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François Bayrou |
Interrogé sur les antennes de France Inter, François Bayrou
estime que la crise du covid19 est une crise mondiale.
Et le centriste prédit pour la France, en particulier une «immense
crise économique, qui va entraîner une immense crise sociale, pouvant entraîner
une immense crise démocratique».
En outre, le président du Mouvement démocrate demande une
réorganisation de l’Etat avec beaucoup plus de décentralisation qui aurait
permis, selon lui, une meilleure gestion de l’épidémie:
«Nous avons donc absolument besoin, c'est une urgence, une
nécessité, une obligation, de remettre à plat l'organisation de notre pays et
l'organisation des pouvoirs en son sein, les étages différent dans lesquels se
perd le fleuve de la volonté du pays. Nous avons absolument besoin de
simplifier, de raccourcir les chaînes de décision, de faire confiance au
terrain, comme nous avons vu que c'était obligatoire dans les crises.»
Evoquant les dissensions au sein de la majorité
présidentielle, il affirme que «la division est mortelle»
«La certitude qui est la mienne, poursuit-il, c’est que, si
on accepte la division ou si on la recherche, à ce moment-là on se condamne à mort.
On l'a vu à d'autres époques avec d'autres partis et je recommande qu'on ne
l'oublie pas.»
Quant au monde d’après, il veut «deux choses»:
«Je sais deux choses, dont la première est qu'il faut que le
Président de la République, car c'est à lui que cela revient, présente aux
Français un nouveau modèle d'organisation de la société française et des
pouvoirs dans la société française. (…) Deuxième chose: il faut que la France
mettre en place une capacité de se doter d'objectifs sur les crises prévisibles
et sur les changements que nous sommes en train de vivre.»
Il estime, par ailleurs, que «la menace est immense» de voir
l’Union européenne imploser.
Enfin, tout au long de l’entretien, il a défendu Emmanuel Macron
et sa politique.
► Voici l’interview
de François Bayrou
Diriez-vous que le déconfinement se passe bien en
France?
Oui, ce qui me frappe, c'est qu’en effet, alors qu’il
y avait les prévisions les plus catastrophistes ; pour l'instant, on peut
avoir le jugement que cela se passe bien.
Je suis frappé de voir, – en tous cas, c'est le cas dans notre ville – à
quel point les personnes, au fond, respectent bien les distances de sécurité,
portent bien le masque, à quel point elles sont attentives et soucieuses de
préserver les contacts, de préserver leur santé et celle des autres. Je trouve
qu'il y a une ambiance de mobilisation, de respect, très encourageante.
On vous sent surpris de cette discipline
collective ?
Non, pas du tout, car le fond de ma nature, en
général, est d'être plutôt optimiste, alors que la plupart des personnes sont
plutôt sur des prédictions catastrophistes. Non, je ne suis pas surpris.
Je trouve que c'est un peuple qui a du ressort. C'est un peuple, au fond, qui
est capable de réagir, d'agir, de s'organiser beaucoup plus spontanément et, à
mon avis, beaucoup plus efficacement que si c'était simplement en obéissant à
des consignes. Il y a, dans le fond de notre peuple, un extraordinaire
potentiel pour faire face au défi et celui-ci est, naturellement, l'un des plus
importants que l'on ait eu à rencontrer.
On a vu ces scènes d'indiscipline dans la capitale.
Est-ce aussi le cas à Pau?
Non pas du tout. Il faut faire attention à ne pas
avoir de jugement péjoratif et à ne pas jeter la pierre. Ce n'est pas la même
chose d'être confiné dans une ville comme Pau, qui est la ville de France qui a
le plus d'espaces verts par habitant, d'être confiné dans une maison avec un
jardin, d'être confiné dans un immeuble avec autour, de l'espace, ou de l'être
dans une toute petite surface, avec un nombre de résidents plus important et
dans une ville qui n'offre pas beaucoup d'espaces de cet ordre. Et, donc, je
trouve que, oui, bien sûr, des scènes peuvent apparaître choquantes. Il faut
que tout le monde soit appelé à la discipline et au respect des choses, mais il
faut peut-être qu'on les aide aussi. Je vous surprendrais peut-être, mais je
trouve que l'on devrait ouvrir les parcs et jardins. Si l'on veut bien regarder
ce qu'a été l'épidémie, la contagion, alors on s'aperçoit que cette dernière
est beaucoup plus forte lorsque vous êtes dans des espaces fermés que si vous
êtes en plein air.
