François Bayrou |
Lors d’un entretien sur les antennes d’Europe1, François Bayrou s’est dit satisfait de la nomination de Jean Castex comme nouveau Premier ministre et il a loué ses capacités.
Par ailleurs, il s’est étonné que les Français ne prennent pas
toute la dimension de la grave crise économique et sociale qui se prépare après
la première phase de l’épidémie de la covid19.
S’il prône pour la formation d’un gouvernement de combat
pour sortir le pays des difficultés que celui-ci va rencontrer, il n’est pas
opposé à ce que les réformes soient continuées notamment celle des retraites.
En outre, il s’est dit peu favorable à ce que les exercices
du style convention citoyenne deviennent un élément dans la gouvernance de la France
estimant que le tirage au sort ne donnait aucune légitimité à ceux qui étaient
choisis et aucune pertinence a priori à leurs propositions.
Enfin, il s’est dit inquiet d’une certaine irresponsabilité
chez certains nouveaux élus aux municipales notamment en matière d’écologie où
la démagogie irresponsable semble souvent être de mise.
►Voici les propos
tenus par François Bayrou:
François Bayrou, est-ce que le vrai Premier ministre
ne s’appelle pas Jean Macron ?
Je suis en désaccord avec ce que vous dites, avec
cette analyse qui s'est répandue dans certains cercles de pouvoir, qui est pour
moi absolument fausse. Il n’est pas vrai que la nomination de Jean Castex
signifie une diminution du rôle du Premier ministre. Je crois même que c'est
exactement le contraire. Il n'est pas vrai que le Président de la République
cherche à occuper tout l'espace. Je crois que c'est exactement le contraire. Il
n'est surtout pas vrai que le président de la République, par ce choix du
Premier ministre, cherche à remplir toutes les fonctions dans l'idée uniquement
de la réélection. Tout cela est complètement faux. Je vais vous dire pourquoi. D'abord,
parce que Jean Castex existe et qu'il va être, je le crois, un Premier ministre
de tout premier plan pour des raisons sur lesquelles nous allons revenir
ensemble. Deuxièmement, parce qu’il y a deux choses qui occupent l'esprit du
président de la République. La première, c'est le contrat de confiance
qu'il a passé avec les Français, et avec ce contrat de confiance - qu'il a
essayé de revitaliser au moment des gilets jaunes - aujourd'hui, il ouvre
un chemin nouveau. Et deuxièmement, la gravité de la crise qui vient, et dont
personne ne parle - ce qui est une stupéfaction pour moi - exige, impose, un
rassemblement des forces et une impulsion nouvelle pour que tout le monde
comprenne bien que ce que nous allons vivre est extrêmement difficile, mais que
grâce à l'enthousiasme qui va être déployé, à la force de conviction qui va
être déployée, au courage des décisions qui doivent être prises, nous allons
faire face en construisant une France nouvelle. Voilà exactement les raisons
pour lesquelles cette décision est très importante et elle n’est pas une
décision de repli, elle est au contraire une décision offensive.
Un changement de Premier ministre… Cela dit c'est un
Premier ministre de droite qui remplace un Premier ministre de droite. Où
est le vrai changement ?
Parce que, pardonnez-moi de vous dire cela, parce que
vous vivez avec des schémas qui sont des schémas complètement dépassés… J'ai
plaidé toute ma vie pour que l'on sorte de cette grille de lecture absurde,
limitée à 2 termes: la gauche et la droite, qui n'ont plus aucun sens l'un et
l'autre et pour que l'on cherche une autre grille de lecture que l'on a appelé
«le dépassement». Et comme vous savez ma conviction ne date pas de l'élection
d’Emmanuel Macron, je l'ai défendue devant les Français et à beaucoup de
reprises. Car c'est cet affrontement stupide qui nous a conduits où nous en
sommes, qui nous a empêché de rassembler les forces qui méritaient de l'être et
qui a fait que les problèmes n'ont toujours été traités que de manière
caricaturale. Je pense que l'on n'en est pas encore sorti. Il faut en sortir.
Où est la vraie différence entre les deux
hommes ?
