Emmanuel Macron |
Dans un long entretien donné à la nouvelle revue de géopolitique Le Grand continent, Emmanuel Macron expose sa vision du monde actuel et définit sa doctrine à l’aune des défis qui se pose à l’Humanité.
Pour le Président de la République, «le combat contemporain est un combat contre la barbarie et l’obscurantisme. »
Et de poursuivre:
«Le combat de notre génération en Europe, ce sera un combat pour nos libertés. Parce qu’elles sont en train de basculer. Et donc, ce ne sera pas la réinvention des Lumières, mais il va falloir défendre les Lumières face à l’obscurantisme. Cela est sûr. Et ne nous laissons pas enfermer dans le camp de ceux qui ne respecteraient pas les différences. C’est un faux procès et une manipulation de l’histoire. Il n’y a de respect possible que si la dignité humaine se place au-dessus de tout, mais le respect ne doit pas se faire aux dépens de la liberté d’expression. Sinon, ce n’est pas du vrai respect, c’est l’abandon, au fond, de la discussion, de la conflictualité qu’il peut y avoir dans la discussion et le débat.»
Quand à la situation mondiale, «Je pense, fait-il le constat, qu’il n’y a jamais eu dans notre histoire une période qui concentrait autant d’éléments de rupture.»
Et dans ce cadre, chacun tente de tirer les marrons du feu à son unique profit tout en remettant en causes les fondements de l’ordre international posés en 1945, après la deuxième guerre mondiale, et réactualisés en 1989, après la chute du mur de Berlin et du communisme en Europe de l’Est, ainsi que les avancées sociétales issues des mouvements de 1968 à travers le monde.
Surtout, il y a une tentative, notamment par le régime autocratique de la Russie et la dictature chinoise de remettre en cause les valeurs sur lesquelles se fonde cet ordre international.
«Il y a très clairement, dit Emmanuel Macron, un jeu chinois, un jeu russe sur ce sujet, qui promeut un relativisme des valeurs et des principes, et un jeu aussi qui essaie de reculturaliser, de remettre dans un dialogue de civilisations, ou dans un conflit de civilisation, ces valeurs, en les opposant à l’aune du religieux par exemple.»
«Tout cela, poursuit le Président de la République, est un instrument qui fragmente l’universalité de ces valeurs. Si on accepte de remettre en cause ces valeurs, qui sont celles des droits de l’homme et du citoyen, et donc d’un universalisme qui repose sur la dignité de la personne humaine et de l’individu libre et raisonnable, alors c’est très grave. Parce que les échelles de valeurs ne sont plus les mêmes, parce que notre mondialisation a été construite sur cet élément: il n’y a rien de plus important que la vie humaine.»
Afin de gérer au mieux les crises qui sont déjà là (comme le réchauffement climatique et la montée des intolérances) et celles qui s’annoncent (comme le défi démographique), Emmanuel Macron veut «réinventer les formes d’une coopération internationale» et «renforcer et structurer une Europe politique» qui doit être «forte».
«Si j’essaie de voir au-delà du quotidien, précise t il, je dirais donc que nous devons avoir deux axes forts: retrouver les voies d’une coopération internationale utile qui évite la guerre mais permet de répondre à nos défis contemporains; construire une Europe beaucoup plus forte, qui puisse peser de sa voix, de sa force, et avec ses principes dans ce cadre refondé.»
Reste que le défi d’un «monde à inventer» est d’autant plus gigantesque que «La crise qu’on vit dans nos sociétés, c’est plutôt une crise de la responsabilité. C’est que plus personne ne veut prendre de décisions et agir en responsabilité».
► Voici l’entretien d’Emmanuel Macron à la revue Le Grand continent:
- L’année 2020 touche bientôt à sa fin. Entre gestion immédiate
des urgences et vision à long terme, quel est aujourd’hui le cap pour vous ?
Vous l’avez dit, l’année 2020 a été jalonnée de crises. Celle évidemment de
l’épidémie de Covid-19 et celle du terrorisme, qui est revenue ces derniers
mois avec beaucoup de force en Europe mais aussi en Afrique. Je pense en
particulier à ce terrorisme qu’on appelle islamiste, mais qui est fait au nom
d’une idéologie qui déforme une religion.
Ces crises viennent s’ajouter à tous les défis que nous connaissions et qui
étaient, je dirais, structurels : le changement climatique, la biodiversité, la
lutte contre les inégalités – et donc l’insoutenabilité des inégalités entre
nos sociétés et dans nos sociétés – et la grande transformation numérique. On
est à un moment de notre humanité où, au fond, on a rarement eu une telle
accumulation de crises de court terme, comme l’épidémie et le terrorisme, et de
transitions profondes et structurantes qui changent la vie internationale et
qui ont même des impacts anthropologiques : je pense au changement climatique
comme d'ailleurs à la transition technologique qui transforme nos imaginaires,
on l'a encore vu récemment, qui bouscule complètement le rapport entre le
dedans, le dehors et nos représentations du monde.
