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Emmanuel Macron |
Lors d’un long discours sur la stratégie de défense et de
dissuasion prononcé le 7 février devant la nouvelle promotion des stagiaires de
l’Ecole de guerre, Emmanuel Macron a expliqué les grands principes de sa
politique de défense.
Citant le fameux propos de Carl Von
Clausewitz, «la guerre est la continuation de la politique par d’autres
moyens», il souhaitait, «pour reprendre la dialectique militaire», procéder «à
une analyse de situation, c’est-à-dire l’analyse du monde tel qu’il est et non
du monde tel qu’on aimerait qu’il soit» et exposer (s)on idée de manœuvre en
tant que chef des armées».
Déclarant qu’il partageait «avec l’écrivain Amin Maalouf le
constat d’un dérèglement du monde et, je le cite : ‘l’inquiétude d’un adepte
des Lumières, qui les voit vaciller, faiblir, et, en certains pays, sur le
point de s’éteindre’», Emmanuel Macron a parlé «d’une époque de profondes
ruptures que nous sommes en train de vivre».
Il s’est ainsi alarmé de «cette déconstruction des normes
internationales s’inscrit dans une logique assumée de compétition, où seules
primeraient la loi du plus fort, la réalité du rapport de forces», ajoutant que
«les plus cyniques vont jusqu’à se draper dans la légalité et un attachement de
façade à l’ordre international, pour mieux les violer en toute impunité».
Dès lors, selon lui, «Le choix qui se pose à nous est en
effet celui d’une reprise en main de notre destin ou celui, renonçant à toute
stratégie propre, d’un alignement sur quelque puissance que ce soit. C’est
pourquoi un sursaut est nécessaire et la refondation de l’ordre mondial au
service de la Paix doit être notre cap. La France et l’Europe y ont un rôle
historique à jouer.»
Pour y parvenir, il a une seule ambition, «la paix» et une
stratégie basée sur «un multilatéralisme fort et efficace fondé sur le droit».
Une stratégie qui comporte quatre piliers: «la promotion du
multilatéralisme qui fonctionne, le développement de partenariats stratégiques,
la recherche d’autonomie européenne et la souveraineté nationale. Ces quatre
éléments forment un tout, qui donne sa cohérence globale et son sens profond à
notre stratégie de défense.»
Lors de son intervention, il a également évoqué longuement
la stratégie de dissuasion nucléaire de la France avec la volonté d’y faire participer
les pays de l’Union européenne qui le désirerait dans le cadre de cette défense
européenne qu’il appelle de ses vœux:
«La stratégie nucléaire de la France (…) vise
fondamentalement à empêcher la guerre. Nos forces nucléaires ne sont dirigées
contre aucun pays et la France a toujours refusé que l’arme nucléaire puisse
être considérée comme une arme de bataille. Je réaffirme ici que la France ne
s’engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte
graduée. Par ailleurs, nos forces nucléaires jouent un rôle dissuasif propre,
notamment en Europe. Elles renforcent la sécurité de l’Europe par leur
existence même et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne. Sur
ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité
inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur
sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité
toujours plus étroite. Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont
désormais une dimension européenne. Dans cet esprit, je souhaite que se
développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont
prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité
collective. Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie
pourront être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Ce
dialogue stratégique et ces échanges participeront naturellement au
développement d’une véritable culture stratégique entre Européens.»
► Voici le texte du discours d’Emmanuel Macron:
Aussi curieux que cela puisse paraître, aucun chef de l’Etat
n’est revenu ici depuis Charles de Gaulle. C’est d’ailleurs devant vos
lointains prédécesseurs, aux premiers jours de la Vème République, dans un
discours resté fameux, que le général de Gaulle avait annoncé le 3 novembre
1959, il y a maintenant 60 ans, la création de ce qu’il avait alors appelé la «
force de frappe ».
Le contexte stratégique a évidemment depuis profondément évolué et il me paraît
important de venir partager avec vous, qui allez être appelés dans les
prochaines années aux plus hauts postes de nos armées, quelques réflexions sur
les fondamentaux de notre stratégie de défense.
Il n’est pas besoin ici de rappeler que « la guerre est la continuation de la
politique par d’autres moyens » comme le disait un auteur dont la fréquentation
est recommandée sur ces bancs.
C’est donc, pour reprendre votre dialectique militaire, à une analyse de
situation, c’est-à-dire l’analyse du monde tel qu’il est et non du monde tel
qu’on aimerait qu’il soit, que je voudrais aujourd’hui procéder avec vous,
avant de vous exposer mon idée de manœuvre en tant que chef des armées.
L’état du monde, je l’ai à plusieurs reprises déjà décrit tel que je le vois,
et je dois dire que je partage avec l’écrivain Amin Maalouf le constat d’un
dérèglement du monde et, je le cite : « l’inquiétude d’un adepte des Lumières,
qui les voit vaciller, faiblir, et, en certains pays, sur le point de
s’éteindre ».
La dernière décennie que nous venons de vivre a vu les équilibres stratégiques,
politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires, largement
remis en cause et nous voyons aujourd’hui poindre à nouveau ce qui pourrait
mettre à mal la paix acquise après tant de drames sur notre continent.
Alors que les défis globaux auxquels notre planète est confrontée devraient
exiger un regain de coopération et de solidarité, nous faisons face à un
délitement accéléré de l’ordre juridique international et des institutions qui
organisent les relations pacifiques entre Etats.
Ces phénomènes ébranlent le cadre de sécurité global et affectent, directement
ou indirectement, notre stratégie de défense. Les risques, les menaces, se sont
accrus et diversifiés. Leurs effets se sont accélérés, rapprochés de nous,
jusqu’à nous toucher directement pour certains.
Au lendemain de mon élection, la lutte contre le terrorisme a été ma première
priorité. Elle le restera car un certain nombre de groupes terroristes se sont
déclarés eux-mêmes comme nos ennemis. L’ennemi, c’est une menace qui se
concrétise. Le califat territorial de Daech a depuis été détruit, mais les
réseaux et l’idéologie terroriste djihadiste, alimentés au terreau des Etats
faillis, continuent à chercher des failles dans nos sociétés, matérialisant
l’existence d’un continuum entre la défense et la sécurité.
Pourtant, il serait naïf et inconséquent de notre part de limiter l’ensemble
des problématiques de défense et de sécurité à une seule menace, si prégnante
soit-elle.
En réalité, alors que nos concitoyens et nous-mêmes nous focalisons à juste
titre sur la lutte antiterroriste, dans le même temps, le cours du monde
continue de changer sous nos yeux.
Nous sommes ainsi chaque jour confrontés aux conséquences de la mondialisation,
directes ou indirectes, sur notre souveraineté et notre sécurité.
La maîtrise des ressources et des flux, qu’ils soient matériels ou immatériels,
constitue le ferment de nouvelles stratégies de puissance. La haute mer, les
espaces aériens et exo- atmosphériques, le numérique, ces espaces communs qui
s’interpénètrent et complexifient notre compréhension des enjeux, deviennent ou
redeviennent des terrains de rapports de force et parfois de confrontation.
Par leur dispersion géographique, leur simultanéité, leur complexité, ces
évolutions étendent de facto le champ et les modalités des confrontations
interétatiques possibles.