Je ne veux pas les mettre en comparaison l'un avec
l'autre. Ce n'est pas du tout mon style, cela n'a aucun intérêt. En revanche,
qu'est-ce qu’il y a dans la personnalité de Premier ministre qui est absolument
vital pour la situation? Il y a plusieurs choses. Primo, une expérience. Une expérience
qui n'est pas une expérience «techno» comme vous le disiez. C'est au contraire
un homme de terrain, un baroudeur, quelqu'un qui a bourlingué dans tous les
espaces de la société française. C'est un élu local. Il vient d'être réélu avec
75 % dans une commune qui vote très largement à gauche, une commune en
effet, vous l'avez souligné assez, les commentateurs l'ont souligné à l'envie,
une commune loin de Paris, une commune de 6000 habitants mais ce type de
commune et l'intercommunalité de 45 communes qui va avec, c'est exactement la
France et c'est une France complètement oubliée. C'est une France que les
milieux de pouvoir habituels affectent de ne pas voir. Je vais m'arrêter une
seconde à ce que tous les commentateurs ont dit. Les commentateurs ont dit: «Oh
là là, Jean Castex a de l'accent». Excusez-moi de vous dire que cet accent-là,
gascon, l'accent des provinces françaises, l'accent de Cyrano de Bergerac après
tout, cet accent-là c'est un des accents français. Et l'espèce de
condescendance, de snobisme, des milieux de pouvoir pour qui, il faudrait
parler «leur» langue, et je prétends que l'on peut parler la langue
française avec une absolue correction et même s'il faut une certaine finesse,
avec l'accent de chez nous. Cette condescendance-là, se mettre à porter autant
d'attention à l'accent de quelqu'un qui s'exprime parfaitement, c'est la même
condescendance à l'égard de l'accent des banlieues, la même à l'égard de
l'accent corse, la même à l'égard de l'accent alsacien, savoyard ou breton. Vous
ne comprenez pas que la France crève de ce que le pouvoir soit enfermé dans des
récipients si clos que les Français le regardent comme extérieur à eux. C'est un
des sujets essentiels, un des problèmes principaux de la France
aujourd'hui : c'est la rupture apocalyptique entre «le bas de la société»
comme ils disent, c’est-à-dire la base des Français, leur vie, et le sommet des
pouvoirs médiatiques et politiques. Et heureusement qu'il s'est présenté à
Emmanuel Macron le choix d'une personnalité qui pouvait permettre de faire un
pont entre les deux, car à la fois il connaît bien l'Etat, les milieux de
pouvoir et il connaît bien la société française, y compris la société française
provinciale et lointaine, à qui il faut désormais rendre sa dignité et sa
reconnaissance. De ce point de vue-là, le snobisme condescendant qui s'est
exprimé beaucoup dans les colonnes est totalement déplacé. Et le choix est
juste.
On a remarqué dès le début qu'il était à la fois
quelqu'un qui connaît bien la machine de l’État mais également la vie locale.
Il se définit surtout comme étant un gaulliste social et il se définit surtout
comme étant également issu des Républicains. Or vous, vous avez aussi
vous-même prôné le dépassement donc dans quelle mesure sera-t-il capable
de l'incarner notamment avec ce projet de décentralisation ?
Il l'incarne par nature puisqu'il ne vient pas des
rangs de la majorité. Il vient des rangs d'un parti qui s'est situé assez
majoritairement dans l'opposition. Il incarne ce dépassement et surtout il a en
main la possibilité de réparer la fracture entre le pouvoir local dont on a vu
pendant cette crise qu'il était l'ultime recours pour l'Etat lorsque tout va
mal. Tout allait mal pendant la crise: on n'avait pas les
réponses, on n'avait pas les masques, on n'avait pas les tests, et on a vu
qu'à ce moment-là, il existait un appel ultime et cet appel, c'était la grande
armée des maires.
Au-delà du symbole, dans l'interview du président à la
presse quotidienne régionale vendredi matin, il est quand même assez prudent
sur la décentralisation. On ne sent pas un grand acte de décentralisation. Aujourd'hui
vous lui dites «allez-y, faites une nouvelle étape importante!»?
Ce n'est pas mon expression et c'est une expression
que j'utilise assez peu, voire jamais. Car la question qui se pose, ce n'est
pas d’abord de donner les pouvoirs nouveaux aux élus, c'est de les laisser
agir. C'est de cesser de les écraser sous les normes, sous les obligations,
sous les contrôles divers et variés, a priori et a posteriori. Et je préfère a
posteriori qu'a priori. Tout ce qui limite l'action des élus locaux, tout cela,
je suis sûr que Jean Castex le sait très bien, il faut que la société française
soit irriguée de pouvoir ; pour l'instant, elle est amputée de pouvoir. Tout
ce qui doit s'exercer, mais ce n'est pas vrai que pour les collectivités
locales, c'est vrai aussi pour les entreprises, aussi pour les associations. On
a besoin de rendre à la société française la sève de l'initiative, de
l'invention, des pouvoirs. De ce point de vue, l'étape que nous allons vivre
est absolument cruciale car on s'est aperçu que l'État, dans sa majesté
lointaine, en réalité, était assez souvent - pas sur tous les sujets
- une somme d'impuissances. Or, Emmanuel Macron a essayé à plusieurs
reprises de poser cette question. Il a essayé et il n'y est pas arrivé.