Face à cela, et vous avez raison de parler de cap, il y a, je le crois très
profondément, un fil directeur. C’est qu’on a besoin de réinventer les formes
d’une coopération internationale. L’une des caractéristiques de toutes ces
crises, c’est que l’humanité les vit avec des différences selon l’endroit où
elle se trouve, mais nous sommes tous confrontés à ces grandes transitions et à
ces crises ponctuelles au même moment. Pour les résoudre au mieux, nous avons
besoin de coopérer. On ne battra pas l’épidémie et ce virus si on ne coopère
pas. Quand bien même certains découvriraient un vaccin, s’il n’est pas diffusé
à la planète entière, cela veut dire que le virus reviendra dans certaines
zones. Pour combattre le terrorisme, on est là aussi tous frappés : il ne faut
pas oublier que plus de 80 % des victimes de ce terrorisme islamiste
proviennent du monde musulman, on l’a encore vu au Mozambique ces derniers
jours. Nous avons une communauté de destin face à toutes ces crises. Et pour
moi le premier cap dans la vie internationale est de chercher les voies d’une
coopération utile : ce qu’on a fait sur le virus avec le mécanisme Act-A, ce
qu’on a essayé de faire sur le terrorisme en bâtissant des coalitions nouvelles
et ce qu’on a fait constamment sur les grands chantiers que je viens d’évoquer.
À côté de cela, le cap, pour moi, c’est aussi l’importance, dans ce moment – et
l’un pour moi est complémentaire de l’autre – de renforcer et structurer une
Europe politique. Pourquoi ? Parce que si on veut qu’il y ait de la coopération
qui se crée, il faut que des pôles équilibrés puissent structurer cette
coopération, autour d'un nouveau multilatéralisme, c’est-à-dire d’un dialogue
entre les différentes puissances pour décider ensemble. Cela implique d’acter
que les cadres de la coopération multilatérale sont aujourd'hui fragilisés,
parce qu’ils sont bloqués : je suis obligé de constater que le Conseil de
Sécurité des Nations Unies ne produit plus de solutions utiles aujourd’hui ;
nous sommes tous coresponsables quand certains deviennent les otages des crises
du multilatéralisme, comme l’OMS par exemple.
On doit réussir à réinventer des formes utiles de coopération, des coalitions
de projets, d’acteurs et nous devons réussir à moderniser les structures et à
rééquilibrer ces relations. Pour ce faire, nous avons aussi besoin de repenser
les termes de la relation : pour moi le deuxième élément du cap, c’est une
Europe forte et politique. Pourquoi ? Parce que je pense que l’Europe ne
dissout pas la voix de la France : la France a sa conception, son histoire, sa
vision des affaires internationales, mais elle construit une action beaucoup
plus utile et forte si elle le fait par le truchement de l’Europe. Je pense
même que c’est la seule possibilité pour imposer nos valeurs, notre voix
commune, pour éviter le duopole sino-américain, la dislocation, le retour de
puissances régionales hostiles. C’est ce qu’on a réussi à faire pour préserver
l’Accord de Paris sur le climat : c’est vraiment l’Europe qui a structuré
l’agenda après la décision du président Trump, pour garder ensuite la Chine
avec nous. C’est ce qu’on a fait pour la lutte contre le terrorisme en ligne
avec l’appel de Christchurch – en coopérant avec des Néo-Zélandais, mais c’est
vraiment une action européenne que nous avons lancée ici même il y a un an et
demie.
Je considère donc que, dans ce moment, il ne faut surtout pas perdre le fil
européen et cette autonomie stratégique, cette force que l’Europe peut avoir
pour elle-même. Si j'essaie de voir au-delà du quotidien, je dirais donc que
nous devons avoir deux axes forts : retrouver les voies d’une coopération
internationale utile qui évite la guerre mais permet de répondre à nos défis
contemporains ; construire une Europe beaucoup plus forte, qui puisse peser de
sa voix, de sa force, et avec ses principes dans ce cadre refondé.
Vous parlez de cap, en vous projetant vers l’avenir,
mais on peut comprendre ce moment de transition en regardant aussi vers le
passé pour se demander quelle est l’ère qui s’achève en 2020. Est-ce une ère
qui a commencé en 1989, en 1945 ?
C’est très dur à dire, parce qu’on ne sait pas si on est à un moment qui permet
de penser la période. Je ne sais pas s’il fait encore nuit pour que la chouette
de Minerve puisse se retourner sur ce qui s’éteint pour le comprendre... Mais
je pense que les deux éléments de césure que vous évoquez en sont, 1968 en est
sans doute un aussi.