Elles sont les symptômes au fond d’une époque de profondes ruptures que nous
sommes en train de vivre.
La première rupture est d’ordre stratégique.
Une nouvelle hiérarchie des puissances se dessine, au prix d’une compétition
stratégique globale, désinhibée, porteuse pour l’avenir de risques d’incidents
et d’escalade militaire non maîtrisée. Plusieurs tendances lourdes,
prévisibles, sont à l’œuvre.
D’abord, la compétition globale engagée entre les Etats-Unis
et la Chine est aujourd’hui un fait stratégique avéré, qui structure et
structurera dorénavant les relations internationales.
Ensuite, la stabilité stratégique en Europe nécessite
davantage que le confort d’une convergence transatlantique acquise avec les
Etats-Unis. Notre sécurité dépend donc de notre capacité à nous investir de
manière plus autonome à l’égard de notre voisinage à l’Est comme au Sud ;
Enfin, la frontière entre compétition et confrontation, qui
nous permettait de distinguer le temps de paix du temps de crise ou de la
guerre, est aujourd’hui profondément diluée. Elle laisse place à de multiples
zones grises où, sous couvert d’asymétrie ou d’hybridité, se déploient des
actions d’influence, de nuisance voire d’intimidation, qui pourraient
dégénérer.
Ces tendances lourdes ne peuvent être ignorées, par
nous-mêmes, par l’ensemble des Européens, alors même que d’autres puissances
sont engagées dans des programmes de réarmement, y compris nucléaire, et que
ces dernières années ont été marquées par une accélération de ces programmes.
Dans ce domaine, la multipolarité nucléaire actuelle n’a rien de comparable
avec la logique qui prévalait lors de la Guerre froide. Contrairement à la
France et à ses alliés, certains Etats optent sciemment pour des postures
nucléaires opaques, voire agressives, incluant une dimension de chantage ou de
recherche du fait accompli. Les équilibres dissuasifs entre puissances sont
ainsi devenus plus instables.
Avec la prolifération des missiles aux technologies plus avancées, nous sommes
également confrontés à une situation inédite où des puissances régionales sont,
ou vont être, en mesure de toucher directement le territoire de l’Europe.
Enfin, le tabou de l’usage des armes chimiques a été brisé à de multiples
reprises en Syrie, en Malaisie et jusqu’en Europe même.
A l’évidence, cette rupture stratégique rendra encore plus exigeantes les
conditions de nos engagements militaires futurs. En particulier, lorsqu’elles
seront engagées pour décourager des agresseurs potentiels ou pour augmenter le
coût de leurs actions, nos armées devront faire face à un durcissement sensible
de leur environnement opérationnel.
La deuxième rupture est d’ordre politique et juridique, je l’évoquais il y a un
instant en creux dans mon introduction : c’est la crise du multilatéralisme et
le recul du droit face aux rapports de force.
L’idée même d’un ordre multilatéral fondé sur le droit, où le recours à la
force est régulé, où les engagements sont respectés, où les droits créent des
obligations qui s’appliquent à tous, cette idée-là est profondément remise en
cause aujourd’hui.
Cette déconstruction des normes internationales s’inscrit dans une logique
assumée de compétition, où seules primeraient la loi du plus fort, la réalité
du rapport de forces. Les plus cyniques vont jusqu’à se draper dans la légalité
et un attachement de façade à l’ordre international, pour mieux les violer en
toute impunité.
Ces attitudes posent évidemment des questions fondamentales à nos démocraties.
Pouvons-nous être les seuls à accepter de respecter les règles du jeu, les
seuls dont la signature sur les engagements internationaux aurait encore une
valeur ? Serait-ce aujourd’hui devenu une coupable naïveté ?
La réalité c’est que ces enjeux restent essentiels pour l’immense majorité des
Etats membres des Nations unies, pour lesquels le droit est protecteur et
stabilisateur et qui aspirent à un ordre international qui renforce la sécurité
et la paix.
Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans l’affaiblissement du caractère
universel des droits de l’Homme. Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans
la remise en cause de l’autorité du droit international humanitaire, ou celle
des différents régimes de non- prolifération, ou de la convention sur le droit
de la mer ou encore du traité de l’espace.
L’Europe elle-même est directement exposée aux conséquences de cette
déconstruction. Regardons la situation actuelle : depuis le début des années
2000, c’est en effet l’ensemble de l’architecture de sécurité en Europe,
difficilement bâtie après 1945 durant la Guerre froide, qui s’est trouvé
progressivement fissuré, puis sciemment déconstruit brique par brique. Après le
blocage des négociations sur les armements conventionnels, la fin, en 2019, du
traité sur les forces nucléaires intermédiaires est le symbole de ce
délitement.
Les Européens doivent aujourd‘hui collectivement prendre conscience que, faute
de cadre juridique, ils pourraient rapidement se trouver exposés à la reprise
d’une course aux armements conventionnels, voire nucléaires, sur leur sol. Ils
ne peuvent pas se cantonner à un rôle de spectateurs. Redevenir le terrain de
la confrontation des puissances nucléaires non européennes ne serait pas
acceptable. En tout cas, je ne l’accepte pas.
Enfin, la troisième rupture est technologique.
La technologie est en effet à la fois un enjeu, un perturbateur et un arbitre
des équilibres stratégiques. Le déploiement de la 5G, le cloud pour stocker les
données, ainsi que les systèmes d’exploitation sont aujourd’hui des infrastructures
stratégiques dans le monde contemporain. Nous avons sans doute ces dernières
années trop souvent considéré qu’il s’agissait là de solutions commerciales, de
sujets simplement industriels ou marchands, alors que nous parlons là
d’infrastructures stratégiques pour nos économies évidemment et pour nos
armées.
L’émergence de nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les
applications de la physique quantique ou encore la biologie de synthèse, est
porteuse de nombreuses opportunités, mais également source de futures
instabilités.
Porteur d’innovations sans limite, le numérique innerve tous les milieux
physiques. Devenu lui-même un champ de confrontation à part entière, sa
maîtrise exacerbe les rivalités entre puissances, qui y voient un moyen
d’acquérir la supériorité stratégique. Il offre également des possibilités
inédites de surveillance de masse des populations, d’exercice d’un
autoritarisme numérique.
En temps de crise, ces ruptures technologiques mettront davantage sous tension
nos capacités d’analyse, de décision, tiraillées entre exhaustivité, véracité
et réactivité. En ce sens, elles augmentent les risques de dérapage et
appellent à la mise en place de mécanismes de déconfliction, robustes et
transparents.
Vous le voyez, les grandes ruptures de ce monde nous obligent à penser sans
tabou ce que pourraient être les guerres de demain, étant bien conscients qu’en
ce début de XXIème siècle « ni les hommes, ni les Etats n’ont dit adieu aux
armes » pour reprendre les mots de Raymond Aron.
Il y a tout d’abord les conflits inter-étatiques où des Etats tiers, agissant
en soutien des différents belligérants, peuvent se retrouver face à face. C’est
le cas aujourd’hui en Libye, en Irak ou en Syrie. L’opération Hamilton conduite
avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni en 2018 pour sanctionner l’usage prohibé
d’armes chimiques par le régime syrien, a illustré de manière concrète cette
imbrication accrue, ces risques d’escalade et la nécessité de canaux permanents
de dialogue afin de les limiter.