Souvenez-vous qu'il a porté une réforme de la haute Fonction publique et
qu'elle est tombée évidemment dans les abîmes de l'histoire. De ce point de
vue, là encore, c'est une étape très importante et une personnalité adaptée à
cette étape.
« Réunir
la nation » dit Jean Castex. Au-delà de la formule est-ce que cela veut
dire qu'il faut faire venir des ministres de tous les bords politiques ou des ministres
de la société civile ? Quelle est la bonne alchimie entre les deux selon
vous?
Il faut que toutes les grandes inspirations de la
société française soient présentes si elles le peuvent au sein de l'équipe
gouvernementale.
Gauche, droite, écolo ?...
Oui puis peut-être centre si vous voulez bien !
Car c'est tout de même là, l’assise de la majorité. C'est le courant politique
pour lequel j'ai plaidé - comme vous savez - toute ma vie, dont j'ai
porté le drapeau toute ma vie et qui a été avec Emmanuel Macron, le socle de la
majorité. Donc il faut que toutes ces sensibilités soient présentes. Mais ce
qui compte, c’est qu'il y ait cohérence et compétence, les deux et je sais que
le Premier ministre et le président de la République sont évidemment très
attentifs au mariage des deux. La cohérence est vitale et la compétence est
nécessaire.
Vous dites cohérence et compétence. Jean
Castex dit : « opérationnalité des ministres » dans son
entretien au Journal Du Dimanche. Est-ce que cela veut dire peut-être
que dans la précédente équipe gouvernementale certains pêchaient par
inexpérience, notamment ceux venus de la société civile ?
Je n'ai absolument aucune envie - et vous ne
m'entraînerez pas sur ce terrain - de faire des comparaisons avec la
précédente équipe. La précédente équipe, nous l'avons soutenue. Elle a
travaillé beaucoup, elle a trouvé la clef d'un certain nombre de changements et
maintenant, il faut évidemment avancer et aller de l'avant dans un contexte
nouveau qui est marqué par une crise - j'en suis extrêmement troublé - une
crise économique si profonde qu'elle va toucher toutes les entreprises ou
presque, toutes les familles ou presque, qu'elle est impressionnante par sa
dimension et impressionnante car elle n'a pas de cause identifiable. C'est sur
toute la planète que le virus a frappé et c'est sur toute la planète que -
pardonnez-moi cette expression - le château de cartes de l'économie des
échanges internationaux et de la circulation des capitaux des personnes et des
biens, ce château de cartes s'est écroulé, il s'est écroulé sous l'intervention
du plus petit élément vivant qui existe dans la nature qui est un virus. On dit
d'habitude que c'est un grain de sable qui bloque les machines, là c'est un
million de fois plus petit qu'un grain de sable. Et donc cela donne donc à
réfléchir naturellement, en tout cas pour ceux qui aiment la philosophie y
compris la philosophie que l'on fait en famille ou au café du coin. Cette
réalité-là, elle est désormais la réalité qui va envahir le champ de conscience
ou le champ du réel dans toute la société française, toutes les sociétés
européennes et toutes les sociétés du monde. Or je suis absolument frappé de ce
qu'on n'en parle pas ou très peu.
De ce point de vue, cette crise majeure qui s'annonce,
on l'a compris quand le Président de la République a aussi parlé à la presse
régionale, il a repris ce discours difficile que tenait jusqu'à présent Édouard
Philippe. Cela veut dire que l'architecture gouvernementale en cours de
construction doit répondre à ce besoin ? Il faut un gouvernement pour vous
plus resserré autour de ministres qui partent tout de suite à la bataille pour
contrer ce qui arrive, c'est cela la manière de donner aussi une efficacité à
cette lutte contre la crise selon vous ?
L'architecture gouvernementale doit répondre à 3
exigences. La première : la capacité, la solidité pour faire face à la
vague qui vient et quand je disais que l'on n'en parle pas, je ne dis pas que
dans les colonnes des journaux économiques on n'en parle pas. On en parle bien
sûr. Mais dans les échanges entre Français, dans les échanges dans les familles
ou politiques, pour l'instant le sujet ne s'est pas imposé et il faut qu'il
s'impose. Donc solidité pour répondre à la crise. Deuxièmement, une équipe
gouvernementale qui mesure qu'un certain nombre des problèmes que nous allons
rencontrer en raison de la crise sanitaire, préexistaient à la crise. La crise
sanitaire frappe et fait mal là où nous étions fragiles. Donc il faut -
deuxième exigence - corriger un certain nombre de fragilités qu'on avait laissé
s'installer au cours des 30 dernières années et sur celles-ci, vous me le
permettrez - en tout cas ceux qui me font l'amitié de me suivre - je n'ai cessé
d'alerter au cours du temps. Troisième exigence : il faut que cette équipe
solide et lucide soit aussi visionnaire. Il faut qu'elle pense le monde qui
vient, car le monde qui vient ne sera pas le même monde que celui que nous
avions hier. Il faut donc une dose d'enthousiasme, de volonté de construire,
d'optimisme qui s'exprime dans l'équipe qui va avoir à faire face à une crise
terrifiante.
