Voici le discours d’Edouard Philippe, le Premier ministre, à
l’Assemblée nationale le 28 avril concernant «la stratégie nationale du plan de
déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid19»,
déconfinement qui démarrera le 11mai prochain, ainsi que les interventions
centristes de Gilles Le Gendre (LaREM), Patrick Mignola (MoDem), Jean-Christophe
Lagarde (UDI) et Bertrand Pancher (Mouvement radical).
► Édouard Philippe (Premier ministre)
Voici donc le moment où nous devons dire à la France comment
notre vie va reprendre. Depuis le 17 mars, notre pays vit confiné. Qui
aurait imaginé, il y a seulement trois mois, la place que ce mot allait prendre
dans notre débat public? Qui aurait pu envisager une France dans laquelle,
subitement, les écoles, les universités, les cafés, les restaurants, une
majorité d’entreprises, les bibliothèques, les librairies, les églises, les
temples, les synagogues et les mosquées, les jardins publics et les plages, les
théâtres, les stades, tous ces lieux communs – pour utiliser une formule
qu’affectionne le président de l’Assemblée nationale – auraient été
fermés ?
Jamais dans l’histoire de notre pays, nous n’avions connu
une telle situation : ni pendant les guerres, ni pendant l’Occupation, ni
pendant les précédentes épidémies. Jamais le pays n’avait été confiné, comme il
l’est aujourd’hui. De toute évidence, il ne peut l’être durablement, car si le
confinement a constitué une étape nécessaire, il pourrait, s’il durait trop
longtemps, avoir des effets délétères.
Le confinement a été un instrument efficace pour lutter
contre le virus, pour contenir la progression de l’épidémie, pour éviter la
saturation des capacités hospitalières et, ce faisant, pour protéger les
Français les plus fragiles. Depuis le 14 avril dernier, le nombre de cas
de Covid-19 hospitalisés diminue : de plus de 32 000 patients
hospitalisés, il est descendu à environ 28 000. Depuis le 8 avril, le
nombre de cas en réanimation diminue : il dépassait 7 100 ; il
est désormais de 4 600. La décrue est engagée. Elle est régulière
– lente, j’y reviendrai, mais régulière. Selon une étude de l’École des
hautes études en santé publique, le confinement aura permis d’éviter au moins
62 000 décès en un mois et 105 000 lits de réanimation
auraient manqué en l’absence de confinement. Je ne crois pas que notre pays
aurait supporté cela.
Toutefois, un instrument ne vaut que si ses effets positifs
ne sont pas, dans la durée, dépassés par ses conséquences négatives. Or nous
savons, par l’intuition ou par l’expérience, qu’un confinement prolongé au-delà
du strict nécessaire aurait pour la nation des conséquences gravissimes. Nous
sentons que l’arrêt prolongé de la production de pans entiers de notre
économie, que la perturbation durable de la scolarisation d’un grand nombre
d’enfants et d’adolescents, que l’interruption des investissements, publics ou
privés, que la fermeture prolongée des frontières, que l’extrême limitation de
la liberté d’aller et venir, de se réunir, de rendre visite à ses proches, à
ses parents présenteraient pour le pays, non pas seulement l’inconvénient
pénible du confinement, mais en vérité celui bien plus terrible du risque de
l’écroulement.
Je n’emploie pas ce terme au hasard. On me reproche plus
souvent d’user de la litote que de l’exagération. Il nous faut donc,
progressivement, prudemment, mais résolument, procéder à un déconfinement aussi
attendu que risqué et redouté. L’objectif du Gouvernement est de présenter à
l’Assemblée nationale et, grâce à elle, aux Français, notre stratégie
nationale, c’est-à-dire les objectifs que nous visons et la façon dont nous
allons procéder pour les atteindre à compter du 11 mai prochain.
Toute stratégie repose sur des constats. Le premier est
médical. Il tient en quelques mots simples, que tous les Français doivent avoir
en tête : nous allons devoir vivre avec le virus. Dès lors qu’aucun vaccin
n’est disponible à court terme, qu’aucun traitement n’a à ce jour démontré son
efficacité et que nous sommes loin d’avoir atteint la fameuse immunité de
groupe, le virus va continuer à circuler parmi nous. Ce n’est pas réjouissant,
mais c’est un fait.
On peut espérer que le virus disparaisse de lui-même. Les
spécialistes des épidémies s’accordent – du moins, certains d’entre
eux – pour reconnaître que cela arrive, que les épidémies s’arrêtent
parfois sans que l’on sache très bien pourquoi. On peut espérer que
l’incroyable effort de recherche engagé dans le monde entier permettra de
trouver sous peu un traitement et, d’ici douze à vingt-quatre mois, un vaccin,
qui renverrait ce virus au rang des questions de santé résolues par
l’intelligence et la technologie humaines.
On peut tout à fait espérer tout cela, mais fonder une
politique publique et organiser la vie des Français autour d’hypothèses aussi
incertaines n’est pas envisageable. Il nous faut donc apprendre à vivre avec le
Covid19 et à nous en protéger. Voilà la première contrainte – et le
premier axe de notre stratégie.
Le deuxième constat est à la fois médical et politique. Il
tient au risque de voir repartir l’épidémie.
La décision de confiner notre pays a permis de ralentir la
circulation du virus. Elle a permis que jamais nos services de réanimation ou
de soins intensifs ne soient saturés au point qu’ils n’auraient pu admettre de
nouveaux patients. Elle a permis à l’engagement des soignants, à l’imagination
des équipes hospitalières, à l’organisation logistique des soins de tenir, en
dépit d’une pression considérable, jamais vue. Je le répète : notre
système hospitalier a tenu – mais il l’a fait au prix d’une fatigue bien
compréhensible des femmes et des hommes, au prix d’une consommation de
médicaments de réanimation et de consommables jamais constatée jusqu’alors, au
prix d’une déprogrammation des opérations chirurgicales non nécessaires à court
terme, mais qui finiront par l’être.
Le risque d’une seconde vague, qui viendrait frapper un
tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un re-confinement, lequel ruinerait
les efforts et les sacrifices consentis au cours de ces huit semaines, est un
risque sérieux – un risque qu’il faut prendre au sérieux. Ce risque impose
de procéder avec prudence, progressivement, sûrement, en reprenant notre vie
selon des modalités qui permettent, semaine après semaine, de vérifier que nous
maîtrisons le rythme de circulation du virus.
Le deuxième axe de notre stratégie sera donc la
progressivité.
Le troisième facteur à prendre en considération est
géographique. Il tient là aussi en quelques mots : la circulation du virus
n’est pas uniforme dans le pays. Certaines parties ont été durement touchées,
certains territoires enregistrent encore, après six semaines de confinement, un
nombre élevé de nouveaux cas quotidiens, mais dans d’autres, le virus est quasi
absent.
Cette circulation hétérogène du virus crée, de fait, des
différences entre les territoires. Pour tous ceux qui, comme moi, croient au
bon sens, il n’est pas inutile – il paraît même nécessaire – de tenir
compte de ces différences dans la façon dont le déconfinement doit être
organisé. Il s’agit non seulement de ne pas appliquer le même schéma dans des
endroits où la situation n’est objectivement pas la même, mais aussi de laisser
aux autorités locales, notamment aux maires et aux préfets, la possibilité
d’adapter la stratégie nationale en fonction des circonstances.
C’est d’ailleurs pour cela que le Président de la République
et moi-même avons décidé de dire rapidement quelle était notre stratégie
nationale, afin que ceux qui vont participer à sa mise en œuvre puissent
prendre au plus tôt leurs dispositions. Avec plusieurs membres du Gouvernement,
avec le coordinateur interministériel Jean Castex, je rencontrerai demain les
associations d’élus locaux et les préfets, jeudi les partenaires sociaux, pour
engager ce travail de concertation et d’adaptation du plan aux réalités de
terrain.
Vivre avec le virus, agir progressivement, adapter
localement : voilà les trois principes de notre stratégie nationale. À
partir du 11 mai, sa mise en œuvre va reposer sur le triptyque
« protéger, tester, isoler ».
Protéger, c’est éviter d’être infecté par le virus ou
d’infecter les autres. Les médecins nous disent que la contagiosité de la
maladie apparaît deux jours avant les premiers symptômes et disparaît plusieurs
jours après. Ils disent également que des porteurs du virus en proportion non
négligeable ne présentent aucun symptôme et ne savent pas qu’ils peuvent le
transmettre. Dès lors, il est impératif que chacun puisse adopter les
comportements qui permettent d’éviter la contamination. À partir du moment où
nous ne serons plus en situation de confinement, où les occasions de contact
augmenteront à nouveau – il faudra les limiter, mais elles resteront plus
importantes qu’aujourd’hui –, le respect des gestes barrières et des
mesures de distanciation sociale prendra encore plus d’importance.
Ces gestes barrières, tout le monde les connaît
désormais : la distanciation physique et le lavage régulier des mains. À
cela, il conviendra d’ajouter – je dis bien d’ajouter – le port du
masque dans certaines situations. Je souhaite précisément revenir sur ce sujet,
car cette question des masques a suscité l’incompréhension et la colère de
nombreux Français : pourquoi n’y en avait-il pas pour tout le monde,
fallait-il en porter, où les trouver ? Lorsque la crise a commencé, nous
disposions d’un stock important de masques chirurgicaux – important au
sens où il permettait de répondre à plus de vingt semaines de consommation
normale des services hospitaliers. La production nationale était inférieure à
cette consommation normale, mais complétée par des importations régulières.
Avec l’apparition de l’épidémie en Chine, puis son arrivée en Italie,
l’importation est devenue momentanément impossible et la consommation a
augmenté dans des proportions incroyables.
Comme tous les pays européens, comme les États-Unis
d’Amérique, la France a dû gérer le risque d’une pénurie de masques. Trois
décisions ont donc été prises. D’abord, augmenter la production nationale de
masques chirurgicaux, autant que faire se peut. Ce n’est pas simple, mais nous
sommes en train d’y parvenir, en la doublant pour commencer, et en atteignant
bientôt cinq fois son volume initial. Ensuite, réserver le stock existant aux
personnels hospitaliers, pour garantir la fourniture de ces masques à ceux qui,
en première ligne, auraient à soigner les malades. Il est arrivé que nous
doutions de notre capacité à garantir cet approvisionnement dans la durée.
Réserver les masques aux soignants, c’était, mécaniquement, refuser de les
distribuer à d’autres : c’est un choix difficile ; c’est un choix
contesté ; c’est un choix que j’ai estimé nécessaire. Enfin, nous avons
lancé la production de masques en tissu pour compléter l’offre et ne pas
dépendre des importations, dont nous ne savions pas si elles pourraient
reprendre et, si elles reprenaient, pour combien de temps.