Le Président de la République me disait l'autre jour
qu'il avait été frappé par le fait que c'est à bord du Charles de Gaulle, donc
dans un espace clos, avec circulation de l'air intérieure, qu'il y a eu l'une
des contagions les plus frappantes puisque 30 % des marins ou un peu plus,
ont été atteints. L'idée que je voudrais défendre, c'est que l'on considère les
espaces verts et ouverts comme des espaces qui sont plus en sécurité. On peut
s'y promener. On peut marcher et même courir. L'essentiel est d'éviter les
contacts. De ce point de vue, il me semble qu'il serait bien de faire un pas
vers l'ouverture de ces espaces et, au fond, vers l'idée qu'être en plein air,
c'est, d'une certaine manière, préserver les chances et faire reculer
l'épidémie.
Considérez-vous qu'il faut voter fin juin pour le
deuxième tour des municipales?
Si on peut, sanitairement, s'il n'y a pas de rebond de
l'épidémie, si on n'est pas devant une contrainte extrêmement forte qui soit
celle de la contagion, alors je pense que la raison, c'est de voter fin juin. Comme
vous savez, vous venez de le rappeler, je m'étais opposé au premier tour. Il y
avait une contradiction absolue entre le fait que l'on ferme les bars et les
restaurants, que l'on interdise les rencontres et, en même temps, on demandait
aux gens de rester chez eux, surtout lorsqu'ils étaient dans la tranche d'âge
supérieure et, en même temps, on les invitait à aller voter. Il y avait là une
contradiction absolue. On connaît cette histoire et ce qu'il s’est passé.
Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, on est
en situation d'inviter les Français à reprendre, autant que possible, une vie
ouverte, simplement, il faut prendre des précautions. Il faut que les attentes,
dans les bureaux de vote, aient lieu à l'extérieur, ce que je viens de dire
pour le grand air. Il faut qu'il y ait du gel hydroalcoolique, des masques
obligatoires, que l'on aide à les fournir et, à ce moment-là, on votera et
cette séquence se clôturera, et il en ait le plus grand besoin. Pourquoi ?
On a besoin que les collectivités locales soient parties prenantes de la
relance ou du nouveau départ du pays.
Il était prévu, éventuellement, un débat à l'Assemblée
et tout le monde a considéré que ce n'était pas utile.
Je pense que c'est une responsabilité de l'Exécutif. Je
comprends très bien ce que le Premier ministre avait à l'esprit, en demandant
un débat, car le nombre de gens qui ont dit blanc jusqu'au premier tour et qui
ont dit noir après le premier tour, en s'indignant, en apparence, des décisions
prises, c'était une manière de demander à chacun de prendre ses
responsabilités. J'ai l'impression que l'on n'est pas dans un pays où les
oppositions prennent facilement leurs responsabilités lorsqu'il s'agit de
partager, d'être co-responsable des décisions.
Vous ne craignez pas une deuxième vague d'épidémie en
juin ?
C'est tout à fait possible et c'est à craindre, mais
regardons les choses en face, on ne peut pas maintenir un pays sous cloche, on
ne peut pas maintenir un pays entièrement bloqué et fermé et, en même temps,
assumer 100 % de la vie du pays, les indemnités du chômage partiel, de
l'aide que l'on doit apporter aux gens. Tout cela, c'est impossible. Il y a un
moment où, naturellement, après avoir ralenti l'épidémie et, pour ainsi dire,
être arrivé au seuil de non-contagion que l'on voulait atteindre ‑ je ne dis
pas que ce soit définitif, je n'en sais rien et, d'ailleurs, les
épidémiologistes eux-mêmes n'en savent rien ‑ c'est frappant de voir, à
quel point, on entend des messages dans tous les sens contradictoires entre
eux. Donc, il faut observer, être prudent et avoir une orientation, une détermination.
C'est que si quelque chose ne va pas, on le changera.
Ce n'est pas parce qu'on prend une décision
d'ouverture que cette décision ne sera jamais remise en question. On est devant
un problème inédit. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de l'humanité
qu'il y a une épidémie provoquée par un virus, mais, vous voyez bien, on doit
être en situation d'observation et de prudence. C'est ce qui doit être
l'attitude des gouvernants, et quand je dis "gouvernants", je ne
parle pas uniquement du gouvernement du Président de la République, mais je
parle de tous ceux qui ont une responsabilité dans la société, c'est-à-dire à
peu près chacun des citoyens.
