Quand Bayrou défie Macron |
François Bayrou a envoyé ce 4 février une lettre officielle à Emmanuel Macron pour lui demander de tenir sa promesse de campagne en instaurant une dose de proportionnelle pour les élections législatives de 2022, lui enjoignant «de prendre en compte la nécessité et l’urgence d’une loi électorale juste» et affirmant, contre toute évidence, que le scrutin majoritaire serait la raison de «la désaffection des citoyens pour les consultations électorales et plus largement pour les institutions démocratiques».
Une lettre qu’il a publiée ostensiblement alors qu’il explique à chacune de ses interventions médiatiques qu’il n’est pas celui qui va révéler ses discussions avec le chef de l’Etat…
Mais c’est bien d’une pression politique qu’il faut parler en l’espèce et d’un courrier civil mais au ton comminatoire.
Et la proportionnelle est tellement essentielle aux yeux du patron du MoDem qu’il a embarqué dans cette opération politico-médiatique l’extrême-droite avec le RN, l’extrême-gauche avec LFI, les écologistes dogmatiques avec EELV et un de ses opposants les plus agressifs de la galaxie centriste, Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI.
Que des critiques de la majorité présidentielle et, à l’inverse, aucun de ses partenaires dans celle-ci…
Pourquoi tant d’énergie dépensée pour un combat qui semble perdu d’avance, le gouvernement ainsi que LaREM mais aussi le PS et LR n’étant pas favorables à une réforme, surtout à un an des élections générales?
Il faut dire que la proportionnelle est vitale pour l’avenir du Mouvement démocrate et ce pour deux raisons circonstancielles.
La première est que pour réellement exister de manière autonome et ne plus dépendre du bon vouloir d’En marche, le MoDem a besoin de la proportionnelle qui lui permettrait d’avoir des députés «indépendants» c’est-à-dire élus sans le soutien du parti présidentiel, ce qui n’a absolument pas été le cas en 2017 où tous ceux qui portaient les couleurs du parti centriste doivent leur présence au Palais Bourbon au bon vouloir et aux largesses de Macron.
La deuxième est que si la majorité présidentielle est balayée lors des prochaines élections générales, le seul moyen pour le MoDem d’éviter autant que faire se peut d’être emporté par cette vague anti-Macron et d’éviter de se sauver d’une défaite désastreuse, est la possibilité d’avoir des candidats qui pourront se démarquer du bilan du président de la république et de son gouvernement lors de la campagne électorale et auront des chances d’être élus grâce à la dose de proportionnelle qui sera instituée.
On pourrait ajouter une troisième raison qui a été une sorte de ligne directrice plus ou moins cachée ces quatre dernières années et que l’on pourrait résumer par la formule «lui c’est lui, moi c’est moi» avec cette constante revendication de la part de Bayrou de montrer son indépendance face à Macron, son existence politique autonome, que ce soit pour ne pas être un parmi tant d’autres et pour des ambitions qu’il n’a jamais cessé d’avoir pour des postes plus prestigieux que celui de Haut-commissaire au plan (un autre cadeau de Macron!).
On le voit, le constat est loin d’être aussi désintéressé que de revitaliser l’idéal démocratique et d’une volonté uniquement venue de la mise en place d’un meilleur fonctionnement de la démocratie.
Le pire dans le courrier de Bayrou c’est qu’il fait référence à l’introduction de la proportionnelle par François Mitterrand en 1985, soit un an avant les législatives et qu’il prend cette mesure comme référence pour qu’une similaire soit votée cette année.
Or, tout le monde sait que la décision du président socialiste était une basse manœuvre politicienne qui avait deux buts, éviter une défaite catastrophique pour le PS et mettre dans les jambes de la Droite, un nombre conséquent d’élus d’extrême-droite.
On a connu de meilleurs exemples pour faire avancer sa cause!
Néanmoins, il ne faut pas en conclure que François Bayrou et les centristes en général ne sont pour la proportionnelle que par circonstance et intérêt.
Il y a également ce dessein de rendre la démocratie plus juste ce que la proportionnelle permet en permettant à toutes les forces (tout au moins à celles qui dépassent un certain seuil) d’être représentées au Parlement, donc à tous les citoyens d’avoir des élus qui peuvent parler pour eux.
Pour autant, la proportionnelle n’est pas non plus la panacée qui permettrait de faire mieux fonctionner la démocratie.
On comprend bien que dans un paysage politique fractionné comme c’est par exemple le cas en France, des petites formations ou des formations n’ayant pas été choisies par la majorité des Français pour gouverner, pourraient, si ce n’est imposer leurs vues ou se retrouver au pouvoir, bloquer à tout le moins les rouages de la démocratie républicaine.
De même, si l’on veut réellement mettre de la démocratie dans les institutions de la V° République, ce n’est pas en mettant au pouvoir une personnalité qui lors d’une élection au suffrage universelle n’obtient qu’un peu plus de 50% des voix voire même plus de 60% -- ce que ne remet pas en cause le chef du MoDem – mais bien dans une sorte de gouvernement collectif comme c’est le cas en Suisse, par exemple ou sous le Directoire lors de la Révolution française.
Il ne semble pas que le consensus sur la démocratie républicaine en ce premier quart de XXI° siècle permette à un tel gouvernement d’exister et, surtout, de fonctionner.
D’autant qu’en France, lorsqu’il fut mis en place, il déboucha sur le sacre d’un empereur!
Dès lors, quand Bayrou affirme que le risque d’ingouvernabilité de la France sera inexistant parce que c’est le président de la république qui nomme le premier ministre, soit il nous dit que la proportionnelle ne sert qu’à une sorte d’affichage démocratique sans contenu, soit que les partis «de gouvernement» s’allieraient pour faire échec à un parti extrémiste comme en Italie ou obtenir une majorité comme en Allemagne, deux dévoiements du vote des électeurs, soit que le Parlement qu’il prétend revigorer avec la proportionnelle n’a de toute façon plus aucun pouvoir…
De plus, la proportionnelle ne peut fonctionner correctement que s’il y a un soutien des forces politiques pour un régime démocratique, ce que l’on ne retrouve pas dans les prises de position des extrêmes et des populistes.
De ce point de vue l’affirmation de Bayrou que la proportionnelle donnera à la «vie publique davantage d’ouverture et de possibilités de rassemblement» est une vue de l’esprit ou, au mieux, le souhait d’un doux rêveur.
Toujours est-il qu’une démocratie républicaine plus proche des citoyens est certainement nécessaire, sans doute plus dans l’implication de ceux-ci, donc de leur responsabilité assumée mais aussi juridique, dans les décisions politiques plutôt que dans une proportionnelle où les jeux politiciens risquent de prendre le pas sur la recherche de la meilleure gouvernance possible.
A tout le moins, si proportionnelle il devrait y avoir, faisons en sorte qu’elle soit limitée et ne puisse déstabiliser les institutions et les empêcher de fonctionner.
Parce qu’alors, le remède serait pire que la maladie en ces temps de populisme démagogique et d’attaques radicales contre la démocratie républicaine que ce soit dans la possibilité des ennemis de celles-ci de la bloquer ou dans celle de leur permettre de démontrer son incapacité à fonctionner dans les manœuvres politiciennes que la proportionnelle ne manquera pas de mettre en avant dans un pays où le consensus et le compromis sont vus comme des scélératesses et non comme une vision apaisée d’une manière de diriger un pays.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC
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