Les scientifiques eux-mêmes ont évolué. Au début, beaucoup
nous disaient que le port général du masque n’était pas nécessaire, que le
risque du mauvais usage était supérieur aux avantages espérés. Nous l’avons
répété ; moi-même, je l’ai dit. Ils nous disent aujourd’hui – ce sont
parfois les mêmes – qu’il est préférable, dans de nombreuses
circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter : il me
revient donc de le dire, et de faire en sorte que cela soit possible. Pendant
la phase de pénurie, l’outil des réquisitions a été fort utile. Depuis
maintenant plusieurs semaines, depuis que nous sommes rassurés quant à notre
capacité à fournir en masques les soignants, au sens large, nous incitons
l’ensemble des acteurs à se procurer des masques. Les données des douanes le
montrent d’ailleurs assez clairement : il entre dans notre pays bien plus
de masques que n’en commande le Gouvernement. Et croyez-moi, il en commande !
Nous recevons désormais près de 100 millions de masques chirurgicaux par
semaine ; nous recevrons près de 20 millions de masques grand public
lavables à compter du mois de mai.
Nous avons incité les entreprises et les collectivités à se
procurer également des masques ; certaines, d’ailleurs, n’avaient pas
attendu que nous les y incitions. Nous soutiendrons financièrement les
collectivités locales qui achètent à compter de ce jour des masques grand
public, en prenant en charge 50 % du coût de ces masques dans la limite
d’un prix de référence.
Vous l’avez
probablement remarqué, nous avons récemment rouvert les boutiques de tissus et
les ateliers de couture, et diffusé des guides pratiques de confection de
masques, afin que chacun se mobilise pour en produire. Grâce à cette
mobilisation de tous, il y aura assez de masques dans le pays pour faire face
aux besoins à partir du 11 mai. Mais l’enjeu, la responsabilité des
pouvoirs publics, notre responsabilité collective, c’est d’arriver, dans les
prochaines semaines, à organiser cet effort pour éviter que certains n’aient en
quelque sorte trop de masques, quand d’autres n’en auraient pas.
Progressivement, nous parviendrons à une situation classique où les Français
pourront, sans risque de pénurie, se procurer des masques grand public dans
tous les commerces. En attendant, il faut que l’État, les collectivités
territoriales, les entreprises, l’initiative privée, soient complémentaires et
non concurrents. Le Président de la République l’a dit : nous nous
appuierons sur les maires et sur les préfets, avec le concours de tous.
J’invite toutes les entreprises, quand leurs moyens le leur
permettent, à veiller à équiper leurs salariés. C’est une condition de la
reprise : elles le savent, elles le disent. Les régions et l’État mettront
en place un appui aux très petites entreprises, les TPE, et aux travailleurs
indépendants, au-delà des initiatives déjà prises par un certain nombre de
branches ou d’organisations professionnelles. Une plateforme de e-commerce sera
ouverte par la Poste à compter du 30 avril et distribuera chaque semaine à
ceux qui en ont besoin plusieurs millions de masques grand public.
L’État et les collectivités locales assureront la protection
de leurs personnels, en particulier ceux qui sont en contact avec le public.
Les préfets disposeront d’une enveloppe locale pour soutenir, avec les
départements et les régions, les plus petites collectivités. Les personnels de
l’éducation et les élèves des collèges recevront également des masques. Les
pharmacies et la grande distribution seront invitées à vendre, dans des
conditions que nous définirons avec elles pour éviter les phénomènes de
pénurie, des masques jetables ou lavables. Les particuliers sont bien sûr
invités à se confectionner eux-mêmes des masques dans les conditions
recommandées par l’AFNOR, l’Association française de la normalisation, et
l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Enfin, nous réserverons une enveloppe hebdomadaire de 5 millions de
masques lavables pour que les préfets organisent, avec les maires et les
présidents de conseil départemental, la distribution à ceux de nos concitoyens
qui se trouvent dans la plus grande précarité, par l’intermédiaire des centres
communaux d’action sociale — CCAS — et des acteurs associatifs.
Protéger, donc. Tester, ensuite. Là encore, les
recommandations scientifiques ont évolué. Après tout, sans doute est-ce normal
face à un virus inconnu. Cette crise sanitaire renvoie décidément tout le monde
à un devoir d’humilité.
La doctrine initiale consistait, dans ce que nous appelions
la phase 1, à tester au maximum. Nous avons d’ailleurs beaucoup testé en
phase 1. Lorsqu’un cas est apparu aux Contamines-Montjoie, et qu’il a
fallu le circonscrire, nous avons testé massivement ceux qui s’étaient
approchés, de près ou de loin, des malades identifiés. Mais la doctrine voulait
qu’une fois l’épidémie passée en phase 3, on ne teste plus que les malades
hospitalisés pour suspicion de Covid, les soignants symptomatiques et les
premiers cas dans les établissements accueillant des publics fragiles. C’est ce
que nous avons fait. Les temps ont changé ; la doctrine de l’OMS,
l’Organisation mondiale de la santé, aussi.
À la sortie du confinement, nous serons en mesure de
massifier nos tests. Nous nous sommes fixés l’objectif de réaliser au moins
700 000 tests virologiques par semaine à dater du 11 mai.
Pourquoi ce
chiffre ? Parce que le Conseil scientifique nous dit qu’à ce stade, les
modèles épidémiologiques prévoient entre 1 000 et 3 000 nouveaux
cas par jour à partir du 11 mai. Parce qu’à chaque nouveau cas
correspondra, en moyenne, le test d’au moins 20 à 25 personnes l’ayant
croisé dans les jours précédents ; 3 000 fois 25 fois 7, cela donne
525 000 tests par semaine ; 700 000 nous procure la marge
qui nous permettra, en plus de ces tests des chaînes de contamination, de mener
des campagnes de dépistage, comme nous en avons déjà engagé notamment pour les
EHPAD.
Pour atteindre cette cible, nous avons fait sauter les
verrous qui empêchaient la participation des laboratoires de recherche et des
laboratoires vétérinaires à cet effort collectif. La capacité à faire sauter
ces verrous sur le terrain, pas seulement dans les discours, est un exercice
qui incite aussi, je peux vous le dire, à une grande humilité. Nous avons
engagé la mobilisation conjointe des laboratoires publics et privés, qui
peuvent aujourd’hui monter en charge très rapidement. Cette mobilisation
permettra de garantir dans tout le territoire un accès de proximité aux
prélèvements. Nous allons enfin faire passer à 100 % la prise en charge de
ces tests par l’assurance maladie. En un mot, tout doit être fait pour rendre
la réalisation du test facile et rapide.
Dès lors que le résultat du test sera positif, nous
engagerons un travail d’identification de tous ceux, symptomatiques ou non, qui
auront été en contact rapproché avec la personne contaminée. Tous ces cas
contacts seront testés et invités à s’isoler, compte tenu des incertitudes sur
la durée d’incubation. Cette règle est simple à formuler. Mais elle exige, pour
être appliquée de façon systématique partout en France, des moyens
considérables. Nous ne pourrons réussir que grâce à la mobilisation des
professionnels de santé libéraux, notamment des médecins généralistes et des
infirmiers libéraux. Ils constitueront d’une certaine manière la première ligne
dans cette recherche des cas contacts pour tout ce qui concerne la cellule
familiale. Je sais qu’ils peuvent se mobiliser pour cette mission, et nous les
accompagnerons. En appui, les équipes de l’assurance maladie s’occuperont de la
démultiplication de cette démarche d’identification des cas contacts au-delà de
la cellule familiale. Dans chaque département, nous constituerons des brigades
chargées de remonter la liste des cas contacts, de les appeler, de les inviter
à se faire tester en leur indiquant à quel endroit ils doivent se rendre, puis
à vérifier que ces tests ont bien eu lieu et que leurs résultats donnent lieu à
l’application correcte de la doctrine nationale.
Protéger d’abord, tester ensuite, isoler enfin. L’objectif
final de cette politique ambitieuse de tests, c’est de permettre d’isoler au
plus vite les porteurs du virus afin de casser les chaînes de transmission.
Ll’isolement n’est pas une punition ni une sanction ; l’isolement est une
mesure de précaution collective, une mise à l’abri. L’isolement doit être
expliqué, consenti et accompagné. Notre politique repose, à cet égard, sur la
responsabilité individuelle et sur la conscience que chacun doit avoir de ses
devoirs à l’égard des autres. Nous prévoirons des dispositifs de contrôle, au
cas où ils seraient nécessaires, mais notre objectif est de nous reposer
largement sur le civisme de chacun. On observe d’ailleurs – les médecins
le disent, ceux qui ont dû gérer des épidémies le disent – que la
conscience individuelle, le respect civique des règles, lorsque l’on est
déclaré positif, est souvent presque absolu.
Il reviendra aux préfets et aux collectivités territoriales
de définir ensemble, avec les acteurs associatifs, les professionnels de santé,
les acteurs de la prise en charge à domicile, le plan d’accompagnement des
personnes placées dans cette situation d’isolement. Nous laisserons le choix à
la personne contaminée de s’isoler chez elle, ce qui entraînera pour des
raisons évidentes le confinement de tout le foyer pendant quatorze jours, ou
dans un lieu mis à sa disposition, notamment dans des hôtels réquisitionnés.
Un mot encore sur ce sujet, mais un mot important.
Pourrons-nous ou devrons-nous, afin d’être plus efficaces, nous appuyer sur les
ressources extraordinaires des outils numériques ? Un consortium européen
a lancé un travail devant permettre la création de l’application Stop Covid,
dont l’utilité ne peut s’envisager qu’en complément des mesures que je viens de
décrire. En complément, parce que les enquêtes sanitaires que j’ai évoquées,
qu’elles soient physiques ou téléphoniques, sont vitales, mais présentent une
faiblesse. Elles se heurtent parfois, dans les centres urbains, à
l’impossibilité de reconstituer les chaînes de transmission dans les lieux les
plus fréquentés, notamment dans les transports en commun. Difficile de prévenir
celui qui a partagé votre rame de métro à sept heures quarante-six sur la
ligne 12. Vous ne le connaissez pas, il ne vous connaît pas, et la RATP ne
vous connaît ni l’un ni l’autre. C’est l’objet du projet Stop Covid, qui
permettrait à ceux qui ont croisé une personne contaminée d’intégrer un
parcours sanitaire, sans bien entendu avoir aucune information sur l’identité
de la personne concernée.
De nombreux responsables politiques, de tous les partis,
jusqu’au président de l’Assemblée nationale, m’ont fait part de leurs
interrogations concernant cet outil, en particulier dans le domaine des
libertés publiques et des libertés individuelles. Ces questions, légitimes,
doivent être posées et débattues. Je pense même qu’elles devront donner lieu à
un vote.
Pour l’heure, en raison des incertitudes qui entourent cette
application, je serais bien en peine de vous dire si elle fonctionnera et de
quelle manière. Je ne doute pas que nous parviendrons à mener à bien ce projet
grâce aux ingénieurs qui y travailleront d’arrache-pied.