On voit qu’on a une crise du cadre multilatéral de 1945 : une crise de son
effectivité, mais, plus grave à mes yeux, au fond, une crise de l’universalité
des valeurs portées par ses structures. Et c’est pour moi – on l’évoquait tout
à l’heure dans la conférence du Forum de Paris sur la paix – un des points les
plus graves de ce qu’on vient de vivre dans la période récente. Des éléments
comme la dignité de la personne humaine, qui étaient des intangibles, et dans
lesquels au fond s’inscrivaient tous les peuples des Nations Unies, tous les
pays représentés, sont maintenant mis en cause, relativisés. Il y a un
relativisme contemporain qui vient, qui est vraiment une rupture, et qui est le
jeu de puissances qui ne sont pas à l’aise avec le cadre des droits de l’homme
des Nations Unies. Il y a très clairement un jeu chinois, un jeu russe sur ce
sujet, qui promeut un relativisme des valeurs et des principes, et un jeu aussi
qui essaie de reculturaliser, de remettre dans un dialogue de civilisations, ou
dans un conflit de civilisation, ces valeurs, en les opposant à l’aune du
religieux par exemple. Tout cela est un instrument qui fragmente l'universalité
de ces valeurs. Si on accepte de remettre en cause ces valeurs, qui sont celles
des droits de l’homme et du citoyen, et donc d’un universalisme qui repose sur
la dignité de la personne humaine et de l’individu libre et raisonnable, alors
c’est très grave. Parce que les échelles de valeurs ne sont plus les mêmes,
parce que notre mondialisation a été construite sur cet élément : il n’y a rien
de plus important que la vie humaine. Donc, là, je vois une première rupture.
Elle est très récente ; elle s’installe ; elle est le fruit de choix
idéologiques totalement assumés de puissances qui, par ce truchement, voient
les moyens de se rehausser, et d’une forme de fatigue, d’affaissement.
On s’habitue et on pense que ce qui est devenu un ensemble de mots que
l'on répète tout le temps n’est plus en risque. C’est la première rupture, et
elle est très inquiétante.
Il y a une deuxième rupture dans notre concert des nations, qui est, je pense,
la crise des sociétés occidentales post-1968 et 1989. Vous voyez un
néo-conservatisme monter, partout en Europe d’ailleurs, qui est une remise en
cause – ce sont les néo-conservateurs eux-mêmes qui le prennent comme référence
– de 1968, c’est-à-dire au fond d’un état de maturité de notre démocratie – la
reconnaissance des minorités, ce mouvement de libération des peuples et des
sociétés – et il y a le retour du fait majoritaire et en quelque sorte d’une
forme de vérité des peuples. Cela revient dans nos sociétés, partout. C’est une
vraie rupture qu’il ne faut pas négliger, parce qu’elle est un instrument de refragmentation.
Et je pense qu’on est aussi à un point de rupture par rapport au post-1989. Les
générations qui sont nées après 1989 n’ont pas connu la dernière grande lutte
qui a structuré la vie intellectuelle occidentale et nos relations :
l’anti-totalitarisme. Elles se sont structurées pour beaucoup, ainsi que leur
accès à la vie académique, politique, sur une fiction qui était la « fin de
l’histoire » et un implicite qui était l’extension permanente des démocraties,
des libertés individuelles etc. On voit que ce n’est plus le cas. Réémergent
des puissances régionales qui sont autoritaires, réémergent des théocraties. La
ruse de l’histoire, d’ailleurs, arrivant sans doute au moment des printemps
arabes, où ce qui est vu avec cette même grille de lecture comme un élément de
libération est un élément de retour de l’esprit de certains peuples et du
religieux dans le politique. C’est une accélération extraordinaire d’un retour
du fait religieux dans plusieurs de ces pays sur la scène politique.
Tous ces éléments produisent des ruptures très profondes dans notre vie, dans
la vie de nos sociétés, et dans l’esprit qui est né dans ces dates de
référence. Et c’est pour cela que je veux lancer ce qu’on pourrait appeler le «
consensus de Paris », mais qui sera le consensus de partout, qu’on a lancé
aujourd’hui, qui consiste à aller au-delà de ces grandes dates qui ont
structuré le fait politique, intellectuel des dernières décennies, pour
interroger l’élément de concrétisation du consensus dit de Washington, et donc
le fait que nos sociétés s’étaient aussi construites sur le paradigme
d’économies ouvertes, d’une économie sociale de marché, comme on disait dans
l’après-guerre en Europe, qui est devenue d’ailleurs de moins en moins sociale,
de plus en plus ouverte, et qui, après ce consensus, au fond, est entrée dans
un dogme où les vérités étaient : réduction de la part de l’État,
privatisations, réformes structurelles, ouverture des économies par le
commerce, financiarisation de nos économies, avec une logique assez monolithique
fondée sur la constitution de profits. Cette ère-là a eu des résultats, ce
serait trop facile de la juger avec le regard actuel. Elle a permis de sortir
des centaines de millions d’habitants de la planète de la pauvreté, par
l’ouverture de nos économies, par la théorie de l’avantage comparatif, beaucoup
de pays pauvres en ont profité. Mais on la voit aujourd’hui différemment, ce
qui est un élément de rupture profonde, par rapport aux grandes transitions que
j’évoquais.