Finalement, cette crise, ce qu'elle nous a montré,
c'est que l'État ne peut pas tout. Faut-il donner plus de pouvoirs aux
collectivités ? Est-ce qu'il faudra oser y aller ? Est-ce que l'État
français doit se transformer pour devenir un pays moins décentralisé ?
Vous m'ouvrez une porte que j'aime bien voir ouverte
et que je plaide depuis très longtemps. Je vais dire pour vous ce que je crois
le plus profondément. Je pense que l'organisation administrative et politique
de la société française est infiniment trop centralisée, infiniment trop
bureaucratique, infiniment trop engoncée et qu'elle ne fait pas suffisamment de
place à l'initiative locale ou des entreprises ou associations. Je pense que
notre mode d'organisation vient de montrer spécialement dans ces problèmes de
santé, et quand vous comparez avec des pays voisins, j'ai l'Allemagne à
l'esprit, mais ce n'est pas le seul, alors vous vous apercevez que cette
organisation-là, en réalité, nous empêche de déployer le potentiel qui est
celui du peuple français, de notre pays.
Emmanuel Macron, quand il arrive au pouvoir en
mai 2017, est favorable à plus de décentralisation. Il était pour ce pacte
girondin qu'il avait présenté à l'été 2017 et, finalement, en ce moment,
quand on l'entend parler, il est plus dans un registre de se rétracter, dans
une recentralisation que dans une décentralisation.
Je ne crois pas du tout que votre diagnostic soit
vrai. Je pense exactement le contraire. Pardonnez-moi, je vais le dire de
manière brute, pour ne pas dire brutale, le Président de la République a été
élu sur une immense demande de changement de l'organisation des pouvoirs en
France. Et, il a constamment eu à l'esprit, cette attente-là. La preuve, c'est
qu'il a lancé, après les gilets jaunes, une démarche pour que la Haute
administration, la sélection des "élites" puisse se faire de manière
différente, mais il se trouve que la résistance de ces organisations est très
grande et que, pour l'instant, en effet, il n'a pas pu assumer ou il n'a pas pu
imposer cette vision-là.
La plupart des Français disent : "mais, il
est Président de la République, donc, il peut". Cela ne se passe pas comme
cela. Le Président de la République, c'est tout à fait nécessaire, car toutes
les communautés humaines ont besoin de quelqu'un qui les entraîne, sans
exception. Cette mission qui est la sienne, elle a besoin d'être soutenue, elle
a besoin d'être portée, elle a besoin d'être encouragée et, pour l'instant,
étant donné l'organisation de ces pouvoirs, eh bien, il a rencontré plus de
résistance que l'on aurait dû s'y attendre. Tout a été raison de blocage, mais
je puis attester, en tout cas, dans les conversations que j'ai avec lui,
quotidiennement, c'est une préoccupation pour lui, quotidiennement, j'allais
dire c'est un espoir pour lui, mais, aujourd'hui, il n'a pas trouvé les moyens,
nous n'avons pas trouvé les moyens, de porter ce grand changement dont la
France a le plus grand besoin.
Si j'avais à dire, au fond, ce que sont les deux
grands besoins de la France, le premier, on vient de l'évoquer longuement,
c'est le besoin de trouver une organisation différente qui fasse que le centre
du pouvoir ait davantage confiance dans le terrain. On dit toujours qu'il faut
donner des pouvoirs supplémentaires. Je ne le crois pas du tout. On en a des
pouvoirs, en tout cas, le maire d'une ville importante que je suis, et capitale
de province, sait qu'il a des pouvoirs. On demande une chose, c'est que l'on
puisse les exercer, qu'il n'y ait pas constamment cette emprise, trop souvent
bureaucratique, qui fait qu'il y a des limitations à ces pouvoirs, mais en
disant cela, je parle aussi de l'hôpital, par exemple. Le fait que beaucoup de
soignants aient le sentiment qu'ils sont ensevelis sous des tâches
administratives qui ne sont pas autre chose que des tâches de contrôle, que
l'organisation appelle toujours à faire remonter la décision et jamais à la
rapprocher du terrain, pour moi, c'est une grande faiblesse du pays.
