dimanche 26 septembre 2021

Actualités du Centre. Bayrou tente de dresser les contours d’un mouvement «central» mais pas «centriste»

François Bayrou

Lors de son discours de clôture (lire ci-dessous) de l’université du MoDem, François Bayrou est revenu sur la mise en place d’une structure qui pourrait fédérer les divers partis de la majorité présidentielle pour les élections générales de 2022 mais également au-delà.

S’il a bien évoqué, pour la définir, pratiquement tous les mots-clés du Centrisme –, le duo démocratie et république, le trio liberté, égalité, fraternité, l’humanisme, l’équilibre, la laïcité –, en revanche, il a expliqué qu’il n’aimait pas le mot «centriste» tout en se déclarant «du Centre», comprenne qui pourra!

C’est donc une organisation «centrale» et «démocratique» dont il souhaite voir le jour avec comme composantes LaREM et le MoDem essentiellement, mais qui serait une sorte d’UDF light avec des formations auxquelles on ne serait pas obligé d’adhérer (comme c’était le cas pour l’UDF avec les adhérents directs) mais, également, qui garderaient chacune toutes leurs identités jusque dans leurs groupes parlementaires distincts.

 

► Discours de François Bayrou

Charles Péguy, que j'aime beaucoup, disait que, dans l'histoire, il y avait des périodes et des époques. Les périodes, c'est quand il ne se passe pas grand-chose, que nous avons des évènements qui sont des événements à la dimension de nos vies, parfois microscopiques. Nous avons l'impression que le cours des choses ne change pas, ne change guère, et il y a les époques et le terme «époque» a quelque chose de plus épique: il se passe de plus grandes choses, il y a de plus grands dangers, il y a de plus grands risques et les époques accouchent, généralement, d'un monde nouveau, d'un monde inédit. Eh bien, sans se tromper, nous pouvons dire que nous voilà au cœur d'une époque et cela donne la dimension de notre responsabilité. Si nous voulons égrener, ne serait-ce que deux événements majeurs - les gilets jaunes, d'un côté, et l'épidémie, de l'autre -, la signification de ces deux événements est, pour moi, absolument frappante.
Le premier, les gilets jaunes, c'est un événement social et culturel, inédit car, d'habitude, les révoltes se passent aux marges de la société et, là, pour la première fois, les gilets jaunes n'étaient pas des Français des marges, n'étaient pas des Français périphériques. C'était des Français du cœur de la société française, enracinés très souvent ayant des situations des métiers, des retraites, qui en faisaient des intégrés et, tout d'un coup, ces intégrés ont constaté qu'ils étaient des désintégrés, qu'ils étaient en sécession et en sécession assez profonde, nous le retrouvons encore dans les manifestations d'aujourd'hui, contre les légitimités qui étaient, jusqu'alors, acceptées sans la moindre discussion.
D'ailleurs, si nous voulions écrire l'histoire des derniers siècles, alors c'est une mise en cause progressive des légitimités que tout le monde acceptait. Cela a commencé par la religion et, Dieu sait, chez nous, que la mise en cause de cette légitimité a été importante. Cela a continué par les pouvoirs politiques. Nous avons l'habitude. Cela s'est poursuivi par les pouvoirs médiatiques et, Dieu sait que les journalistes, je les regarde avec amitié, ils sont eux aussi au cœur de la contestation et même ciblés assez fortement. Cela s'est achevé ou cela a trouvé son point culminant dans quelque chose qui était absolument inattendu, la dernière légitimité qui était respectée par tout le monde, c'était la légitimité scientifique et singulièrement la légitimité médicale, mais le fait que les médecins se soient écharpés en direct sur toutes les chaînes pendant des mois et des années a fait que cette dernière légitimité-là est, aujourd'hui, mise en cause, avec une question très simple: «Qui es-tu, toi, pour me dire ce que je dois faire ?». Selon quelle autorité prétends-tu me dicter ma conduite ?
