François Bayrou |
Lors de son discours de clôture (lire ci-dessous) de l’université du MoDem, François Bayrou est revenu sur la mise en place d’une structure qui pourrait fédérer les divers partis de la majorité présidentielle pour les élections générales de 2022 mais également au-delà.
S’il a bien évoqué, pour la définir, pratiquement tous les mots-clés du Centrisme –, le duo démocratie et république, le trio liberté, égalité, fraternité, l’humanisme, l’équilibre, la laïcité –, en revanche, il a expliqué qu’il n’aimait pas le mot «centriste» tout en se déclarant «du Centre», comprenne qui pourra!
C’est donc une organisation «centrale» et «démocratique» dont il souhaite voir le jour avec comme composantes LaREM et le MoDem essentiellement, mais qui serait une sorte d’UDF light avec des formations auxquelles on ne serait pas obligé d’adhérer (comme c’était le cas pour l’UDF avec les adhérents directs) mais, également, qui garderaient chacune toutes leurs identités jusque dans leurs groupes parlementaires distincts.
► Discours de François Bayrou
Charles Péguy, que j'aime beaucoup, disait que, dans l'histoire,
il y avait des périodes et des époques. Les périodes, c'est quand il ne se
passe pas grand-chose, que nous avons des évènements qui sont des événements à
la dimension de nos vies, parfois microscopiques. Nous avons l'impression que
le cours des choses ne change pas, ne change guère, et il y a les époques et le
terme «époque» a quelque chose de plus épique: il se passe de plus grandes
choses, il y a de plus grands dangers, il y a de plus grands risques et les
époques accouchent, généralement, d'un monde nouveau, d'un monde inédit. Eh
bien, sans se tromper, nous pouvons dire que nous voilà au cœur d'une époque et
cela donne la dimension de notre responsabilité. Si nous voulons égrener, ne
serait-ce que deux événements majeurs - les gilets jaunes, d'un côté, et
l'épidémie, de l'autre -, la signification de ces deux événements est, pour
moi, absolument frappante.
Le premier, les gilets jaunes, c'est un événement social et culturel, inédit
car, d'habitude, les révoltes se passent aux marges de la société et, là, pour
la première fois, les gilets jaunes n'étaient pas des Français des marges,
n'étaient pas des Français périphériques. C'était des Français du cœur de la
société française, enracinés très souvent ayant des situations des métiers, des
retraites, qui en faisaient des intégrés et, tout d'un coup, ces intégrés ont
constaté qu'ils étaient des désintégrés, qu'ils étaient en sécession et en
sécession assez profonde, nous le retrouvons encore dans les manifestations
d'aujourd'hui, contre les légitimités qui étaient, jusqu'alors, acceptées sans
la moindre discussion.
D'ailleurs, si nous voulions écrire l'histoire des derniers siècles, alors
c'est une mise en cause progressive des légitimités que tout le monde
acceptait. Cela a commencé par la religion et, Dieu sait, chez nous, que la
mise en cause de cette légitimité a été importante. Cela a continué par les
pouvoirs politiques. Nous avons l'habitude. Cela s'est poursuivi par les
pouvoirs médiatiques et, Dieu sait que les journalistes, je les regarde avec
amitié, ils sont eux aussi au cœur de la contestation et même ciblés assez
fortement. Cela s'est achevé ou cela a trouvé son point culminant dans quelque
chose qui était absolument inattendu, la dernière légitimité qui était
respectée par tout le monde, c'était la légitimité scientifique et
singulièrement la légitimité médicale, mais le fait que les médecins se soient
écharpés en direct sur toutes les chaînes pendant des mois et des années a fait
que cette dernière légitimité-là est, aujourd'hui, mise en cause, avec une
question très simple: «Qui es-tu, toi, pour me dire ce que je dois faire ?».
Selon quelle autorité prétends-tu me dicter ma conduite ?