Il y a une deuxième grande faiblesse du pays. C'est la
capacité, dans laquelle nous sommes depuis longtemps, d'avoir recherché une
prévision efficace sur l'avenir et une mise en batterie, si nous rencontrons
des problèmes prévisibles. Un vieux proverbe français dit :
"gouverner, c'est prévoir". Je crois exactement cela. Devant cette
épidémie, mais pas seulement, devant tous les problèmes que nous rencontrons,
il y a des décennies que nous avons abandonné cette volonté de trouver, de
discerner les problèmes que nous pouvons rencontrer et d'avoir un plan ou une
stratégie pour y répondre.
Vous diagnostiquez le fait que le principal blocage,
c'est la bureaucratie, c'est le mauvais fonctionnement de l'État. Pensez-vous
qu'il y a une chance, d'ici la fin du quinquennat, de faire voler ces blocages,
car nous sommes dans une situation inédite et à quelles conditions cela peut-il
se produire ?
Ce n'est pas en termes de chance qu'il faut analyser
cette question, mais en termes d'obligation. Si nous ne changeons pas notre
mode d'organisation, si la France n'est pas saisie par une volonté de renouveau
profond, s'appuyant sur le potentiel de son peuple, sur ses attentes, ses
aptitudes, sa capacité à inventer et à répondre, si nous ne saisissons pas
cette chance, alors nous aurons de très graves difficultés, vraiment très
graves.
Ce que je vois venir, et hélas cela paraît à peu près
certain, c'est une immense crise économique, qui va entraîner une immense crise
sociale, pouvant entraîner une immense crise démocratique. Nous avons donc absolument
besoin, c'est une urgence, une nécessité, une obligation, de remettre à plat
l'organisation de notre pays et l'organisation des pouvoirs en son sein, les
étages différent dans lesquels se perd le fleuve de la volonté du pays. Nous
avons absolument besoin de simplifier, de raccourcir les chaînes de décision,
de faire confiance au terrain, comme nous avons vu que c'était obligatoire dans
les crises.
Que venons-nous de vivre ? C'est une immense crise
mondiale, une pandémie mondiale en face de laquelle l'État s'aperçoit qu'il est
bien obligé de faire confiance aux maires, qui sont l'autorité légitime choisie
par les citoyens sur le terrain, et ceci est incroyablement significatif de ce
que nous avons à faire.
Comment faire, s'il faut renouveler, rebooster ?
D'abord, il n'y a pas beaucoup de temps.
Je sais deux choses, dont la première est qu'il faut
que le Président de la République, car c'est à lui que cela revient, présente
aux Français un nouveau modèle d'organisation de la société française et des
pouvoirs dans la société française. Il faut qu'il dise de la manière la plus
explicite, la plus claire et la plus simple, car c'est une question simple,
comme toutes les grandes questions historiques, il faut qu'il dise aux Français
ou avec les Français ce qu'il croit nécessaire pour cette nouvelle aire dans
laquelle nous sommes.
C'est l'organisation des pouvoirs, c'est la manière
dont cela fonctionne et la confiance que l'on doit retrouver en laissant les
gens agir.
Deuxième chose : il faut que la France mettre en
place une capacité de se doter d'objectifs sur les crises prévisibles et sur
les changements que nous sommes en train de vivre. En réalité, depuis des
décennies, nous sommes uniquement dans le constat des orientations prises pour
simplifier par le marché, par les initiatives individuelles et d'entreprise, ce
qui est très bien, mais pas suffisant. Je pense qu'il faut aussi qu'un
grand pays se dote d'objectifs.
Comment imaginer l'avenir quand on doit supporter une
dette qui n'a jamais été aussi élevée, non seulement en valeur absolue, mais
également en proportion du PIB et de la richesse française?
Vous savez à quel point je me suis battu sur ces
questions de déficit et de dette. Je me bats depuis 15 ans, avec une
certitude, c'est que, si nous voulions, le moment venu, dans une situation
grave, avoir des capacités d'intervention, alors il fallait les préparer. Cela
n'a pas été fait. Tous les gouvernements successifs confondus en ont été
incapables et nous nous trouvons devant une situation difficile. Je pense qu'il
faut, là encore, un plan, un projet et ce dernier est, pour moi, très simple.