Nous n’en sommes pas là pour le moment aussi me semble-t-il
prématuré d’engager le débat. Je le répète : je
m’engage à ce qu’un débat spécifique suivi d’un vote spécifique ait lieu une
fois l’application opérationnelle et avant sa mise en œuvre. Le déconfinement s’accompagnera de mesures de protection. En
particulier, nous allons tester et isoler. Nous agirons progressivement et en
différenciant selon les territoires.
Nous devons procéder progressivement pour éviter une
deuxième vague en ne laissant pas repartir l’épidémie. Nous préférons tous,
ici, qu’un nouveau confinement généralisé ne suive pas le déconfinement.
Nous préparons le 11 mai en surveillant tous les
indicateurs pour nous assurer, département par département, que les opérations
pourront bien être lancées à cette date.
Voici un exemple pour illustrer ma prudence. J’ai indiqué
que nous fondions notre stratégie de tests sur une hypothèse de
3 000 cas nouveaux par jour autour du 11 mai. Si le confinement
se relâchait d’ici là et qu’à l’approche du 11 mai, disons jeudi
7 mai, le nombre de nouveaux cas journaliers n’était pas dans la
fourchette prévue et que les nombreuses chaînes de contamination n’avaient pu
être brisées, nous devrions en tirer les conséquences. Je le dis aux
Français : si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne
déconfinerons pas le 11 mai ou nous le ferons plus strictement.
Je préférerais, croyez-moi, que les hypothèses émises par
les modélisateurs et les épidémiologistes, de 3 000 cas par jour au
11 mai, se vérifient. Si ce n’est pas le cas, je suis très clair, nous en
tirerons les conséquences.
J’ai reçu hier du directeur général de la santé des modélisations
moins favorables, qui pourraient être dues au relâchement des comportements, à
une baisse insuffisante du nombre d’hospitalisations ou à l’inexactitude des
hypothèses sur lesquelles les modélisateurs se fondent.
Je le dis avec solennité devant la représentation
nationale : ces incertitudes doivent inciter tous les Français à la plus
grande discipline d’ici le 11 mai et à la lutte contre les risques de
relâchement que nous sentons parfois monter dans le pays.
Si tout est prêt le 11 mai, comme nous le pensons,
commencera alors une phase qui durera jusqu’au 2 juin et au cours de
laquelle nous vérifierons que les mesures prises permettent de maîtriser
l’épidémie. Son évolution déterminera les dispositions que nous devrons prendre
pour la phase suivante qui s’étendra du 2 juin jusqu’à l’été. Fin mai,
nous verrons si nous pouvons rouvrir les cafés et les restaurants.
C’est donc par paliers de trois semaines que nous
avancerons, en restant attentifs à l’effet de nos décisions et au comportement
de nos concitoyens.
La progressivité s’accompagne d’une différenciation selon
les territoires.
En effet, tous les territoires n’ont pas été touchés de la
même manière par l’épidémie. Nous espérons tous que le 11 mai, si le virus
continue à circuler dans certains départements, il en épargne d’autres ou les
touche peu.
Il est donc logique que, tout en gardant la plus extrême
prudence, nous proposions un cadre de déconfinement adapté aux réalités locales
de l’hexagone comme de l’outre-mer.
La direction générale de la santé et Santé publique France
ont établi trois ensembles de critères permettant d’identifier les départements
où le déconfinement devra être plus strict : soit le taux de cas nouveaux
dans la population, durant une période de sept jours, est élevé, ce qui signifierait
que la circulation du virus reste active, soit les capacités hospitalières
régionales en réanimation restent tendues, soit le système local de tests et de
détection des chaînes de contamination ne sont pas prêts.
Ces indicateurs seront analysés le 7 mai, afin de
déterminer quels départements basculent le 11 mai dans la catégorie
« rouge » si la circulation du virus reste
élevée ou « verte » si elle est limitée. À partir de jeudi, le
directeur général de la santé présentera tous les soirs la carte des résultats,
département par département.
Les départements s’en serviront pour préparer le
11 mai, en gardant à l’esprit que le confinement strict permet de ralentir
la circulation du virus et de remettre sur pied le système hospitalier et qu’il
est nécessaire d’instaurer un système de tests et de détection des cas contacts
efficace.
Je vous ai exposé les constats qui ont fondé la stratégie
nationale de déconfinement ainsi que les outils de santé publique. Je souhaite
désormais vous présenter l’organisation de la vie quotidienne des Français à
partir du 11 mai.
Notre stratégie nationale de déconfinement fixe les règles
nationales pour quelques enjeux prioritaires : l’école, les entreprises,
les commerces, les transports, la vie sociale.
Commençons par l’école. Le Président de la République l’a
rappelé : le retour de nos enfants sur le chemin des écoles est un
impératif pédagogique, un impératif de justice sociale, en particulier pour
ceux qui peuvent difficilement suivre l’enseignement à distance. Nous voulons
concilier ce retour avec nos objectifs de santé publique.
Ainsi, nous proposons une réouverture très progressive des
maternelles et de l’école élémentaire à partir du 11 mai, partout dans le
territoire et sur la base du volontariat. Ensuite, à partir du 18 mai,
seulement dans les départements où la circulation du virus est très faible,
nous pourrons envisager d’ouvrir les collèges, en commençant par les classes de
6ème et de 5ème. Nous déciderons fin mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en
commençant par les lycées professionnels, début juin.
Cette décision n’a pas été prise à la légère. Nous avons
pesé le pour et le contre après avoir consulté les spécialistes et étudié les
mesures prises par d’autres pays. La réouverture des écoles est nécessaire pour
garantir la réussite éducative des élèves, notamment les plus vulnérables
d’entre eux, dont la scolarité souffre terriblement du confinement.
Les classes rouvriront dans des conditions sanitaires
strictes : pas plus de quinze élèves par classe, une vie scolaire
organisée autour du respect des gestes barrières, des mesures d’hygiène
strictes et la distribution de gel hydroalcoolique. Tous les enseignants et les
encadrants des établissements scolaires recevront des masques qu’ils devront
porter quand ils ne pourront pas respecter les règles de distanciation.
Concernant le port des masques par les enfants, les avis
scientifiques nous ont conduits à prendre les décisions suivantes. Le port du
masque est prohibé pour les élèves de maternelle. Il n’est pas recommandé,
compte tenu des risques de mauvais usage, à l’école élémentaire, mais le
ministère de l’éducation nationale mettra des masques pédiatriques à la
disposition des directeurs d’école, pour les cas particuliers – par exemple,
pour un enfant qui présenterait des symptômes en cours de journée, le temps que
ses parents viennent le chercher.
Enfin, nous fournirons des masques aux collégiens qui
peuvent en porter et qui n’auraient pas réussi à s’en procurer, car le port du
masque sera obligatoire pour eux.
Un intense travail de préparation doit avoir lieu dans
chaque académie, afin que nous puissions préparer cette rentrée très
particulière.
Les enfants devront pouvoir suivre une scolarité, soit au
sein de leur établissement scolaire, dans la limite de quinze élèves par
classe, soit chez eux, grâce à un enseignement à distance qui restera
gratuit, soit en étude si les locaux scolaires le permettent ou dans des locaux
périscolaires mis à disposition par les collectivités territoriales, si elles
le souhaitent, pour des activités sportives, culturelles, civiques ou liées à
la santé.
J’ai admiré la mobilisation des fonctionnaires de
l’éducation nationale pendant le confinement, le dévouement des milliers
d’enseignants qui se sont impliqués pour accueillir les enfants de soignants –
lesquels resteront accueillis bien entendu –, l’ingéniosité de tous ceux
qui ont réinventé leur méthode d’enseignement pour offrir à leurs élèves des
modalités originales d’enseignement à distance.
Nous avons tous, autour de nous, des exemples
extraordinaires d’inventivité, d’engagement, d’imagination, pour maintenir le
lien essentiel entre le maître et l’élève, en dépit du confinement.
Je veux laisser le maximum de souplesse aux acteurs de
terrain en la matière. C’est ainsi que les directeurs d’école, les parents
d’élève, les collectivités locales trouveront ensemble, avec pragmatisme, les
meilleures solutions. Nous les soutiendrons et je leur fais confiance.
Les crèches seront
également rouvertes. L’accueil par groupes de dix enfants maximum sera
possible, avec la possibilité d’accueillir plusieurs groupes de dix enfants si
l’espace le permet et si les conditions sont réunies pour que les groupes ne se
croisent pas.
Cette réduction des capacités posera, au moins dans un
premier temps, la question des priorités d’accueil. Les crèches accueillent
déjà les enfants selon des critères économiques et sociaux, qu’il n’appartient
pas à l’État de définir à la place des gestionnaires. Il me semble néanmoins
que l’impossibilité de télétravail pour un couple d’actifs ou les difficultés
rencontrées par les familles monoparentales devront être prises en compte. Les
enfants des soignants et des professeurs devront également être prioritaires.
Le port du masque grand public sera obligatoire pour les professionnels
de la petite enfance, puisque les règles de distanciation physique ne peuvent
pas être appliquées. Bien sûr, les enfants de moins de trois ans ne devront pas
porter de masque.
Le déconfinement doit aussi permettre la reprise de la vie
économique.
Pour cela, nous devons réorganiser la vie au travail. Le
télétravail doit être maintenu partout où c’est possible, au moins dans les
trois prochaines semaines. Je le demande avec insistance aux entreprises. Nous
en avons mesuré, depuis mi-mars, le déploiement massif. Personne n’en ignore
les contraintes mais il doit se poursuivre afin de limiter le nombre d’usagers
des transports publics ainsi que les contacts. Il n’y a pas, à ce sujet, un
avant et un après 11 mai.
Pour les personnes qui ne pourront pas télétravailler, la
pratique des horaires décalés dans l’entreprise doit être encouragée. Elle
étalera les flux de salariés dans les transports et diminuera la présence
simultanée des salariés dans un même espace de travail.
S’agissant des conditions de travail, nous devons amplifier
la démarche engagée par les fédérations professionnelles et le ministère du
travail pour réaliser des guides et des fiches métiers qui accompagnent les
réorganisations nécessaires au sein des entreprises. Trente-trois guides sont
aujourd’hui disponibles. Il en faut environ soixante pour couvrir tous les
secteurs. J’ai demandé à Mme la ministre du travail qu’ils soient prêts pour le
11 mai.
Cette démarche est intéressante parce qu’elle est très
concrète et associe les partenaires sociaux. Elle doit s’appliquer dans chaque
entreprise, sous la forme de nouveaux plans d’organisation du travail, avec une
attention particulière aux emplois du temps, aux gestes barrières, à
l’aménagement des espaces de travail. Le port du masque devra être respecté dès
lors que les règles de distanciation ne pourront être garanties.