Jean Castex n'a pas vraiment une image
d’écolo. Faut-il quelqu'un de très fort auprès de lui pour incarner
cette dimension un vice-Premier ministre de l’écologie, quelque chose comme
cela ? Comment vous voyez les choses ?
Je ne suis pas très favorable au vice par définition! Je
pense qu'il faut en tout cas, oui bien sûr, une personnalité forte. L'écologie
ne se distingue pas des autres problèmes. Pour moi, ce n'est pas une question à
part : c'est le facteur commun qui doit irriguer les décisions à prendre.
Et quand je parlais des fragilités que nous avons laissées s'installer au cours
des 30 dernières années, il y a aussi cette distance par rapport à la nature au
patrimoine naturel et à l'innovation écologique. Je vous parle de Pau. À Pau,
j'ai mis en place le premier transport en commun à haute qualité de service à
hydrogène du monde. Vous savez que l'hydrogène est en train d'investir le champ
de la lutte contre l'effet de serre car les moteurs électriques alimentés
par à l'hydrogène font 0 rejet de gaz à effet de serre. Eh bien, c'est à Pau et
c’est ce qui vous prouve que l'on peut avoir de l'innovation sur le terrain, en
province et que tout n'est pas obligé de passer par Paris et les cercles de
décisions qui y résident.
Ce qu’on constate aussi, c’est que dès le lendemain du
discours du Président de la République à la Convention citoyenne, on a entendu
d'autres messages partant de Bercy qui disaient : baisser la TVA sur
certaines choses, cela ne marche pas, vis-à-vis du TGV, cela ne marche pas.
Donc on a toujours ce sentiment qu’il y a toujours cette intention très
volontariste et sincère et, derrière, la machine de l'État reprend son rôle.
Est-ce que le combat pourrait être gagné selon vous ?
Quand vous dites la machine de l'État reprend son
rôle, ce n'est pas une vision que j'accepte. Je pense que nous sommes devant
beaucoup de crises qui vont s'ajouter les unes aux autres et que parmi ces
crises il y a évidemment la situation des finances publiques. Ce n'est pas tout
à fait par hasard que depuis des décennies, j'ai essayé de convaincre que les
déficits à tout va et l'emprunt à tout va, c'était une solution qui allait nous
handicaper car, quand on en aurait besoin - et on y est - alors on aurait moins
de moyens que les autres. Et comme vous savez, c'est un combat que j'ai mené à
l'occasion de plusieurs élections présidentielles. C'est une question très
sensible et il est vrai qu'il va falloir inventer un nouvel équilibre des
finances publiques. Nous avons la chance formidable grâce à l'Union Européenne
d'avoir une Banque centrale européenne qui pèse, hélas pas tout à fait
autant que la Banque centrale américaine, mais cependant qui est du même ordre
de capacité, et cette banque centrale, elle nous permet d'espérer d'avoir accès
aux crédits à des taux qui sont des taux qui nous rassurent, qui vont permettre
d'investir dans les équipements publics, d'investir dans les équipements des
ménages, on va pouvoir, j'espère pendant un temps certain et pas seulement un
certain temps, se projeter dans l'avenir. Si l’Union européenne n’existait pas,
nous serions incapables de faire cela.
François Bayrou, vous avez toujours prôné une
réduction de la dette. Au fond, est-ce qu’aujourd'hui vous n'êtes pas
obligé aussi de vous adapter ?
Heureusement car quelqu’un qui est incapable de
s'adapter est condamné à mort. J'ai toujours plaidé si vous avez suivi ces
débats, pour l'idée que l'on soit prudent pour pouvoir investir et dépenser si
la crise venait. Au fond, ce n'est pas autre chose que les recommandations de
père de famille qui dit : il faut faire attention à ne pas dépenser trop
tant que cela va bien car si un jour cela va mal, il nous faut aussi avoir mis
de l'argent de côté et être capable d'en emprunter de manière crédible. Tout
cela, ce n'est pas très différent de ce que nous vivons. Il y a deux faits
nouveaux maintenant. Le premier, c'est que dans des pays majeurs comme les
États-Unis, les pouvoirs publics et la banque centrale ont décidé d'ouvrir les
vannes de la création monétaire, de l'argent à très bas taux pour soutenir
l'économie et pour qu’elle ne s'effondre pas notamment en matière de chômage et
d'emploi. Le fait que la première économie du monde, qui est la première banque
centrale du monde, ait choisi ce cap, fait que les autres banques centrales
sont plus assurées, mieux garanties quand elles conduisent cette réflexion-là. Deuxièmement,
cette attitude des banques centrales et heureusement et merci que nous avons la
banque centrale européenne - je n'entends plus les gens qui prétendaient qu'il
fallait sortir de l'Europe car vraiment, c'était une gêne et un carcan - on
voit là que nous avons réussi à construire un système qui est une garantie pour
chacun d'entre nous.