Et ceci crée un monde d'abord qui nous permet de constater un certain nombre de
nos échecs et l'échec éducatif en est un. J'ai consacré ma vie à cette question
de l'échec de l'éducation. Mon premier livre s'appelait «La décennie de
malappris», car je sentais bien, dès cette époque lointaine, que nous avions
simplement un problème de contenu, d'efficacité et de légitimité de la
transmission. Échec de l'éducation, échec de la démocratie, de notre
organisation démocratique, de l'imperfection de notre organisation démocratique
où un très grand nombre de Français ne se sentent plus représentés ou, en tout
cas, impliqués, engagés, et, enfin, dernier point, une absence de sens, un
devoir ou une injonction faite à ceux qui ont les responsabilités dans la
société: «Mais où nous amenez-vous ? Que faisons-nous ensemble?». Là
encore, ce n'est pas pour citer mes œuvres complètes, j'ai écrit il y a 25 ans,
un livre qui s'appelait «Le droit au sens». Certains journalistes se moquaient
de ce titre, mais je prétends que c'était un titre juste que cette question-là,
car la responsabilité des gouvernants est de donner à un peuple des raisons de
vivre.
Nous sommes à ce rendez-vous aujourd'hui, mais nous ne pouvons plus donner, on
devrait même dire redonner aux personnes des raisons de vivre, redonner à ceux
qui nous ont fait confiance, à ceux qui nous entourent, à ceux dont nous avons
le destin entre les mains, cette certitude que, ensemble, nous avons un chemin
à parcourir et cela ne se passe d'ailleurs, ce n'est pas un hasard évidemment,
cela se passe au cœur de crise planétaire.
La pandémie est une crise planétaire. Cela nous a montré, au contraire de ce
que beaucoup de personnes croyaient ou imaginaient, qu'il n'y a pas de
frontières pour le virus, comme il n'y a pas de frontières pour l'atmosphère et
que nous sommes coresponsables, où que nous vivions et où que nous soyons. C'est
pourquoi je n'aime pas ceux qui construisent des murs entre les peuples, non
pas seulement car je trouve que cela trahit notre idéal commun, mais car cela
ment sur la réalité. Il n'y a pas de frontières pour le virus. Il n'y a pas de
frontières pour le climat et notre devoir est d'exercer une coresponsabilité
sur ces sujets, qui sont des sujets planétaires et vitaux. Nous sommes
responsables chacun pour notre compte, mais, si nous nous arrêtons à notre
responsabilité, nous ne voyons rien du tout.
Je prends l'élément fondamental de la crise climatique : l'atmosphère de
la terre pèse - si je ne me trompe pas - 5 millions de milliards de tonnes
et la France relève de cette atmosphère planétaire pour 1 millième. Alors,
nous avons raison de nous battre pour l'émission de gaz à effet de serre chez
nous. Nous avons raison d'être fiers très probablement aujourd'hui le pays le
plus vertueux ou presque au monde pour les émissions de gaz à effet de serre,
en particulier, grâce au nucléaire. Nous avons raison d'en être fiers, mais
nous dont nous occuper des 999 autres millièmes en même temps. Nous devons nous
occuper de ce qu'il va se passer en Afrique. L'Afrique, c'est 100 fois plus
important pour l'atmosphère de la terre que ne l'est la France. Or, la transition
entre l'énergie actuelle produite en Afrique et l'énergie future qui va être
produite, si nous passons par le charbon, alors nos efforts ne servent à rien.
Si nous ne sommes pas capables de proposer, dans le concert des peuples de la
planète une stratégie commune pour - je vais simplifier - que ceux qui étaient
au charbon passent au gaz et que ceux qui étaient au gaz passent à du
renouvelable et à du non-émetteur de gaz à effet de serre, avec notre
responsabilité particulière pour la maîtrise des technologies de production
d'électricité sans émission de gaz à effet de serre. Ce n'est si nous ne sommes
pas capables de faire cela, alors nous passons à côté et nous mentons. Nous
nous laissons abuser, car le sujet majeur est le partage par les Chinois, par
les Indiens par l'Amérique du Sud, par l'Afrique, de cet objectif commun et
partagé. Nous avons très bien fait, dans les plans successifs, de fixer à
chaque peuple des obligations, mais je trouve que nous sommes insuffisants dans
la réflexion partagée et qu'à s'obséder, à juste titre, sur nos stratégies
nationales, nous passons à côté de la stratégie planétaire qui est la seule qui
peut nous permettre de corriger la trajectoire désastreuse qui nous conduit à
avoir des augmentations de température catastrophique.