J’échangerai jeudi avec les syndicats
de salariés et les représentants des employeurs à ce sujet. Le dialogue social
à tous les niveaux doit être mobilisé pour permettre le retour au travail dans
un cadre qui garantisse la santé et la sécurité des salariés. C’est une
condition impérative.
Nous échangerons également à propos des mesures
d’accompagnement des entreprises qui rencontrent des difficultés. Le dispositif
d’activité partielle, l’un des plus généreux d’Europe, restera en place
jusqu’au 1er juin. Nous devrons ensuite l’adapter progressivement, afin
d’accompagner la reprise d’activité si l’épidémie est maîtrisée.
Bien sûr, nous continuerons à protéger les personnes vulnérables
et les secteurs professionnels qui demeureraient fermés.
Les commerces rouvriront également à compter du 11 mai.
Actuellement, seuls certains commerces essentiels sont ouverts ; à partir
de cette date, tous, sauf les cafés et restaurants, pourront ouvrir. Les
marchés, pour lesquels l’interdiction est aujourd’hui la règle et
l’autorisation l’exception, seront en général autorisés, sauf si les maires ou
les préfets estiment qu’ils ne peuvent être organisés dans des conditions
permettant de respecter les gestes barrières et la distanciation physique.
En effet, si les commerces pourront rouvrir, chacun d’entre
eux devra respecter un cahier des charges strict, limitant le nombre de
personnes présentes en même temps dans le magasin et organisant les flux, afin
de faire respecter la distance minimale d’un mètre sans contact autour de
chaque personne. Il devra bien évidemment veiller à la protection de son
personnel. Le port du masque grand public sera recommandé pour le personnel et
les clients lorsque les mesures de distanciation physique ne peuvent être
garanties. Un commerçant pourra subordonner l’accès de son magasin au port du
masque.
J’ajoute que l’ouverture des commerces comprendra une
exception pour les centres commerciaux dont la zone de chalandise dépasse le
bassin de vie, entraînant des déplacements et des contacts que nous ne voulons
pas encourager. Les préfets pourront décider de ne pas laisser ouvrir, hormis
les sections alimentaires déjà ouvertes, les centres commerciaux de plus de
40 000 mètres carrés qui risquent de susciter de tels mouvements de
population.
Enfin, nous déciderons fin mai si les bars, cafés et
restaurants peuvent ouvrir après le 2 juin.
Les décisions relatives aux transports sont particulièrement
ardues. Les transports urbains sont un dispositif clé de la reprise économique,
mais le respect de la distanciation physique et des gestes barrières y est très
difficile. Je mesure l’appréhension de bon nombre de nos concitoyens avant de
prendre un métro, un train, un bus, un tramway, lesquels sont parfois fort
densément occupés.
Nous prendrons deux séries de
décisions. Il faut d’abord faire remonter au maximum l’offre de transports
urbains : 70 % de l’offre de la RATP sera disponible le 11 mai
et nous devrons remonter rapidement à l’offre nominale. Ensuite, il convient de
faire baisser la demande, en favorisant le télétravail, en étalant les horaires
– je l’ai déjà dit – et en demandant aux Français de considérer que
les transports aux heures de pointe doivent être réservés à ceux qui travaillent.
Je souhaite que, dans chaque région, dans chaque
agglomération, une concertation s’engage très rapidement entre les autorités
organisatrices de transports, les usagers et les opérateurs de transport pour
arrêter les conditions précises de mise en œuvre de ces objectifs. L’État y
apportera bien sûr son concours. S’il faut organiser les flux, réserver les
transports à certaines heures à certaines populations, nous accompagnerons les
autorités organisatrices. Nous essaierons d’y arriver ensemble.
Mais il est certain que les trois semaines à venir seront
difficiles et que nous devons rester vigilants. Le port du masque sera rendu
obligatoire dans tous les transports, métros comme bus. Et les opérateurs
devront, au moins pour les trois semaines à venir, s’organiser pour permettre,
même dans le métro, de respecter les gestes barrières.
Cela veut dire, par exemple, que la capacité du métro
parisien sera réduite par rapport à sa capacité nominale, et extrêmement
réduite par rapport à sa fréquentation normale. Il faudra condamner un siège
sur deux, favoriser, par des marquages au sol, la bonne répartition sur les
quais, et se préparer à limiter les flux en cas d’affluence.
Les bus scolaires pourront circuler, mais avec la même règle
du un sur deux, avec obligation de port du masque pour les chauffeurs et pour
les écoliers, à partir du collège. Le port du masque sera également obligatoire
dans les taxis et les VTC qui ne disposent pas d’un système de protection en
plexiglas.
S’agissant des déplacements inter-régionaux ou
interdépartementaux, la logique sera inversée : nous voulons réduire ces
déplacements aux seuls motifs professionnels ou familiaux impérieux, pour des
raisons évidentes de limitation de la circulation du virus. Nous allons donc
continuer à réduire l’offre, à exiger la réservation obligatoire dans tous les
trains, TGV ou non, et à décourager les déplacements entre départements. Le
jeudi de l’Ascension sera bien férié, mais je le dis clairement aux
Français : ce n’est pas le moment de quitter son département pour partir
en week-end.
Enfin, le déconfinement, c’est le retour de la vie sociale.
L’impatience de nos concitoyens à retrouver une vie sociale, nous la partageons
tous.
J’ai d’abord une pensée pour tous nos aînés, qui, outre le
confinement, subissent la solitude à domicile ou l’isolement dans les EHPAD
– établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes –,
privés pendant de longues semaines de toute visite de leurs enfants et de leurs
petits-enfants. Vous le savez, nous leur demanderons de continuer à se
protéger. Ils devront respecter des règles similaires à la période de
confinement, en se protégeant, en limitant leurs contacts, donc leurs
sorties ; tout cela suivant les principes de confiance et de
responsabilité, comme l’a annoncé le Président de la République. Il n’y aura
pas de contrôle, pas d’attestation de sortie, mais je demande aux personnes les
plus âgées et les plus fragiles de la patience. Les visites privées, quand
elles reprendront, devront être entourées de précaution, comme les sorties. En
vous protégeant, vous protégez le système hospitalier et les plus fragiles
d’entre nous.
La vie sociale reprendra donc, elle aussi, progressivement.
Citons d’abord ce qu’il sera possible de faire : il sera de nouveau
possible de circuler librement, sans attestation, sauf, comme je l’ai dit, pour
les déplacements à plus de 100 kilomètres du domicile, qui ne seront possibles
que pour un motif impérieux, familial ou professionnel.
Il sera possible, les beaux jours aidant, de pratiquer une
activité sportive individuelle en plein air, en dépassant évidemment la
barrière actuelle du kilomètre et en respectant les règles de distanciation
physique. Il ne sera possible, ni de pratiquer du sport dans des lieux
couverts, ni de pratiquer des sports collectifs ou de contact.
Les parcs et jardins, si essentiels à l’équilibre de vie en
ville, ne pourront ouvrir que dans les départements où le virus ne circule pas
de façon active, les fameux « départements verts ». Par mesure de
précaution, les plages resteront inaccessibles au public, au moins jusqu’au 1er juin.
S’agissant des activités culturelles, parce qu’ils peuvent
fonctionner plus facilement en respectant les règles sanitaires, les
médiathèques, les bibliothèques et les petits musées, si importants pour la vie
culturelle de nos territoires, pourront rouvrir leurs portes dès le 11 mai. A contrario, les grands musées, qui attirent un nombre
important de visiteurs hors de leur bassin de vie, les cinémas, les théâtres et
les salles de concert, où l’on reste à la même place dans un milieu fermé, ne
pourront pas rouvrir. Les salles des fêtes et les salles polyvalentes resteront
également fermées jusqu’au 2 juin.
Pour donner de la visibilité aux organisateurs d’événements,
je précise que les grandes manifestations sportives ou culturelles
– notamment les festivals –, les grands salons professionnels et tous
les événements qui regroupent plus de 5 000 participants et font à ce
titre l’objet d’une déclaration en préfecture, événements qui doivent être
organisés longtemps à l’avance, ne pourront se tenir avant le mois de
septembre. La saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment celle de football,
ne pourra pas reprendre.
Quant aux lieux de culte, je sais l’impatience des
communautés religieuses et les lieux de culte pourront rester ouverts. Mais je
crois qu’il est légitime de leur demander de ne pas organiser de cérémonie
avant la barrière du 2 juin. Les cérémonies funéraires resteront
évidemment autorisées, comme aujourd’hui, dans la limite de vingt personnes.
J’ai parfaitement conscience de la charge que cela représente et de la
difficulté d’appliquer cette règle pour les décès, mais elle est formulée, en
France comme dans d’autres pays, afin de protéger les vivants. Les cimetières
seront de nouveau ouverts au public dès le 11 mai.
En attendant des jours meilleurs, les mairies continueront à
proposer, sauf urgence, le report des mariages.
D’une façon générale, il nous faut éviter les rassemblements
qui sont autant d’occasions de propagation du virus. Les rassemblements
organisés sur la voie publique ou dans des lieux privés seront donc limités à
dix personnes.
Ces règles de vie sociale peuvent paraître compliquées.
Elles sembleront sans doute sévères à certains, et trop laxistes à d’autres. Au
fond, ce que je vous propose de rétablir, c’est un régime de liberté dans
lequel nous devons fixer des exceptions. Ces règles sont contraignantes, il est
vrai, mais je compte sur le civisme de nos compatriotes pour les appliquer avec
rigueur. Il y va de notre santé à tous.
Nous avons certainement oublié certains points, formulé de
façon incertaine certaines règles, omis de prévoir, dans tel ou tel territoire,
une adaptation possible. C’est tout l’intérêt de la phase qui s’ouvre. Il
s’agit d’enrichir ce plan tous ensemble, avec les élus, avec les
administrations de terrain, avec les partenaires sociaux, avec tous les
Français, pour être prêts le 11 mai.
Ces efforts ne sont pas vains, et ils
nous permettront, je l’espère, d’envisager la période estivale sous de meilleurs
auspices. Je donne d’ores et déjà rendez-vous aux Français à la fin du mois de
mai pour évaluer les conditions dans lesquelles nous organiserons la nouvelle
phase de déconfinement et prendrons, en particulier, des décisions concernant
l’organisation des cafés, des restaurants, des vacances. Il est trop tôt pour
le faire.
La stratégie que je viens de présenter, ce plan de
déconfinement dont l’architecture générale a été approuvée en conseil de
défense sous la présidence du chef de l’Etat, n’est pas un texte législatif.
Elle exigera des décisions réglementaires ou individuelles, prises par les
ministres, les préfets ou les présidents d’exécutifs locaux dans le champ de
leurs compétences.
Sur quelques sujets, elle devra être accompagnée de
dispositions législatives qui n’existent pas aujourd’hui, et qui vont manquer.