Il y a également la multiplication des zones de friction entre puissances,
lorsqu’elles sont engagées dans des activités de démonstration, parfois à la
limite de l’épreuve de force. C’est le cas en mer dans plusieurs zones
contestées, de la Méditerranée aux mers de Chine en passant par le Golfe
arabo-persique. C’est le cas sur terre lorsque s’y déploient des exercices
massifs sans préavis. C’est le cas sous la mer, mais aussi dans les airs qui
voient le retour des bombardiers stratégiques testant les défenses aériennes.
C’est enfin le cas dans l’espace, devenu à son tour un milieu de confrontation,
plus ou moins visible, mais tout à fait réelle et, dans l’espace numérique, de
manière de plus en plus claire.
L’escalade de début janvier en Irak montre bien à cet égard que ces diverses
situations « au contact » peuvent à tout moment déboucher sur une crise ouverte
entre des Etats qui semblent avoir oublié la raison du « plus jamais la guerre
!» pour un hypothétique « pourquoi pas la guerre ? ».
Aujourd’hui, les théâtres de crise au Levant et en Libye sont aussi, et en
raison de ces phénomènes que je viens de décrire, un véritable test pour la
cohésion du P5, dont je souhaite qu’il puisse se réunir au sommet et démontrer
sa capacité à assumer pleinement son mandat pour le maintien de la paix et de
la sécurité internationale, mais également un test pour la solidarité de
l’Alliance atlantique. C’est pour cette raison, que j’ai eu des mots durs, qui
ont sonné comme un réveil, et que nous avons pu ainsi, après le Sommet de
décembre dernier, engager une revue stratégique de l’OTAN, que je veux à la
fois ambitieuse et opérationnelle.
Comme à chaque fois que nous sommes confrontés à des défis historiques, notre
réaction doit être la même : l’audace et l’ambition renouvelée. Nous devons sur
ce sujet prendre nos responsabilités.
Le choix qui se pose à nous est en effet celui d’une reprise en main de notre
destin ou celui, renonçant à toute stratégie propre, d’un alignement sur
quelque puissance que ce soit.
C’est pourquoi un sursaut est nécessaire et la refondation de l’ordre mondial
au service de la Paix doit être notre cap. La France et l’Europe y ont un rôle
historique à jouer.
Toute notre action doit être au service d’une ambition, celle de la Paix,
tirant parti d’un multilatéralisme fort et efficace fondé sur le droit.
Au fond, il y a quatre piliers à cette stratégie, à mes yeux : la promotion du
multilatéralisme qui fonctionne, le développement de partenariats stratégiques,
la recherche d’autonomie européenne et la souveraineté nationale. Ces quatre
éléments forment un tout, qui donne sa cohérence globale et son sens profond à
notre stratégie de défense.
D’abord, je le disais, nous avons besoin d’un multilatéralisme qui fonctionne.
C’est par le multilatéralisme que nous répondrons collectivement aux problèmes
qui s’imposent à tous.
La France ne menace personne. Elle veut la paix, une paix solide, une paix
durable. Elle n’a nulle part de visée expansionniste. Sa sécurité et celle de l’Europe
supposent que les rapports internationaux restent régis par le droit, un droit
accepté et respecté par tous.
A ce titre, nous attendons des grands partenaires de l’Europe qu’ils œuvrent à
préserver et renforcer le droit international, et non à l’affaiblir. La
transparence, la confiance, la réciprocité sont la base de la sécurité
collective.
Car la stabilité stratégique, qui passe par la recherche de l’équilibre des
forces au plus bas niveau possible, n’est plus aujourd’hui garantie. Derrière
la crise des grands instruments de maîtrise des armements et de désarmement, ce
sont bien la sécurité de la France et de l’Europe qui sont en jeu.
Ce débat crucial ne doit pas se dérouler au-dessus de la tête des Européens,
dans une relation directe et exclusive entre les Etats- Unis, la Russie et la
Chine. Et je vois bien que c’est la tentation de quelques-uns, parfois des
principaux intéressés.
Pour les Européens, un multilatéralisme repensé, au service de la sécurité
collective, conforme à nos principes fondateurs, doit articuler deux exigences,
qui ne sont pas contradictoires si nous voulons garantir la paix : celle, d’une
part, de la promotion d’un agenda international renouvelé pour la maîtrise des
armements, et celle, d’autre part, d’un réel investissement européen en matière
de défense.
Ces exigences découlent directement de l’ambition de souveraineté et de liberté
d’action que je porte pour l’Europe depuis mon élection. Elle est le pendant
d’une relation transatlantique rééquilibrée, d’une alliance dans laquelle les
Européens sont des partenaires crédibles, efficaces. Les Européens doivent
pouvoir ensemble se protéger. Ils doivent pouvoir décider et agir seuls lorsque
cela est nécessaire. Ils doivent le faire en n’oubliant jamais ce que
l’Histoire leur a appris : la démocratie et le droit sans la force ne tiennent
pas longtemps ! Ils doivent enfin utiliser de manière courante les mécanismes
assurant leur solidarité.
C’est pour cela que je suis convaincu que les Européens doivent d’abord et
avant tout définir ensemble ce que sont leurs intérêts de sécurité et décider
souverainement de ce qui est bon pour l’Europe.
Ainsi, il ne peut y avoir de projet de défense et de sécurité des citoyens
européens sans vision politique cherchant à favoriser la reconstruction
progressive de la confiance avec la Russie.
Ce projet, je le conduis avec exigence. J’attends de la Russie qu’elle soit un
acteur constructif de notre sécurité commune. Mais nous ne pouvons pas nous
satisfaire de la situation actuelle, où le fossé s’accroît, le dialogue
s’appauvrit, alors même que les enjeux de sécurité à traiter avec Moscou, eux,
se multiplient.
L’objectif principal - j’y suis revenu à plusieurs reprises - de ma démarche à
l’égard de la Russie, c’est l’amélioration des conditions de la sécurité
collective et de la stabilité de l’Europe. Ce processus s’étalera sur plusieurs
années. Il demandera patience et exigence, et il sera conduit avec nos
partenaires européens. Mais nous n’avons aucun intérêt à déléguer un tel
dialogue ou nous enfermer dans la situation actuelle.
Dans ce cadre, les Européens doivent également pouvoir proposer ensemble un
agenda international de maîtrise des armements. En effet, je l’évoquais à
l’instant, la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, les
incertitudes sur l’avenir du traité New Start, la crise du régime de maîtrise
des armes conventionnelles en Europe laissent entrevoir d’ici 2021 la
possibilité d’une pure compétition militaire et nucléaire, sans contraintes,
comme nous n’en avons plus connu depuis la fin des années 1960. Je ne décris
pas là un impossible ou un futur lointain. Simplement ce qui est en train de se
faire depuis plusieurs années sous nos yeux. Les Européens doivent à nouveau
comprendre les dynamiques d’escalade et chercher à les prévenir ou les empêcher
par des normes claires, vérifiables. Car le droit doit ici servir notre
sécurité, en cherchant à contraindre et limiter les armes et les comportements
les plus déstabilisateurs d’adversaires potentiels.