La planche à billets que vous semblez louer, ce n'est
pas de l'argent magique ? Cela va jusqu’où le « quoi qu'il en
coûte » présidentiel ? Édouard Philippe justement
n'allait pas jusqu'au bout de cette démarche.
Je ne crois pas, je n'ai jamais aperçu de
différence entre l'ancien Premier ministre et le Président de la République sur
ce sujet. Mais peut-être y en avait-il? En tout cas, ce que je sais, c'est que
c'est une chance formidable en période de crise de pouvoir accéder à de
l'argent pas cher. Alors certes, il n'est pas vrai que c'est de l'argent que
l'on ne remboursera pas. C'est simplement la possibilité de reporter dans le
temps ou de reporter pendant suffisamment longtemps... J'avais proposé un
système de cet ordre, un report d'échéance pour après le temps où on sera sorti
de la crise, j'avais dit 10 ans, et c'est quelque chose de cet ordre. Oui, il
est possible de réemprunter en étant sérieux pour financer les
investissements qui sont absolument nécessaires. Un pays qui succombe sous la
crise, qui laisse grandir le chômage, qui laisse s'installer la récession sans
rien faire est un pays condamné à mort. Il n'existe aucune possibilité de
s'attaquer aux problèmes sociaux, aux problèmes des services publics et aux
problèmes éducatifs si l'on entre par exemple au problème de l'écologie
évidemment et au premier chef, si on entre dans une phase récessive. C'est
pourquoi je n'ai jamais été du côté de la décroissance car la décroissance,
c'est ce qui nous pend au nez si on continue, c'est-à-dire l'effondrement de
tout ce que nous avons construit.
Marseille qui bascule à gauche, Lyon à gauche par une
coalition aussi, Paris : ce sont des villes symboliques et qui raisonnent
comme autant de claques pour la majorité présidentielle après ces municipales.
Je n'analyse pas cela en termes de claque: j'ai
toujours été contre la nationalisation des élections locales, toujours, y
compris en en parlant à nos partenaires d’En Marche. Nous avons eu des débats
avant ces élections. Je suis pour que les élections locales soient des
élections locales. C'est une lapalissade mais je pense que c'est très
nécessaire. C'est évident qu'il y a eu un mouvement d'opinion, on verra ce que
donne ce mouvement d'opinion et si les engagements - certains sont très
imprudents - seront respectés.
Vous pensez auxquels ?
Il y a des majorités qui, par exemple, ont dit :
on va fermer l'aéroport.
Ce sont les écologistes qui vous inquiètent un
peu ?
Non, ce n'est pas les écologistes qui m'inquiètent,
c'est une espèce d'intégrisme écologique. Quand vous avez dans une grande ville
- on m’a dit que cela avait été le cas à Strasbourg mais ce n'est sûrement pas
le seul cas - des majorités qui disent : Nous l'aéroport, on n'en veut
plus. Je vous prie de réfléchir à ceci : comment peut-on maintenir le
Parlement européen à Strasbourg si la capitale européenne alsacienne n'est plus
reliée aux autres grandes villes et aux autres grandes capitales? C'est du
suicide. Lorsqu'on est loin de Paris, on a besoin d'être relié et cela me
permet de dire qu'Air France a des obligations de service public dont
il ne peut pas s'abstraire. Cette compagnie a reçu 7 milliards de l'État,
c'est-à-dire des contribuables français. Les obligations de
service public de liaison avec des villes périphériques doivent être
respectées.
Même à 2 h 30 de TGV ? C'est quoi la
frontière ?
J'accepte les 2 heures et demie. Mais c'est très
simple, à Pau nous avons 4 h 30 de liaison SNCF. Or Air France a
décrété - on avait auparavant 9 ou 10 liaisons quotidiennes et pendant toute la
période entre la mi-juin et le 1er juillet, on a eu au lieu de 10 liaisons
quotidiennes - 2 liaisons par semaine. Je ne sais pas si vous vous rendez
compte de la gifle que cela représente. En tout cas, pour moi c'est
inacceptable ! Et pour toutes les grandes entreprises qui sont sur notre
sol, que ce soit Safran, le centre de recherche Total, les grandes entreprises
agroalimentaires et dans la fibre de carbone, c'est inacceptable ! On a
besoin d'être irrigué. Et qu’une compagnie qui vient de recevoir
7 milliards d'argent public s'abstrait de ces obligations de liaison et de
service public, c'est inacceptable et si cela ne s'arrange pas, eh bien il
faudra mener la bataille contre tout cela.