Et ceci crée un monde d'abord qui nous permet de constater un certain nombre de nos échecs et l'échec éducatif en est un. J'ai consacré ma vie à cette question de l'échec de l'éducation. Mon premier livre s'appelait «La décennie de malappris», car je sentais bien, dès cette époque lointaine, que nous avions simplement un problème de contenu, d'efficacité et de légitimité de la transmission. Échec de l'éducation, échec de la démocratie, de notre organisation démocratique, de l'imperfection de notre organisation démocratique où un très grand nombre de Français ne se sentent plus représentés ou, en tout cas, impliqués, engagés, et, enfin, dernier point, une absence de sens, un devoir ou une injonction faite à ceux qui ont les responsabilités dans la société: «Mais où nous amenez-vous ? Que faisons-nous ensemble?». Là encore, ce n'est pas pour citer mes œuvres complètes, j'ai écrit il y a 25 ans, un livre qui s'appelait «Le droit au sens». Certains journalistes se moquaient de ce titre, mais je prétends que c'était un titre juste que cette question-là, car la responsabilité des gouvernants est de donner à un peuple des raisons de vivre.
Nous sommes à ce rendez-vous aujourd'hui, mais nous ne pouvons plus donner, on devrait même dire redonner aux personnes des raisons de vivre, redonner à ceux qui nous ont fait confiance, à ceux qui nous entourent, à ceux dont nous avons le destin entre les mains, cette certitude que, ensemble, nous avons un chemin à parcourir et cela ne se passe d'ailleurs, ce n'est pas un hasard évidemment, cela se passe au cœur de crise planétaire.
La pandémie est une crise planétaire. Cela nous a montré, au contraire de ce que beaucoup de personnes croyaient ou imaginaient, qu'il n'y a pas de frontières pour le virus, comme il n'y a pas de frontières pour l'atmosphère et que nous sommes coresponsables, où que nous vivions et où que nous soyons. C'est pourquoi je n'aime pas ceux qui construisent des murs entre les peuples, non pas seulement car je trouve que cela trahit notre idéal commun, mais car cela ment sur la réalité. Il n'y a pas de frontières pour le virus. Il n'y a pas de frontières pour le climat et notre devoir est d'exercer une coresponsabilité sur ces sujets, qui sont des sujets planétaires et vitaux. Nous sommes responsables chacun pour notre compte, mais, si nous nous arrêtons à notre responsabilité, nous ne voyons rien du tout.
Je prends l'élément fondamental de la crise climatique : l'atmosphère de la terre pèse - si je ne me trompe pas - 5 millions de milliards de tonnes et la France relève de cette atmosphère planétaire pour 1 millième. Alors, nous avons raison de nous battre pour l'émission de gaz à effet de serre chez nous. Nous avons raison d'être fiers très probablement aujourd'hui le pays le plus vertueux ou presque au monde pour les émissions de gaz à effet de serre, en particulier, grâce au nucléaire. Nous avons raison d'en être fiers, mais nous dont nous occuper des 999 autres millièmes en même temps. Nous devons nous occuper de ce qu'il va se passer en Afrique. L'Afrique, c'est 100 fois plus important pour l'atmosphère de la terre que ne l'est la France. Or, la transition entre l'énergie actuelle produite en Afrique et l'énergie future qui va être produite, si nous passons par le charbon, alors nos efforts ne servent à rien. Si nous ne sommes pas capables de proposer, dans le concert des peuples de la planète une stratégie commune pour - je vais simplifier - que ceux qui étaient au charbon passent au gaz et que ceux qui étaient au gaz passent à du renouvelable et à du non-émetteur de gaz à effet de serre, avec notre responsabilité particulière pour la maîtrise des technologies de production d'électricité sans émission de gaz à effet de serre. Ce n'est si nous ne sommes pas capables de faire cela, alors nous passons à côté et nous mentons. Nous nous laissons abuser, car le sujet majeur est le partage par les Chinois, par les Indiens par l'Amérique du Sud, par l'Afrique, de cet objectif commun et partagé. Nous avons très bien fait, dans les plans successifs, de fixer à chaque peuple des obligations, mais je trouve que nous sommes insuffisants dans la réflexion partagée et qu'à s'obséder, à juste titre, sur nos stratégies nationales, nous passons à côté de la stratégie planétaire qui est la seule qui peut nous permettre de corriger la trajectoire désastreuse qui nous conduit à avoir des augmentations de température catastrophique.