Premièrement, elle ne permet pas de penser et d’internaliser les grands
changements du monde, en particulier le changement climatique qui demeure une
externalité dans le consensus de Washington. Or, on arrive à un point où
l’urgence est telle qu’il est impossible de demander à des gouvernants de gérer
l’une des questions prioritaires du moment, la question sans doute prioritaire
pour la génération à venir, simplement comme une externalité de marché. Il faut
la remettre dans le marché. C’est ce que nous sommes en train de faire depuis l’Accord
de Paris, avec par exemple le prix carbone, qui n'est pas
compréhensible dans le cadre du consensus de Washington, car il implique
que quelque chose d’autre que le profit doit être intégré.
La deuxième chose, ce sont les inégalités. Le fonctionnement de l’économie de
marché contemporaine et financiarisée a permis l’innovation et la sortie de la
pauvreté dans certains pays, mais il a accru les inégalités dans nos pays.
Parce qu’il a délocalisé massivement, parce qu’il a réduit au sentiment
d’inutilité une partie de notre population, avec des drames économiques,
sociaux mais aussi psychologiques profonds : nos classes moyennes en
particulier, et une partie de nos classes populaires ont été la variable
d’ajustement de cette mondialisation ; et cela est insoutenable. C’est
insoutenable, et on l’a sans doute sous-estimé. Nos démocraties vivent sur une
forme de surface de sustentation, où il faut à la fois le principe politique de
la démocratie et ses alternances, les libertés individuelles, l’économie sociale
de marché et le progrès pour les classes moyennes. Ces éléments étaient la base
sociologique de nos régimes : c’est comme cela qu’on fait depuis le XVIIIe
siècle. À partir du moment où les classes moyennes n’ont plus d’éléments de
progrès pour elles-mêmes et vivent le déclin année après année, un doute
s’installe sur la démocratie. C’est exactement ce qu’on voit partout, des
États-Unis de Donald Trump au Brexit en passant par les coups de semonce que
nous avons dans notre pays et dans beaucoup de pays européens, c’est ce doute
qui s’installe où l’on dit au fond : « puisque je n’ai plus de progrès, pour
revenir au progrès pour moi, eh bien il faut soit que je réduise la démocratie
et que j’accepte une forme d’autorité, soit que j’accepte de fermer des éléments
de frontières parce que ce fonctionnement du monde ne marche plus. »
C’est pour cette raison que je crois très profondément que nous sommes à un
point de rupture, qui est un point de rupture très profond aussi, en plus de
ces rendez-vous politiques, qui est un point de rupture du capitalisme
contemporain. Parce que c’est un capitalisme qui s’est financiarisé, qui s’est
surconcentré et qui ne permet plus de gérer les inégalités dans nos sociétés et
au niveau international. Et on ne peut y répondre qu’en le refondant. D’abord,
on n’y répond pas dans un seul pays, j’ai fait une politique d'ailleurs qui ne
va pas du tout dans ce sens et je l’assume parfaitement. Aussi vrai que le
socialisme n’a pas marché dans un seul pays, la lutte contre ce fonctionnement du
capitalisme est inefficace dans un pays. On n’y répond pas par la fiscalité, on
y répond en construisant différemment les parcours de vie : par l’éducation et
la santé quand on est un pays, mais ensuite par un fonctionnement différent des
mouvements financiers et économiques, c’est-à-dire en intégrant l’objectif
climatique, l’objectif d'inclusion et les éléments de stabilité du système dans
le coeur de la matrice. Voilà comment je vois les choses.
Nous sommes à un moment de rupture politique par rapport à plusieurs choses qui
avaient été acquises à des dates-clés. En même temps, nous sommes à un moment
de rupture du système capitaliste, qui doit penser à la fois les sujets des
inégalités et du changement climatique. S’ajoute à cela un fait nouveau, mais qui
est en train de se structurer de manière perverse, que sont les réseaux sociaux
et Internet. Et cette création formidable, qui a d’abord été faite pour
échanger des savoirs et les faire circuler au sein d’une communauté académique,
est devenue un instrument extraordinaire de diffusion de l’information, mais
est aussi devenue deux choses dangereuses : un instrument de viralisation des
émotions, quelles qu’elles soient – qui fait que chacun se voit dans le monde
et dans l’émotion de l’autre sans recontextualisation, pour le meilleur et pour
le pire –, et un élément de dé-hiérarchisation de toutes les paroles – et donc
de contestation de toute forme d’autorité, au sens générique, qui permet de
structurer la vie en démocratie et en société, qu’elle soit politique,
académique ou scientifique – simplement parce que c’est là, que quelqu’un
l’a dit, et que cela a la même valeur d’où qu’il parle. Cela, nous ne l’avons
pas encore suffisamment intégré. Nous n’avons pas organisé d’ordre public de
cet espace. Cet espace surdétermine nos choix aujourd’hui, et il change du même
coup notre vie politique. Et donc, anthropologiquement, il bouscule les
démocraties et notre vie.