Je prendrai deux exemples.
Pour tracer les contacts, pour remonter jusqu’à ceux qui ont
croisé le chemin d’un malade, il faudra sans doute faire appel à des effectifs
supplémentaires pour renforcer les équipes de médecins – je dis
« sans doute », mais c’est certain. J’évoquais tout à l’heure l’appui
des personnes de l’assurance maladie ; on pourra sans doute, dans ces
brigades, accueillir du personnel des CCAS – centres communaux d’action
sociale –, des mairies, des départements, ou du personnel mis à
disposition par des associations comme la Croix-Rouge. Encore une fois, c’est
aux équipes locales qu’il reviendra de constituer ces brigades, mais il est
certain qu’elles ne seront pas uniquement composées de médecins. Il faudra donc
que la loi autorise ces personnes à participer à des enquêtes épidémiologiques
pour lesquelles l’accès à des données médicales est nécessaire.
Autre exemple : la limitation des déplacements entre
régions ou entre départements. Dans la période de confinement, il était
possible de limiter ces déplacements dans le cadre général de la loi du
23 mars. Cela ne sera plus possible une fois le confinement levé. Si nous
voulons éviter que la circulation du virus ne s’accélère dans des zones
jusque-là préservées, il faudra limiter la possibilité de se déplacer, au moins
dans un premier temps.
Sur ces deux sujets, et sur quelques autres, il conviendra
donc de légiférer. Je proposerai prochainement au Parlement d’adopter une loi
qui, en plus de proroger l’état d’urgence sanitaire au-delà du 23 mai
– peut-être jusqu’au 23 juillet –, autorisera les mesures
nécessaires à l’accompagnement du déconfinement. Ce projet sera soumis à
l’examen du conseil des ministres samedi prochain et au Sénat et à
l’Assemblée nationale la semaine prochaine.
Pour exposer cette stratégie nationale, le Gouvernement a
choisi d’avoir recours aux dispositions de l’article 50-1 de la Constitution.
Rien, dans notre Constitution, n’imposait au Gouvernement de présenter à
l’Assemblée nationale la stratégie que je viens d’exposer. On peut – et on
devrait – le déplorer, et se dire qu’il faudra, demain peut-être, corriger
ce défaut. Mais nos institutions sont ainsi faites : il aurait été
possible, pour le Gouvernement, de procéder à cette présentation au cours d’un
journal télévisé ou d’une conférence de presse. (Murmures.) Et reconnaissons
que cela s’est déjà fait,… de très nombreuses fois, et
sous tous les gouvernements de la Cinquième République.
Nous avons choisi de réserver à l’Assemblée nationale ces
annonces (et, au-delà de ces annonces, la capacité de réagir, de critiquer bien
sûr, d’interroger aussi le Gouvernement sur ce plan, qui, comme je l’ai déjà
indiqué, a vocation à être complété par les autorités locales et les
organisations syndicales et patronales. Enfin, chaque député aura la
possibilité, par le vote, de dire sa position sur la stratégie que je viens
d’exposer.
Ce choix repose sur plusieurs raisons. La première est la
place évidemment éminente de cette assemblée dans notre démocratie. Inutile
d’en dire beaucoup sur une conviction que nous partageons tous : en ces
temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux mais très
colériques, d’immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler
que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes
les questions d’intérêt national.
Je souligne – et, ce faisant, je considère qu’il n’y a là
que l’expression d’un devoir et, en aucune façon, celle d’une faveur –, que le
gouvernement que j’ai l’honneur de diriger a systématiquement et évidemment
répondu présent à toutes les demandes des députés et de leurs commissions, sur
la crise que nous connaissons. Pendant le confinement, la mission
d’information, les commissions permanentes et les questions au Gouvernement se
sont poursuivies, et c’est tant mieux, car le Gouvernement en avait besoin.
Comme nous nous y sommes engagés, nous communiquons toutes
les semaines à l’Assemblée et au Sénat l’ensemble des décisions qui sont prises
dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, y compris celles qui ne relèvent
en rien du domaine législatif. Face aux décisions que nous avions à prendre et
que nous aurons encore à prendre, le contrôle du Parlement n’est pas un poids,
c’est une chance.
Dire ici plutôt qu’ailleurs ce que je viens de dire répond à
la volonté du Gouvernement de montrer qu’en dépit de l’état d’urgence
sanitaire, en dépit des difficultés évidentes à exercer ses mandats dans une
période de confinement, la démocratie parlementaire reste vivante, exigeante,
parfois bruyante, mais indispensable toujours.
La seconde raison est qu’il nous paraît nécessaire de
permettre à chaque député, qu’il soit présent dans l’hémicycle ou qu’il suive
les débats à distance, de se prononcer sur cette stratégie, de dire s’il
l’approuve et la soutient, de dire s’il la conteste et la rejette, ou de dire
s’il s’abstient ; mais de prendre position, en responsabilité, comme il
revient aux représentants de la nation qui ne peuvent pas, qui ne veulent pas et
qui ne doivent pas être relégués au rang de commentateurs de la vie politique.
J’ai été frappé, depuis le début de cette crise, par le
nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait
fallu faire selon eux à chaque instant. La modernité les a souvent fait passer
du café du commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y
gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas,
je le crains, le débat public.
Non, les députés ne commentent pas, ils votent et, ce
faisant, ils prennent des positions politiques. C’est votre honneur, c’est
votre mission et c’est ce que je vous invite à faire après le débat qui suivra
cette déclaration.
La France traverse un de ces moments où ceux qui l’aiment et
la servent doivent être à la hauteur. Nous devons protéger les Français sans
immobiliser la France au point qu’elle s’effondrerait. C’est une ligne de crête
délicate qu’il nous faut suivre. Un peu trop d’insouciance et c’est l’épidémie
qui repart ; un peu trop de prudence et c’est l’ensemble du pays qui
s’enfonce.
La stratégie que je viens d’énoncer a pour objet de nous
permettre de tenir cette ligne de crête.
Elle repose sur des choix que je viens de présenter. Elle
repose sur l’action déterminée du Gouvernement et de l’État, sous l’autorité du
Président de la République. Elle repose sur la confiance que nous plaçons dans
les collectivités territoriales, les acteurs du monde économique et social et
les associations. Elle repose aussi, et, au fond, avant tout, sur les Français,
sur nos concitoyens, sur leur civisme et leur discipline.
Aucun plan, aucune mesure aussi
ambitieuse soit elle, ne permettra d’endiguer cette épidémie si les Français
n’y croient pas ou ne les appliquent pas, si la chaîne virale n’est pas
remplacée par une chaîne de solidarité. À partir du 11 mai, le succès
reposera non pas sur la seule autorité de l’État mais sur le civisme des
Français.
En juillet 2017, dans des circonstances
bien différentes mais à cette même tribune, à l’occasion de ma première
déclaration de politique générale, j’avais évoqué cette antique qualité dans
laquelle les Romains puisaient leur force : la vertu, qui mêle la
rectitude, l’honnêteté et le courage. J’étais loin d’imaginer alors combien
cette qualité serait essentielle dans les semaines à venir pour préparer notre
avenir, l’avenir de nos enfants, l’avenir de la France.
►Gilles
Le Gendre (président du groupe LaREM à l’Assemblée nationale)
À partir du 11 mai, la France va devoir réussir
l’impossible : reprendre vie sans mettre en danger celle des Français.
La première crise sanitaire universelle de l’ère
contemporaine loge tous les pays à la même enseigne et abolit les immenses
différences qui les distinguent. Auparavant, absolument aucun d’entre eux
n’avait réalisé ce que nous sommes invités à engager : redémarrer
l’activité alors que la menace sanitaire qui l’avait contraint à l’arrêt
demeure intacte et tandis que le coronavirus qui endeuille chaque jour des
centaines de nos familles et de nos proches n’a délivré qu’une partie de ses
sinistres secrets.
L’ampleur de la tâche justifie le débat qui nous réunit et
que vous avez choisi d’organiser, monsieur le Premier ministre – ce
qu’aucun autre gouvernement d’un grand pays européen n’a fait. Elle lui donne
aussi une solennité qui n’échappe à personne.
Vous avez décidé, depuis le début de la
crise, d’observer avec le Parlement les mêmes principes de vérité et de
transparence qu’avec nos concitoyens. En réalité, c’est à eux que nous nous
adressons aujourd’hui. Partout dans nos circonscriptions, au cours des
dernières heures, dans d’innombrables messages, les Français nous ont prévenus
qu’ils seraient très nombreux, en ce moment, à nous regarder et à nous écouter.
Leurs espoirs, mêlés d’anxiété, dans l’issue que nous serons capables de leur
proposer pour sortir de l’épreuve, nous obligent tous, ceux qui sont assis ici
dans cet hémicycle, mais aussi ceux qui ne peuvent être présents pour des
raisons sanitaires et que je tiens à saluer.
Nos collègues Éric Bothorel, Camille Galliard-Minier et
Cécile Rilhac reviendront en détail sur trois aspects essentiels de la
stratégie que vous venez de nous exposer – la logistique sanitaire,
l’économie, l’école – et sur les conditions très concrètes de sa mise en
œuvre. Je souhaite, pour ma part, insister sur les enjeux politiques que le
groupe La République en marche identifie comme cruciaux pour la réussite du
déconfinement.
Le déconfinement, ce n’est pas encore l’après, comme les
impatients voudraient le laisser croire, mais c’est la condition pour que cet
après puisse advenir le plus vite possible. Et avec lui viendront à la fois la
réparation et la refondation de notre pays, dans lesquelles le Président de la
République appelait nos concitoyens à se projeter lors de sa dernière
allocution.
Le déconfinement est en quelque sorte le laboratoire de
l’après. Qu’il réussisse, et tout redevient possible : la France
recouvrera le droit de l’espérance. Qu’il échoue en tout ou partie, et nos
chances s’éloigneraient d’effacer les stigmates de ce choc d’une violence sans
précédent.
En réalité, le déconfinement constitue un double défi :
un défi pour les Français et un défi pour notre démocratie.
Pour les Français, c’est le défi de la responsabilité.
« Rien n’est solitaire, tout est solidaire », écrivait Victor Hugo.
Tel est le paradoxe apparent du confinement et peut-être le seul bénéfice de
cette crise : aujourd’hui plus que jamais, alors que des dizaines de
millions de Français sont confinés, nous mesurons la valeur inestimable du lien
humain et notre besoin de faire société.
Depuis deux mois, les solidarités, grandes ou petites,
spectaculaires ou discrètes, organisées ou spontanées, réveillent un capital de
générosité, une capacité de résilience, un désir de sens dans notre pays.