Puis, il y a les crises internationales, il y a cette immense interrogation : pendant longtemps, nous avons cru que la démocratie était l'horizon partagé de tous les peuples de la terre. Nous avons cru que, bon an mal an, chacun à sa place, nous l'avons cru lorsque le mur de Berlin est tombé, chacun des peuples de la planète se retrouverait avec les mêmes règles démocratiques que les nôtres. Ils pourraient choisir leurs dirigeants et leurs modèles de société. Puis, aujourd'hui, cette question est absolument remise en cause, cette question est devenue isolée. Nous sommes une île ou une péninsule démocratique dans le monde et, lorsque l'on regarde ce qui se passe ailleurs, alors nous sommes saisis de cette inquiétude : «Et si, peu à peu, nous nous retrouvions seul les derniers défenseurs de cette démocratie sur la planète?». En effet, ce qui se passe en Chine, tout le monde l'a sous les yeux, ce qui se passe dans les crispations de l'Inde, tout le monde l'a sous les yeux, ce qui se passe dans les grandes interrogations sur la croissance, la croissance chinoise, en particulier, aura des répercussions directes chez nous et l'idée que nous nous en remettons au peuple pour choisir le modèle de société est une idée qui devient minoritaire sur la planète. Nous avons donc une responsabilité particulière que bien d'autres n'ont pas ou que d'autres ont éludée, qui nous place devant la question que nous devons traiter aujourd'hui et cette question est, pour moi, très simple: «Dans le paysage politique français et européen, quel est notre devoir à nous?».
Le paysage politique français, tout le monde le connaît, c'est un paysage en explosion permanente sur tous les bancs, comme l'on dit à l'Assemblée nationale. Tous les mouvements politiques français sont ou bien pris dans des rivalités inexpiables qui sont, disons-le clairement, des rivalités de personnes, ce qui prouve d'ailleurs qu'aucune ne s'impose vraiment, car, quand quelqu'un s'impose vraiment, on se regroupe autour de lui. Les partis politiques explosent. Tout à l'heure, on disait deux droites et deux gauches, mais, aujourd'hui, il y a trois droites et trois gauches et les trois, en effet, sont en crise interne.
Je ne sais pas si les sondages sont vrais, mais je me mets à la place de ceux qui ont cru au Parti socialiste, une partie de leur existence et quand je vois que la candidate qu'ils ont choisie se retrouve dans des zones d'intentions de vote qui sont purement et simplement dérisoires, j'imagine ce que cela doit représenter comme inquiétude, comme sentiment d'avoir échoué quelque chose de tout à fait essentiel. Cela doit d'ailleurs nous servir de leçon.
Eh bien, le défi et l'enjeu sont, pour moi, très simples. Au moment où tous les autres explosent, il faut que nous nous nous reconstruisions, que nous nous rassemblions et qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur ce sujet, dans notre identité, avec notre histoire et avec nos racines. Cela fait 20 ans que l'on nous bassinait avec l'idée, que la droite et le centre, c'était la même chose. Mes états de service, mon livret militaire prouveront à qui veut l'entendre que je n'ai jamais accepté cette idée parce que je trouve qu'il n'y a rien de plus stupide que la bipolarisation, rien de plus stupide que d'imaginer que toutes les sensibilités doivent se raccrocher à l'une ou à l'autre des deux tentatives de simplification et de domination, comme si l'on voulait nous expliquer que le monde est définitivement en blanc ou en noir et qu'il faut être blanc ou noir et que si vous n'acceptez pas d'être l'un ou l'autre, vous êtes rayé de la carte. Très souvent, quand les journalistes me disent : «bon, Monsieur Bayrou, vous êtes un homme du centre. OK, on a compris, mais le centre, c'est plus près de la droite ou de la gauche?» Je leur disais: «excusez-moi, mais je vais vous poser une question toute bête, est-ce que vous connaissez les couleurs du drapeau français?». Les points d'interrogation se lisaient dans les pupilles. Je leur disais: «dites-moi les couleurs du drapeau français». Ils me disaient: «bleu-blanc rouge». Je disais: «et le blanc, c'est plus près du bleu ou du rouge?!»
