Trump n’est pas seulement un danger pour son incompétence,
sa malhonnêteté, son ignorance, son égocentrisme et son racisme mais parce
qu’il est le représentant d’un mouvement idéologique existant dans le monde
entier mais particulièrement bien établi aux Etats-Unis qui vise à la
destruction voulue et souhaitée d’une grande partie de l’Etat démocratique et
républicain, de ses services publics ainsi qu’à décrédibiliser au maximum
l’action gouvernementale notamment en matière de régulations de toutes sortes
et plus spécifiquement dans les secteurs sociaux et économiques.
Ce mouvement se rapproche évidemment des idées
libertariennes où le dogme est le plus de liberté dans le moins de contraintes
mais il est encore plus radical puisque son but est de créer concrètement le
chaos dans la société afin de détruire la machine à gouverner puis de faire en
sorte que la loi qui régit les rapports humains soit celle du plus fort (et du
plus riche) dans une vision simpliste du darwinisme social de Spencer.
Son égérie est l’écrivaine Ayn Rand qui se qualifiait elle-même
de «capitaliste radicale» (et sa philosophe d’«objectivisme») dont les thèses
prônent un Etat minimum et un laissez faire maximum.
Et ce n’est même pas un secret puisque Trump l’a affirmé à
plusieurs reprises.
Ainsi, lorsqu’il parle de cette fameuse affabulation du «deep
state», cet Etat profond qu’il a accusé maintes fois de diriger le pays dans
l’ombre («L'État profond et la Gauche, et leur organe, les médias qui délivrent des fake news»), ce n’est pas seulement pour attaquer les démocrates
qui en seraient soi-disant à sa tête mais pour démanteler l’appareil étatique
tout court qui serait la nuisance principale qui empêcherait les Etats-Unis
d’être fidèles à leur exceptionnalisme et leur destinée manifeste.
Ici, pas de politique politicienne mais une vraie guerre
contre l’Etat protecteur et régulateur.
Nombreux sont les observateurs qui sont fascinés par la
nomination d’incompétents à des postes importants dans le gouvernement Trump ou
à la tête de grandes administrations.
En réalité, ils sont justement nommés pour leur incompétence
et pour la mission de détruire ce qu’ils dirigent.
L’exemple récent du directeur de la poste en est la caricature
extrême sachant qu’il est également parmi les principaux actionnaires d’entreprises
privées qui concurrencent cette même poste…
Bien sûr, tout incompétent et ignorant qu’il est, Trump ne
comprend pas exactement tous les tenants et les aboutissants de cette idéologie
radicale ainsi que les enjeux majeurs qu’elle porte.
Il voit surtout dans cette bataille un moyen de préservation
de son statut social et de la fantasmagorie dans laquelle il vit menacée
constamment par tous les complots qu’il invente ou récupère postés sur la toile
par des illuminés.
De même, il n’hésite pas à s’en servir à des fins purement d’ambitions
personnelles notamment en vue de sa réélection.
On ne peut en effet pas comprendre complètement ses
agissements des quatre dernières années mais surtout de ceux des derniers mois
si l’on n’a pas en tête que sa stratégie est de gagner par et grâce à un chaos
délibérément mis en place à tous les niveaux et dans tous les domaines.
Steve Bannon, son principal
conseiller lors de la campagne de 2016 puis lors de son entrée à la Maison
blanche, activiste d’extrême droite, définissait par une boutade son objectif
premier que Trump embrasse également:
«Je suis léniniste parce que
Lénine voulait détruire l’État, et c’est aussi mon objectif. Je veux tout faire
s'écrouler et détruire tout l’establishment d’aujourd’hui.»
Et il avait ajouté que «les membres du cabinet de Trump avaient été choisis pour
une seule raison, la déconstruction de l’Etat administratif» avec comme
objectif de «changer les lois des 40
dernières années».
Ce n’est pas pour rien que
Trump, lui-même, a souvent affirmé que le pays «avait les pires lois qui
existent».
Quand Trump menace de supprimer
les budgets de plusieurs administrations ou de les réduire à une peau de
chagrin, il ne s'agit pas seulement, comme pour celle de la poste, de favoriser
sa réélection en empêchant des électeurs de voter, mais de faire en sorte
qu’elles ne puissent plus remplir leur mission de service ou de régulation,
laissant la place à un chaos voulu dont la finalité n’est même pas un Etat
minimum mais plus d’Etat du tout dans de nombreux secteurs.
De même, lorsqu’il baisse les
impôts des riches ce n’est pas seulement pour se faire un cadeau et contenter
ses amis milliardaires, c’est également pour que l’Etat n’ait pas les moyens de
fonctionner normalement et, surtout, correctement.
C’est ce qui se passe, par
exemple, pour les écoles publiques (afin qu’elles soient remplacées par des
écoles privées), pour les parcs nationaux (afin qu’ils disparaissent et que des
entreprisses privées puissent exploitées leurs richesses diverses) et bien sûr
pour l’assurance santé (afin de permettre aux compagnies privées de reprendre
totalement le contrôle du secteur).
Ce qui doit demeurer en place
pour Trump au niveau fédéral, c’est uniquement et in fine l’appareil de
sécurité et répressif.
George Packer, journaliste
au magazine The Atlantic a écrit
en avril dernier une enquête intitulée «Le
président est en train de gagner sa guerre contre les institutions américaines»
et sous-titrée «Comment Trump détruit la fonction
publique et plie le gouvernement à sa volonté», une guerre menée depuis
janvier 2017 lorsqu’il prend effectivement ses
fonctions.
Et, s’il est réélu en novembre
prochain, cette guerre sera poursuivie avec une plus grande intensité.
Voilà pourquoi Trump bénéficie
d’un si important soutien de la droite radicale et de l’extrême droite.
Ici, le clown populiste et
démagogue fait place au destructeur de l’état de droit et des principes de la
démocratie républicaine.
De ce point de vue, il est le digne successeur de Ronald Reagan dont la citation la plus connue est que «l’action publique n’est pas la solution au problème,
c’est le problème» et qui disait également
qu’«à mesure que le gouvernement se
développe, la liberté se contracte», confondant manifestement liberté et
licence.
Depuis maintenant quarante ans les radicaux et extrémistes qui ont
fait main basse sur le Parti républicain font tout pour empêcher les services
publics de fonctionner et à l’Etat de remplir sa mission.
Avec Trump, ils ont trouvé leur
bras armé.