Ceux-ci ont toujours existé, mais la course effrénée de l’existence et la
croyance à un progrès éternel nous privaient trop souvent de les exprimer avec
toute leur force. La course brutalement stoppée et le progrès gravement mis en
doute, nous voici contraints de revisiter l’essentiel : les conditions de notre
survie et les valeurs qui nous unissent.
Les Français ont réussi le confinement ; ils sont
résolus à réussir le déconfinement. Ils en acceptent les risques pourvu que
ceux-ci soient contrôlés. En sacrifiant partiellement leur liberté, ils ont
permis de ralentir drastiquement la vitesse de circulation du virus et d’éviter
– mais de si peu ! – la saturation de nos hôpitaux. Au prix, il
est vrai, du dévouement et du professionnalisme admirables de nos personnels
soignants, auxquels nous rendons ici un hommage unanime.
Le confinement était une discipline exigeante, mais
finalement assez simple : sauf exceptions, essentielles, pour soigner les
Français ou assurer leur vie quotidienne, nous étions tous invités à rester
chez nous. Le déconfinement sera autrement complexe. Son succès repose sur la
responsabilité individuelle. En l’absence de remède et de vaccin, chacun
d’entre nous devient le seul agent antiviral efficace contre une seconde vague
de l’épidémie, qui serait probablement encore plus dévastatrice.
Les forces de l’ordre assuraient le
respect des règles du confinement. Nous devenons nous-mêmes les garants de nos
propres comportements prophylactiques dans tous les actes de notre vie
familiale, professionnelle, dans nos déplacements, à la maison, à l’usine, au
bureau, dans les magasins, à l’école. Terrible responsabilité, si l’on y songe,
qui explique les inquiétudes légitimes de nos concitoyens et qui appelle de
notre part une manière profondément différente de gouverner.
C’est le second défi, le défi pour la démocratie : celui de la concorde et
du dépassement.
Nous n’accomplirons le déconfinement que rassemblés et unis,
en sachant recréer l’indispensable confiance dans l’action publique. Ce qui
vaudra dans les semaines et les mois à venir vaudra encore davantage à long
terme pour engager l’ensemble des forces de notre pays dans sa reconstruction.
Ne nous trompons pas : les réponses du déconfinement sont encore celles de
l’urgence, mais l’horizon que nous devons dessiner dès aujourd’hui est celui du
temps long, pour redémarrer l’économie, pour instaurer de nouvelles solidarités
et pour accélérer la transition écologique. C’est le défi de votre
gouvernement, monsieur le Premier ministre, et de notre majorité. Mais c’est
aussi celui de l’ensemble des responsables politiques de notre pays. Dans les
circonstances douloureuses que nous traversons, les Français, à qui nous
demandons des efforts et des sacrifices, ne comprendraient pas que leurs élus
n’entament pas la réinvention de
leurs propres rites et pratiques, qu’ils ne renoncent pas aux polémiques
stériles, qu’ils ne se rassemblent pas sur l’essentiel, qu’ils ne fassent pas
toujours prévaloir le compromis sur l’affrontement. Cela vaut pour nous
tous !
La concertation que vous avez instaurée depuis le début de
la crise avec les forces politiques, les élus locaux, les partenaires sociaux
et le monde associatif, doit devenir la pierre angulaire de ce nouveau pacte
républicain que les Français, dans leur très grande majorité, appellent de
leurs vœux.
La méthode retenue pour la stratégie de déconfinement
s’inscrit dans cette logique et nous la saluons sans réserve. Ce débat au
Parlement que vous avez voulu et que le président de notre assemblée a soutenu
avec la force qu’on lui connaît n’est pas une fin ; c’est un début !
Vous l’avez dit, l’adaptation de la stratégie nationale aux
réalités locales de tous ordres – sanitaires, économiques, scolaires,
etc. – est une condition sine qua non de son succès. Confier cette mission
aux maires, assurément les mieux à même d’en comprendre les spécificités, est
le bon choix, sous réserve que ces acteurs de la « République du
quotidien », selon l’expression du chef de l’État, et les préfets sachent
entraîner tous les acteurs des bassins de vie : services déconcentrés de
l’État et services décentralisés, acteurs économiques et acteurs du monde
associatif, notamment ceux qui agissent pour protéger les populations les plus
fragiles, simples citoyens, au premier rang desquels les parents d’élèves. Vous
n’en serez pas surpris, les députés souhaitent également prendre toute leur part
au plan de déconfinement.
Monsieur le Premier ministre, vous avez voulu que votre
déclaration soit suivie d’un vote, prérogative que vous reconnaît la
Constitution. Comme Stanislas Guerini, délégué général de La République en
marche, l’expliquera tout à l’heure, notre groupe approuvera cette déclaration,
avec la gravité et la détermination qu’imposent les défis que vous nous
proposez de relever avec vous.
►Patrick Mignola
(président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale)
Je veux d’abord, au nom du groupe du Mouvement démocrate et
apparentés et, je crois, en votre nom à tous, m’incliner à la mémoire de ceux
que le virus a emportés, comme devant ceux qui n’ont pas pu accompagner leurs
morts pour un dernier hommage. Cette pandémie aura ainsi eu raison de ce que
nous avons de plus intime et qui marquait les premiers progrès des
civilisations humaines ; cela nous invite à faire preuve de la plus grande
responsabilité en ces temps inédits.
Notre pays va entrer en rémission et en récession. En
rémission, car nous avons réussi à freiner la progression du virus, notre
système de santé ayant tenu grâce aux soignants, aux travailleurs, aux forces
de l’ordre, à tous les confinés, qui ont accepté de rester chez eux. Nous avons
consenti à arrêter la marche du pays pour protéger les plus fragiles
physiquement. Ce faisant, nous avons donné tout son sens au beau mot de
fraternité. Mais attention : la rémission n’est pas la guérison ; la
rechute reste possible. Vous avez donc bien fait, monsieur le Premier ministre,
de commencer par énoncer des règles de précaution et d’organisation sociale
nous permettant de l’éviter.
En période de rémission, il nous faudra lutter contre la récession.
Celle-ci menace d’abord les plus fragiles du point de vue économique : les
chômeurs, les allocataires sociaux, les intérimaires, les titulaires de
contrats à durée déterminée, les indépendants. Elle pourrait amener une
régression sociale que nous devons tout faire pour empêcher. C’est désormais
aussi envers ces personnes que nous devons faire preuve de fraternité. C’est là
notre principale responsabilité : être fraternels à la fois envers les
plus fragiles physiquement, qu’il nous faut continuer de protéger, et envers
les plus fragiles socialement, que nous ne devons pas placer dans une position
intenable.
Voilà pourquoi nous allons sortir d’un régime de confinement
assorti d’exceptions pour aller vers un régime de liberté comportant des
restrictions. C’est ainsi que nous devons expliquer la situation aux Français.
Votre plan, monsieur le Premier ministre, repose sur deux
piliers : le matériel sanitaire – masques, tests, dispositif
d’isolement – et un cadre d’action par secteur d’activité, public et
privé, qui sera confié sur le terrain, de façon décentralisée, au couple
maire-préfet. Plusieurs collègues ont fait part à la tribune de leur exigence
que le travail soit territorialisé. Pour ma part, je souhaite qu’il le soit en
deçà de l’échelon départemental, peut-être même au niveau de l’arrondissement,
et qu’au couple maire-préfet se joignent les parlementaires et les partenaires
sociaux. Car c’est bien avec eux, ainsi qu’avec les
sous-préfets, que, dans le secteur public comme dans le privé, nous pourrons
réussir le déconfinement.
En matière sanitaire, il est important d’avoir réintroduit
des objectifs et retrouvé de la clarté, d’abord s’agissant des masques, en
redéfinissant la doctrine, en apportant la garantie d’en disposer et en
indiquant leur méthode d’utilisation et les obligations auxquelles les Français
seront soumis en la matière, notamment dans les départements les plus touchés
et lorsque les règles de distanciation sociale ne pourront être respectées.
Bien sûr, à cet égard, nous avons été en difficulté, dès le début de la crise,
partout sur le terrain – ce n’était pas une question de couleur politique
ni de département –, parce que la doctrine médicale concernant l’utilité
du port du masque n’était pas claire et parce que, de toute façon, le matériel
n’était pas disponible. Désormais, grâce à l’action du Gouvernement comme des
élus locaux et grâce à la mobilisation industrielle, nous pouvons fournir des
masques à l’ensemble de la population.
La question des masques a suscité de grandes polémiques,
mais il faut que, tous, nous fassions preuve de la plus grande humilité à cet
égard. Car, si l’on a beaucoup glosé, dans les médias, sur la prétendue
impréparation du Gouvernement, je dois dire, sans mettre quiconque en cause,
que, depuis une vingtaine d’années que je suis élu local et depuis trois ans
que je suis député, je n’ai jamais entendu personne, ni sur le terrain ni ici
lors des débats sur le budget de la sécurité sociale, réclamer que l’on procède
à des achats massifs de masques pour reconstituer les stocks, et je n’ai pas
plus entendu des parlementaires, des élus locaux ou des responsables du privé
ou du public demander la relocalisation de la production de masques. Nous
devons donc tous conserver une certaine humilité face aux difficultés qu’il
nous faut désormais surmonter.
Vous avez apporté
des réponses en matière de masques, monsieur le Premier ministre, mais
également en matière de tests : je tiens à saluer l’objectif de
700 000 tests par semaine, et aussi le défi très important que représentent
les tests itinérants, grâce aux brigades sanitaires.
Vous avez également évoqué l’isolement, qui est en effet
difficile pour les Français. Mais nous aurons besoin qu’ils l’acceptent pour
rompre la chaîne de propagation du virus. Par ce retrait provisoire, ils marqueront
leur solidarité sociale.
Le système sanitaire va de pair avec le bloc territorial,
parce que, dans la pièce que nous devons jouer aujourd’hui
s’il n’y a pas d’unité de lieu, le virus ayant sévi différemment selon les
territoires, et s’il n’y a pas d’unité de temps – car sa progression varie
selon les endroits –, il doit en revanche y avoir une unité d’action. Or
cette action est forcément locale. Ainsi, en matière d’école, les différences
ne sont pas seulement régionales, pas même toujours départementales ou
communales, mais parfois entre les écoles d’une même commune. J’ai eu l’honneur
d’être maire pendant dix-sept ans et
je sais que, dans trois des quatre écoles d’une même commune, le maire peut
décider avec le préfet ou le sous-préfet d’organiser les distanciations
physiques, car les cantines sont assez spacieuses, et qu’il faut trouver
d’autres solutions pour la quatrième où ce n’est pas possible : cela peut
passer par une réorganisation, par le volontariat, par une réflexion avec les
parents d’élèves et les employeurs, par un important travail social pour
identifier les élèves absolument prioritaires en raison de leur situation de
détresse familiale. Tout cela ne peut se faire qu’au plus près du
terrain.
