Il fut un temps où les affects, souvent source de préjugés, ne faisaient pas partie du projet démocratique républicain mais où la raison était vue comme la base nécessaire d’un régime de liberté et d’égalité.
Non pas que les affects devaient être bannis d’une société démocratique et même de la gouvernance de celle-ci mais elles ne devaient pas interférer avec des principes qui voulaient assoir ce nouvel ordre qui devait être celui, sinon de la vérité, celui de la réalité et non construit de chimères et de croyances venues d’idéologies dangereuses et de personnages louches qui pouvaient tromper certains, incapables de discerner les mensonges et les invraisemblances qu’on leur servait.
Car si nous sommes à nouveau à une époque où le populisme et l’extrémisme démagogiques se propagent au sein d’une partie de la population avec les mêmes recettes éculées, ils ont évidemment toujours existé depuis la Grèce antique.
Mais le projet démocratique partait du principe que l’éducation (la capacité à raisonner n’est pas acquise spontanément mais doit être apprise) et les lois (qui découlent aussi de l’expérience parce que la réalité ,n’est pas statique et figée) permettraient de faire un sort à ces passions qui exaltent inconsidérément, qui divisent, créent des troubles, propagent la haine et la violence.
Voilà à quoi était missionnée la Raison avec un grand R.
Sans entrer dans une discussion philosophique où le mot «raison» est utilisé dans bien des sens différents et fait l’objet de nombreuses controverses, je dirai que le terme raison utilisé ici est, chez l’individu et comme la définit le CNRTL (Centre national des ressources textuelles et lexicales du CNRS), la «faculté de bien juger, de discerner le vrai du faux, le bien du mal; ensemble des qualités de celui ou de celle qui sait se rendre maître de ses impulsions, de son imagination, notamment dans son comportement, dans ses actes».
Mais, plus généralement, la Raison est un «principe universel» qui est la «source de toute connaissance véritable, juste».
Dès lors, on comprend que les Lumières aient fait de la raison une priorité qui doit guider tout ceux qui aspirent à gouverner des humains et plus particulièrement dans le cadre de la démocratie républicaine du XXI° siècle qui nous intéresse plus particulièrement.
Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de prôner l’établissement d’un gouvernement d’experts seuls capables selon certains de mettre en œuvre une politique dominée par la raison (ce qui par ailleurs est faux) ou que l’on doive systématiquement évacuer les affects de la gouvernance d’un pays comme, par exemple, l’empathie, la compassion et la fraternité – si importantes et si essentielles pour une société démocratique – voire que la raison impose des règles qui évacuent le débat politique lui-même en empêchant la diversité et le pluralisme, en niant qu’il y ait différents choix possibles et que ceux-ci doivent être tranchés par les citoyens et, dans un régime représentatif, par l’élection de leurs représentants.
Cependant, cela implique clairement que la démocratie nécessite des citoyens éclairés pour fonctionner au mieux et que la démocratie républicaine n’est pas une option mais bien le seul régime légitime, celui qui s’appuie sur la raison et qui protège la liberté de chaque citoyen dans l’égalité politique.
La raison n’est pas non plus un maoyen de tourner le dos aux valeurs humanistes mais bien de leur établir un socle solide et indiscutable qui leur permet de rayonner.
De même, elle n’est pas contradictoire avec le juste équilibre mais bien sa source parce qu’elle démontre qu’il est bien le principe premier d’une gouvernance harmonieuse et équitable.
Enfin, on parle de raison démocratique et républicaine, non de raison d’Etat, celle qui permet, au nom de la prééminence de celui-ci de tourner le dos souvent aux valeurs, principes et règles de la démocratie républicaine.
Si, parfois, pour des motifs évidents, la raison d’Etat peut être invoquée, voire qu’elle permet de sauver la démocratie républicaine, elle n’est qu’une situation exceptionnelle à l’opposé du fonctionnement normal de l’Etat de droit.
Quand la souveraineté et le règne de la raison disparaissent ou sont ébranlés comme c’est le cas actuellement, c’est que poussent ces mauvaises herbes, ces parasites qui s’attaquent insidieusement d’abord, puis frontalement à la démocratie républicaine qui ne peut exister dans les faits que si elle n’est pas gangrénée par ceux-ci qui instillent petit à petit, parce que qu’on appelle aujourd’hui – mais qui ont toujours existé – les fake news, les faits alternatifs, l’élucubrationisme (complotiste), la négation de la réalité et de la science, c’est-à-dire un monde fantasmagorique qui tente de s’imposer face au monde réel qui, lui, est défini par la raison.
A force d’avoir voulu introduire trop d’affect dans les corpus démocratique et républicain avec une prééminence donnée trop souvent à l’émotion et au sentiment, on a affaibli le régime de la démocratie républicaine qui a besoin de s’appuyer sur le réel pour fonctionner.
(Re)trouver la raison est devenu aujourd’hui, un impératif pour, non seulement, préserver les acquis de la démocratie républicaine mais pour la faire fonctionner du mieux possible.
Sans cette raison, c’est bien le déraisonnable et l’irrationnel qui prend le dessus et s’attache à déstructurer puis détruire tout l’édifice démocratique et républicain.
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