On comprend également ce que vous dites vis-à-vis
d'Air France. On entend également votre méfiance, votre inquiétude vis-à-vis
des maires écologistes qui sont arrivés au pouvoir et qui n'auraient pas selon
vous assez de pragmatisme pour diriger une ville ? C'est cela ? C'est
une école de pragmatisme, diriger une ville.
J'essaie de m'exprimer pour mon propre compte :
ne me prêtez pas des arrière-pensées. Mon propos est très clair. Je pense que
la fonction de maire aide les élus à progresser beaucoup et à découvrir le
réel. Je pense que les campagnes électorales ne sont pas très favorables au
réalisme. Je pense que des promesses ont été faites qui, me semble-t-il,
pourraient déséquilibrer des villes. Si n'est pas le cas, tant mieux, car cela
prouvera qu'au fond ils sont entrés dans une zone de réalisme municipal que je
considère comme bienvenue. Mais, je pense que l'idéologie ne doit pas s'imposer
lorsqu'on a entre les mains le destin d’hommes, de femmes, de familles et
d'entreprises. Je pense qu'il est très important que l'on sache, tout en
défendant les valeurs et la vision qui est la sienne, prendre en compte ce que
c'est qu'une ville d'aujourd'hui qui a besoin de vivre et d’échanger. C'est
aussi simple que cela : j'espère que le réalisme s'introduira et sera
respecté.
La convention citoyenne sur le climat, avec ses
propositions sur l'écologie, est-ce un format à renouveler sur d'autres sujets
et lesquels ?
On verra les idées qui en sont sorties.
Vous êtes sceptique ?
Inutile de vous dire que je ne suis pas favorable au
tirage au sort. Je suis pour les conventions, les échanges, mais le tirage au
sort, pour moi - alors peut-être je ne serai pas suivi puisque le gouvernement
a décidé d'en faire - mais pour moi, le tirage au sort est le contraire de la
démocratie. Un philosophe, que j'aime beaucoup qui s'appelait Marc Sangnier,
l'a définie à mon sens de la manière la plus transparente que l'on puisse
trouver. Il a dit : "la démocratie, c'est l'organisation sociale qui porte
à son maximum la conscience et la responsabilité des citoyens". La
conscience, la réflexion, l'information, on partage, on se forge une opinion et
la responsabilité, on choisit. Eh bien, tirer au sort, c'est le contraire de la
conscience et de la responsabilité. Après, on peut avoir des assemblées
consultatives où les gens viennent s'inscrire. Mais la procédure ou, en tout
cas, la proposition qui consisterait à remplacer le choix conscient des
citoyens par le hasard, est pour moi, le contraire de ce que nous avons à
construire comme conscience collective.
le Président de la République a également annoncé
devant la Convention citoyenne, qu'elle deviendrait maintenant une instance quasi-officielle
de lanceuse d'alerte pour interpeller le gouvernement. Est-ce que pour vous,
cela va trop loin dans cette tentative de démocratie directe ?
Démocratie directe ça ne me gêne pas. Démocratie au
hasard, cela me gêne. Ce n'est pas du tout la même chose.
Tout ce qui a été annoncé par le Président, est-ce que
cela vous gêne ?
Ce n'est pas la même chose. Je n'ai pas aucune envie
que vous me mettiez en opposition.
Ce n'est pas vous mettre en opposition, c'est
comprendre.
Vous l'avez compris. Je pense que la concertation,
c'est très bien. Les échanges y compris entre élus et citoyens, sont très bien,
mais le tirage au sort qui consiste à remettre au hasard le choix des
orientations, ce n'est pas la ligne qui est la mienne.
Vous avez évoqué une crise économique à venir, des
plans sociaux. Êtes-vous inquiet, au fond, sur le climat social pour la
rentrée, cette colère que l'on sent encore en arrière-fond chez les
Français ?
Airbus a annoncé 15 000 licenciements, donc
5 000 en France, dont 3 500 à Toulouse. Ce ne sont pas des
fantasmes. Ce ne sont pas des illusions. Air France a annoncé
7 500 licenciements. Je rappelle que je suis pour l'obligation de
service public. De ce point de vue-là, ce ne sont pas des fantasmes. C'est
partout, la brasserie que j'aime bien au coin de ma rue, a mis son personnel au
chômage partiel et n'est plus ouverte que jusqu'à 17h. Vous voyez bien que
c'est partout. Les magasins, les entreprises, c'est partout. Cela va nous
toucher tous et il faut que l'on se soude pour faire face à cela, et c'est, en
effet, la tâche que je soutiens dans le nouveau gouvernement.