Le dernier point d’inflexion est le changement démographique, qu’on oublie
souvent. Dans ce qui structure ce moment, il y a ces grands changements
climatiques, technologiques, politiques, économiques et financiers, et puis il
y a le fait démographique. Nous avons une population qui continue de
s’accroître à une vitesse folle. Nous avons, bien que je ne les défende pas,
des théories malthusianistes qui vont revenir, parce que nous ne pouvons pas
être dans un monde qui doit penser la rareté des ressources et la finitude de
l’espèce humaine, et qui en même temps considère que sa démographie est un
élément exogène. Aujourd’hui, on a atteint une augmentation de la population
mondiale de 400 à 500 millions d’habitants tous les cinq ans. Et surtout, cette
augmentation se fait avec des déséquilibres très profonds : si l’on prend la
plaque Europe-Afrique, sur la même période, pour un pays d’Europe qui disparaît
démographiquement, un pays d’Afrique apparaît. On assiste à une sorte
d’accélération de la torsion de l’histoire. On a une Europe dont la démographie
baisse de manière inquiétante – moins en France qu’ailleurs – on a des pays
d’Europe où se produisent des mouvements de population très inquiétants, par
exemple en Europe de l’Est. Et la démographie africaine est très importante.
Tout cela crée aussi une reconception du monde, des capacités économiques, des
destins, et vient évidemment aussi bouleverser les relations transnationales.
Je pense qu’il n’y a jamais eu dans notre histoire une période qui concentrait
autant d’éléments de rupture.
Avec quels instruments bâtit-on un nouveau
multilatéralisme qui prenne acte de ces bouleversements ?
D’abord, il y a un travail d’idées à mener, il faut le penser, le nommer.
Aujourd’hui, les idéologies divergent. Il y a trois ans, lorsque je parlais de
souveraineté européenne ou d’autonomie stratégique, on me prenait pour un fou,
on renvoyait ces idées à des lubies françaises. Nous avons réussi à faire
bouger les choses. En Europe, ces idées se sont imposées. L’Europe de la
défense, qu’on croyait impensable, nous l’avons faite. Nous avançons sur le
terrain de l’autonomie technologique et stratégique, alors qu’on s’était étonné
lorsque j’ai commencé à parler de souveraineté sur la 5G. Il y a donc d’abord
un travail idéologique à mener, et c’est une urgence. Il s’agit de penser les
termes de la souveraineté et de l’autonomie stratégique européennes, pour
pouvoir peser par nous-mêmes et non pas devenir le vassal de telle ou telle
puissance et ne plus avoir notre mot à dire.
Il y a ensuite à prendre acte de ces tensions, les penser ensemble, et
construire notre action utile. L’Europe a énormément d’impensés. Sur le plan
géostratégique, nous avions oublié de penser car nous pensions par le
truchement de l’OTAN nos relations géopolitiques, soyons clairs – la France
moins que d’autres par son histoire, mais ce surmoi est encore présent, je me
bats parfois contre celui-ci. Donc l’idéologie que l’on peut instaurer en
Europe, c’est-à-dire une lecture commune du monde et de nos intentions, est un
premier point essentiel. Ce que nous avons lancé autour du Forum pour la Paix,
le consensus de Paris et notre action pour la politique française et
européenne, tout cela est essentiel.
Ensuite, à très court terme, la réponse passe par les coalitions d’acteurs. Ce
que j’applique depuis le premier jour, c’est une espèce de pragmatisme, où l’on
fait avec ce qu’on a, et où l’on montre par l’exemple que cela avance. Quand
les États-Unis d’Amérique ont décidé de quitter l’Accord de Paris sur le
climat, deux heures plus tard, je faisais la conférence Make our planet great
again en clin d’œil au président Trump, et quelques mois plus tard, nous
organisions, à la date anniversaire de l’Accord de Paris, le premier One Planet
Summit, ici à l’Élysée. Nous avons lancé une coalition d’acteurs : des États
américains, des entreprises américaines, des grands financiers, et nous avons
lancé plusieurs dizaines de coalitions pour dire concrètement : comment se
bat-on contre la désertification ici, là pour réduire les émissions de CO2 ou
pour lutter contres les émissions d'hydrofluorocarbures (HFC). Depuis le One
Planet Summit de décembre 2017, nous avons constamment fait cela. On y a aussi
associé des acteurs que l’on n’incluait pas suffisamment dans le jeu des
nations : j’ai ainsi tenu un One Planet Summit en Afrique, car je considère que
notre stratégie doit être afroeuropéenne. Cette refondation doit s’appuyer sur
une Europe beaucoup plus unie géopolitiquement et qui engage avec elle
l’Afrique comme partenaire, de manière totalement paritaire. On l’a fait sur la
lutte contre la désertification à Nairobi. On l’a aussi fait quand nous avons
eu la présidence du G7 : on a mis en place des coalitions d’acteurs pour
réduire le transport maritime international, pour réduire les HFC, et en
construisant un G7 avec les pays africains. Et ils ont été présents pendant la
moitié du programme.
C’est donc premièrement une refonte de notre grille de lecture : plus d’Europe.