Puis, il y a les crises internationales, il y a cette immense
interrogation : pendant longtemps, nous avons cru que la démocratie était
l'horizon partagé de tous les peuples de la terre. Nous avons cru que, bon an
mal an, chacun à sa place, nous l'avons cru lorsque le mur de Berlin est tombé,
chacun des peuples de la planète se retrouverait avec les mêmes règles
démocratiques que les nôtres. Ils pourraient choisir leurs dirigeants et leurs
modèles de société. Puis, aujourd'hui, cette question est absolument remise en
cause, cette question est devenue isolée. Nous sommes une île ou une péninsule
démocratique dans le monde et, lorsque l'on regarde ce qui se passe ailleurs,
alors nous sommes saisis de cette inquiétude : «Et si, peu à peu, nous
nous retrouvions seul les derniers défenseurs de cette démocratie sur la
planète?». En effet, ce qui se passe en Chine, tout le monde l'a sous les yeux,
ce qui se passe dans les crispations de l'Inde, tout le monde l'a sous les
yeux, ce qui se passe dans les grandes interrogations sur la croissance, la
croissance chinoise, en particulier, aura des répercussions directes chez nous
et l'idée que nous nous en remettons au peuple pour choisir le modèle de
société est une idée qui devient minoritaire sur la planète. Nous avons donc
une responsabilité particulière que bien d'autres n'ont pas ou que d'autres ont
éludée, qui nous place devant la question que nous devons traiter aujourd'hui
et cette question est, pour moi, très simple: «Dans le paysage politique
français et européen, quel est notre devoir à nous?».
Le paysage politique français, tout le monde le connaît, c'est un paysage en
explosion permanente sur tous les bancs, comme l'on dit à l'Assemblée
nationale. Tous les mouvements politiques français sont ou bien pris dans des
rivalités inexpiables qui sont, disons-le clairement, des rivalités de
personnes, ce qui prouve d'ailleurs qu'aucune ne s'impose vraiment, car, quand
quelqu'un s'impose vraiment, on se regroupe autour de lui. Les partis
politiques explosent. Tout à l'heure, on disait deux droites et deux gauches,
mais, aujourd'hui, il y a trois droites et trois gauches et les trois, en
effet, sont en crise interne.
Je ne sais pas si les sondages sont vrais, mais je me mets à la place de ceux
qui ont cru au Parti socialiste, une partie de leur existence et quand je vois
que la candidate qu'ils ont choisie se retrouve dans des zones d'intentions de
vote qui sont purement et simplement dérisoires, j'imagine ce que cela doit
représenter comme inquiétude, comme sentiment d'avoir échoué quelque chose de
tout à fait essentiel. Cela doit d'ailleurs nous servir de leçon.
Eh bien, le défi et l'enjeu sont, pour moi, très simples. Au moment où tous les
autres explosent, il faut que nous nous nous reconstruisions, que nous nous
rassemblions et qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur ce sujet, dans notre
identité, avec notre histoire et avec nos racines. Cela fait 20 ans que
l'on nous bassinait avec l'idée, que la droite et le centre, c'était la même
chose. Mes états de service, mon livret militaire prouveront à qui veut
l'entendre que je n'ai jamais accepté cette idée parce que je trouve qu'il n'y
a rien de plus stupide que la bipolarisation, rien de plus stupide que
d'imaginer que toutes les sensibilités doivent se raccrocher à l'une ou à
l'autre des deux tentatives de simplification et de domination, comme si l'on
voulait nous expliquer que le monde est définitivement en blanc ou en noir et
qu'il faut être blanc ou noir et que si vous n'acceptez pas d'être l'un ou
l'autre, vous êtes rayé de la carte. Très souvent, quand les journalistes me
disent : «bon, Monsieur Bayrou, vous êtes un homme du centre. OK, on
a compris, mais le centre, c'est plus près de la droite ou de la gauche?» Je
leur disais: «excusez-moi, mais je vais vous poser une question toute bête,
est-ce que vous connaissez les couleurs du drapeau français?». Les points
d'interrogation se lisaient dans les pupilles. Je leur disais: «dites-moi les
couleurs du drapeau français». Ils me disaient: «bleu-blanc rouge». Je disais: «et
le blanc, c'est plus près du bleu ou du rouge?!»