Il s'agit de considérer que la dette due à cette épidémie n'est pas une dette
ordinaire. Aucun des pays atteints, pas même la Chine, n'est responsable de la
naissance de cette épidémie en dehors des complotismes. C'est une mutation de
virus comme il s'en produit dans l'histoire de l'humanité et probablement dans
l'histoire biologique de la terre depuis très, très longtemps, une mutation
dont personne n'est responsable. Tout le monde a eu à faire face à un tsunami
et ce dernier nous a placés dans une situation de très grave crise et de très
grave mise en cause de tout ce qui constituait les cadres de notre vie et
notamment de notre vie économique. Personne n'est responsable.
Nous allons avoir besoin de très importants
investissements pour nous en sortir. Ces investissements, ce sera de l'emprunt,
ce sera de la dette. Je propose que nous analysions très précisément, à l'euro
près si possible, ce que cette crise nous impose d'emprunter, quel est le
montant de la dette que nous allons devoir mettre en œuvre pour redresser nos
pays, car je ne parle pas seulement de la France bien sûr, et que cette dette
soit cantonnée.
Il s'agit de pouvoir réaliser cet emprunt avec un
différé d'amortissement de 10 ans, que nous puissions dire : "Voilà, nous allons devoir dépenser, nous
n'annulons en rien la dette antérieure, car c'est comme cela que nous pouvons
faire face à notre responsabilité mais cette dette due au Covid-19 sera
cantonnée, puis remboursée avec un différé d'amortissement de 10 ans".
Les organisations internationales – je pense à la BCE, mais nous pourrions
penser à la Commission européenne – sont là pour permettre aux pays d'assurer
les conditions de leur redressement.
Premièrement, la dette n'est la faute de personne, car
la situation n'est la faute de personne. Deuxièmement, nous avons besoin
d'emprunter. Troisièmement, nous devons pouvoir emprunter en ayant 10 ans
devant nous pour commencer à rembourser cette dette.
Par rapport à la situation européenne actuelle,
avez-vous cette crainte ou pensez-vous que nous pouvons nous en sortir
collectivement ?
Pour moi, cette crainte est immense ou la menace est
immense et ce n'est pas une menace à écarter du revers de la main. Je crois que
c'est la première fois dans mon engagement politique, qui date de quelques
années, que j'ai, en effet, cette crainte de l'éclatement et notamment de
l'éclatement de la zone euro. Heureusement, j'ai le sentiment que les
conversations entre le Président de la République française et la Chancelière
allemande font un peu bouger les choses. Je pense que certains éléments
permettent de penser qu'Angela Merkel est moins prisonnière de la situation
dogmatique qu'un certain nombre d'organisations ou de tribunaux en Allemagne
voudraient faire naître. Je pense qu'elle a le sentiment justifié que, si
l'euro se cassait, ce ne serait pas seulement une menace pour la France,
l'Italie, l'Espagne, la Belgique et d'autres pays, si l'euro se rompait, ce
serait une menace considérable pour l'Allemagne, car, ce dans cas, la monnaie
allemande exploserait à la hausse et les capacités allemandes d'exportation
seraient profondément atteintes. C'est une menace pour tout le monde. J'espère
que nous la conjurerons. Toutefois, quand vous dites que, sur le projet que je
viens d'exposer devant vous, il faut l'accord des autres. Non. Ce n'est pas le
cas si nous obtenons ce différé d'amortissement, que je pense nécessaire pour
redresser le pays, 10 ans pour remettre les choses en place et commencer à
rembourser ce que nous aurons emprunté et qui sera très important, sachant que
je vois les chiffres plus importants que ce que tout le monde dit. Au bout du
compte, je pense que cette situation imposera un investissement de l'ordre de
plusieurs centaines de milliards, entre 400 Md€ et un peu plus de 600 Md€,
c'est-à-dire à peu près entre 20 % et 25 % du PIB du pays, immobilisé sur
plusieurs années, ce qui est considérable, mais également vital.
À propos d'Europe, comment imaginer une politique
européenne quand on voit qu'aujourd'hui, face à la crise du Covid-19, les
réponses des Européens ont été différentes entre les divers pays. Comment
imaginer un avenir commun entre des États qui ne voient pas le même intérêt,
les uns avec les autres ?
