En ce début de XXI° siècle, afin de poursuivre l’établissement
de la démocratie, un objet toujours en constante progression et continuelle
perfection ainsi que de prendre en compte les évolutions des mœurs et des pratiques
dans les pays démocratiques, tant au niveau politique que social et sociétal, tant
au niveau de la communauté que de la personne, nous sommes sommés par la réalité
d’organiser et structurer un régime politique qui va au-delà de la démocratie,
qui est un dépassement de celle-ci, à la fois parce qu’il s’impose logiquement
comme la phase supérieure issue directement des régimes mis en place depuis le
XVIII° siècle dans nombre de pays du monde et parce qu’il répond à une demande
plus ou moins diffuse, plus ou moins structurée, plus ou moins consciente, parfois
pervertie et instrumentalisée mais tout à fait présente des individus et des
sociétés à travers le monde.
Ce dépassement s’impose aussi parce qu’il en va de la
pérennité même des acquis démocratiques depuis près de deux siècles et demi,
longue période à l’échelle de la vie humaine, goutte d’eau temporelle dans
celle de l’Histoire.
Pour ce faire, nous devons procéder à un changement de paradigme
et encadré un mouvement déjà en cours qui produit nombre de revendications,
certaines justifiées, d’autres totalement infondées.
Ainsi, la pierre angulaire des fondations du modèle de
régime qui organise les sociétés dites démocratiques qui s’appuie sur le réel
et les valeurs humanistes ne doit plus être le pouvoir du peuple mais le
respect de la personne en tant qu’individu et membre de la communauté (le
pouvoir du peuple et les droits de la personne découlant directement du
respect).
Mais dès que nous prononçons le mot respect, il convient
immédiatement d’affirmer que s’il faut considérer que la demande forte émanant
des individus (le respect est un des concepts les plus utilisés comme revendication
envers la société et les autres) est légitime, elle est aussi souvent en dehors
même de ce qu’est ce respect parce qu’il n’est, dans la bouche de ceux qui le
prononcent, qu’une demande égoïste et égocentrique, la demande d’une reconnaissance
qui ne va que dans un sens, celui de la personne qui la demande sans qu’il y ait
la moindre once de volonté de réciprocité dans celle-ci.
Etre respecté c’est bénéficier du respect de son individualité
(ce qu’est l’individu dans sa différence irréductible, son «âme» diraient certains),
du respect de sa dignité (ce que l’individu a de sacré et d’inviolable tant
physiquement que psychologiquement et intellectuellement), du respect de sa
liberté (la capacité de l’individu à agir pour son intérêt en fonction de son
individualité et de sa dignité) le tout dans une relation obligatoirement et catégoriquement
réciproque, symétrique et transitive, entre les membres de la communauté (de la
plus petite à la plus grande, l’Humanité) mais aussi dans le devoir de la
société d’assurer la réalité de ce respect, tant de la part de son organisation
notamment étatique que de la part de chaque citoyen envers l’autre et les autres.
Ce changement de paradigme n’est en rien un abandon de la
démocratie telle que nous entendons ce terme en ce deuxième millénaire naissant
mais en est un dépassement ce qui a évidemment de fortes implications dont une,
primordiale, qui, s’il donne toujours au peuple la légitimité pour choisir ses
dirigeants, ne lui donne plus, en revanche, la légitimité de choisir quelles métavaleurs
sont à la base du vivre ensemble ainsi que celle de choisir un régime qui déciderait
de supprimer les valeurs humanistes à la base de la démocratie républicaine mais
qui impose à toute société de faire en sorte que ce respect soit effectif, durable
et ne puisse jamais être remis en cause.
De ce point de vue, ce régime n’est pas une option parmi d’autres
possibilités d’organiser la société mais est bien le fondement de toute organisation
sociale qui ne peut être remise en cause.
Certains parleraient de régime «naturel», je préfère parler
de régime «légitime».
Dès lors, ce n’est plus de démocratie qu’il faut parler pour
caractériser les régimes de liberté que nous connaissons ou que nous voulons
voir implémenter en ce XXI° siècle mais de respectocratie.
Car, comme je viens de le dire, l’important n’est plus
désormais la souveraineté du peuple mais le respect de la personne (individu en
tant que membre d’une communauté organisée).
La respectocratie c’est donc le régime de l’égalité des
individualités (comme le demande Stirner), de l’égale dignité (comme le demande
Fukuyama) et de l’égale liberté.
Ce régime du respect, du sévas, de la civilita, de la
considération est une étape, voire peut être un aboutissement dans la recherche
de la meilleure organisation humaniste où l’individu ne doit plus être dépendant
du bon vouloir des autres et de la communauté mais doit être respecté pour ce
qu’il est, sa seule obligation étant de respecter l’autre, tous les autres.
Cela ne signifie pas que les règles de la démocratie comme
l’élection, la liberté d’expression ou les valeurs de celles-ci comme la
liberté ou l’égalité ne sont plus d’actualité.
Au contraire elles sont de fait comprises dans cette notion
de respect étant entendu que respecter quelqu’un c’est respecter son opinion
même si on n’est pas d’accord avec lui ou l’estimer égal à soi.
La respectocratie, si elle est une volonté humaniste et
théorique de dépassement de la démocratie, est également un constat: l’exigence
des individus à être mieux considérés
Mais attention, elle n’est certainement pas cette démocratie
à la carte et consumériste dont certains rêvent pour s’émanciper à peu de frais
du lien social et des règles du vivre ensemble.
Le respect impose des obligations importantes et incontournables
pour pouvoir bénéficier de ses grands bienfaits.
Ici, c’est du donnant-donnant, du gagnant-gagnant.
Car la respectocratie est tout sauf un régime permissif et laxiste.
Bien au contraire.
Ses règles de fonctionnement, son appel à la responsabilité
et à assumer sa vie et ses actes demandent que la personne, pour bénéficier de
tous ses bienfaits, assument son devoir de permettre aux autres d’être en possession
des mêmes opportunités.
De même, la respectocratie n’a rien à voir avec le «sur-respect»
demandé par certains au nom d’une priorité identitaire ou communautariste voire
issue selon eux d’une réparation, non seulement de la société mais des autres,
de tous les autres, face à une situation vécues dans le présent ou le passé.
Ce sur-respect est en réalité l’ennemi mortel du respect et
de la respectocratie.
En revanche, cette dernière est la seule voie qui permette,
in fine, de faire en sorte qu’il soit qualifié pour ce qu’il est, d’abusif et d’illégitime.
En outre, le respect impose toute une série de comportements
et d’agirs qui ne permettent pas de léser une partie de la population vis-à-vis
d’une autre et, surtout, de prendre des décisions qui auraient un impact négatif
sur le vivre ensemble, on pense ici aux questions environnementales mais aussi
celles concernant les conflits au sein d’une communauté et entre certaines
communautés.
Comme la démocratie républicaine, la respectocratie est un idéal
à atteindre, mais, tout comme la démocratie républicaine, un idéal pratique,
c'est-à-dire atteignable avec de la volonté et des règles.
Elle est surtout la possibilité de penser notre avenir, pas
simplement avec espoir mais tout simplement d’en imaginer un.