Il y aura donc des départements verts et d’autres rouges. La
plupart des maires ont évidemment envie de rendre service à leur population. On
en a entendu certains dire qu’ils ne voulaient absolument pas rouvrir les
écoles. Cela peut se justifier si leur commune se situe dans un département
rouge, mais, lorsqu’ils prennent cette responsabilité, et nous-mêmes lorsque
nous la leur confions, nous devons penser aux familles dont les deux parents
travaillent et doivent reprendre leur poste, aux familles monoparentales,
surtout quand la mère de famille a le statut d’indépendant. Le ministre de
l’éducation nationale le sait bien : même dans les zones rouges où les
maires ne pourront pas ou ne voudront pas rouvrir les écoles, il faudra que le
travail de terrain mené par les maires, les sous-préfets et les préfets
permette de trouver des solutions en fonction des situations sociales
particulières des familles. Telle est l’illustration de ce que doit être le
travail territorialisé et décentralisé à mener dans le déconfinement.
En matière d’emploi, il faut que l’activité puisse
reprendre, parce que la récession ferait ses premières victimes parmi les
Français socialement les plus fragiles. Cela passe aussi par un travail de
terrain avec les partenaires sociaux dans les différentes branches d’activité
et par la diffusion de guides de prévention et de bonnes pratiques, afin que
les Français puisent retravailler demain et notre système économique reprendre
vie. Si d’aventure notre pays devait affronter une deuxième vague, on ne
pourrait financer notre système sanitaire sans les moyens financiers permettant
de la surmonter.
En matière de commerces, vous avez également donné les
orientations du Gouvernement, monsieur le Premier ministre, et je veux saluer
le soutien massif que le Président de la République et vous-même avez décidé
d’apporter aux hôtels-restaurants, puisque c’est la partie du secteur
commercial qui va être le plus durement touchée.
Enfin, en matière de transports, le travail de terrain sera
également nécessaire. À cet égard, je formulerai deux observations. La première
concerne la nécessité de conduire une réflexion sur l’avenir du transport
aérien, en particulier des liaisons avec nos outre-mer, ce qui constitue une
forte attente de ces territoires. La seconde porte sur l’Île-de-France :
les règles relatives au port du masque et à la distanciation sociale, madame la
ministre de la transition écologique et des transports, devront y être
élaborées au plus près du terrain si nous voulons que l’organisation des plans
de transports permette aux Franciliennes et aux Franciliens de reprendre le
travail dans de bonnes conditions. Il convient ainsi de réfléchir avec les
employeurs à des horaires différenciés pour que, matin et soir, les pics de
fréquentation des transports en commun soient élargis, et avec l’ensemble des
collectivités locales pour adapter les plans de transports. Quant au
covoiturage, cet immense système qui constitue également une forme de
solidarité, il faudra le réorganiser, en particulier dans les départements
franciliens hors Paris.
On le voit, seules la territorialisation et l’action de
terrain sont adaptées pour réussir le déconfinement. À cet égard, la
différenciation territoriale entre les départements rouges et les départements
verts permettra à chacun de savoir où il en est et quel degré d’attention il
doit porter à son environnement selon l’endroit où il habite afin de pouvoir
sortir son département du rouge ou de faire demeurer son département dans le
vert.
Pour conclure, je voudrais dire deux mots sur demain. La
France est en rémission, et nous devrons aller vers sa guérison ; la
France est en récession, et nous devrons éviter toutes les régressions. Mais il
nous faut aussi penser une reconstruction et voir, dans cette sortie
progressive de crise, une formidable occasion de rebâtir, bien sûr, nos
souverainetés industrielles et sanitaires, mais aussi de reconstruire des
solidarités – je pense aux nouvelles solidarités organisées sur le terrain
par tant de Françaises et de Français, et qui devront se poursuivre –,
tout en prenant en compte, évidemment, l’impératif écologique dans la
reconstruction du pays.
Tout cela nécessitera de remettre en question beaucoup de
nos convictions. Nul ne pourra prétendre qu’il faudra retrouver un libéralisme
à tout va, car qui peut oublier qu’une division internationale du travail ayant
conduit à ne faire fabriquer des masques et des tests qu’en Asie nous a
conduits dans l’impasse ? Mais à tous ceux qui veulent que, demain, toute
l’économie française soit nationalisée, je rappelle qu’elle l’est depuis
quelques semaines, puisque c’est l’État qui paye les salaires et qui garantit
le capital des entreprises.
Nous venons de faire l’expérience que
cette solution devra, elle aussi, être remise en question. Sur le plan
écologique, cette période nous permettra de trancher ce très vieux débat entre
croissance et décroissance, sachant que ce sont les Français les plus fragiles
qui souffrent le plus dans cette période de décroissance, et qu’il nous faudra
donc une croissance verte plutôt qu’une décroissance sombre. Cet appel à
l’humilité doit nous conduire à réussir le déconfinement pour construire un
monde meilleur et pour que nous puissions continuer à changer un peu la vie.
Jean-Christophe Lagarde (président de l’UDI)
Difficile d’apprécier, en quelques minutes, le plan très
large que vous avez présenté. Je soulignerai d’abord que les députés du groupe
UDI, Agir et indépendants partagent l’idée selon laquelle il faut choisir entre
déconfinement et effondrement. En réalité, ce choix n’en est pas un : il
faut déconfiner, la question étant de savoir comment.
Votre intervention comporte, me semble-t-il, des éléments
positifs et des bonnes nouvelles. J’ai d’abord noté qu’il n’était pas certain
que le déconfinement interviendrait le 11 mai et que vous le conditionniez
au respect de plusieurs critères : le nombre de nouveau cas ; l’état
des services d’urgence ; la reconstitution des stocks de matériel et de
médicaments, mais également du capital humain, notamment dans les départements
et les territoires les plus éprouvés ; et la capacité en matière de tests,
indispensable pour améliorer le déconfinement le 11 mai.
J’estime toutefois que vous avez oublié de mentionner la
disponibilité des masques – parce qu’ils ne seront pas disponibles en même
temps sur tout le territoire. Les collectivités locales en ayant toutes
commandé simultanément, elles ne les recevront pas toutes en même temps et ne
pourront donc pas garantir la protection nécessaire à chacun. Vous avez
clairement affirmé le caractère essentiel des masques. Je vous en remercie, en
soulignant tout de même que personne, me semble-t-il, n’a jamais contesté le
choix de les réserver aux soignants. Je regrette qu’on n’ait pas simplement
expliqué aux Français que, dès lors que nous n’avions pas suffisamment de masques,
les soignants étaient prioritaires, parce que, s’ils mourraient, plus personne
n’aurait pu nous soigner. Tous les Français l’auraient compris, et la confiance
de la population s’en serait trouvée renforcée.
Pour assurer que ces critères soient respectés, il faudra
que les élus puissent en juger eux-mêmes. Il y va de leur responsabilité,
davantage d’ailleurs que pour les préfets, lesquels fournissent un travail
remarquable mais ne rendent pas de comptes à la population.
Le deuxième point positif réside dans le fait de procéder
par étapes successives de trois semaines. Nous verrons comment s’applique le
critère des départements verts ou rouges – je ne suis pas sûr qu’il faille
attendre trois semaines pour chaque décision en la matière –, mais il est
bon qu’on progresse par étapes et non d’un seul bloc.
J’ai également relevé plusieurs contradictions, peut-être
liées à des incompréhensions ou à des incomplétudes. Vous évoquez d’abord une
territorialisation du déconfinement, mais le ministre de l’éducation nationale
indique que toutes les écoles doivent rouvrir en même temps.
Vous annoncez ensuite que les plages resteront fermées
partout alors que, dans certains territoires où le virus n’a quasiment pas
circulé, je ne pense pas qu’on soit plus en danger sur une plage que dans les
médiathèques dont vous souhaitez permettre l’ouverture – même si j’imagine
que des limites seront fixées.
Vous indiquez que l’accès aux crèches sera limité à dix
enfants par établissement. Je n’ai pas très bien compris ce point – j’imagine
que les prochains jours nous permettront d’y voir plus clair. Surtout, je n’ai
pas compris pourquoi vous choisissez – à raison – de demander que les
crèches accueillent en priorité les familles monoparentales et les enfants dont
les parents sont obligés de travailler, sans étendre cette exigence aux écoles
maternelles où, entre nous, les règles de distanciation sociale seront
strictement impossibles à appliquer. Je vous ai interrogé sur ce point lors de
précédentes réunions et je le fais à nouveau : les maires qui refuseront
d’ouvrir des écoles maternelles se verront-ils obligés de le faire par les
préfets, et, si oui, qui en portera la responsabilité pénale ?
Je constate également que vous ne mentionnez pas la
nécessité de tester massivement les adultes intervenant en milieu scolaire
– enseignants, personnels des collectivités locales, voire salariés des
sociétés qui y interviennent. C’est ce qu’on a fait avant le confinement :
on fermait les écoles lorsqu’un adulte était contaminé. Il me semble préférable
d’effectuer ces tests en amont, pour éviter qu’une infection menace le personnel
des écoles et les enfants.
Il vous appartiendra par ailleurs d’éclaircir certaines
incertitudes. Vous avez annoncé, par exemple, que les parcs et jardins ne
pourraient rouvrir que dans les départements verts. Or, très franchement, dans
les départements qui resteront rouges – sans jeu de mots, s’agissant de la
Seine-Saint-Denis (Sourires) –, il faut autoriser la population, qui est
confinée dans des conditions de logement très difficiles, à s’aérer. Nous
avions conçu un système permettant de réguler, dans les parcs où cela est
possible, le nombre d’entrants.
Je vous demande d’y réfléchir.
Une autre incertitude concerne les déplacements
interdépartementaux, lesquels seront possibles, si j’ai bien compris, pour
certains motifs et sur présentation d’une attestation. Je vous pose dès
maintenant la question, monsieur le Premier ministre : qu’en sera-t-il des
vacances ? Certains départements resteront certainement, à cette date,
dans la catégorie rouge.
Je n’ai pas compris comment vous entendiez limiter le nombre
de passagers dans les transports en commun, par exemple dans le métro parisien.
Il faudra bien sûr étaler la fréquentation dans la journée, mais on ne pourra
pas facilement empêcher les usagers de monter dans une même rame, d’autant
qu’ils subissent une pression économique et sociale importante.
Vous avez indiqué que l’isolement serait fondé sur le
volontariat. J’appelle votre attention sur les personnes qui, pour s’isoler, devront
se couper de leur travail : il faudra compenser cette situation en leur
permettant d’être placées en arrêt maladie – cela me semble évident.
Vous avez annoncé que l’application de tracking n’entrerait
pas en application dès maintenant. Je ne sais pas si elle se révélerait utile,
mais je dirai simplement aux Français qu’après examen, même si notre groupe
avait initialement quelques interrogations, elle ne nous semble pas poser de
problème en matière de libertés publiques. En revanche, l’éventualité d’une
prolongation de l’état d’urgence, que vous avez abordée, nous inquiète :
si des adaptations sont nécessaires pour vivre avec le virus, il ne saurait
être question de demander aux Français de vivre de façon permanente sous un
régime d’exception.
