de son acceptabilité. Parce que la simplification est
un gage de justice. La complexité ne pose aucun problème aux gens qui peuvent
se doter de conseils, aux structures qui sont suffisamment importantes pour
être accompagnées. La complexité de l'action publique est un formidable levier
d'injustice parce qu'elle frappe surtout lorsqu'on contrôle immédiatement et
qu'on sanctionne, elle frappe celles et ceux qui n'arrivent pas à en suivre le
rythme. Ne l'oublions jamais. Et donc, elle est un problème pour les petites
associations, pour nos concitoyens les plus modestes et pour les entrepreneurs
qui ont les plus petites entreprises.
La simplification est aussi sœur de l'innovation. Et je pense que notre action
publique, si elle veut retrouver cette efficacité, si elle veut être plus agile
sur le terrain, doit être plus simple et plus innovante. Et c'est à cet égard
d'ailleurs que nous réussirons à embrasser, si je puis dire, l'époque que je
décrivais tout à l'heure. Je veux saluer à cet égard le travail de la DITP, de
l'ensemble aussi des directions numériques des ministères. Nous avons commencé
à faire, nous devons aller encore plus loin et plus fort. Beaucoup de choses
qu'on pensait impossibles avant la crise se sont révélées des formidables
leviers. Je ne prendrai qu'un exemple : la téléconsultation. On pensait que
c'était impossible. On était même nous-mêmes très pusillanimes. Ça allait tout
déséquilibrer. Les corporatismes autour de l'Etat nous expliquaient que ça
allait créer des déséquilibres terribles. Le premier confinement arrive.
Nécessité fait loi, si je puis dire, les gens l'appliquent, plus d'un million
de téléconsultations lors du premier confinement, alors que nous avions donné
l'autorisation de mémoire à peu près de 10.000 par an. La téléconsultation,
aujourd'hui en médecine est largement mobilisée, elle est un facteur
d'accessibilité, un élément qui nous permettra d'améliorer justement la réponse
aux déserts médicaux qui est un souci de préoccupation pour nombre de nos
territoires, de rapidité, de simplicité. Sur chacun des secteurs de l'action
publique, nous avons de telles révolutions à vivre. Il faut simplement que nous
sachions les porter et c'est par ce truchement, celui de la simplicité et de
l'innovation, que nous pourrons aussi réformer encore plus fortement notre action
publique.
Je ne crois pas à une réforme de l'Etat qui soit une réforme de structure
pensée. Mais si nous réformons nos usages par la simplicité et l'innovation
qui, au fond, écoute la vie de la société, alors, nous pourrons aussi associer
bien davantage nos concitoyens, nos chercheurs, nos entrepreneurs qui ont envie
de nous aider à résoudre les problèmes. Chaque jour, nous voyons grâce à
l'accès libre des données que nous avons décidé, des entrepreneurs et des
particuliers nous aider à résoudre la crise sanitaire en innovant, en proposant
des solutions, en aidant nos concitoyens à mieux répondre à la crise et en
réformant l'action publique elle-même. Il faut nous saisir de toutes ces
innovations parfois extérieures en sachant les intégrer lorsque nous ne les
pensons pas nous-mêmes et en étant, si je puis dire, en ce sens de l'hospitalité
à l'innovation coopérative qui vient d'autres acteurs. Sinon, qu'arrivera-t-il
? Ces acteurs montreront qu'ils sont plus efficaces que nous et ils sont en
train de remettre en cause un monopole qui n'est légitime que parce qu'il est
efficace mais si tel ou tel service de l'État ne sait pas innover, simplifier
et a face à lui telle ou telle association, tel ou tel entrepreneur qui apporte
des réponses plus efficaces et qui fait mieux, nos concitoyens jugeront comme
plus légitimes et ils auront raison. Et donc je vous invite chacune et chacun
au niveau qui est le vôtre dans vos responsabilités, à porter inlassablement ce
travail de simplification et d'innovation, mais aussi d'ouverture aux
innovations qui viennent de la société civile pour transformer l'action
publique. C'est un formidable levier de transformation concrète, d'ouverture de
l'action qui est la nôtre.
Proximité, bienveillance, responsabilité, efficacité et transparence,
simplification et innovation, nous n'avons cessé de mener ce travail depuis
maintenant 4 ans, malgré les aléas, nous n'avons jamais perdu le fil de cette
réforme, jamais cessé d'agir pour améliorer l'action publique et je veux ici en
remercier l'ensemble des ministres et des fonctionnaires qui, sans relâche, ont
porté ce travail.