L'Union européenne, l'organisation des États européen,
cela ne signifie pas que nous sommes tous du même avis, mais cela signifie un
point précis : devant l'immensité des menaces, il convient de décider d'agir
ensemble, pas tous de la même manière, car il ne sera pas possible d'avoir un
seul type de décision, quels que soient les pays et quelles que soient les
circonstances. Comme je plaide pour la confiance au terrain en France, je
plaide pour la confiance au terrain aussi dans l'ensemble européen, mais les
instruments ou les armes dont nous avons à nous doter pour faire face à
l'ampleur des menaces, nous devons, oui, les définir ensemble. Pour répondre
précisément à la question que vous avez posée, oui, je crois qu'il existe une
menace énorme sur l'Union européenne. C'est même la première fois de ma vie –
je vous le disais –, que j'ai une crainte. Je trouve que, si des pays ou des
groupes de pays décident de ne jouer que leur intérêt à courte vue, mal compris
selon moi, rien ne sera possible. Encore une fois, entre les pays
exportateurs et les pays importateurs, il existe une communauté d'intérêts,
car, s'il n'y a plus personne pour vous acheter les produits que vous
produisez, alors vous ne les produirez plus. Cette manière de regarder les
choses à courte vue est absurde.
Que mettez-vous clairement en cause ? Vous évoquez certains
pays. Desquels s'agit-il ?
Vous venez de voir une décision de la justice
allemande, de la Cour de Karlsruhe, comme on a l'habitude de dire, qui a, au
fond, enjoint à la BCE de ne pas prêter comme elle le faisait libéralement aux
pays.
Vous avez été très élogieux vis-à-vis d'Angela Merkel
qui est dans une situation politique très compliquée. Quels pays faut-il
entraîner avec nous ?
Mon ton n'est pas celui de l'éloge. Ce que je vois,
c'est que, contre une partie de son opinion publique et contre une partie des
décideurs allemands, Angela Merkel semble prendre la direction de résister aux
pressions. De ce point de vue, c'est une observation poussant en effet à
l'optimisme. Il en existe une deuxième : parmi les chefs d'État et
de Gouvernements européens, le plus déterminé sur ce sujet, même s'il n'a pas
toujours réussi, c'est le Président de la République française. Nous avons une
parole en Europe - je ne dis pas qu'elle est suivie par tout le monde, très
loin de là - qui compte et qui montre une direction. De ce point de vue,
je trouve que c'est plutôt encourageant, mais nous sommes devant un immense
combat politique, lequel ne se ne gagnera pas si nous n'y associons pas les
citoyens. Pour l'instant, ce qui est frappant, c'est que nous sommes dans un
jeu diplomatique. De quoi s'agit-il ? Des débats, des questions agitées, des
rapports de forces, mais à l'abri de l'opinion publique, car personne n'en est
saisi et personne n'a entendu de déclaration très importante sur ce sujet. Personnellement,
je suis partisan d'associer l'opinion publique et d'associer les citoyens à ces
grandes questions.
Comment les associer, excepté via les enquêtes
d'opinion où l'on voit que les citoyens ne font pas confiance à l'exécutif pour
gérer cette crise ?
Je ne crois pas du tout cela. Je n'ai pas ce
sentiment. Je trouve même les chiffres assez hauts et, encore ce matin, il y a
une progression de cinq points.
4/10 !
Ce n'est pas loin de la majorité dans un pays comme la
France qui est assez naturellement "bougon", assez naturellement
prompt à rouspéter ou à être en désaccord avec ses dirigeants, quels qu'ils
soient et quelles que soient les couches successives de dirigeants que nous
ayons eues. Ce n'est pas en France que vous trouverez l'adhésion maximale
lors de la prise de décisions, notamment des décisions difficiles. C'est
classique. Toutefois, sur le fond, je suis absolument persuadé que les
Français, comme d'autres, et, d'ailleurs, les chiffres ont, de ce point de vue,
évolué positivement, savent que nous ne nous en sortirons pas seuls et que, si
nous sommes seuls, alors nous serons abandonnés à la loi des autres. Cela fait
des années et des années que je suis profondément blessé par le fait que l'on
accepte, par exemple, que les États-Unis décident pour le reste du monde.