Il nous faut sur ce sujet une position très claire de l’Europe, qui tienne
compte à la fois de l’évolution des armements contemporains, notamment russes,
qui pourraient impacter notre sol, et des intérêts des Européens – de tous les
Européens, y compris au Nord et au Centre de l’Europe. Car il faut bien le
dire, les traités même en vigueur encore il y a quelques années ne protégeaient
plus certains de nos partenaires.
Il convient enfin de repenser les priorités du désarmement. Trop longtemps, les
Européens ont pensé qu’il suffisait de donner l’exemple et qu’en se désarmant,
les autres Etats nous suivraient. Il n’en est rien ! Le désarmement ne peut
être en soi un objectif : il doit d’abord améliorer les conditions de la
sécurité internationale.
Sur ces questions, la France mobilisera les partenaires européens les plus
concernés, afin de poser les bases d’une stratégie internationale commune que
nous pourrons proposer dans toutes les enceintes où l’Europe est active.
Et la France, puissance nucléaire reconnue par le Traité de Non- Prolifération,
membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, prendra ses
responsabilités, en particulier en matière de désarmement nucléaire, comme elle
l’a toujours fait.
Dans la recherche de la paix, la France est attachée à la logique d’un
désarmement qui serve la sécurité et la stabilité mondiale. Et elle a, à cet
égard, un bilan unique au monde, conforme à ses responsabilités comme à ses
intérêts, ayant démantelé de façon irréversible sa composante nucléaire
terrestre, ses installations d’essais nucléaires, ses installations de
production de matières fissiles pour les armes, et réduit la taille de son
arsenal, aujourd’hui inférieure à 300 armes nucléaires. Toutes ces décisions
sont cohérentes avec notre refus de toute course aux armements et le maintien
du format de notre dissuasion nucléaire à un niveau de stricte suffisance.
Ce bilan exemplaire donne à la France la légitimité pour réclamer aux autres
puissances nucléaires des gestes concrets en direction d’un désarmement global,
progressif, crédible et vérifiable.
En matière de désarmement nucléaire, j’appelle ainsi tous les Etats à nous
rejoindre autour d’un agenda simple, en application de l’article VI du TNP,
autour de quatre points que nous connaissons :
(i) Le respect strict de la norme centrale que constitue le
traité de non-prolifération nucléaire et la préservation de sa primauté à
l’occasion de son 50ème anniversaire en 2020. Le TNP est le traité le plus
universel au monde. Il est le seul traité à permettre de prévenir la guerre
nucléaire tout en apportant à chacun les bénéfices des usages pacifiques de
l’énergie nucléaire.
(ii) L’enclenchement à la Conférence du Désarmement de la
négociation d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles
pour les armes, ainsi que la préservation et l’universalisation du traité
d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous y sommes engagés.
(iii) La poursuite des travaux sur la vérification du
désarmement nucléaire, que nous portons notamment avec l’Allemagne, car tout
accord de désarmement n’est rien s’il ne peut pas être vérifié de façon
robuste.
(iv) Enfin, le lancement de travaux concrets pour la
réduction des risques stratégiques, car l’escalade non contrôlée d’un conflit
local en guerre majeure est l’un des scénarios les plus préoccupants
aujourd’hui, qu’une série de mesures simples et de bon sens pourrait
efficacement conjurer.
J’entends par ailleurs les appels à la « trilatéralisation » ou à la
multilatéralisation des accords de maîtrise ou de réduction des arsenaux
nucléaires.
Les traités bilatéraux russo-américains correspondent à une histoire – celle de
la Guerre froide - mais aussi à une réalité toujours actuelle, celle de la
taille considérable des arsenaux encore détenus par Moscou et Washington, sans
commune mesure avec ceux des autres Etats dotés d’armes nucléaires. A cet
égard, il est essentiel que le traité New Start soit prolongé au-delà de
2021.
Mais après l’effondrement du traité FNI, la France souhaite, pour sa part, que
des discussions élargies soient enclenchées, dans lesquelles l’Europe doit
faire entendre sa voix et s’assurer que ses intérêts seront bien pris en compte
dans une négociation sur un nouvel instrument à même d’assurer la stabilité
stratégique sur notre continent. Soyons clair, si une négociation et un traité
plus large sont possibles, nous les souhaitons. S’il est bloqué par certains,
nous ne saurions rester à l’arrêt. Et les Européens doivent être parties
prenantes et signataires du prochain traité car il s’agit de notre sol et d’une
discussion qui ne doit pas passer par-dessus notre tête.
La France, au titre de ses responsabilités propres, est également prête à
participer à des discussions qui rassembleraient les cinq Etats dotés d’armes
nucléaires au sens du TNP, sur les priorités du désarmement nucléaire, le
renforcement de la confiance et de la transparence sur les arsenaux et les
stratégies nucléaires de chacun. Cette discussion devra viser à renforcer la
stabilité entre Etats dotés et à réduire les risques d’escalade involontaire en
cas de conflit.
Cette ambition de la France, puissance d’équilibre, au service de la paix et de
la sécurité, ne saurait par ailleurs être mise en œuvre sans un réseau dense
d’amitiés, de partenariats stratégiques et d’alliances, et une capacité
diplomatique globale, car nos responsabilités et nos intérêts de sécurité sont
mondiaux. C’est pour moi le deuxième pilier, que j’évoquais à l’instant, sur
lequel je veux rapidement revenir.
La France oui, est insérée dans un réseau de relations résultant de l’histoire
et de la géographie. Dans ce cadre, elle continuera à développer et à
approfondir des partenariats stratégiques sur tous les continents.
Elle prend d’ailleurs aujourd’hui sa part dans toutes les grandes coalitions au
Levant comme en Afrique. Mais nous avons aussi bâti ces dernières années des
structures régionales nouvelles. Au Sahel, elle lutte avec détermination contre
le terrorisme grâce à l’opération Barkhane avec ses partenaires internationaux
et africains du G5. Le sommet de Pau le 13 janvier dernier a permis de
clarifier le cadre de nos opérations et de confirmer l’engagement de chacun.
C’est pour cela que j’ai décidé d’envoyer 600 soldats supplémentaires pour
renforcer l’engagement de la France au service de la paix et de la sécurité
dans cette région. C’est une véritable coalition que nous avons bâtie à Pau,
dont l’armature sont la force Barkhane et le partenariat avec le G5 Sahel. Mais
nous allons progressivement engager les puissances amies pour la sécurité
collective de la région. Nous sommes au cœur de cette coalition nouvelle. Elle
est stratégique pour l’Afrique, comme pour notre sécurité.
Puissance riveraine de l’Indo-Pacifique, la France entretient aussi des liens
privilégiés avec l’Australie, l’Inde et le Japon pour préserver les
souverainetés et la liberté de navigation dans cet espace géographique. Elle
fait vivre au quotidien ses coopérations de défense, sa solidarité avec ses
partenaires du golfe arabo- persique, méditerranéens ou du sud-est asiatique.
Cet axe Indo-Pacifique que nous avons, ces deux dernières années, posé,
expliqué, développé, consacre notre géographie, la réalité d’engagements
militaires multiples que nous prenons depuis plusieurs années, des exercices
inédits que nous conduisons dans la région, mais aussi une lecture du monde
qu’il nous faut avoir. Nous sommes aussi une puissance Indo-Pacifique, avec des
ressortissants, des bases, des intérêts. Notre capacité à assurer cette liberté
dans la région, à défendre nos intérêts, à protéger les grands axes
énergétiques et technologiques passe aussi par ce nouvel axe et ces nouvelles
coopérations.