Nous devons aujourd'hui massivement l'accélérer. Pourquoi ? Parce que la crise
pose la question de l'action publique dans des termes parfois très durs pour
nous tous et donc il nous faut nous-mêmes en être les acteurs à tous les
niveaux, suivant ses principes d'action que je viens de dire étant lucide sur
notre force et nos insuffisances, car si nous ne la pensons pas nous-mêmes,
alors des gens qui n'aiment pas l'action publique, qui n'aiment pas l'État, la
menaceront malgré nous. A nous donc de faire. Mais dans ce moment et je finirai
mon propos sur ces points, je veux aussi vous donner les moyens d'agir
davantage. Et donc, ayant décrit les défis qui sont les nôtres, vous ayant
assigné, nous ayant assigné des objectifs et ce que j'attendais de vous, je
veux finir mon propos en vous disant aussi comment j'entends que le
Gouvernement met l'ensemble des cadres de l'administration. Savoir comme moyen
d'agir et d'y arriver.
Là aussi, nous n'avons pas attendu ce jour et nous nous sommes donné les moyens
d'agir avec une loi de transformation de la fonction publique qui a
profondément bougé les lignes. Je veux ici redire combien, à mes yeux, cette
loi a été et demeure une loi extrêmement importante et structurante pour les
décideurs, les responsables que vous êtes.
Les emplois de direction sont ainsi ouverts largement aux contractuels,
c'est-à-dire aux personnalités issues du secteur privé qui le souhaitent, mais
qui peuvent mettre un temps leur expérience, leurs compétences au service de
l'intérêt général. Mais cette loi par différents mécanismes et je ne veux pas
ici être trop long, donc je ne les redétaillerai pas permet aux décideurs
locaux de reprendre de la capacité, justement, de construire les carrières, de
décider de leurs équipes beaucoup plus que par le passé et je souhaite à ce
titre que lors de la prochaine Convention, la ministre puisse redétailler à
votre endroit tous les leviers que donne ce texte de loi. Il faut vous en
saisir car il faut une fois encore faire vivre ce texte in concreto. Il vient
contrarier beaucoup d'habitudes qui avaient été prises et qui, en quelque
sorte, avaient conduit sur certains sujets à une habitude d'impuissance. Ce
texte de loi nous permet de mettre fin à une co-décision de fait ou une
capacité à beaucoup qui était aujourd'hui, si je puis dire, réduite, une
capacité de fait de chef de service de décider de leurs équipes, de décider de
réorganisations. Si, malgré la loi, nous continuons les pratiques passées, nous
démontrons en quelque sorte qu'il ne s'agit pas beaucoup de changer les textes
et donc, là aussi, la loi doit s'accompagner d'une mise en œuvre volontariste
pour utiliser tous les leviers de changement qu'elle permet d'apporter aux
décideurs que vous êtes.
Avec la mise en place du dispositif Talents que j'ai annoncé le mois dernier
avec la ministre, nous allons diversifier les profils qui entrent dans la haute
fonction publique. Filles et fils d'ouvriers, d'employés, d'agriculteurs,
jeunes femmes et jeunes hommes issus des quartiers ou territoires ruraux, je
veux une haute fonction publique, à l'image de la société qui épouse davantage
ces pulsations, saisit ces demandes, incarne l'esprit du temps. A ce titre, le
problème qui est le nôtre n'est pas réservé à l'action publique. Nos grandes
écoles sont, comme toutes les écoles d'ailleurs, d'ingénieurs ou de commerce.
Il y a aujourd'hui un plus grand déterminisme social qu'il n'y avait il y a
plusieurs décennies. Mais nous, nous avons une responsabilité au carré et
l'administration, l'Etat doivent donner l'exemple. Nous ne pouvons pas accepter
l'idée que lorsqu'on vient de milieux populaires, la capacité à, malgré ses
mérites à monter l'échelle sociale est ainsi réduite, menacée et au fond, plus
faible qu'il y a quelques décennies. Si nous acceptons cet état de fait
pleinement mesuré, alors, nous acceptons l'inégalité de destin et nous
acceptons d'être aussi complices d'un système devenu plus inégalitaire.