De cette semaine, hier, les masques, si j'ose dire, sont tombés définitivement,
les faux-semblants ont été effacés parce que nos amis rivaux, partenaires,
concurrents, je ne sais pas quel mot employer, dans le jeu démocratique
français de LR, ont répondu enfin une fois pour toutes à la question et ils ont
dit, parce que les mouvements qui s'intitulaient du centre encore, avaient
demandé à participer. Ils n'étaient pas nombreux, ils n'auraient pas changé le
cours des choses, mais ils ont demandé à participer au vote pour soutenir un
candidat à l'élection présidentielle et on leur a dit, j'allais dire poliment,
moyennement poliment, on leur a dit: allez-vous faire voir. Et un de leurs
responsables a fait un tweet en disant: «s'ils veulent participer, c'est très
facile, ils adhèrent à LR», et donc cette fiction que je déteste ‑ ouvrez les
guillemets – «de-la-Droite-et-du-Centre», avec des traits d'union entre chacun
des mots de la Droite et du Centre, cette fiction est, enfin, ruinée et nous
pouvons enfin affirmer que tout le monde est d'accord pour que nous soyons
nous-mêmes. Alors, je le dis d'autant plus que je ne fais pas cela ou que je ne
soutiens pas cette thèse pour soutenir notre identité, je n'ai aucune crainte
sur notre identité, je le fais pour soutenir la vraie nature de la démocratie
qui est le pluralisme.
Pour moi, on a parfaitement le droit d'être à droite. On a parfaitement le
droit d'être à gauche et, dans l'une des droites et dans l'une des gauches,
plus nationaliste d'un côté, plus, je ne sais pas, plus écologiste de l'autre,
y compris dans nos rangs. On a le droit d'être différent, d'être singulier,
d'être inédit, mais on n'a pas le droit de vouloir soumettre les uns à la
dictature des autres. Et donc, finalement, c'était une bonne nouvelle cette semaine,
cette clarification-là!
Nous, Modem, nous En Marche et nous tous ceux qui se reconnaîtront dans cette
démarche centrale, tous ceux qui comprendront que nous construisons le pilier
central de la démocratie française, tous ceux qui comprendront qu'un bateau a
besoin de mat et de quille, et c'est comme cela qu'il avance et que c'est cela
que nous construisons, tous ceux qui se retrouveront dans ce projet, alors ils
ont le devoir, aux yeux des Français, de sortir des nuances excessives, de
l'esprit de chapelle qui est dans la nature même des organisations politiques.
Je sais très bien que l'on tient à sa communauté de conviction, à ses
communautés d'amitié, en latin, on disait: «affectio societatis» - le goût
d'être ensemble. C'est précieux, c'est amical, regardez, c'est chaleureux,
affectueux, mais on a l'obligation d'entrer dans une logique de dépassement et
de vie en commun, de travail en commun, de projets à partager. Et on a
l'obligation de simplifier cette affiliation aux yeux des Français. Il faut
qu'il y ait une identité commune et simple pour que les personnes la
comprennent. Il faut qu'il y ait… Allez… un nom qui nous réunit tous. On verra
ce que l'on partage. Et après, chacun se situera où il préfère. Il y aura des
débats d'idées à l'intérieur de cette nouvelle entité, mais je voudrais appeler
votre attention sur ce sujet parce qu'il est à mon sens très important, je
voudrais formuler quelques exigences.
La première exigence, c'est que l'on ne transforme plus les débats d'idées en
combat pour le pouvoir, à l'intérieur de cette entité commune. J'ai beaucoup
observé les constructions du même ordre. De quoi le parti socialiste est-il
mort? C'était une formidable entreprise, le parti d'Epinay et la conquête du pouvoir
et les grandes figurent: François Mitterrand, Jacques Delors, Michel Rocard,
formidable entreprise, mais ils avaient dès le premier moment, introduit le
virus dans le système et le virus, c'était que les motions qui étaient censées
traduire des sensibilités, en réalité, c'étaient des entreprises de prise du
pouvoir en interne. Moi, je propose que nous ayons comme règle de séparer les
débats d'idées et les combats de pouvoirs, que cela ne soit plus une confusion
entre l'un et l'autre. On a le droit, le devoir d'avoir des sensibilités
différentes, mais ce n'est pas la prise du pouvoir qui est en jeu. C'est la
première condition.