Il est évident qu’au cœur de ce réseau mondial, l’ensemble de nos partenaires
européens et nos alliés nord-américains ont une place toute particulière sur laquelle
je reviendrai.
Je veux enfin, quand je parle de ses alliances et de ses partenariats
stratégiques, souligner notre responsabilité dans le cadre commun qui est le
nôtre, celui des Nations unies, et le rôle primordial des opérations de
maintien de la paix.
Le troisième pilier de notre stratégie, en complément de la maîtrise des
armements et des réseaux d’alliances, de partenariats et de relations
diplomatiques, c’est l’ensemble des ambitions concrètes que nous voulons donner
à la politique de sécurité et de défense de l’Europe.
Pour longtemps encore, l’Europe, en matière de défense, ne pourra tirer sa
force que des armées nationales. C’est une certitude et le redressement des
budgets et des capacités de ces armées nationales doit être la priorité.
En revanche, nous avons commencé, entre Européens, à élaborer concrètement les
outils qui nous permettent de faire émerger une conscience commune, de défendre
des intérêts partagés, et d’agir de façon autonome et solidaire chaque fois que
cela sera nécessaire. Cette voie, c’est celle de la construction d’une liberté
d’action européenne qui complète et renforce les souverainetés nationales.
Il faut à cet égard dissiper ici un malentendu : la question pour les Européens
n’est pas de savoir s’ils doivent se défendre avec ou sans Washington, ni de
savoir si la sécurité des Etats-Unis se joue en Asie ou sur notre continent. La
France participe naturellement à la communauté des nations alliées riveraines
de l’océan Atlantique, dont elle partage les valeurs, les principes et les
idéaux. Elle est fidèle à ses engagements dans l’Alliance atlantique, qui
assure depuis 70 ans la stabilité et la sécurité collective de ses membres et
de l’Europe. Et à ce titre, j’entends parfois beaucoup de bruit. Mais je
préfère regarder les faits : la France est un acteur militaire crédible, qui
est présent au combat sur le terrain et qui paie le prix du sang. Elle l’a
prouvé récemment au Sahel, une fois encore. La France est un allié fiable et
solidaire, y compris dans les coups durs. Elle l’a prouvé encore récemment en
Syrie et en Irak. La France, enfin, est convaincue que la sécurité à long terme
de l’Europe passe par une alliance forte avec les Etats- Unis. Je l’ai redit
lors du sommet de l’OTAN à Londres, et la France en fait chaque jour
l’expérience dans ses opérations.
Mais notre sécurité passe aussi, inévitablement, par une plus grande capacité
d’action autonome des Européens. Que le dire, l’assumer, le porter suscitent
tant de réactions, tant de doutes, me surprend vraiment. Pour reprendre les
mots du général de Gaulle, « aucune alliance ne peut être dissociée de l’effort
entrepris par chacun de ses membres, pour son compte, à ses frais et en
fonction des intérêts qui lui sont propres ». Oui, les vraies questions pour
les Européens sont au fond plutôt les questions qu’ils doivent s’adresser à
eux-mêmes, plutôt qu’aux Américains : pourquoi ont-ils diminué à ce point leur
effort de défense depuis les années 90 ? Pourquoi ne sont-ils plus prêts à
inscrire la défense parmi leurs priorités budgétaires et à faire pour cela les
sacrifices nécessaires, alors même que les risques s’accumulent ? Pourquoi
avons-nous aujourd’hui des débats si compliqués sur les montants à allouer au
Fonds européen de défense que nous venons de créer – parce que c’est une
question accessoire, dont d’autres se chargeraient pour nous ? Pourquoi y
a-t-il de tels écarts entre les budgets et les capacités de défense des Etats
européens, alors que les menaces auxquelles nous sommes exposés nous sont très
largement communes ?
Toutes ces questions, ce sont des questions à nous poser à nous, Européens.
L’Europe doit se mettre en situation de pouvoir davantage garantir sa sécurité
et agir dans son voisinage. Cet objectif d’action autonome, l’Union européenne
se l’est, d’ailleurs, déjà fixé à elle-même. Imaginez, c’était au Conseil
européen de Cologne, en…1999 ! Il est, aujourd’hui comme il y a vingt ans,
parfaitement compatible avec le souhait que les Européens se réengagent et
soient plus crédibles et efficaces dans l’OTAN. Ce rééquilibrage est d’ailleurs
souhaité par les Etats-Unis.
C’est pourquoi, les Européens doivent aujourd’hui assumer davantage cette
Europe de la défense, ce pilier européen au sein de l’OTAN. Et je l’assume
pleinement, sans état d’âme ! Je vous le dis très clairement : je considère que
l’une de mes responsabilités est bien que cela ne reste pas lettre morte, comme
ce fut le cas après 1999. L’OTAN et l’Europe de la défense sont les deux
piliers de la sécurité collective européenne. Assumons-le ! Regardons les
choses en face, entendons les Etats-Unis d’Amérique qui nous disent : «
Dépensez pour votre sécurité davantage, je ne serai plus dans la durée votre
garant de dernier ressort, votre protecteur. » Prenons nos responsabilités,
enfin !
Mais la liberté d’action européenne, la défense et la sécurité de l’Europe, ne
peuvent reposer sur une approche uniquement militaire.
Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle
américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et
nos réseaux numériques sous pression russe.
Il nous faut, au niveau européen, maîtriser nos infrastructures maritimes,
énergétiques et numériques. Là aussi, nous nous sommes beaucoup trompés. Nous
avons fini par penser, dans les années 90 et 2000, que l’Europe était devenue
un gros marché, confortable, théâtre d’influence et de prédation à tout-va.
Nous nous sommes même abandonnés entre européens, poussant tant de pays du Sud
de notre Union Européenne, à laisser des investisseurs prendre ce que nous ne
savions pas acheter, ce que nous poussions à privatiser, quand bien même, ces
infrastructures étaient stratégiques.
Funeste erreur ! Nous devons pour ces infrastructures critiques, retrouver, au
niveau européen, une vraie politique de souveraineté !
C’est le cas pour les infrastructures 5G, le cloud, décisif pour le stockage
des données, les systèmes d’exploitation, les réseaux de câbles sous-marins,
systèmes névralgiques de notre économie mondialisée. Il nous faut au niveau
européen, aussi, maitriser notre accès à l’espace et décider nous-mêmes des
standards qui s’imposent à nos entreprises.
Cette politique de normes, cette politique d’infrastructures stratégiques, est
essentielle. Et elle l’est pour notre sécurité collective, notre capacité à
agir. Nous vivons dans le monde de l’interopérabilité, avec des
équipements de plus en plus numérisés. Dépenser ce que nous dépensons pour
avoir des équipements parfaits et remettre les infrastructures de connexion,
entre nos équipements et nos pays, à d’autres, sans garantie, serait quand même
une étrange naïveté. Vous me permettrez de ne pas vouloir y
participer.
La liberté d’action européenne passe par cette souveraineté économique et
numérique. Les intérêts européens, qu’eux seuls sont à même de définir, doivent
être entendus. C’est à l’Europe de définir le cadre de régulation qu’elle
s’impose, car il s’agit à la fois de protéger les libertés individuelles, les
données économiques de nos entreprises, au cœur de notre souveraineté, et notre
capacité concrète opérationnelle à agir aussi de manière autonome.