Le jour où les États-Unis décident qu'il convient, par
exemple, d'imposer des sanctions à l'Iran, cela s'applique à toutes les
entreprises du monde, même celles qui sont le plus en désaccord avec cela, car
ils ont monté un système dans lequel leur monnaie - le dollar - joue un rôle si
important que les échanges passent forcément par le dollar. Ils ont voté une
loi selon laquelle "toute
personne ou toute entreprise qui passe par le dollar relève des lois
américaines et, si elle ne les applique pas, on peut l'envoyer en prison ou lui
infliger des milliards de dollars d'amende". Personne ne s'en
émeut. On n'en parle pas. On fait comme s'il n'était pas possible de procéder
autrement. Quand il m'est arrivé d'en parler avec des dirigeants de très
grandes entreprises françaises frappées par cet oukase, ils me répondaient :
"Oui, mais on ne peut pas faire
autrement".
Je veux
simplement mentionner que ce déséquilibre, qui fait que notre souveraineté est
abandonnée à la décision de la puissance américaine est, pour moi, comme
citoyen, comme individu, absolument insupportable, absolument à rejeter et,
tant que nous n'aurons pas posé ce genre de question qui est celle de la
souveraineté - celui qui en parle, franchement, actuellement, c'est le
président de la République -, cela n'avancera pas. C'est de notre destin qu'il
s'agit, c'est à nous de décider de notre destin et pas à d'autres de décider à
notre place. Cela passe donc évidemment par la construction, l'édification
d'une Europe qui décide d'être maîtresse de son avenir.
On sent bien que tout n'est pas rose malgré tout sur
la question sociale en ce moment en France. Qu'est-ce vous dites? Que tout
pourrait maintenant très très vite déraper et surtout est-ce que vous avez des
solutions pour faire baisser cette pression, cette tension que l'on sent
inlassablement monter ?
D'abord j'espère que votre vision est peut-être moins
pessimiste que ce que vous avez exprimé. Le Président de la République est en
première ligne. Vous dites qu’il y a moins de retenue. Franchement, il y a 10
ans, il y a 15 ans que la retenue que vous évoquez n'existe plus. Souvenez-vous
des manifestations innombrables de la manière dont les Français s'adressaient à
Nicolas Sarkozy, s'adressaient à François Hollande. Bon… Le Président de la
République, en raison de nos institutions, et des besoins du temps, est en
première ligne. C'est lui qui incarne l'orientation du pays, c'est lui qui la
porte et il a décidé qu'il ne se cacherait pas, qu'il ne s'échapperait pas. Il
a multiplié les voyages, les rencontres, les occasions de discussion avec le
pays, il l’a fait pendant toute la crise des gilets jaunes et il le fait là. Je
pense qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles car, s'il se cachait, s'il
se planquait comme on dirait entre guillemets, alors les Français seraient en
droit de le lui reprocher. C'est lui qui a choisi la date du 11 mai et, à
mon avis, il a bien fait car je ne vois pas que l'on pouvait maintenir le pays
enfermé pendant plus longtemps donc il prend des risques.
Est-ce que vous avez des solutions? Comment fait-on
pour recréer ce lien dans le contexte dans lequel on est aujourd'hui ?
J'ai connu à peu près tous les derniers Président de
la République et ils ont tous eu le sentiment que ce truc c'était le rocher de
Sisyphe. Sisyphe monte le rocher jusqu'au sommet de la montagne et il le pose
et à ce moment-là le rocher dévale la montagne et il faut recommencer. Mais
c'est parce que les sociétés dans lesquelles nous vivons en sont là et c'est
parce que la France n'a pas construit le réseau de responsabilité qui fait que
tout ne repose pas sur les épaules d'un seul homme. Je ne suis pas en train de
dire qu'il ne faut pas de chef, qu'il ne faut pas de leader, qu'il ne faut pas
de responsable. Je pense exactement le contraire. Je dis souvent que le seul
point sur lequel j'ai changé d'avis dans toute ma vie en politique, c'est
celui-là. Quand j'étais jeune, j'étais autogestionnaire, je pensais qu'il n'y
avait pas besoin de chef, que l'on pouvait se débrouiller très bien et la vie
m'a montré que l'on a absolument besoin d'un responsable.
Emmanuel Macron rendait hommage aujourd'hui au Général
de Gaulle. Finalement, François Bayrou, vous êtes devenu gaulliste ?