La deuxième condition que je souhaite, c'est que les Français puissent adhérer
directement à ce nouveau mouvement sans passer, par l'une ou par l'autre, des
chapelles. Après auprès d'eux, chacun pourra défendre sa sensibilité, mais on
ne peut pas leur demander d'entrer dans le labyrinthe de nos histoires
conjuguées, confluentes et amicales. Il faut que l'on puisse adhérer à un vaste
ensemble. Je sais très bien pourquoi les Français n'adhèrent plus aux partis
politiques. Ils n'adhèrent plus aux partis politiques pour deux raisons
principales par la première c'est qu'ils ne veulent pas être inféodés. Ils ne
veulent pas que l'on prenne le contrôle de leur volonté, de peu ou de beaucoup.
Ils veulent conserver leur liberté, ils ont l'impression que, parfois, souvent,
quand ils adhèrent à un parti politique, ils perdent une partie de leur
liberté. Nous, nous voulons les rencontrer, les travailler avec eux sans
confisquer leur liberté une seule seconde. C'est le premier point et le
deuxième point, ils ne veulent pas de guerres de chapelle. Ils en ont marre que
l'on passe leur temps, sous couvert de grandes idées, à défendre des intérêts et
des intérêts personnels souvent, c'est du TPMG: «tout pour ma gouverne», si
j'ose dire! C'est ce qu'ils ne veulent pas et ce qu'ils ne veulent plus.
Alors je propose qu'on leur fournisse le chemin pour échapper à ces deux
fatalités-là. Et donc ce rassemblement de ce grand courant de la démocratie
française, il est, pour moi, vital. Comment le définir? Je n'utilise jamais le
mot de centriste. Je le respecte. Je respecte et j'aime bien, mais, d'abord, ce
n'est pas un joli mot parce qu'il rime avec un adjectif qui ne correspond
absolument pas à notre nature profonde. Nous, on est plutôt joyeux et gais.
Vous me suivez?! J'ai eu l'impression d'un grand moment de solitude! Et donc,
je trouve le mot pas très joli et surtout c'est une définition géographique alors
que notre définition à nous, elle est plus vitale, elle fait appel à la sève,
de l'engagement politique.
C'est pourquoi ce que j'aime, j'aime deux choses, j'aime deux idées, la
première idée que j'aime, c'est une idée incroyable, en fait, perpétuellement à
contre-courant, perpétuellement rebelle, c'est l'idée de démocratie qui veut
dire que les sujets, les femmes et les hommes qui composent une société
deviennent des citoyens. J'aimais bien, en Pologne, l'idée initiale de la
plateforme civique qui avait quelque chose là-dedans qui faisait que chacun
était invité à se hisser au niveau de citoyen, c'est-à-dire au niveau de
responsables, quelle que soit sa situation, quelle que soit sa situation
matérielle, sa situation culturelle et sociale, il devient, il se sent, il se
comporte comme personnellement responsable du destin commun de la communauté à
laquelle il appartient.
La démocratie, c'est cela, on avait cela ce matin affiché sur le drapeau, c'était
le mot de Marc Sangnier: l'organisation sociale qui porte à son plus haut,
la conscience et la responsabilité des citoyens».
La conscience, formation, information, et la responsabilité des citoyens et,
là, nous avons un idéal donc j'aime le mot «démocratie» et j'aime le mot «république».
J'aime le mot «république», parce que la République c'est un idéal, un projet
qui est que chacun a droit à être conduit par la liberté, par l'égalité, jusqu'à
la fraternité et vous voyez: «liberté, égalité fraternité», en réalité, c'est
un escalier, c'est une échelle de Jacob parce que la fraternité, ce n'est pas
naturel parmi les êtres humains. La fraternité, chez les êtres humains, c'est
plus souvent la loi de la jungle, la loi du plus fort, ceux qui veulent imposer
leur loi aux autres ou qui acceptent de subir la loi des autres, mais la
fraternité, cela permet de dépasser tout cela, et je trouve donc que les mots
de «démocratie», les mots de «république» sont complémentaires et si je pouvais
dire, je dirai que la démocratie est sœur de la République ou la République est
sœur de la démocratie. Là, nous avons une définition en interne de la sève, de
ce que nous portons.