Il nous faut également conforter l’indépendance technologique de l’Europe et sa
capacité à anticiper les prochaines ruptures stratégiques. Il nous faut pour
cela une base industrielle de défense autonome et compétitive, un effort résolu
et massif d’innovation, la maîtrise de nos technologies de sécurité et la
maitrise de nos exportations de défense.
Tout cela aujourd’hui suppose un aggiornamento de l’approche européenne, de ces
approches économiques et budgétaires pour que chacun en tire les conséquences.
Nous ne sommes plus dans le monde des années 90 !
La bonne utilisation de ces outils de souveraineté commune nécessite, d’abord
et avant tout, bien évidemment des investissements, une politique industrielle,
des standards de souveraineté, beaucoup plus forte et ambitieuse mais aussi la
construction d’une culture stratégique partagée, car notre incapacité à penser
ensemble nos intérêts souverains et à agir ensemble de façon convaincante met
chaque jour en cause notre crédibilité en tant qu’Européens. Elle offre aux
autres puissances la possibilité de nous diviser, de nous affaiblir.
La construction de cette culture stratégique européenne partagée, c’est ce à
quoi s’emploie la France, sur la base des importants progrès accomplis depuis,
un peu plus de deux ans, et qui rendent, je le crois, d’ores et déjà, plus
tangible la vision arrêtée en 1999 : le Fonds européen de défense, la
coopération renforcée mais aussi l’Initiative européenne d’intervention que
nous avons proposée, portée, voulue et qui se déploie.
Pour que la France soit à la hauteur de son ambition européenne, à la hauteur
aussi de son histoire, elle doit rester souveraine ou décider elle- même, sans les
subir, les transferts de souveraineté qu’elle consentirait, tout comme les
coopérations contraignantes dans lesquelles elle s’engagerait. Et c’est le
quatrième pilier de la stratégie que je veux pour notre pays : une véritable
souveraineté française.
Cette volonté de souveraineté nationale n’est absolument pas incompatible avec
notre volonté de développer les capacités européennes, je dirais même que c’est
un prérequis indispensable. On coopère mieux quand on peut décider
souverainement de coopérer.
Fondement de toute communauté politique, la défense est au cœur de notre
souveraineté.
Notre stratégie de défense se définit donc, d’abord et avant tout, par sa
capacité à protéger nos concitoyens, à contribuer à la sécurité et à la paix de
l’Europe et de ses approches.
Mais elle ne s’y limite pas. Elle doit également nous donner la capacité de
défendre nos intérêts souverains partout dans le monde, en lien avec notre
géographie des outremers et avec la densité de nos partenariats stratégiques.
Elle doit nous permettre d’assumer nos responsabilités dans le maintien de la
paix et de la sécurité internationale. Elle doit nous mettre à l’abri d’un
chantage, et ainsi préserver notre autonomie de décision. Elle doit nous
permettre de tenir notre rang et notre influence parmi les nations. Elle doit,
en somme, nous garantir la maitrise de notre destin.
Au lendemain de la guerre froide, une vision idéaliste a accrédité l’idée que
le monde était devenu moins dangereux et a conduit à réduire progressivement la
part de notre richesse nationale consacrée à la défense. C’était, au fond,
l’époque des dividendes de la Paix.
Ce choix, cette réorganisation des priorités budgétaires, pouvait sembler
justifié alors que des arsenaux considérables avaient été accumulés de part et
d’autre du rideau de fer. Mais la grande erreur a sans doute été, en Europe
uniquement, de le prolonger au cours des vingt dernières années, voire de
l’accélérer pendant la crise financière, alors que d’autres puissances,
majeures ou régionales, maintenaient voire renforçaient leurs efforts de
défense.
Au fond, les dix dernières années ont conduit à un décalage profond. Les
européens ont continué de réduire, de réduire, de réduire, quand d’autres ont
cessé de le faire, voire ont réinvesti, accélérant les mutations
technologiques, accélérant leurs capacités propres.
Le format et les capacités de nos armées ont été directement impactés.
Celles-ci étaient pourtant sollicitées, au même moment, de manière croissante,
dans des opérations régionales de gestion de crise, toujours plus variées et
plus éloignées. La nécessité de dimensionner les outils de défense en fonction
de défis bien supérieurs, « de haut du spectre », était alors souvent oubliée.
Ce double effet de ciseau a conduit à un décalage croissant entre le niveau de
nos capacités militaires et la réalité de l’évolution de l’environnement
international tel que je viens de vous le décrire.
C’est pourquoi, afin d’arrêter la lente érosion de nos capacités militaires et
de les adapter à ce nouvel environnement stratégique, j’ai décidé qu’un effort
budgétaire inédit serait accompli dans le domaine de la défense. C’est un
effort majeur et durable, je l’assume pleinement devant la Nation.
Je vous le redis, très clairement, aujourd’hui. J’entends, parfois, je suis
étonné de cela, des doutes, des remises en question, des désirs de révision.
Soyons clairs, les sujets dont nous parlons sont trop stratégiques et
importants. Il faut que les mots prononcés soient suivis d’actes en conformité
et que la durée soit au rendez-vous, car nous parlons là de programmes de
long-terme. Ce sur quoi j’ai engagé notre nation sera tenu dans la durée avec
force. Que nul ne perde d’énergie à chercher à le revisiter.
Mais le budget n’est qu’un indicateur de l’effort consenti. Pour la défense,
comme pour les autres domaines de l’action publique, ce n’est pas en priorité
le prisme budgétaire qui doit nous guider. Car cet effort n’est rien s’il ne se
met pas au service d’une vision stratégique.
Ce qui doit nous guider, c’est bien la réalité des menaces d’aujourd’hui et de
demain pour la France et les Français, pour l’Europe et les Européens. C’est le
juste équilibre à conserver entre gestion du court terme et prise en compte du
temps long. C’est l’anticipation des menaces à venir et l’adaptation continue
aux nouveaux modes de conflictualités. C’est ce que nous voulons préserver en
national et ce que nous choisissons librement de faire en coopération avec nos
partenaires.
Pour répondre à ces exigences, il faut à la France un outil de défense complet,
moderne, puissant, équilibré, mis en œuvre par des armées réactives et tournées
vers l’avenir.
Nous pouvons être fiers de nos armées. Notre outil de
défense doit en effet nous permettre de relever trois grands défis :
Il s’agit tout d’abord, naturellement, de protéger nos
concitoyens, notre territoire, ses approches aériennes et maritimes, contre
tous les types de menaces et d’agression. C’est le fondement premier de notre
existence en tant que nation et l’essence même de notre souveraineté.
Au quotidien, cet objectif réunit le soldat de l’opération Sentinelle, la
frégate de surveillance et la patrouille de défense aérienne. En surplomb, dans
le cadre de la posture permanente de dissuasion, la veille silencieuse des équipages
de nos SNLE et des forces aériennes stratégiques garantit chaque jour la
protection du territoire et de la population et, au-delà, celle de nos intérêts
vitaux.
Responsable devant la Nation de la sécurité de notre pays et de son avenir,
j’ai la responsabilité de protéger la France et les Français contre toute
menace d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et
quelle qu’en soit la forme.