De cette semaine, hier, les masques, si j'ose dire, sont tombés définitivement, les faux-semblants ont été effacés parce que nos amis rivaux, partenaires, concurrents, je ne sais pas quel mot employer, dans le jeu démocratique français de LR, ont répondu enfin une fois pour toutes à la question et ils ont dit, parce que les mouvements qui s'intitulaient du centre encore, avaient demandé à participer. Ils n'étaient pas nombreux, ils n'auraient pas changé le cours des choses, mais ils ont demandé à participer au vote pour soutenir un candidat à l'élection présidentielle et on leur a dit, j'allais dire poliment, moyennement poliment, on leur a dit: allez-vous faire voir. Et un de leurs responsables a fait un tweet en disant: «s'ils veulent participer, c'est très facile, ils adhèrent à LR», et donc cette fiction que je déteste ‑ ouvrez les guillemets – «de-la-Droite-et-du-Centre», avec des traits d'union entre chacun des mots de la Droite et du Centre, cette fiction est, enfin, ruinée et nous pouvons enfin affirmer que tout le monde est d'accord pour que nous soyons nous-mêmes. Alors, je le dis d'autant plus que je ne fais pas cela ou que je ne soutiens pas cette thèse pour soutenir notre identité, je n'ai aucune crainte sur notre identité, je le fais pour soutenir la vraie nature de la démocratie qui est le pluralisme.
Pour moi, on a parfaitement le droit d'être à droite. On a parfaitement le droit d'être à gauche et, dans l'une des droites et dans l'une des gauches, plus nationaliste d'un côté, plus, je ne sais pas, plus écologiste de l'autre, y compris dans nos rangs. On a le droit d'être différent, d'être singulier, d'être inédit, mais on n'a pas le droit de vouloir soumettre les uns à la dictature des autres. Et donc, finalement, c'était une bonne nouvelle cette semaine, cette clarification-là!
Nous, Modem, nous En Marche et nous tous ceux qui se reconnaîtront dans cette démarche centrale, tous ceux qui comprendront que nous construisons le pilier central de la démocratie française, tous ceux qui comprendront qu'un bateau a besoin de mat et de quille, et c'est comme cela qu'il avance et que c'est cela que nous construisons, tous ceux qui se retrouveront dans ce projet, alors ils ont le devoir, aux yeux des Français, de sortir des nuances excessives, de l'esprit de chapelle qui est dans la nature même des organisations politiques.
Je sais très bien que l'on tient à sa communauté de conviction, à ses communautés d'amitié, en latin, on disait: «affectio societatis» - le goût d'être ensemble. C'est précieux, c'est amical, regardez, c'est chaleureux, affectueux, mais on a l'obligation d'entrer dans une logique de dépassement et de vie en commun, de travail en commun, de projets à partager. Et on a l'obligation de simplifier cette affiliation aux yeux des Français. Il faut qu'il y ait une identité commune et simple pour que les personnes la comprennent. Il faut qu'il y ait… Allez… un nom qui nous réunit tous. On verra ce que l'on partage. Et après, chacun se situera où il préfère. Il y aura des débats d'idées à l'intérieur de cette nouvelle entité, mais je voudrais appeler votre attention sur ce sujet parce qu'il est à mon sens très important, je voudrais formuler quelques exigences.
La première exigence, c'est que l'on ne transforme plus les débats d'idées en combat pour le pouvoir, à l'intérieur de cette entité commune. J'ai beaucoup observé les constructions du même ordre. De quoi le parti socialiste est-il mort? C'était une formidable entreprise, le parti d'Epinay et la conquête du pouvoir et les grandes figurent: François Mitterrand, Jacques Delors, Michel Rocard, formidable entreprise, mais ils avaient dès le premier moment, introduit le virus dans le système et le virus, c'était que les motions qui étaient censées traduire des sensibilités, en réalité, c'étaient des entreprises de prise du pouvoir en interne. Moi, je propose que nous ayons comme règle de séparer les débats d'idées et les combats de pouvoirs, que cela ne soit plus une confusion entre l'un et l'autre. On a le droit, le devoir d'avoir des sensibilités différentes, mais ce n'est pas la prise du pouvoir qui est en jeu. C'est la première condition.