Je souhaite aujourd'hui que nous puissions aller plus loin en repensant la
formation et les parcours de ceux qui, au plus haut niveau, servent l'Etat. Ce
travail, il a été largement inspiré par les engagements que j'ai pu prendre à
l'issue justement, du grand débat national et des engagements que j'ai pris
dans cette salle-même le 25 avril 2019. Il a été ensuite nourri par le travail
de Frédéric Thiriez, qui a mené pendant plusieurs mois une commission et a
rendu un rapport. Il a été ensuite conduit par le Premier ministre et à ses
côtés, la ministre de la Transformation et de la Fonction publique, en lien
avec tous ses collègues du Gouvernement.
Il est temps. Comme en 1945, nous vivons un moment historique. Il y a 75 ans,
notre pays épuisé sortait de deux guerres avec devant lui le défi immense de la
reconstruction. L’ENA fut créée. Nous avons structuré notre haute fonction
publique.
En 2021, notre pays fait face à une pandémie historique, mais à ces grands
bouleversements que j'évoquais tout à l'heure. Notre devoir est de savoir y
répondre avec le même sens de l'histoire.
A ce titre, plusieurs décisions seront ainsi prises. La première conformément à
mes engagements sera de supprimer l'École Nationale d'Administration et de
créer un Institut du Service Public.
Il ne s'agit ici en aucun cas de céder aux facilités du temps présent, de jeter
l’opprobre sur cette école. Il se trouve que je n'oublie pas non plus par où je
suis passé, et ce que je dois à cette formation et je veux ici saluer le
travail, l’engagement de Patrick Gérard aujourd’hui, de Nathalie Loiseau hier,
dont les réformes et le courage ont nourri d’ailleurs nos travaux et l’ambition
aujourd’hui portée. Mais nous devons aujourd’hui changer radicalement la
manière dont on recrute, dont on forme, dont on sélectionne, dont on construit
les parcours de nos hauts fonctionnaires.
Cet Institut du Service Public sera créé et aura pour mission une formation
d’excellence en même temps que le travail de sélection et de classement. Là où
l’ENA formait quelques dizaines de hauts fonctionnaires, l’Institut du Service
Public formera l’ensemble des élèves administrateurs de l'Etat et intégrera un
tronc commun à 13 écoles de service public, y compris les auditeurs de justice
et les élèves ingénieurs recrutés à la sortie de l'Ecole polytechnique.
Cela deviendra en quelque sorte le creuset de la formation des cadres de
l'État. L'objectif est, dans ce creuset, de définir une culture commune, une
formation commune. Il y aura des formations spécifiques. Mais ensuite.
Là où l'ENA a fini par devenir une institution qui classe des individus,
l'Institut du Service Public devra offrir à chaque étudiant des cours pour
apprendre à faire, à diriger, à décider, à innover et donc bâtir une formation
d'excellence reconnue sur le plan international.
L'Institut sera plus ouvert au monde académique et de la recherche, en France
comme à l'international.
Il devra construire un partenariat fort avec les universités et s'appuiera sur
un personnel enseignant d'excellence aux profils plus divers, proposera des
formations aux meilleurs standards internationaux, des diplômes aussi reconnus
à l'échelle européenne et internationale.
Je souhaite que dans les critères de sélection, nous puissions largement ouvrir
les choses, pas pour perdre de l'excellence, mais, à la lumière de toutes les
études qui ont été faites, pour avoir une sélection plus ouverte qui permette
de sélectionner des profils moins déterminés socialement, mais garder au sein
de l'Institut du Service Public une formation d'excellence où on doit non
seulement former à des méthodes, à des matières indispensables, mais également
à une culture générale et à des disciplines qui bâtissent l'ouverture d'esprit,
la capacité à évoluer dans des milieux académiques et à comprendre les grandes
évolutions du monde, et donc avoir beaucoup plus d'ambition en termes de
formation que nous n'en avons eu jusqu'alors.
Enfin, aussi vrai que l'Institut du Service Public aura ce tronc commun avec 13
écoles de service public, il regroupera aussi les structures de formation
continue et il sera la maison par laquelle les hauts fonctionnaires passeront
durant toute leur carrière, notamment pour se former, avant de franchir des
étapes déterminantes dans leur carrière. A ce titre, je veux qu’en nous
inspirant inspirons du modèle de l'Ecole de guerre, nous puissions prévoir un
rendez-vous de carrière avant d'accéder à des éminentes responsabilités pour
que les hauts fonctionnaires à haut potentiel soient à la fois à nouveau
sélectionnés, mais formés, accompagnés avant d'accéder à certaines
responsabilités.