Cette responsabilité ultime, au cœur de la fonction présidentielle, je l’assume
chaque jour avec la plus grande détermination. Elle s’exerce par la dissuasion
nucléaire. Cet exercice de la dissuasion, tout comme la transparence et la
confiance que nous devons à la communauté internationale en tant qu« Etat doté
» au sens du TNP – nécessite une doctrine strictement défensive, claire et
prévisible, dont je veux ici rappeler les principaux fondements.
Si d’aventure un dirigeant d’Etat venait à mésestimer l’attachement viscéral de
la France à sa liberté et envisageait de s’en prendre à nos intérêts vitaux,
quels qu’ils soient, il doit savoir que nos forces nucléaires sont capables
d’infliger des dommages absolument inacceptables sur ses centres de pouvoir,
c’est-à-dire sur ses centres névralgiques, politiques, économiques, militaires.
Nos forces nucléaires ont été configurées pour cela avec la flexibilité et la
réactivité nécessaires. En cas de méprise sur la détermination de la France à
préserver ses intérêts vitaux, un avertissement nucléaire, unique et non
renouvelable, pourrait être délivré à un agresseur étatique pour signifier
clairement que le conflit vient de changer de nature et rétablir la dissuasion.
Dans ce cadre, la France s’appuie au quotidien sur les deux composantes de ses
forces nucléaires, qui sont complémentaires. J’ai pris et je continuerai à
prendre les décisions nécessaires au maintien de leur crédibilité
opérationnelle dans la durée, au niveau de stricte suffisance requis par
l’environnement international.
Mais notre territoire, comme celui de l’Europe, n’est pas
isolé du monde. C’est à mes yeux, le deuxième défi sur lequel je voulais
revenir. En effet, nous vivons au rythme des crises qui agitent notre
environnement direct. Nous subissons les conséquences de ces crises qui
troublent des régions ou des mers plus lointaines, rendues toujours plus
proches par les flux économiques et les échanges humains.
Pour défendre nos intérêts de sécurité, nous devons donc relever le deuxième
défi que représentent, d’une part la faillite des Etats qui laisse des sociétés
entières en proie à la violence et aux bandes armées, et d’autre part, le
désordre qui gagne les espaces communs, qu’ils soient océaniques, exo-
atmosphériques ou cyber.
C’est pourquoi, dans le respect du droit international et de nos
responsabilités de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies,
nos armées contribuent chaque jour, par le stationnement de nos forces de
présence et de nos forces de souveraineté outre-mer comme par nos opérations
extérieures, à la prévention des crises et à la stabilisation des régions où
progresse le chaos.
J’ai souhaité également que la France renforce ses capacités dans les nouveaux
champs de confrontation. Au-delà du renseignement, de la cyberdéfense pour
laquelle un investissement est en cours dans la durée, la défense spatiale sera
renforcée et réorganisée au sein d’un nouveau commandement spatial rattaché à
l’armée de l’air. Quant à l’intelligence artificielle, elle est l’une des
priorités de la nouvelle Agence d’Innovation de la Défense.
Terrain d’expression de la rivalité stratégique des Etats, certaines crises
régionales représentent aujourd’hui autant d’hypothèses crédibles, mais pas
exclusives, dans lesquelles nous pourrions, pour la première fois depuis
longtemps, devoir relever un troisième défi, celui d’avoir à affronter
directement, dans une escalade non maitrisée, une puissance hostile,
éventuellement dotée de l’arme nucléaire ou alliée à une puissance possédant
des armes de destruction massive.
Ce troisième défi, c’est le résultat très concret des
transformations de la menace que j’évoquais tout à l’heure.
La prise d’un gage territorial, la déstabilisation d’un de nos alliés ou
partenaires stratégiques, la remise en cause de fondements entiers du droit
international ne sont plus seulement des scénarios du passé. Ils pourraient,
demain, justifier l’engagement aux côtés de nos alliés de nos forces
terrestres, navales ou aériennes dans un conflit majeur pour défendre la
sécurité collective, le respect du droit international et la paix.
A cet égard, notre stratégie de défense est un tout cohérent : forces
conventionnelles et forces nucléaires s’y épaulent en permanence. Dès lors que
nos intérêts vitaux sont susceptibles d’être menacés, la manœuvre militaire
conventionnelle peut s’inscrire dans l’exercice de la dissuasion. La présence
de forces conventionnelles robustes permet alors d’éviter une surprise
stratégique, d’empêcher la création rapide d’un fait accompli ou de tester au
plus tôt la détermination de l’adversaire, en le forçant à dévoiler de facto
ses véritables intentions. Dans cette stratégie, notre force de dissuasion
nucléaire demeure, en ultime recours, la clé de voûte de notre sécurité et la
garantie de nos intérêts vitaux. Aujourd’hui comme hier, elle garantit notre
indépendance, notre liberté d’appréciation, de décision et d’action. Elle
interdit à l’adversaire de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation
ou du chantage.
En tant que chef de l’Etat, je suis le garant du temps long,
parce que ma responsabilité de chef des armées est de prémunir notre Nation des
menaces, en fixant l’horizon à plusieurs dizaines d’années.
La dissuasion nucléaire a joué un rôle fondamental dans la
préservation de la paix et de la sécurité internationale, notamment en Europe.
Je suis intimement persuadé que notre stratégie de dissuasion conserve toutes
ses vertus stabilisatrices, et demeure un atout particulièrement précieux dans
le monde de compétition des puissances, de désinhibition des comportements et
d’érosion des normes qui aujourd’hui se dessine sous nos yeux.
La stratégie nucléaire de la France, dont je rappelais tout à l’heure les bases
doctrinales, vise fondamentalement à empêcher la guerre.
Nos forces nucléaires ne sont dirigées contre aucun pays et
la France a toujours refusé que l’arme nucléaire puisse être considérée comme
une arme de bataille. Je réaffirme ici que la France ne s’engagera jamais dans
une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée.
Par ailleurs, nos forces nucléaires jouent un rôle dissuasif propre, notamment
en Europe. Elles renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et
à cet égard ont une dimension authentiquement européenne.
Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une
solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre
engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de
notre solidarité toujours plus étroite. Soyons clairs : les intérêts vitaux de
la France ont désormais une dimension européenne.
Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos
partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire
française dans notre sécurité collective.
Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être
associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Ce dialogue
stratégique et ces échanges participeront naturellement au développement d’une
véritable culture stratégique entre Européens.
Nos forces nucléaires évidemment contribuent également de manière significative
au renforcement global de la dissuasion de l’Alliance atlantique, aux côtés des
forces britanniques et américaines. La France ne participe pas aux mécanismes
de planification nucléaire de l’Alliance et n’y participera pas plus à
l’avenir. Mais elle continuera à nourrir la réflexion de niveau politique
visant à renforcer la culture nucléaire de l’Alliance.
Seules puissances nucléaires européennes, la France et le Royaume-Uni ont dès
1995 affirmé clairement qu’ils n’imaginaient pas de situation dans laquelle les
intérêts vitaux de l’un des deux pays pourraient être menacés sans que les
intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi.
Je veux aujourd’hui réaffirmer solennellement ce constat. Le haut niveau de
confiance mutuelle, consacré par les traités de Lancaster House de 2010, dont
nous célébrons cette année le dixième anniversaire, se traduit au quotidien
dans une coopération inédite sur les sujets nucléaires. Nous la poursuivrons
avec détermination et le Brexit n’y change rien.
