François Bayrou & Emmanuel Macron |
Proportionnelle, climat, convention citoyenne, reconfinement, sur de nombreuses questions François Bayrou s’est montré critique voire opposé aux positions du président de la république et de son gouvernement lors d’entretiens dans les colonnes du Figaro et au micro de France Inter (à lire ci-dessous celui du Figaro).
Concernant la proportionnelle, c’est une véritable pression que le haut-commissaire au plan et président du MoDem veut mettre sur Emmanuel Macron pour qu’une loi sur son introduction soit votée avant les prochaines législatives de 2017.
Parlant de déni de démocratie, de promesse électorale non-tenue, de parti «des marches arrière» pour qualifier LaREM sur cette question, Bayrou demande que l’Assemblée nationale soit consultée au plus vite et, si ce n’est pas possible, d’organiser un référendum.
Il prône même l’abandon d’une possible consultation populaire par ce biais sur le climat estimant que la question de la proportionnelle est plus urgente (selon lui la question du climat est déjà traitée dans la Constitution).
En passant, il écorne encore une fois la mise en place de conventions citoyennes et autres assemblées du même type qui ne sont, selon lui, aucunement démocratique et à qui l’on donne le pouvoir de prendre des décisions ou d’y participer alors que ceux qui les composent n’ont aucune représentativité.
Pour obtenir gain de cause, il va notamment adresser une lettre au président de la république cosignée par tous les responsables politiques qui soutiennent la proportionnelle.
Quand à un possible reconfinement du pays qui serait prévu pour début février afin de stopper la progression de la covide19, il veut que tout soit fait pour l’éviter sachant que le gouvernement prépare le pays à cette éventualité tout en se disant en accord avec ses efforts pour ne pas le mettre en place.
Pour ceux qui pensaient, voire qui espéraient, que la nomination de François Bayrou à la tête du Commissariat au plan, ferait en sorte de brider sa parole politique, en tout cas ses critiques à périodes répétées de l’exécutif et de la majorité présidentielle à laquelle pourtant il appartient, en seront pour leurs frais.
► Entretien de François Bayrou au Figaro
- Vous avez toujours défendu
l’instauration de la proportionnelle. Il semble que l’exécutif ne soit plus
aussi déterminé à l’imposer. Comment réagissez-vous?
Ma certitude, c’est que la France doit changer sa manière de gouverner.
Aujourd’hui, l’apparence du pouvoir, c’est l’hyperpuissance, tous les pouvoirs
entre les mains du président et de la majorité. En réalité, c’est le contraire:
tous les jours, on découvre des blocages nouveaux. C’est vrai pour cette
majorité, c’était vrai pour les majorités précédentes. Car il y a une réalité
qui s’impose: on ne peut pas gouverner un pays moderne par le passage en force.
Il faut construire une adhésion. Et notre fantasme national d’un homme seul
avec sa majorité hégémonique, nous vérifions sans cesse que c’est un leurre.
Tous les grands sujets de réforme se heurtent au mur de l’opinion. Le mouvement
contre les retraites, les «gilets jaunes», tout cela ce sont les symptômes
d’une impasse. Le Parlement est contesté parce que sa composition est trop
éloignée de la réalité du pays. Il faut donc l’élire différemment en prenant en
compte tous les courants, même ceux que nous n’aimons pas.
- Plusieurs voix de la majorité jugent
que le temps manque pour faire cette réforme. Est-elle encore possible?
Je ne suis pas du côté de l’abandon. Le modèle avec lequel on vit depuis des
décennies, c’est l’hégémonie d’un seul parti. Est-ce que ça marche? On voit
bien que non. Ce n’est pas un hasard si les deux derniers présidents de la
République ont été élus avec l’engagement solennel de changer le mode de scrutin.