Emmanuel Macron se remet aussi en première ligne.
Est-ce qu'il doit parler aux Français très prochainement, pour pouvoir
justement tenter de les réembarquer comme il dit ?
Je ne sais pas si le mot est juste.
C'est le sien.
La mission du Président de la République est, en
effet, d'entraîner. Il voulait dire de rembarquer dans le bateau de la Nation,
j'imagine.
Absolument.
Et de ce point de vue-là, c'est absolument juste. Est-ce
qu'on mesure à quel point nous sommes un pays fragmenté. On évoquait tout à
l'heure la fracture entre le haut et le bas, entre les milieux de pouvoir et
puis, les citoyens dans leur vie de tous les jours et le peuple, mais aussi
entre classes sociales, entre manière d'être, manière de vivre et cela s'est
traduit par l'abstention. On parle de la crise économique. Elle va être
impressionnante. On parle de la crise sociale qui est, évidemment, en lien à
cette crise économique. Mais on a 2 sur 3 des Français qui se
sont abstenus dans les villes, pour l'élection de proximité et celle de l'élu
en qui ils ont le plus confiance. 2 sur 3. Il y a probablement une question de
peur de l'épidémie. C'est possible. J'avais plaidé, vous le savez, pour le vote
par correspondance et je continue à plaider pour le vote par internet. Mais il
y a autre chose, sans doute qu'il y a le sentiment d'un très grand nombre de
Français que, au fond cette vie politique, est devenue un théâtre qui n'a plus
grand-chose à voir avec leur vie de tous les jours. Quand je regarde le
nouveau Premier ministre et le nouveau gouvernement, je dis que, probablement,
leur première mission, la plus importante de leur mission, est de faire que les
Français reconnaissent enfin leurs attentes et leurs exigences dans l'action
publique. C'est vrai à l'échelon local et c'est vrai à l'échelon
national.
Voilà que le Président de la République dit : "je
remets la réforme de la retraite sur le travail, dans sa version plus justice
sociale, moins réforme des systèmes financiers." Les syndicats commencent
à se mobiliser, en tout cas à protester. Est-ce que pour vous c'est le bon
moment où il faut que cette réforme des retraites soit passée avant 2022 ?
C'est la responsabilité du nouveau gouvernement d'en
décider, car il porte ce genre de réforme. Je suis sûr que des débats auront
lieu autour de ce sujet. Encore une fois, vous voyez ce que j'ai à l'esprit,
c'est la nécessité de reconstruire le lien civique en même temps que l'élan
économique.
Si les syndicats remobilisent les Français contre une
réforme de retraite, renouvellement organisé, n'y a-t-il pas un risque que ce
projet soit mis à mal et que les tensions perdurent voire s'aggravent selon
vous ?
J'ai toujours pensé que si une réforme était juste et
bien préparée, un gouvernement pouvait entraîner les Français à la suivre, mais
on verra maintenant quelles seront les inflexions, les changements. Je ne veux
pas me prononcer à la place du nouveau Premier ministre et du nouveau
gouvernement.
C’est-à-dire qu'il faut quand même rechanger ou
remodeler un peu ?
Vous avez entendu : "juste et bien
préparé". Et j'ajoute une troisième chose : "juste, bien préparé et
compréhensible".
On a l'impression que vous disqualifiez l'ancienne
réforme. Elle n'était ni juste, ni bien préparée, ni compréhensible. C'est
cela ?
Non. En tout cas, sur le troisième terme, la
lisibilité, le caractère compréhensible, oui, je pense que l'on pouvait
beaucoup l'améliorer, oui. Même moi, parfois je ne comprenais pas très
bien! Mais il est vrai que je suis provincial… Il est vrai que je suis
provincial et donc par définition, moins habitué.
Pour dire autrement les choses, est-ce qu'il y a
encore de la place pour continuer à vraiment transformer le pays ? Qu'est-ce
que peut faire encore Emmanuel Macron de neuf ?
Il peut et il doit retrouver les engagements, la
charte de confiance qui était celle qui a fait que les Français l'ont élu. Il a
été élu sur un engagement, une exigence de transformation profonde et de
justice, et de transformation profonde des relations entre le pouvoir et les
citoyens. Je suis persuadé que le moment est venu. C'est une chance qui est
offerte pour que l'on retrouve cette charte de confiance et je suis persuadé
qu'il en est conscient évidemment. Alors vous dites est-ce qu'il y a la
place pour réformer ? Oh je pense que votre expression est très loin de la
réalité ! Il y a nécessité de réparer et de construire, de reconstruire et
de préparer l'avenir. Nécessité vitale. Ce que nous allons vivre nous oblige à
changer en profondeur les cadres, à réparer en profondeur nos faiblesses et à
ressaisir en profondeur la volonté de vivre des Français, y compris avec
optimisme.