Avant de conclure, je voudrais prendre encore quelques
instants pour approfondir devant vous la réflexion sur le sens de la stratégie
de dissuasion dans le monde d’aujourd’hui.
Il faut tout d’abord, sur ce sujet, reconnaître l’existence d’un débat éthique
autour des armes nucléaires, qui n’est pas nouveau et auquel le Pape François a
très récemment contribué lors de son déplacement à Hiroshima.
Il y a aussi un débat juridique et stratégique : face à un environnement
international dégradé, certains, y compris en Europe, se sont engagés récemment
dans une approche prohibitionniste, fondée en grande partie sur un impératif
absolu et un raisonnement stratégique simple : pour supprimer la peur, pour
supprimer la guerre, il suffirait de supprimer les armes nucléaires !
Je respecte très profondément les considérations qui se sont exprimées. Mais
pour sa part, la France, Etat doté, qui porte la responsabilité du maintien de
la paix et de la sécurité internationales, ne partage qu’en partie cette vision
de la réalité de notre monde. Je souhaite vous exposer ma vision des équilibres
sur lesquels repose le Traité de Non- Prolifération et les raisonnements
éthiques qu’il convient d’appliquer pour préserver la paix.
L’objectif ultime d’élimination complète des armes nucléaires dans le cadre du
désarmement général et complet figure dans le préambule du TNP. Mais dans la
réalité de notre monde, les avancées vers cet objectif ne peuvent être que
progressives, et fondées sur une perception réaliste du contexte stratégique.
Faute de disposer d’une recette pour faire disparaître rapidement les armes
nucléaires de notre monde, les promoteurs de l’abolition s’attaquent au fond à
la légitimité de la dissuasion nucléaire et avant tout, disons-le, là où cela
est le plus facile, c’est-à-dire dans nos démocraties européennes.
Or j’estime que le choix n’est pas entre d’une part un absolu moral sans lien
avec les réalités stratégiques, et d’autre part un retour cynique au seul
rapport de forces sans le droit.
Pour ma part, je ne tomberai pas dans le piège de cette fausse alternative.
Elle est déstabilisante pour l’architecture de sécurité internationale et n’est
pas à la hauteur des ambitions que porte la France pour la paix, le
multilatéralisme et le droit.
Ma responsabilité est d’assurer la sécurité de notre pays, dans le respect de
ses engagements internationaux, en particulier ceux du TNP.
Mais cela ne signifie pas pour autant que la France renonce aux questionnements
éthiques s’agissant de l’arme nucléaire. Une démocratie doit se poser la
question des finalités de sa politique de dissuasion nucléaire, porteuse de
dilemmes moraux et de paradoxes.
Il faut pour cela saisir la dissuasion dans la totalité de ses aspects, ce qui
suppose de la replacer dans un cadre politique plus large, relatif à notre
vision de l’ordre mondial.
L’arme nucléaire a fait pénétrer en 1945 l’humanité dans un nouvel âge, en lui
donnant au fond les moyens de sa propre destruction et en lui faisant prendre
ainsi conscience de l’unité de son destin. Sa diffusion a été limitée en 1968
par le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, photographie en
quelque sorte du monde nucléaire de l’époque – il constate l’existence de cinq
Etats dotés d’armes – et qui, à de rares exceptions près, a tenu. Ce faisant,
la détention de l’arme nucléaire confère aux responsables politiques des pays
concernés une responsabilité d’une ampleur morale sans précédent dans
l’histoire. S’agissant de la France, j’assume pleinement cette responsabilité.
Nous n’avons pas d’autre choix que de nous confronter à l’imperfection du monde
et d’affronter, avec réalisme et honnêteté, les problèmes qu’il nous pose.
Je ne peux ainsi donner à la France comme objectif moral le désarmement des
démocraties face à des puissances voire des dictatures qui, elles,
conserveraient ou développeraient leurs armes nucléaires.
Un désarmement nucléaire unilatéral équivaudrait pour un Etat doté comme le
nôtre à s’exposer et à exposer ses partenaires à la violence et au chantage, ou
à s’en remettre à d’autres pour assurer sa sécurité.
Je refuse cette perspective. Et ne soyons pas naïfs : un décrochage de la
France, dont l’arsenal ne peut en aucun cas être comparé à celui des Etats-Unis
ou de la Russie, n’aurait pas le moindre effet d’entraînement sur les autres
puissances nucléaires.
Dans le même esprit, la France n’adhérera pas à un traité d’interdiction des
armes nucléaires. Ce traité ne créera aucune obligation nouvelle pour la
France, ni pour l'Etat, ni pour les acteurs publics ou privés sur son
territoire.
Le désarmement n’a en réalité de sens que s’il s’inscrit dans un processus
historique de limitation de la violence.
La stratégie de dissuasion y contribue déjà, même de façon paradoxale. Dans la
dissuasion telle que la France la pratique, c’est bien la possibilité de
dommages inacceptables pour un adversaire potentiel qui, sans même que la
menace en soit proférée, restreint la violence effective.
Reconnaissons cependant que cette rationalité dissuasive ne suffit pas à fonder
la paix, au sens plein du terme, c’est-à-dire un état qui ne soit pas une
simple inhibition de la violence, mais bien une véritable coopération et une
concorde entre tous.
Notre objectif doit être d’œuvrer à l’instauration d’un ordre international
différent, avec un gouvernement du monde efficace capable d’établir le droit et
de le faire respecter.
Cet objectif de transformation de l’ordre international
n’est pas seulement un idéal. Il dessine dès à présent un chemin politique et
stratégique qui doit nous permettre de progresser concrètement.
Pour ce faire, il est indispensable de circonscrire le rôle de la dissuasion
aux circonstances extrêmes de légitime défense.
Les armes nucléaires ne doivent pas être conçues comme des outils
d’intimidation, de coercition ou de déstabilisation. Elles doivent rester des
instruments de dissuasion à des fins d’empêchement de la guerre.
La doctrine nucléaire de la France s’inscrit strictement dans ce cadre.
J’appelle les dirigeants des autres puissances nucléaires à faire preuve de la
même transparence dans leur doctrine de dissuasion et à renoncer à toute
tentation d’instrumentalisation de cette stratégie à des fins coercitives ou
d’intimidation.
Voici, ce que je voulais vous dire aujourd’hui sur la place
de la France dans le monde, sur son ambition européenne, sur sa stratégie de
défense et de dissuasion.
Regardons notre avenir avec lucidité et détermination.
Lucidité, parce que nous ne pouvons faire comme si la mondialisation et les
progrès technologiques ne bouleversaient pas les modèles issus du passé. Plus
que jamais notre réflexion stratégique doit s’adapter aux soubresauts de notre
environnement, tout en s’inscrivant dans le temps long. Ayons le courage de
regarder le monde tel qu’il est, tel qu’il va évoluer. Il n’y a pas de
fatalité, mais il peut y avoir des erreurs historiques à ne pas vouloir le
regarder.
Détermination également : détermination à rester la France, la France fière de
son Histoire, la France fière de ses valeurs et respectueuse de ses engagements.
La France farouchement attachée à rester maitresse de son destin, au sein d’une
Europe refondée pour le bien commun.