Et deuxièmement, un vrai partenariat Europe-Afrique, parce qu’on a la clé du
problème entre nous. Derrière, ensuite, la construction de coalitions très
concrètes avec des acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux –
entreprises, associations – pour avoir des résultats sur un chemin qu’on s’est
donné ensemble. Et à partir de là, nous pourrons construire des stratégies
d’alliance plus large. C’est par cette stratégie, toujours au sujet du climat,
que nous avons réussi à engager la Chine avec nous. À chaque One Planet Summit,
la Chine est présente et annonce le renforcement d’un marché chinois du carbone
et la mise en place d’un prix du carbone. Parce que nous savons être actifs et
engager ces coalitions sans rester dans une stratégie inerte, nous arrivons à
engager également les Chinois, ce qui va nous permettre, je l’espère, de passer
une étape sur les objectifs 2030 et sur la neutralité carbone en 2050 dans les
prochains mois avec la Chine, et de pouvoir réengager sur cette base les
Américains.
Un autre exemple de cette tactique que j’ai employée depuis trois ans pour
arriver à ces fins, ce sont les réseaux sociaux : la lutte pour nos libertés,
la norme publique et contre la haine en ligne et le terrorisme. Quand a lieu
l’attaque en Grande-Bretagne à l’été 2017, Theresa May vient ici le 13 juin
2017 et nous appelons les grandes plateformes et les réseaux sociaux à retirer
tous les contenus terroristes qui y sont diffusés. Nous le portons ensuite aux
Nations Unies. Pendant un an, cela été un combat très dur, nous avons été très
peu suivis, les amoureux du free speech se sont dressés contre cette
proposition. À l’ONU comme en Europe, nous étions très seuls. Nous sommes arrivés
à faire bouger les choses malheureusement à cause de l’attentat de
Christchurch. Le 13 mai 2019, à l’Élysée, j’invite la première ministre
néo-zélandaise, plusieurs dirigeants européens, des dirigeants africains –
toujours dans cette volonté d’inclure plusieurs espaces –, et les grands
dirigeants de plateformes sont présents (Twitter, Facebook, Google…). Et tous
s'engagent sur la golden hour, c’est-à-dire sur le fait de retirer les contenus
terroristes en moins d’une heure. Ce n’est pas une loi, c’est un engagement
hybride et inédit, avec des États souverains, pour réagir à ce problème.
Dans quelques jours, on arrivera, je l’espère, à ce que le Parlement vote le
texte qui rendra obligatoire cette golden hour en Europe.
On peut, face à chacune de ces urgences, faire bouger les choses, si nos
principes et les finalités sont clairs et si l’on arrive à bâtir des stratégies
d’acteurs originales, nouvelles, entre États et avec des puissances
non-étatiques. Cela exige tout de même soit de réagir très rapidement quand il
y a un choc – c’est l’exemple de Christchurch –, soit de bâtir le terreau d’une
idéologie commune et d’une lecture commune du monde, qui est de montrer que
l’on a besoin, face à ces défis communs, de construire des coopérations
efficaces.
Un dernier exemple serait celui d’Act-A. Quand le virus est arrivé, nous
n’avions qu’une peur : si le virus arrive en Afrique et dans d’autres pays
pauvres, comment vont-ils faire ? Si nous n’avons d’autre solution que de
fermer nos pays, comment peuvent-ils vivre ? Tout de suite, nous avons lancé un
Bureau de l’Union africaine, en ligne, avec plusieurs dirigeants, avant de
porter cette voix en Europe et au G20. Et nous avons structuré cette initiative
Act-A avec l’Union africaine, l’Union européenne, les autres puissances du G20,
l’OMS, pour permettre de financer l’amélioration des systèmes de soins
primaires, et surtout la garantie que le vaccin serait un bien public mondial
et que nous nous mettrions en situation d’en produire suffisamment pour les
fournir aux pays les plus pauvres. Nous avons des solutions à chaque fois, mais
il faut construire les innovations nécessaires sur chacun de ces thèmes.
- Pourriez-vous revenir sur les mots de l’Europe
géopolitique : quelle définition concrète y a-t-il derrière souveraineté,
autonomie stratégique, Europe-puissance ?
L’Europe n’est pas qu’un marché. Implicitement, depuis des décennies, on fait
comme si l’Europe était un marché unique. Mais nous n’avons pas pensé en
interne l’Europe comme un espace politique fini. Notre monnaie n’est pas
parachevée. Nous n’avions pas, jusqu’aux accords de cet été, un vrai budget et
une véritable solidarité financière. Nous n’avons pas pensé jusqu’au bout les
sujets sociaux qui font que nous sommes un espace uni. Et nous n’avons pas
suffisamment pensé ce qui fait de nous une puissance dans le concert des
nations : une région très intégrée avec un fait politique clair. L’Europe doit
se repenser ellemême politiquement et agir politiquement pour définir des
objectifs communs qui ne sont pas simplement une délégation de notre avenir au
marché.