La deuxième condition que je souhaite, c'est que les Français puissent adhérer directement à ce nouveau mouvement sans passer, par l'une ou par l'autre, des chapelles. Après auprès d'eux, chacun pourra défendre sa sensibilité, mais on ne peut pas leur demander d'entrer dans le labyrinthe de nos histoires conjuguées, confluentes et amicales. Il faut que l'on puisse adhérer à un vaste ensemble. Je sais très bien pourquoi les Français n'adhèrent plus aux partis politiques. Ils n'adhèrent plus aux partis politiques pour deux raisons principales par la première c'est qu'ils ne veulent pas être inféodés. Ils ne veulent pas que l'on prenne le contrôle de leur volonté, de peu ou de beaucoup. Ils veulent conserver leur liberté, ils ont l'impression que, parfois, souvent, quand ils adhèrent à un parti politique, ils perdent une partie de leur liberté. Nous, nous voulons les rencontrer, les travailler avec eux sans confisquer leur liberté une seule seconde. C'est le premier point et le deuxième point, ils ne veulent pas de guerres de chapelle. Ils en ont marre que l'on passe leur temps, sous couvert de grandes idées, à défendre des intérêts et des intérêts personnels souvent, c'est du TPMG: «tout pour ma gouverne», si j'ose dire! C'est ce qu'ils ne veulent pas et ce qu'ils ne veulent plus.
Alors je propose qu'on leur fournisse le chemin pour échapper à ces deux fatalités-là. Et donc ce rassemblement de ce grand courant de la démocratie française, il est, pour moi, vital. Comment le définir? Je n'utilise jamais le mot de centriste. Je le respecte. Je respecte et j'aime bien, mais, d'abord, ce n'est pas un joli mot parce qu'il rime avec un adjectif qui ne correspond absolument pas à notre nature profonde. Nous, on est plutôt joyeux et gais. Vous me suivez?! J'ai eu l'impression d'un grand moment de solitude! Et donc, je trouve le mot pas très joli et surtout c'est une définition géographique alors que notre définition à nous, elle est plus vitale, elle fait appel à la sève, de l'engagement politique.
C'est pourquoi ce que j'aime, j'aime deux choses, j'aime deux idées, la première idée que j'aime, c'est une idée incroyable, en fait, perpétuellement à contre-courant, perpétuellement rebelle, c'est l'idée de démocratie qui veut dire que les sujets, les femmes et les hommes qui composent une société deviennent des citoyens. J'aimais bien, en Pologne, l'idée initiale de la plateforme civique qui avait quelque chose là-dedans qui faisait que chacun était invité à se hisser au niveau de citoyen, c'est-à-dire au niveau de responsables, quelle que soit sa situation, quelle que soit sa situation matérielle, sa situation culturelle et sociale, il devient, il se sent, il se comporte comme personnellement responsable du destin commun de la communauté à laquelle il appartient.
La démocratie, c'est cela, on avait cela ce matin affiché sur le drapeau, c'était le mot de Marc Sangnier: l'organisation sociale qui porte à son plus haut, la conscience et la responsabilité des citoyens».
La conscience, formation, information, et la responsabilité des citoyens et, là, nous avons un idéal donc j'aime le mot «démocratie» et j'aime le mot «république». J'aime le mot «république», parce que la République c'est un idéal, un projet qui est que chacun a droit à être conduit par la liberté, par l'égalité, jusqu'à la fraternité et vous voyez: «liberté, égalité fraternité», en réalité, c'est un escalier, c'est une échelle de Jacob parce que la fraternité, ce n'est pas naturel parmi les êtres humains. La fraternité, chez les êtres humains, c'est plus souvent la loi de la jungle, la loi du plus fort, ceux qui veulent imposer leur loi aux autres ou qui acceptent de subir la loi des autres, mais la fraternité, cela permet de dépasser tout cela, et je trouve donc que les mots de «démocratie», les mots de «république» sont complémentaires et si je pouvais dire, je dirai que la démocratie est sœur de la République ou la République est sœur de la démocratie. Là, nous avons une définition en interne de la sève, de ce que nous portons.