François Bayrou, vous connaissez parfaitement le
fonctionnement du système politique, de l'action publique, le temps que cela
prend. Il reste deux ans, c'est-à-dire en réalité 15 mois ultimes.
Est-ce que, au fond, toutes ces urgences que vous
déclinez aujourd'hui et qui sont réelles, est-ce qu'il va avoir le temps de les
rendre concrètes pour les Français et de les résorber ? Est-ce qu'il n’y a
pas une course contre la montre qui est engagée là maintenant ?
Peut-être vous vous souviendrez du slogan qui était le
mien lors d'une élection présidentielle précédente ? J'avais dit :
"un pays uni, rien ne lui résiste" car je sentais bien que la division
du pays était l'une des principales raisons de notre faiblesse. Je dis
que la question des réformes nécessaires, cela n'est plus une question
d'opportunité, mais de nécessité. La crise va être grave en France.
Pourquoi ? Parce qu'on a laissé s'accumuler les faiblesses au travers du
temps. Il faut les regarder en face comme des gens courageux, comme des pères
et mères de famille, comme des jeunes qui veulent trouver une place dans le
pays.
Mais quelles réformes ?
Il y en a plein. Je vous ai dit que je pensais qu'il
fallait que le pouvoir s'organise différemment. Je vous ai dit qu'il fallait
que les acteurs de terrain, que ce soit entreprises, associations,
collectivités locales, soient reconnus dans leur droit à l'initiative, à
l'action et pas perpétuellement, mis sous cloche par un univers de normes et de
blocages, et de défiance. Je vous ai dit qu'il fallait que
l'investissement soit soutenu comme il doit l'être et je vous ai dit qu'il
fallait que tout le monde perçoive que lorsqu’on a la chance d'aller bien dans
une entreprise, il faut que dans l'entreprise, tout le monde en profite. Et
tout ceci, c'est, je vous l'assure, un agenda de réformes majeures.
Vous avez évoqué, François Bayrou, le lien organique,
on le connaît entre votre famille politique, votre soutien à Emmanuel Macron.
Le gouvernement est en train de se composer aujourd'hui. Souhaitez-vous plus de
ministres MoDem au sein du gouvernement aujourd'hui ?
Si vous m'avez une seule fois dans ma vie, entendu
parler d'étiquette pour des ministres, c'est que je devais avoir bu plus que de
raison. La Vème République n'est pas un marchandage. La Vème République,
c'est une adhésion. Alors après, il faut naturellement que les équilibres
soient respectés…
Une question d'actualité et sur la mémoire, le
Président algérien Tebboune a déclaré hier : "attendre des excuses de la
France pour la colonisation de l'Algérie. Est-ce que vous pensez qu'Emmanuel
Macron doit s'exprimer sur ce sujet peut-être à nouveau et
s'excuser ?
Il s'est déjà exprimé et moi, je ne suis pas trop pour
que l'on cultive dans l'histoire cette culture de l'excuse, du mea culpa.
L'histoire, c'est l'histoire. La colonisation a été un drame pour tout le monde
au commencement et à la fin. Cela a été un drame qui a frappé des millions de
personnes. Ceux qui ont lancé la colonisation, souvenez-vous du célèbre
discours de Jules Ferry devant l'Assemblée nationale, l'ont fait avec des
raisons qui étaient des raisons généreuses ou qu’ils croyaient généreuses.
Beaucoup de Français et d'Algériens se sont engagés dans ce travail de
vivre-ensemble et de rénovation du pays. Au bout du compte, cela a très mal
fini et peut-être cela devait très mal finir depuis le début. Peut-être que
c'était un risque trop important que l'on n'a pas mesuré. Alors moi, je
suis pour que l'on y réfléchisse. Je suis pour que l'on en parle ensemble. Je
suis pour que l'on n'en fasse pas un sujet de combat et je suis pour que l'on
ne passe pas son temps à pointer du doigt les uns sur les autres, parce que
cela fera beaucoup de dégâts partout.
Il se trouve que j'aime beaucoup l'Algérie, la culture
algérienne, que je crois que beaucoup d'Algériens sont en sympathie avec ce que
je porte. Je vois très bien le pluralisme algérien, culturel, politique. Je
crois que c'est une richesse et je n'ai pas envie d'avoir un sujet qui soit un
sujet d'affrontement. Ce que je soupçonne d'ailleurs, c'est qu'en poussant ce
sujet, on cherche à créer un affrontement de plus et ce n'est pas ma manière de
voir.