De manière concrète, cela veut dire que, quand on parle de technologies,
l’Europe a besoin de bâtir ses propres solutions pour ne pas dépendre d’une
technologie américano-chinoise. Si nous en sommes dépendants, par exemple dans
les télécommunications, nous ne pouvons pas garantir aux citoyens européens le
secret des informations et la sécurité de leurs données privées, parce que nous
ne possédons pas cette technologie. En tant que puissance politique, l’Europe doit
pouvoir fournir des solutions en termes de cloud, sinon, vos données seront
stockées dans un espace qui ne relève pas de son droit – ce qui est la
situation actuelle. Donc, quand on parle de sujets aussi concrets que cela, on
parle en fait de politique et du droit des citoyens. Si l’Europe est un espace
politique, alors nous devons la bâtir pour que nos citoyens aient des droits
que nous puissions politiquement garantir.
Soyons clairs : nous avons laissé se créer des situations où ce n’est plus tout
à fait le cas. Aujourd’hui, nous sommes en train de reconstruire une autonomie
technologique par exemple pour la téléphonie, mais ce n’est pas le cas pour le
stockage des données sur le cloud. Nos informations sont sur un cloud qui
n’est pas régulé par le droit européen, et dans le cas d’un sujet litigieux,
nous dépendons du bon vouloir et du fonctionnement du droit américain.
Politiquement, c’est insoutenable pour des dirigeants élus, car cela veut dire
que quelque chose que vous êtes, en tant que citoyen, en droit de me demander –
la protection de vos données, une garantie ou une régulation sur cela, en tout
cas un débat éclairé et transparent des citoyens sur ce sujet –, nous n’avons
pas construit les moyens de le faire.
Il en va de même au sujet de l’extraterritorialité du dollar, qui est un fait
et qui ne date pas d’hier. Il y a moins de dix ans, plusieurs entreprises
françaises ont été pénalisées de plusieurs milliards d’euros parce qu’elles
avaient opéré dans des pays qui faisaient l’objet d’une interdiction au regard
du droit américain. Cela veut dire concrètement que nos entreprises peuvent
être condamnées par des puissances étrangères quand elles ont une activité dans
un pays tiers : c’est une privation de souveraineté, de la possibilité de
décider pour nousmêmes, c’est un affaiblissement immense.
Nous en avons malheureusement mesuré toutes les conséquences quand il s’est agi
de la discussion sur l’Iran. Nous, Européens, voulions rester dans le cadre de
ce qu’on appelle le JCPOA. Les Américains en étant sortis, aucune entreprise
européenne n’a pu continuer à commercer avec l’Iran, de peur des sanctions
qu’elles encouraient vis-à-vis des États-Unis. Donc, quand je parle de
souveraineté ou d’autonomie stratégique, je relie tous ces sujets, qui
paraissent au premier abord très éloignés les un des autres.
Qu'est-ce qui fait que nous décidons pour nous-mêmes ? C'est cela, l'autonomie
: l'idée que nous choisissons nos propres règles pour nous-mêmes. Cela suppose
de revisiter des politiques auxquelles nous nous étions habitués,
technologiques, financières et monétaires, politiques, avec lesquelles nous
bâtissons en Europe des solutions pour nous, pour nos entreprises, nos
concitoyens, qui nous permettent de coopérer avec d'autres, avec ceux qu'on
choisit, mais pas de dépendre d'autres, ce qui est aujourd'hui encore trop
souvent le cas. Nous avons beaucoup amélioré les choses ces dernières années,
mais nous n'avons pas réglé ce problème.
Peut-on aller jusqu'à parler de souveraineté européenne, comme je l'ai fait moi-même
? C'est un terme qui est un peu excessif, je le concède, parce que s'il y avait
une souveraineté européenne, il y aurait un pouvoir politique européen
pleinement installé. Nous n'y sommes pas encore. Il y a un Parlement européen
qui défend quand même une représentation citoyenne européenne, mais je
considère que ces formes de représentation ne sont pas totalement
satisfaisantes. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais beaucoup défendu l’idée
de listes transnationales, c'est-à-dire l'émergence d'un véritable demos
européen qui puisse se structurer, non dans chaque pays et dans chaque famille
politique en son sein, mais de manière plus transversale. J'espère que la
prochaine élection nous permettra de le faire. Si nous voulions une
souveraineté européenne, il faudrait sans doute des dirigeants européens
pleinement élus par le peuple européen. Cette souveraineté est donc, si je puis
dire, transitive. Mais entre ce que font la Commission, le Conseil où siègent
des dirigeants élus par leur peuple et le Parlement européen, émerge une forme
de souveraineté nouvelle, qui n'est pas nationale, mais européenne.
Toutefois, c'est le contenu de la souveraineté dont je parle, quand j'ai
invoqué cette notion, et qu'on peut retrouver peut-être de manière plus neutre
dans le terme d'« autonomie stratégique ». Je pense qu'il est indispensable que
notre Europe retrouve les voies et les moyens de décider pour elle-même de
compter sur elle-même, de ne pas dépendre des autres, sur tous les chantiers,
technologique, comme je l'ai dit, mais aussi sanitaire, géopolitique, et de
pouvoir coopérer avec qui elle choisit. Pourquoi ? Parce que je pense que nous
sommes un espace géographique cohérent en termes de valeurs, en termes
d'intérêts, et qu'il est bon de le défendre en soi. Nous sommes une agrégation
de peuples différents et de cultures différentes. Il n’y a aucune concentration
à ce point de tant de langues, de cultures et de diversité dans un espace
géographique donné. Mais quelque chose nous unit. D'ailleurs, nous savons que nous
sommes européens quand nous sommes envoyés hors d’Europe. Nous sentons nos
différences quand nous sommes entre Européens, mais nous ressentons une
nostalgie quand nous quittons l'Europe.