Après, tout cela repose sur une philosophie et il faut des mots simples, en
tout cas dont la signification n'échappe à personne pour incarner ce que nous
sommes. Nous avons une philosophie commune, cette philosophie, c'est
l'humanisme. Quand on sait cela, quand on adhère à cette idée qu'Érasme a dit
une fois pour toutes, il y a bien des siècles, il a dit: «on ne naît pas homme,
on le devient». Simone de Beauvoir, après a repris: on ne naît pas femme, on le
devient.
Cela veut dire que la pleine conscience de sa responsabilité comme frères
humains, l'éducation du socle qui va faire que vous pouvez comprendre le monde
dans lequel vous êtes et que vous pouvez comprendre l'autre, dans sa
différence, dans ses difficultés, dans sa singularité et non pas le rejeter et
le bannir perpétuellement, mais partager quelque chose avec lui, être engagé
dans une compréhension mutuelle, cela, c'est la vraie laïcité. La laïcité n'est
pas une exclusion, à mes yeux. La laïcité, c'est une compréhension. C'est
l'affirmation que la différence est acceptée et que l'on peut travailler à
construire un destin commun même si on n'est pas les mêmes. C'est pourquoi je
suis, comme beaucoup d'entre vous, très choqué de ce que l'on entend, ce ne
sont pas des idées, mais des obsessions qui sont, ces temps-ci, portées dans le
débat politique français, notamment l'obsession sur l'identité et sur les
prénoms. Cela n'a l'air de rien, cela a l'air d'un gag. Ce n'est pas un gag.
C'est quelque chose de profond.
Il y a quelqu'un qui a fait cela au 20e siècle, c'est le maréchal Mobutu.
Mobutu, toujours dans le pays qu'il avait nommé à l'époque le Zaïre, a pris une
loi pour interdire les prénoms qui n'étaient pas des prénoms africains. Vous
savez, au Zaïre, à cette époque, il y avait plus de 60 % de la population
qui était chrétienne, catholique et donc il y avait des prénoms comme cela.
Mobutu lui-même, son prénom, c’était Joseph ! Avant de se faire appeler
Mobutu Sese Seko. C'était Joseph et il a fait une grande déclaration pour dire:
«il n'est pas possible qu'un Africain porte un prénom juif» et a pris une loi
pour interdire ces prénoms et il a dit: «ce n'est pas possible qu'une femme
africaine s'appelle Chantal où Marie». Les vidéos existent. Eh bien, je n'ai
pas envie que la loi de Mobutu devienne, d'une manière ou d'une autre, une loi
ou une proposition pour la France.
Vous vous rendez compte, je pense beaucoup aux soldats ces jours-ci avec la
mort de ce jeune sous-officier qui était héroïque - je crois qu'on peut le dire
- et qui est tombé dans une embuscade, [il y a] nombre de soldats que nous
avons dans les rangs de notre armée qui portent des prénoms aussi divers que
leurs origines le sont, que leurs cultures le sont, que la religion de leurs
parents l'est. Et on va dire qu'ils ne sont pas français? On va les obliger à
changer de prénom? Mais dans quel monde veut-on nous faire vivre?
Alors, il y a des paris derrière tout cela, des paris et des programmes, car le
pari, c'est qu'avec ces idées-là, qui sont des idées je sais exigeantes, qui ne
viennent pas naturellement, je répète, ce qui vient naturellement, c'est la
détestation du voisin: Qui c'est celui-là? D'où vient-il? Et celle-là, elle
n'est pas de chez nous. Croyez-moi, on a vécu cela dans les villages des
Pyrénées. Je connais, dans les générations plus anciennes des gens qui étaient
du village voisin que l’on n'a jamais considéré comme étant des autochtones. il
y avait 800 mètres entre les villages. Et donc, j'aime cette idée que l'on va
s'entraîner les uns les autres à comprendre mieux le voisin, pas à abandonner
ce que nous sommes, à abandonner ni notre identité, ni nos manières de vivre,
ni les principes qui sont les nôtres, et à être absolument clairs sur ce sujet.