Vous le voyez, c'est une révolution profonde en termes de recrutement, en
termes de formation initiale et tout au long de la carrière que je demande au
Premier ministre du Gouvernement de mettre en œuvre.
Nous devons faire de cet Institut du Service Public des formations associés, ce
creuset d’un esprit commun que j’évoquais, mais un levier aussi de
l’attractivité de notre haute fonction publique en lui-même. Et c'est pourquoi
j'en viens, et c'est mon dernier point, aux carrières. Au-delà de la formation,
ce sont en effet les parcours et les carrières des hauts fonctionnaires qui
vont radicalement changer pour être à la fois plus en phase avec les besoins de
la société, plus diversifiés pour les serviteurs de l'Etat.
Sur les 80 élèves formés chaque année par l'ENA, seulement 10 % sont
aujourd'hui affectés en administration déconcentrée, alors qu'un tiers va dans
les corps d'inspection et de contrôle. Et je vous le dis en connaissance de
cause, j'ai contribué.
Nous avons aussi une difficulté que nous connaissons qui est constamment
dénoncée : nous inspectons, vérifions, contrôlons des gens et des missions que
nous n'avons pas faites.
Mais surtout, il y a dans notre fonction publique, au fond, deux maladies que
nous devons régler : déterminisme et corporatisme. Parce que nous avons renoncé
à gérer, bâtir des carrières de manière transparente et méritocratique, nous
avons construit des refuges d'excellence qui ont continué à attirer des hauts
potentiels, mais parfois en brisant des destins, souvent en étant injustes.
Nous l'avons fait comment ? Par le déterminisme du classement de sortie, en
scellant des destins à 25 ans, pour le meilleur et quelquefois pour le pire
autrefois.
Nous avons ensuite compensé cela au fil de la carrière par les autres accès à
ces mêmes grands corps et par un corporatisme que chaque ministère d'ailleurs a
reconstitué en niant totalement l'esprit de 1945, en niant
l'inter-ministérialité légale des administrateurs civils pour rebâtir une
ministérialité de fait des fonctions par des différenciations de primes, des
corporatismes qui se sont bâties, avec ensuite des accélérateurs de carrière
qui étaient de passage en cabinets ministériels. Je décris de manière cruelle
quelque chose que beaucoup d'entre nous et moi-même aussi avons vécu.
Est-ce que ce système est complètement mauvais ? Non. Il a continué à recruter
des gens de très grande qualité, permettre d'avoir des destins, porter notre
état et la décision publique. Est-ce qu'il est pour autant le meilleur ? Loin
de là. Est-ce qu'il reste bon et adapté pour attirer les talents des
générations montantes ? Je ne le crois plus. C'est cela que nous devons
changer. Et donc, à la sortie du nouvel institut, tous les élèves intégreront
un corps unique, celui des administrateurs de l'État.
Le terrain comme première compétence, en cohérence avec ce que je viens de vous
dire. Pour leur première année, ils seront tous affectés sur des fonctions
opérationnelles, préfectorales, administration déconcentrées, réforme
prioritaire du Gouvernement.
Ce n'est qu'après plusieurs années d'expériences qu'ils pourront être alors appelés
à d'autres responsabilités.
Certains, qui ne sont finalement peut-être pas faits pour ces missions, auront
vocation à suivre d'autres destinées.
D'autres pourront accéder à des postes d'encadrement. Ces postes seront tous
fonctionnalisés, y compris demain, les corps techniques. C'est une autre
véritable révolution.
Pour ce qui est de ce qu'on appelle les grands corps pour contrôler, juger,
conseiller, là aussi, mieux vaut avoir fait ses preuves. On ne pourra plus
intégrer le Conseil d'Etat, la Cour des Comptes ou les inspections à 25 ans,
mais après s'être distingué par des résultats concrets, c'est-à-dire après
plusieurs années d'expérience comme administrateur d'État et un processus de
sélection que je veux méritocratique, ouvert et transparent. Le Premier
ministre, dans les prochains jours, aura à détailler ce point.
Pour vous, pour tous les hauts fonctionnaires, je veux insister sur le fait que
cette réforme est une chance. Je le crois très profondément. Elle permettra
davantage de mobilité entre les ministères, la formation tout au long de la
vie, des secondes parties de carrière plus attractives au fond. Ce qui veut
dire plus de liberté, plus de responsabilité, des portes ouvertes. Ce qui veut
dire aussi que au-delà des textes que dans les prochaines semaines, nous aurons
à modifier, c'est un immense travail que le Premier ministre, la ministre et
l'ensemble des ministères auront à conduire, qui consiste d'abord à ce qu'il y
ait une véritable harmonisation et transparence en termes de rémunération entre
tous les ministères.