Après, tout cela repose sur une philosophie et il faut des mots simples, en tout cas dont la signification n'échappe à personne pour incarner ce que nous sommes. Nous avons une philosophie commune, cette philosophie, c'est l'humanisme. Quand on sait cela, quand on adhère à cette idée qu'Érasme a dit une fois pour toutes, il y a bien des siècles, il a dit: «on ne naît pas homme, on le devient». Simone de Beauvoir, après a repris: on ne naît pas femme, on le devient.
Cela veut dire que la pleine conscience de sa responsabilité comme frères humains, l'éducation du socle qui va faire que vous pouvez comprendre le monde dans lequel vous êtes et que vous pouvez comprendre l'autre, dans sa différence, dans ses difficultés, dans sa singularité et non pas le rejeter et le bannir perpétuellement, mais partager quelque chose avec lui, être engagé dans une compréhension mutuelle, cela, c'est la vraie laïcité. La laïcité n'est pas une exclusion, à mes yeux. La laïcité, c'est une compréhension. C'est l'affirmation que la différence est acceptée et que l'on peut travailler à construire un destin commun même si on n'est pas les mêmes. C'est pourquoi je suis, comme beaucoup d'entre vous, très choqué de ce que l'on entend, ce ne sont pas des idées, mais des obsessions qui sont, ces temps-ci, portées dans le débat politique français, notamment l'obsession sur l'identité et sur les prénoms. Cela n'a l'air de rien, cela a l'air d'un gag. Ce n'est pas un gag. C'est quelque chose de profond.
Il y a quelqu'un qui a fait cela au 20e siècle, c'est le maréchal Mobutu. Mobutu, toujours dans le pays qu'il avait nommé à l'époque le Zaïre, a pris une loi pour interdire les prénoms qui n'étaient pas des prénoms africains. Vous savez, au Zaïre, à cette époque, il y avait plus de 60 % de la population qui était chrétienne, catholique et donc il y avait des prénoms comme cela. Mobutu lui-même, son prénom, c’était Joseph ! Avant de se faire appeler Mobutu Sese Seko. C'était Joseph et il a fait une grande déclaration pour dire: «il n'est pas possible qu'un Africain porte un prénom juif» et a pris une loi pour interdire ces prénoms et il a dit: «ce n'est pas possible qu'une femme africaine s'appelle Chantal où Marie». Les vidéos existent. Eh bien, je n'ai pas envie que la loi de Mobutu devienne, d'une manière ou d'une autre, une loi ou une proposition pour la France.
Vous vous rendez compte, je pense beaucoup aux soldats ces jours-ci avec la mort de ce jeune sous-officier qui était héroïque - je crois qu'on peut le dire - et qui est tombé dans une embuscade, [il y a] nombre de soldats que nous avons dans les rangs de notre armée qui portent des prénoms aussi divers que leurs origines le sont, que leurs cultures le sont, que la religion de leurs parents l'est. Et on va dire qu'ils ne sont pas français? On va les obliger à changer de prénom? Mais dans quel monde veut-on nous faire vivre?
Alors, il y a des paris derrière tout cela, des paris et des programmes, car le pari, c'est qu'avec ces idées-là, qui sont des idées je sais exigeantes, qui ne viennent pas naturellement, je répète, ce qui vient naturellement, c'est la détestation du voisin: Qui c'est celui-là? D'où vient-il? Et celle-là, elle n'est pas de chez nous. Croyez-moi, on a vécu cela dans les villages des Pyrénées. Je connais, dans les générations plus anciennes des gens qui étaient du village voisin que l’on n'a jamais considéré comme étant des autochtones. il y avait 800 mètres entre les villages. Et donc, j'aime cette idée que l'on va s'entraîner les uns les autres à comprendre mieux le voisin, pas à abandonner ce que nous sommes, à abandonner ni notre identité, ni nos manières de vivre, ni les principes qui sont les nôtres, et à être absolument clairs sur ce sujet.