J'étais très heureux ces jours-ci alors je vous confie un de ces bonheurs, il y
a un très grand sociologue qui s'appelle Éric Morin qui vient d'éditer un livre
qui s'appelle : Trois leçons sur l'école républicaine. Il a conduit une
enquête de sociologue sur la décision que j'ai prise en 1994 ou 1995
d'interdire le voile à l'école et il dit, pardon de le citer: «ne vous trompez
pas, ce n'est pas la loi que l'on a votée en 2004 qui a changé les choses,
c’est la circulaire que François Bayrou avait faite». En une seule année, je
dis bien une seule année, le résultat des filles d'origine des quartiers au
baccalauréat a bondi de moins de 50 % à plus de 65 % ; pas les
garçons, ils sont restés au même score, mais les filles, je ne sais pas si vous
vous représentez ce que cela veut dire de passer de moins de la moitié à plus
des deux-tiers de résultat au baccalauréat en une seule année. Et il explique
cela par le sentiment de libération qu'elles ont ressenti, car, simplement un
gouvernement avait eu, je ne sais pas s'il faut dire le courage, en tout cas
avait choisi d'imposer quelque chose qui était émancipateur, une règle
émancipatrice.
Et je voudrais finir sur une idée (…) qui est en même temps une volonté pour
l'avenir et l'énoncé d'un impératif pour nous. Nous vivons dans un débat
politique dans lequel on chante les louanges de la radicalité, des radicalités
et on a des radicalités opposées les unes aux autres qui se démolissent le portrait
allègrement et on applaudit. Eh bien, moi, je pense qu'il y a, dans la
radicalité, sans qu'il n’y ait jamais eu aucune exception historique, je ne
connais pas de radicalité qui n'ait mal fini. Partout dans le monde, c'est ce
type révolution qui vise à quelque chose de simple, c'est imposer aux autres la
loi que l'on estime nécessaire. Ce qui, pour moi, est le contraire de l'idéal
démocratique. L'idéal démocratique, ce n'est pas d'imposer aux autres sa loi, c'est
de permettre que les convictions vivent ensemble, selon des règles harmonieuses
et qui répondent aux impératifs de chacun. Les radicalités, on sait comment
cela finit, dans quel massacre Mobutu, une fois qu'il a eu fait cela, un jour,
il a pendu 500 personnes, dont les convictions religieuses ne lui plaisaient
pas, sur la place publique et je ne veux pas parler des autres révolutions et
des massacres qu'elles ont entraînés.
Je pense que l'on a le devoir de défendre devant nos concitoyens une idée
simple. L'avenir ne doit pas être aux radicalités affrontées les unes aux
autres, l'avenir doit être à l'équilibre, aux équilibres que nous avons à
construire. Un gouvernant, c'est quelqu'un qui recherche l'équilibre de la
société, de la communauté à laquelle il appartient.
Et, quand on va vivre les mois qui viennent avec les campagnes électorales
successives, mais d'abord la campagne électorale présidentielle, alors j'invite
à ce que l'on garde ce critère de réflexion qui nous invite à des radicalités
qui, un jour, finiront en affrontements inexpiables, qui nous invite au
contraire à nous rassembler, qui nous invite à dépasser les préférences de
l'instant pour construire un pays commun, une communauté de citoyens et une
communauté nationale. Et je veux le dire simplement, quand je regarde
aujourd'hui la situation de la France, je vois un Président de la République -
je ne me suis pas toujours entendu avec les Présidents de la République
successifs, on ne peut pas me faire des procès de complaisance réitérés - qui est
à hauteur de l'Histoire et je témoigne, et tous ceux qui ont l'occasion de le
rencontrer peuvent en attester avec moi, que non seulement il est à la hauteur
de l’Histoire, mais il est vraiment et en réalité à hauteur de femmes et
d'hommes, d'enfants et d'adultes et de personnes plus âgées. Il y a en lui
quelque chose d'une empathie qui ne s'est pas révélé jusqu'à maintenant, trop
souvent parce que cela ne passe pas l'écran de télévision, mais nous nous le
savons bien. Il y a quelque chose de fraternel dans le regard qu'il porte sur
ceux qui lui parlent. Je trouve que d'avoir un Président de la République à
hauteur d’homme et un Président de la République à hauteur de l'histoire, cela
vaut la peine de s'engager et de s'engager pour ce combat-là, pas pour des
combats d'ego, mais pour quelque chose qui va préparer pour notre pays le seul
avenir possible. C'est un avenir courageux et fraternel
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