Est-il possible que ce que nous vivons actuellement soit la
base d’un nouveau comportement des humains une fois que la crise extrême actuelle
sera dernière nous?
Convoqué au tribunal de nos agirs, l’Histoire répond assez
sèchement: non.
Après la «der des ders» de 14-18 nous avons eu le pire du
pire en 39-45.
Et depuis 1945 les millions de morts des conflits à travers
la planète confirment sans aucun doute nous n’apprenons pas grand-chose des
événements paroxystiques d’autant que nous les oublions à une vitesse assez
sidérante.
Sans oublier que nous vivons dans une insouciance coupable
depuis plus d’un demi-siècle avec la possibilité de nous autodétruire en
quelques jours avec les armes nucléaires
Oui, mais, pouvons-nous, malgré tout faire mentir les
précédents?
La manière dont nous gérons la question ô combien cruciale du
réchauffement climatique incite à la plus grande prudence sur une réponse affirmative.
Néanmoins, ce réchauffement et cette pandémie nous rappellent
notre fragilité et les deux en même temps pourraient agir comme un électrochoc.
Ici, foin d’optimisme béat mais l’idée qu’une prise de
conscience, d’abord personnelle puis communautaire nous amène vers un processus
de changement positif.
Les termes employés sont choisis et mesurés parce qu’il ne faut
pas s’imaginer qu’un nouvel humain est en train de naître sous nos yeux.
Qui n’a vu ces derniers jours des cohortes de gens envahir
les lieux publics en les souillant, et de leur détritus, et de leurs miasmes?!
Quant à nos élus, les minables tentatives d’un gain
politicien et partisan démontrent, comme ce fut le cas pendant les deux guerres
mondiales que le principe de responsabilité est souvent une chimère encore plus
chimérique que les légendaires créatures fantastiques de la mythologie grecque!
En France, on voit déjà la Droite et la Gauche tirer à vue
sur le pouvoir centriste, qui, demandant des commissions d’enquêtes, qui,
critiquant les décisions et ne votant pas les textes d’urgence sanitaire, pour
s’apercevoir que le concept d’union nationale est le plus souvent fumeux.
Quand on sait qu’aux Etats-Unis les différents Etats de
l’Union ont rivalisé entre eux pour se fournir en masques, appareils de réanimations
et autres matériels d’urgence, allant même jusqu’à renchérir les uns par rapport
aux autres sur les sommes proposées pour les acquérir, on a plutôt tendance à
ne pas se faire d’illusion et à la considérer comme une complète abstraction…
Et ne parlons même pas d’une union internationale même si, par-ci,
par-là, des gestes ont été faits par certains pays pour en aider d’autres alors
que la tendance globale et continuelle a été de la jouer chacun pour soi et que
lesdits gestes étaient d’abord une manière de se protéger à plus ou moins court
terme.
Tout ceci nous éloigne de l’électrochoc évoqué plus haut!
Pourtant, les indices de notre finitude en tant qu’espèce – ou, tout au moins, d’une réduction drastique
du nombre de ses représentants – s’accumulent et commencent à vraiment faire
peur.
Une peur sur notre finitude mais, surtout, sur celle de nos
proches, de nos enfants, de tous ceux que nous aimons et qui comptent pour
nous.
Plus que l’union, la responsabilité ou la sagesse, cette
frousse – qui ne doit se transformer ni en lâcheté, ni en panique ou en
poltronnerie pour être efficace – sera peut-être l’élément déclenchant fondamental
et prépondérant d’un commencement d’adaptation au réel.
Et elle sera alors le ciment indispensable qui nous obligera
à nous unir, à ce que nous devenions sages et agissions avec responsabilité.
Ce scénario positif n’a évidemment aucune base qui permet de
dire qu’il sera celui qui va l’emporter alors que le catastrophique, lui,
possède toutes les références nécessaires pour être l’heureux élu!
Mais il y a une possibilité et celle-ci doit être explorée
jusqu’au bout du bout parce que nous savons au plus profond de nous-mêmes –
même si nous faisons semblant d’être ignorants en la matière – que nous pouvons
détruire la nature de manière irrémédiable (notamment celle qui nous permet
d’exister), que l’on peut engendrer des holocaustes et autres génocides et que,
quoi que nous fassions, quoi que nous pensions, nous saurons toujours à la
merci de bactéries ou de virus surtout si nous n’apprenons pas en nous en protéger.
Bien sûr, si cette épidémie n’est pas aussi longue et aussi
mortelle qu’elle pourrait l’être -- et nous devons évidemment faire tout ce qui
est en notre pouvoir pour que ce soit effectivement le cas – aurons-nous appris
quelque chose, nous servirons-nous de cette expérience pour éviter nos erreurs
présentes?
La probabilité que rien ne change demeure nettement plus
élevée que son contraire parce que, quelque part, nous voulons nous croire
invincibles et des dieux vivants qui trouverons toujours le moyen de s’en
sortir et que nous sommes, in fine, plus malins que les éléments.
Pourtant, toujours aussi profondément que nous savons que
nous pouvons détruire et être détruits, nous savons que ce n’est pas le cas et
que notre précarité est une épée de Damoclès sur nos existences.
Il est bien, évidemment, que nous ne devons pas être constamment
angoissés par la réalité de notre finitude terrestre et une grande partie de
nos efforts civilisationnels a été de s’extraire de cette condition ou, tout au
moins, de vivre dans une certaine sécurité aussi psychologique que
physiologique afin de défier positivement la mort.
Reste qu’en niant trop la matérialité de cette dernière,
nous lui faisons un cadeau qu’elle ne se prive pas d’utiliser à temps répétés
qui sont autant d’occasions perdues de ne pas lui permettre de revenir nous hanter
de par nos incapacités à être lucides et à vivre dans la réalité.
C’est dans notre potentiel à affronter de face les défis qui
se présentent à nous que réside l’espoir, certes extrêmement ténu mais qui peut
s’appuyer sur quelques moments particuliers vécus par l’Humanité au cours de
son parcours chaotique, même si ceux-ci doivent absolument se transformer en comportements
de long terme pour que nous espérions que cette Histoire ne soit pas un éternel
recommencement (avec à chaque fois des spécificités proches mais différentes)
et qu’elle perde un peu de son tragique.