Je l'ai toujours été. Si vous m'aviez fait l'amitié de
lire les ouvrages que j'ai écrits, vous auriez vu. Qu'est-ce il y a de marquant
dans cette figure contemporaine historique ? Ce qu'il y a de marquant,
c'est qu'il a refusé la fatalité et que ceci est une question qui se pose tous
les jours à tous les gouvernants et à tous les citoyens. Est-ce qu’on accepte
que le poids des choses soit si lourd qu'il n'y a plus qu'à baisser les bras et
essayer de s'en accommoder et, au fond, de collaborer, comme on peut, en
sauvant ce que l'on peut sauver de l'affaissement du pays ? C'est une
question qui se pose tous les jours et, en effet, ce qu'apporte la figure du
Général de Gaulle, c'est de dire : Nous ne devons pas accepter cette
fatalité de l'effacement, de l’effondrement et de la faiblesse. On peut et on
doit porter une autre vision de l'avenir autour de laquelle se mobiliseront les
âmes fortes, on va dire, les courages prêts à agir et ceci est le message et il
n'y a pas de message plus actuel que celui-là.
Ce n'est pas un message politique, j'allais dire c'est
un message de femmes et d'hommes qui choisit son destin, qui va écrire sa
propre histoire et sa destinée.
Est-ce que vous pensez que les Français en sortie de
confinement ont le sentiment que la situation est aussi grave que celle que
vous dites ?
Probablement pas parce que l'espèce humaine croit
toujours que cela va s'arranger et que l'on va sans difficulté reprendre les
choses où on les avait laissées. Moi je ne le crois pas et, en plus, il y a un
paradoxe incroyable dans tout cela. L'humanité avait construit un réseau inouï
d'échanges matériels, financiers, numériques et c'est la plus petite parcelle
du vivant, c'est-à-dire un virus qui fait quelques fractions de millièmes de
millimètres qui est venu mettre le grain de sable et, à côté d'un virus, le
grain de sable est un géant dans cette immense organisation et tous les rouages
ont craqué. Nous avons à les reconstruire. C'est beaucoup plus dur de
construire que de poursuivre. C'est un immense défi. Il va falloir du
caractère, de l'imagination et une volonté sans faille pour le faire.
Et des sacrifices ?
Des efforts.
À propos de défi et de volonté de faire, il y a
quelqu'un dont la cote de popularité est en train de grimper, c'est celle
d'Édouard Philippe. Il est plus haut de 9 points dans l’IFOP qu’Emmanuel
Macron. Est-ce que cela le rend intouchable pour la suite ou est-ce vous
considérez qu'il faut un grand remaniement pour l'acte 3, l’acte 4 et la
suite ?
Si, évidemment, les analyses de journalistes, comme de
la plupart des gens qui discutent de politique, vont toujours dans le même
sens. J'ai une idée simple. La division est mortelle. Comme vous savez, je l’ai
toujours dit dans ma famille politique, je l'ai toujours dit dans la démocratie
française, je l'ai toujours dit en critiquant l'affrontement stupide entre
guillemets droite contre entre guillemets gauche, j'ai toujours dit qu'il y
avait là une impasse et ce n'est pas d'aujourd'hui, car si vous reprenez
l'écriture, il y a un texte magnifique qui dit : « Toute
demeure divisée contre elle-même périra ». Cela a 2500 ans et c'est
la vérité la plus certaine.
Vous voulez dire un grand ramassis d'union nationale
en mettant tout le monde ?
Non, pas du tout, car, cela, les ramassis de gens qui
sont en désaccord entre eux, je suis persuadé que l'on ne peut rien faire comme
cela, mais on ne doit pas aborder les problèmes dans la recherche d'opposition
artificielle ou exagérée entre les gens. Naturellement, il y a assez souvent,
dans la vie politique comme dans la vie tout court, comme dans les associations
et même dans les familles, des agacements. C'est la vie, c'est comme cela que
cela marche, on en est préservé quand on est à 850 km du lieu du jeu
politique, comme j'ai la chance de l'être. Là, on est un peu plus cool, comme
vous diriez. La certitude qui est la mienne, c’est que, si on accepte la
division ou si on la recherche, à ce moment-là on se condamne à mort. On l'a vu
à d'autres époques avec d'autres partis et je recommande qu'on ne l'oublie pas.