Ensuite, à ce que nous assumions aussi un débat démocratique, responsable sur
la rémunération des hauts dirigeants de notre pays. Ces dernières décennies,
nous avons progressivement réduit les écarts de salaire et en comparaison avec
le secteur privé, réduit les opportunités et l'attractivité de notre haute
fonction publique en n’assumant pas d'avoir des salaires qui correspondent aux
compétences et aux responsabilités qui sont posées. Je veux assumer cette
question des rémunérations qui doit accompagner celle des responsabilités. Je
suis convaincu que si nous savons bâtir une véritable interministérialité en
brisant toutes les barrières qui l'ont construite et les opacités, si nous
savons construire des rémunérations attractives, un accès transparent à des
responsabilités inégalées hors du secteur public et de la fonction justement
d'État, nous saurons attirer les meilleurs talents de notre pays et c'est ce
travail auquel je nous invite collectivement.
Tout cela suppose une gestion renforcée et personnalisée, véritablement
interministérielle des cadres supérieurs de l'Etat. A cet effet, une délégation
interministérielle à l'encadrement supérieur de l'Etat sera créée autour de
missions simples, accompagner chaque fonctionnaire dans l'écriture de sa
carrière, penser pour les cadres qui le souhaitent, une seconde carrière qui
puisse se faire en dehors de la filière administrative d'origine, voire sur le
modèle de ce qui se pratique aussi pour les militaires en dehors de l'administration
et accompagner les secondes parties de carrière hors de l'administration pour
celles et ceux qui le souhaitent. Constituer très tôt des viviers de talents
qui à 5, 10 ou 15 ans peuvent être appelés aux plus hautes fonctions en
veillant à ce qu'ils représentent la diversité de la société. Sur ce sujet,
l'efficacité de la réforme que je viens d'évoquer dépend de notre capacité
collective à mettre en place cette véritable gestion des ressources humaines
dans notre administration, c'est-à-dire la détection des talents,
l'accompagnement des talents et la capacité à justement tout au long de la
carrière, leur proposer des responsabilités parfois plus rapidement que
d'autres à la mesure de ces derniers. C'est comme ça que nous pourrons attirer
les meilleurs profils. Nous ouvrir à plus de responsabilité, d'innovation, en
gardant notre force et ce que l'administration a démontré depuis des décennies.
Voilà, mesdames, messieurs, les quelques convictions que je voulais aujourd'hui
partager avec vous.
Notre pays a une histoire à part. Je vous le disais en commençant mon propos,
celle d'un pays qui a été fondé comme engendré par l'État. Dans notre pays,
l'État précède la nation et c'est sans doute pour cela qu'à chaque moment clé
de notre histoire, c'est à l'Etat que tous, nous nous en remettons un peu.
C'était vrai, je le disais il y a 75 ans, c'est vrai aujourd'hui. C'est un défi
immense qui consiste non seulement à prolonger cette histoire longue, à tirer
le fil du lien si singulier qui unit nos concitoyens avec l'État mais c'est
aussi de savoir aujourd'hui porter en quelque sorte l'audace qui doit
correspondre au temps présent et donc non pas affaiblir l'État, céder à
quelques modes mais le rendre plus fort, plus agile, plus efficace pour lui
permettre de continuer à jouer ce rôle historique.
Bernanos disait qu'“on ne refera pas la France par les élites, on la refera par
la base dans des temps où les morsures de l'histoire étaient aussi présentes
qu'elle l'est aujourd'hui.” J'ai beau être admirateur de Bernanos, j'aurai
cette fois une nuance avec lui : je pense qu'on refera la France si les élites
et la base se reconnaissent l'une l'autre, se comprennent, agissent main dans
la main. C'est cet esprit-là que j'ai voulu aujourd'hui porter dans mes propos,
réconcilier nos concitoyens avec le sommet de l'Etat et, ce faisant, avec
l'action publique, parce que c'est comme cela que nous réussirons à
reconstruire une confiance véritable dans l'action qui est la nôtre. Et au
fond, c'est sans doute ainsi, aussi, que nous contribuerons collectivement à
répondre pour une large partie à la crise démocratique que nous vivons.(…)