Je pense qu’il y a là une question démocratique fondamentale. On a vu, ces
dernières années, des scores majeurs, par millions de suffrages, à l’élection
présidentielle, se solder par 1 % des sièges à l’Assemblée!… Comment les
citoyens accorderaient-ils du crédit à une Assemblée où une majorité d’entre
eux n’est pas représentée? D’autant plus qu’en même temps on passe son temps à
inventer des acrobaties démocratiques avec des comités tirés au sort dont on ne
connaît pas les membres, ni leurs idées, dont on ne sait pas comment ils sont
choisis, et à qui on feint d’accorder autant de crédit qu’à une Assemblée
parlementaire élue sur des visages et des projets. Ça n’a aucun sens! C’est une
atteinte profonde à la légitimité de la démocratie représentative. Il est temps
de reprendre ce débat.
- Que suggérez-vous?
C’est toujours pareil. Je connais bien, sous les quinquennats successifs, le
parti des marches arrière. Si la volonté existe, on a le temps de procéder par
la voie parlementaire. Mais s’il y a des doutes, des interrogations, il est une
chose facile à faire. C’est de demander aux Français ce qu’ils en pensent par
référendum. Il y a eu engagement. Il faut tenir cet engagement. Je vais donc
proposer à tous les responsables politiques intéressés, sans exception, de
cosigner une lettre au président de la République pour défendre ce changement.
- Le président du Sénat a rappelé son
opposition à la proportionnelle…
C’est cocasse! Ai-je besoin de rappeler à Gérard Larcher que les trois quarts
des sénateurs sont élus à la proportionnelle?
- S’il devait n’y avoir qu’un référendum
d’ici à la fin du quinquennat, ce devrait être celui-ci plutôt que sur le
climat?
Le principe de l’obligation de défendre le climat est déjà dans la
Constitution, par la charte de l’environnement constitutionnalisée en 2005.
- Plus que la dose initialement évoquée,
vous soutenez une proportionnelle intégrale?
Une dose, c’était techniquement possible si on s’en était saisi dès le début du
quinquennat, mais aujourd’hui cela impliquerait un redécoupage, qui
apparaîtrait comme magouillage. Je soutiens donc la loi électorale simple,
juste, proportionnelle, départementale pour garder un enracinement sur
l’ensemble du territoire, avec un seuil à 5 %. Comme quasiment tous les pays
européens.
- Christophe Castaner ne veut pas «faire entrer 100 députés RN au
Parlement». Partagez-vous ses craintes?
Pour moi, c’est un déséquilibre du raisonnement. Il n’y a pas de députés, s’il
n’y a pas d’électeurs! Et ce sont les électeurs que nous avons le devoir
constitutionnel de représenter justement. Qu’ils soient d’extrême droite,
d’extrême gauche, du centre ou des écologistes. J’ai affronté le Front national
toute ma vie sur tous les grands sujets. Mais Marine Le Pen, par la carence de
ses concurrents, était au deuxième tour de l’élection présidentielle. Qui peut
avoir le front de dire que ses 10,5 millions d’électeurs doivent être rayés
d’un trait de plume?
- La France est à l’aube d’un
reconfinement. Faut-il en passer par cette solution?
J’approuve tout ce que le président de la République et le gouvernement font
pour éviter le reconfinement. Mettre le pays sous cloche, c’est un grand
risque. Pour la vie sociale, pour les jeunes, les familles, aussi bien que pour
l’économie, le reconfinement, c’est une épreuve. Mais les autorités sanitaires
ont une légitimité que je respecte.
- Faut-il un reconfinement strict avec
la fermeture des écoles? Ou un confinement plus souple à l’image de celui de
l’automne?
Maintenir les écoles ouvertes, autant qu’on le pourra, c’est maintenir la
société en vie! Cela signifie que les parents peuvent continuer à envisager une
vie sociale et professionnelle. Mais je me fais beaucoup de souci pour les
jeunes et les étudiants. Au moment de la vie où la rencontre avec d’autres
jeunes et les enseignants est si importante, je vois avec inquiétude les
conséquences d’un tel isolement. Pour moi, l’idée d’aller aussi vite que
possible vers une réouverture des universités est primordiale.
- Un plan spécifique pour la jeunesse
est-il nécessaire?
