Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi nous accordons
une si grande importance à cette épidémie de covid19 alors qu’elle a fait pour
l’instant nettement moins de victimes que la grippe saisonnière, ou que le
nombre annuel de morts du au cancer ou que celui qui endeuille les routes de la
planète.
Et, de ce point de vue, ils ont raison.
Mais ils se trompent gravement dans leur analyse de cette
crise.
D’abord, nous ne savons absolument pas combien de personnes
vont mourir et cette incertitude est extrêmement anxiogène.
Comme l’est, l’arrivée de ce virus, sorti de «nulle part»,
sans prévenir et qui s’est répandu si rapidement dans le monde entier.
De plus, nous n’avons pas encore trouvé une parade à sa
virulence et nous ne savons s’il va muter et s’il recèle en lui une capacité de
nuisance encore plus grande.
On peut même comprendre l’emballement médiatique qui
accompagne l’épidémie, tant nous voulons comprendre et sommes sidérés de sa
survenance, même si son traitement journalistique sacrifie trop souvent au
spectaculaire, à la controverse pour la controverse, à l’approximation, à
donner la parole à des incultes notoires qui ne nous livrent que leur fantasmes
affligeants sur le virus voire, plus grave, aux fake news et aux thèses
complotistes.
En réalité le covid19 est un révélateur d’une puissance
inégalée sur notre condition humaine, nous qui croyions pouvoir maîtriser ce
type d’événement grâce à notre science, notre médecine et notre technologie, le
terrasser par notre intelligence.
Surtout, il est un révélateur de la fragilité de notre vie
sur Terre.
Cette «redécouverte» – plutôt une remontée à la surface de
nos angoisses existentielles en la matière – qui se manifeste de manière aussi
abrupte peut être un moment-clé de notre modernité qui nous amène à reconsidérer
la façon dont nous devons la protéger ainsi que les moyens que nous consacrons
à le faire.
Ce coronavirus pourrait du coup avoir un impact puissant
pour nous ramener à l’essentiel, à cet humanisme qui se préoccupe d’abord de
l’être et qui donne à la vie cette grandeur et cette valeur indépassables.
Parce que si nous nous gargarisons sans cesse de mots
emphatiques sur notre attachement à sauver des existences, force est de reconnaître
qu’en l’espèce, l’impréparation, dont nous sommes tous responsables, du système
de santé dans tous les pays sans exception, montre que nous avons fait des
choix que nous payons actuellement.
Comme pour les accidents de la route où notre immobilisme tue.
S’il y a un «monde d’après» (au sens d’un changement), ce
qu’il faut souhaiter, c’est qu’il soit, avant tout le plus respectueux de la
vie.
Ceci impliquera évidemment que nous fassions collectivement
des choix qui changeront notre regard et notre agir profondément.
Mettre la vie et sa préservation réellement au centre des
préoccupations de nos sociétés nécessite un véritable bouleversement dans notre
approche collective des buts que nous poursuivons.
Donner les moyens nécessaires pour que nous luttions efficacement
contre les épidémies, les maladies, les violences, la faim et la soif, les
accidents de toutes sortes, les fléaux naturels que nous pouvons combattre mais
aussi toutes les causes externes qui les créent ou les favorisent, comme la
pauvreté, ne se décrète pas même face à une épidémie qui nous atteint si intensément
dans sa charge émotionnelle.
Nous nous sommes habitués à ce que les morts évitables
continuent à faire partie de notre environnement comme une sorte de legs du
passé où nous ne savions pas comment les empêcher et par une sorte de fatalisme
où nous estimons, entre autres, qu’il serait trop onéreux de s’y attaquer.
Si nous parvenions à changer cette approche suite à cette épidémie,
nous accomplirions une vraie révolution dont les conséquences seraient gigantesques
sur nos existences individuelles et collectives.
Nous ferions mentir ce fatalisme selon lequel nous n’apprenons
jamais rien des terribles événements qui nous frappent.
De ce point de vue, je serais heureux d’avoir si souvent eu
tort…