J'étais très heureux ces jours-ci alors je vous confie un de ces bonheurs, il y a un très grand sociologue qui s'appelle Éric Morin qui vient d'éditer un livre qui s'appelle : Trois leçons sur l'école républicaine. Il a conduit une enquête de sociologue sur la décision que j'ai prise en 1994 ou 1995 d'interdire le voile à l'école et il dit, pardon de le citer: «ne vous trompez pas, ce n'est pas la loi que l'on a votée en 2004 qui a changé les choses, c’est la circulaire que François Bayrou avait faite». En une seule année, je dis bien une seule année, le résultat des filles d'origine des quartiers au baccalauréat a bondi de moins de 50 % à plus de 65 % ; pas les garçons, ils sont restés au même score, mais les filles, je ne sais pas si vous vous représentez ce que cela veut dire de passer de moins de la moitié à plus des deux-tiers de résultat au baccalauréat en une seule année. Et il explique cela par le sentiment de libération qu'elles ont ressenti, car, simplement un gouvernement avait eu, je ne sais pas s'il faut dire le courage, en tout cas avait choisi d'imposer quelque chose qui était émancipateur, une règle émancipatrice.
Et je voudrais finir sur une idée (…) qui est en même temps une volonté pour l'avenir et l'énoncé d'un impératif pour nous. Nous vivons dans un débat politique dans lequel on chante les louanges de la radicalité, des radicalités et on a des radicalités opposées les unes aux autres qui se démolissent le portrait allègrement et on applaudit. Eh bien, moi, je pense qu'il y a, dans la radicalité, sans qu'il n’y ait jamais eu aucune exception historique, je ne connais pas de radicalité qui n'ait mal fini. Partout dans le monde, c'est ce type révolution qui vise à quelque chose de simple, c'est imposer aux autres la loi que l'on estime nécessaire. Ce qui, pour moi, est le contraire de l'idéal démocratique. L'idéal démocratique, ce n'est pas d'imposer aux autres sa loi, c'est de permettre que les convictions vivent ensemble, selon des règles harmonieuses et qui répondent aux impératifs de chacun. Les radicalités, on sait comment cela finit, dans quel massacre Mobutu, une fois qu'il a eu fait cela, un jour, il a pendu 500 personnes, dont les convictions religieuses ne lui plaisaient pas, sur la place publique et je ne veux pas parler des autres révolutions et des massacres qu'elles ont entraînés.
Je pense que l'on a le devoir de défendre devant nos concitoyens une idée simple. L'avenir ne doit pas être aux radicalités affrontées les unes aux autres, l'avenir doit être à l'équilibre, aux équilibres que nous avons à construire. Un gouvernant, c'est quelqu'un qui recherche l'équilibre de la société, de la communauté à laquelle il appartient.
Et, quand on va vivre les mois qui viennent avec les campagnes électorales successives, mais d'abord la campagne électorale présidentielle, alors j'invite à ce que l'on garde ce critère de réflexion qui nous invite à des radicalités qui, un jour, finiront en affrontements inexpiables, qui nous invite au contraire à nous rassembler, qui nous invite à dépasser les préférences de l'instant pour construire un pays commun, une communauté de citoyens et une communauté nationale. Et je veux le dire simplement, quand je regarde aujourd'hui la situation de la France, je vois un Président de la République - je ne me suis pas toujours entendu avec les Présidents de la République successifs, on ne peut pas me faire des procès de complaisance réitérés - qui est à hauteur de l'Histoire et je témoigne, et tous ceux qui ont l'occasion de le rencontrer peuvent en attester avec moi, que non seulement il est à la hauteur de l’Histoire, mais il est vraiment et en réalité à hauteur de femmes et d'hommes, d'enfants et d'adultes et de personnes plus âgées. Il y a en lui quelque chose d'une empathie qui ne s'est pas révélé jusqu'à maintenant, trop souvent parce que cela ne passe pas l'écran de télévision, mais nous nous le savons bien. Il y a quelque chose de fraternel dans le regard qu'il porte sur ceux qui lui parlent. Je trouve que d'avoir un Président de la République à hauteur d’homme et un Président de la République à hauteur de l'histoire, cela vaut la peine de s'engager et de s'engager pour ce combat-là, pas pour des combats d'ego, mais pour quelque chose qui va préparer pour notre pays le seul avenir possible. C'est un avenir courageux et fraternel

 

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