Dans ce drame, beaucoup de gens souffrent : les personnes âgées en Ehpad,
les jeunes, les élèves dans des milieux défavorisés. Mais la solitude à cet âge
clé, entre 18 et 25 ans, est un terrible handicap pour la formation de la
personnalité. Un certain nombre d’entre eux sont perdus, très souvent dans
l’incompréhension. J’ai pour eux émotion et inquiétude.
- Et le report des élections régionales
et départementales?
La question se pose de reporter les élections régionales et départementales
pour des raisons sanitaires. On aura le rapport au mois d’avril. Mais ce qui me
choque, c’est qu’il y a quelques semaines, on a splendidement écarté les deux
réponses indiscutables à une telle situation d’épidémie, le vote par
correspondance et par internet. Alors même qu’aux États-Unis 100 millions de
personnes ont voté par correspondance!… Et qu’en Allemagne et en Suisse cette
possibilité permet à des scrutins de se tenir malgré l’épidémie. Le refus de
toute novation, dans le monde politique français, est un symptôme des névroses
dans lesquelles nous nous enfermons.
- Est-ce que la France a les moyens d’un
troisième confinement? À titre d’exemple, l’Espagne affirme ne pas pouvoir se
le permettre.
La France a été, parmi les pays du monde, le plus solidaire et le plus généreux
à l’endroit de tous ceux qui souffrent de la crise, entreprises, commerces,
travailleurs, familles. Nous avons emprunté aux conditions incroyables permises
par la BCE et les autres grandes banques centrales. Je vais dans les jours qui
viennent faire une communication sur cette dette dans le cadre du
Haut-Commissariat au Plan. Car la dette Covid n’est pas une dette comme les
autres. C’est une dette dans laquelle nous n’avons aucune responsabilité, que
nous subissons, un peu comme une dette de guerre. Elle doit être traitée
différemment. Mais ce n’est pas la seule question. Nous devons faire
simultanément deux choses: sauver le pays, freiner la contagion et en même
temps penser ce qui sera le sujet dominant de la décennie: la reconquête de la
production française dans l’industrie, l’énergie et l’agriculture. La pénurie
de médicaments vitaux que nous avons connue l’an dernier nous dicte une
obligation morale et économique.
- Que répondez-vous à ceux qui estiment
qu’il ne faut pas rembourser la dette?
Si l’on se risquait à soutenir un tel choix, les conséquences seraient très
dangereuses. Les grandes banques centrales, en choisissant d’alimenter coûte
que coûte les économies du monde, nous ouvrent une chance historique. Car si
nous n’avions pas cette capacité à emprunter, tous les discours sur la relance,
les investissements et la reconquête n’auraient aucun sens. Mais ces emprunts
doivent être pris au sérieux, sinon cette chance s’évaporera.
- Votre campagne en 2012 avait déjà pour
thème principal «Produire en France». En une décennie, rien n’a donc changé?
On ne peut qu’être frappé par l’effondrement de l’industrie française. Qui ne
voit la désinvolture avec laquelle on a laissé filer à l’étranger la production
française. Un État se doit d’être inflexible pour un certain nombre de
productions vitales pour le pays.
- Vous approuvez donc le gouvernement
quand il s’oppose au mariage entre Carrefour et un groupe canadien?
Voir partir des fleurons de l’économie nationale avec les centres de décision
qui vont avec est un drame national. Pour moi, la crise nous a placés à un
tournant vital pour notre pays. C’est vrai en économie, en politique et dans
notre conception du social. Nous devons faire face à des rendez-vous, que nous
avons voulu éluder pendant longtemps, mais qui sont proprement de vie ou de
mort.
- La France en a-t-elle pris le chemin?
Dans la conscience collective des Français, la crise sanitaire ne serait qu’une
parenthèse dont on pourrait, dès que possible, reprendre la vie comme avant.
Non seulement elle ne recommencera pas comme avant et il ne faudrait pas
qu’elle le puisse. De toute la nation, vient une prise de conscience de la
nécessité d’un rassemblement.
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