Enfin, vous nous avez invités à enrichir le dispositif de
déconfinement au cours des semaines à venir. Les élus du groupe UDI, Agir et
indépendants le feront volontiers. Il est regrettable que vous ne nous ayez pas
laissé le temps d’y réfléchir, d’échanger et d’en débattre entre nous
aujourd’hui. Le Gouvernement a disposé de quinze jours pour établir un plan de
déconfinement sur lequel nos groupes doivent se prononcer en une heure :
voilà qui expliquera peut-être la diversité des votes.
Au fond, le succès du déconfinement ne dépendra que d’une
chose : le retour de la confiance des Français dans la parole publique,
particulièrement dans celle de leurs responsables politiques gouvernementaux.
Sans elle, ils ne remettront pas leurs enfants dans les écoles, ils n’iront pas
travailler et ils n’emprunteront pas les transports. À titre personnel, je juge
que le Gouvernement a bien assuré le traitement et le suivi de la crise
économique, mais que le suivi sanitaire laisse subsister de nombreuses
interrogations chez les Français. C’est sur ce point que vous devez regagner
leur confiance.
►M. Bertrand Pancher
(député du Mouvement radical)
Jamais les Français n’ont été aussi inquiets. Cette
catastrophe planétaire, qui frappe des millions d’êtres humains, doit nous
conduire non seulement à apporter des réponses immédiates, mais aussi à changer
des modes de fonctionnement qui craquent de toutes parts – à commencer par des
méthodes de décision et un type de développement qui nous envoient droit dans
le mur.
Nous devons tout à la fois à sortir de cette crise longue et
imprévisible, et éviter les prochaines, prévisibles mais encore évitables. Les
Français ont peur ; certains vivent dans des peines extrêmes, d’autres
sont exténués : il faut leur redonner espoir. Chaque décision prise doit
être pensée à la fois pour résoudre l’urgence, réparer le présent et préparer
l’avenir : c’est essentiel si nous voulons recréer la confiance perdue,
prendre des mesures efficaces et tirer les enseignements de la période
actuelle. Si une crise est toujours une grande menace, c’est aussi toujours une
opportunité à saisir.
Monsieur le Premier ministre, les Français ne vous suivent
plus. Ils ne sont pas dupes : l’immense majorité d’entre eux a adopté un
comportement exemplaire, ils ont bien vu ce qui fonctionnait ou ce qui ne
marchait pas. Devant le manque de transparence, le manque d’écoute et des modes
de décision parfois consternants, leur réaction est sévère. Ils ont salué le
dévouement de certains d’entre eux, tant de personnes mobilisées, harassées qui,
au péril de leur vie, ont sauvé celle des autres et que l’on n’oubliera jamais.
Quel magnifique sens donner à nos existences ! Mais, au-delà de notre
gratitude, ces personnes attendent désormais des actes : il est temps
d’annoncer de véritables augmentations salariales pour ce personnel.
La catastrophe doit nous amener à redonner des couleurs à
notre devise républicaine : la liberté, le respect des libertés publiques,
individuelles et fondamentales, l’égalité en dignité et la fraternité. Frères
et sœurs de notre si beau et magnifique pays, la France, 300 000 d’entre
nous vivent sans papiers : comment pouvez-vous les laisser dans des
situations sanitaires et sociales si inhumaines ? Au-delà, des millions
souffrent. Il est temps d’agir et de donner un toit à tous et, à celles et ceux
qui n’en ont pas, un revenu décent.
Notre devoir est de n’oublier personne et de prendre en
compte la situation de chacun, à commencer par les plus fragiles, pour lesquels
la crise sanitaire, sociale et économique a des effets dramatiques. Les
Français sont déboussolés et la cacophonie au plus haut niveau de l’État n’a
fait que renforcer l’angoisse et l’anxiété. Trop de brouillons leur ont été
présentés ! La pénurie de masques, de respirateurs et de tests, et les
annonces contradictoires ont démontré l’absence totale d’anticipation de
l’État, qui, aux plans stratégique et logistique, réagit toujours avec un train
de retard – le groupe Libertés et territoires, par la voix de François-Michel
Lambert, vous a d’ailleurs souvent alerté à ce sujet.
Nombreux sont ceux qui font référence au livre de Marc
Bloch, L’Étrange Défaite, et plus personne n’ignore les dysfonctionnements
désastreux de l’État central. La bureaucratisation extrême qui gangrène notre
pays n’est pas nouvelle, il est temps d’y remédier : il faut engager un
nouvel acte de décentralisation et libérer les territoires. Comment voulez-vous
que tout fonctionne bien alors que c’est le même qui décide de tout ? Les
annonces du Président de la République s’agissant de la date du déconfinement
en ont été l’illustration la plus cinglante : un Président qui décide seul
de la date du 11 mai, des ministres au garde-à-vous qui exécutent, puis
tiennent des propos embarrassés pour revenir en arrière, avant d’être démentis
par le chef. Et je ne parle pas du conseil scientifique… Comment, dans
une telle pagaille, voulez-vous entraîner l’ensemble de nos concitoyens ?
Pourquoi ne pas avoir voulu partager la prise de décisions
lorsqu’elle était difficile ? Et pourquoi dessaisir les
contre-pouvoirs ? Le pouvoir législatif a été dessaisi par le recours aux
ordonnances, le pouvoir juridique a été déporté par le biais du Conseil
constitutionnel, le pouvoir médiatique a été éloigné de toute question lors des
déclarations du Président de la République. Les collectivités territoriales se
débrouillent seules ou, pire, sont parfois entravées par l’État. Quant à elles,
les organisations professionnelles et la société civile grondent. La décision
de fermer, puis de rouvrir les écoles, aurait pu être prise en lien étroit avec
les parents d’élèves, les collectivités locales et les enseignants, mais vous
ne l’avez pas fait. Aujourd’hui, il serait plus rationnel de ne tout rouvrir
qu’en septembre.
Parfois, il aurait été si simple pour l’exécutif de
coconstruire et de fédérer les synergies, plutôt que de faire appliquer ce qui
avait été décidé dans les ministères. Oui, vous avez réuni ; non, vous
n’avez pas écouté. « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes
hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail,
pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais
naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer », écrit
Saint-Exupéry. Appliquons dès maintenant cette maxime, avant que notre bateau
commun ne se transforme en radeau de La Méduse.
Les Français attendent enfin, monsieur le Premier ministre,
que vous décidiez après avoir associé, et non pas de devoir vous écouter après
que vous avez décidé. Il faut que l’on se mette une bonne fois pour toutes en
tête qu’il faut travailler collectivement. Plus les sujets sont complexes, plus
les décisions doivent être prises de façon collective. Comment croire que les
conditions d’une sortie de crise sont réunies tant que l’on ne dispose pas de
masques en nombre suffisant, tant que l’on n’a pas passé d’accord avec les
collectivités ou les entreprises sur la répartition des rôles, sur les achats,
sur les volumes, sur les calendriers, et alors qu’il y a eu, ces dernières
semaines, tant de cacophonie ! Quand c’est le conseil régional du
Grand-Est qui doit acheter des masques pour protéger les agents relevant de ses
compétences – économie, enseignement, transport –, et en céder 2 millions
aux services de santé régionaux qui dépendent de l’État, cherchez
l’erreur ! Quand les communes ne savent pas quel type d’équipements elles
doivent se procurer et en quelle quantité parce qu’elles ignorent quand les
services publics vont rouvrir, cherchez encore une fois l’erreur !
Heureusement, les collectivités locales n’ont pas attendu
pour pallier les déficiences de l’État dans la fourniture des équipements et
mettre en place des fonds d’accompagnement économique partout en France. Elles
ont été très réactives et agiles, elles ont su se fédérer, mais les Françaises
et les Français ont été médusés par tout cela. Ils attendent que vous les
informiez enfin en toute transparence, afin de ne pas ajouter de la confusion à
la confusion, des peurs aux peurs.
Nous avons besoin d’une mobilisation collective pour gérer
la crise, la poursuite du confinement, sa levée collective et la reprise
indispensable de l’activité. Nous attendons toujours les bons de commande des
masques que je vous ai demandés ainsi que la traçabilité de leur livraison.
Nous attendons
toujours une estimation du nombre de contaminés par des contacts dans les
maisons médicales et du nombre de décès réellement dus au Covid-19, ceux à
domicile inclus, après qu’on a trop tardé à connaître leur nombre dans les
EHPAD.
Informer en toute transparence, savoir écouter, décider
collectivement devrait être la base de toute politique publique. C’est la clé
de la réussite qui permettra d’entrer dans un nouveau monde dont vous n’avez à
vrai dire pas encore trouvé la porte. Jamais ces principes n’ont inspiré votre
politique, monsieur le Premier ministre. Il y a eu pourtant tant d’alertes vous
invitant à le faire. C’était l’enseignement sans ambiguïté de la crise des
gilets jaunes ou de la contestation des retraites : être transparent dans
la prise des décisions, les décentraliser, les partager et donner du sens à nos
politiques publiques. Il est vraiment dommage que cette crise majeure n’ait pas
été pour vous une occasion de changer.
Vous avez, monsieur le Premier ministre, perdu la bataille
de l’opinion publique, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et ne pas
aggraver les autres crises gigantesques, sanitaire, sociale, économique et
écologique annoncées. Il convient désormais d’anticiper les crises encore plus
dévastatrices qui sont devant nous.
Nos enfants nous regardent, leurs grands yeux pleins d’espoir
et de rêve. Nos aînés, qui savent ce que le mot de guerre veut vraiment dire,
savent ce que l’on a réussi et ce que l’on a raté. Nos concitoyens savent
ce que nous devons à notre histoire, à nos combats pour la liberté, à notre
culture : des générations entières ont enrichi notre pays. Ils ont
travaillé dur en croyant que nous étions l’un des berceaux de la civilisation.
Tous savent que c’est le moment de rompre avec nos mauvaises habitudes et nos
conforts. C’est pour eux que nous nous battons, pour qu’ils soient enfin
heureux et fiers de notre beau pays, la France.
Vous nous demandez de vous donner quitus : nous vous
demandons de préserver l’espérance. La confiance est une des conditions
majeures pour réussir la sortie de crise. Or les conditions de préparation du
plan de déconfmement et ce vote organisé à l’Assemblée dans la précipitation
ont exacerbé la défiance.
Vous comprendrez que nous ne pouvons
malheureusement pas vous accorder notre confiance.
Beaucoup d’hirondelles annoncent le printemps, monsieur le
Premier ministre. Ne cherchez pas en permanence à les mettre en cage.