Néanmoins, je suis sûr d’une chose : nous ne sommes pas les États-Unis
d'Amérique. Ce sont nos alliés historiques, nous chérissons comme eux la
liberté, les droits de l'homme, nous avons des attachements profonds, mais nous
avons par exemple une préférence pour l'égalité qu'il n'y a pas aux États-Unis
Amérique. Nos valeurs ne sont pas tout à fait les mêmes. Nous avons en effet un
attachement à la démocratie sociale, à plus d'égalité, nos réactions ne sont
pas les mêmes. Je crois également que la culture est plus importante chez nous,
beaucoup plus. Enfin, nous nous projetons dans un autre imaginaire, qui est
connecté à l'Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, et nous avons une autre
géographie, qui peut désaligner nos intérêts. Ce qui est notre politique de
voisinage avec l'Afrique, avec le Proche et Moyen-Orient, avec la Russie, n'est
pas une politique de voisinage pour les États-Unis d'Amérique. Il n’est donc
pas tenable que notre politique internationale en soit dépendante ou à la
remorque de celle-ci.
Et ce que je dis est encore plus vrai pour la Chine. Voilà pourquoi je crois
que le concept d'autonomie stratégique européenne ou de souveraineté européenne
est très fort, très fécond, qu’il dit que nous sommes un espace politique et
culturel cohérent, que nous devons à nos citoyens de ne pas dépendre des
autres, et que c'est la condition pour peser dans le concert des nations
contemporain.
Vous parlez de changer les habitudes, mais cette
position est suspendue dans le pas encore. Quels sont les points de
blocage ? Qu'est-ce qui fait que cette vision tarde malgré tout à s'incarner ?
Je n’en suis pas si sûr. Quand j'ai inauguré cette idée lors du discours de La
Sorbonne, beaucoup ont dit : il n’y arrivera pas, c’est une lubie française. À
peine plus de trois ans plus tard, sur l’Europe de la défense, nous avons un
Fonds européen de défense, une coopération structurée et une initiative
d’intervention où il y a près plus de dix pays. Sur la technologie, les choses
évoluent depuis que nous avons lancé l’idée de la 5G européenne, et l'Allemagne
est en train de nous rejoindre sur ce sujet qui lui était moins naturel car
elle était aussi en avance. Nous sommes donc réellement en train de repenser
notre souveraineté sur le plan technologique. La crise sanitaire nous a fait
repenser notre souveraineté sur le plan sanitaire et de l'industrie de la
santé. Elle a été un révélateur de nos dépendances. Quand toute l'Europe
supplie pour avoir des gants ou des masques, on comprend tous qu'on a besoin de
produire à nouveau sur notre sol des gants et des masques. C’est à cela que le
Plan de relance sert.
Sur les sujets financiers, cela a pris du temps, mais en juin 2018 nous avons
signé l’accord de Meseberg avec l'Allemagne sur une capacité commune sur le
plan budgétaire pour traiter des sujets d'autonomie économique et financière de
l'Europe. Cela a débouché sur un accord imparfait au niveau européen et, à
cause de la crise du Covid-19, nous avons signé l’accord franco-allemand de mai
2020, qui permet d’élargir les choses sur proposition de la Commission et a
ouvert la voie à l'accord historique de juillet, opposant une réponse
budgétaire à la crise en un temps record, mais qui pose aussi les ferments
d'une construction budgétaire de l'Europe. Il ne faut pas sous-estimer cet
apport. Pour la première fois, nous décidons de nous endetter ensemble, pour
dépenser ensemble de manière hétérogène dans les régions et les secteurs qui en
auront le plus besoin. C'està-dire, d'avoir une Union de transferts, reposant
sur une signature commune, et un endettement commun. Et donc c'est
véritablement un point clé pour bâtir cette souveraineté de l'euro et en faire
une vraie monnaie qui ne dépend pas, ou qui dépendra beaucoup moins des autres,
et créer en notre sein une souveraineté budgétaire. Donc on a avancé sur tout
cela. Il y a encore beaucoup de chemin qui reste à faire, sur les choix
géopolitiques – on voit nos différences sur la Russie ou la Turquie –, sur la
force de ces réponses, mais je considère que le réveil est là.
La question, si on est direct, qui est posée, est la suivante : est-ce que le
changement d'administration américaine va créer un relâchement chez les
Européens ? Je suis en désaccord profond par exemple avec la tribune parue dans
Politico signée par la ministre de la Défense allemande. Je pense que c'est un
contresens de l'histoire. Heureusement, la chancelière n'est pas sur cette
ligne si j'ai bien compris les choses. Mais les États-Unis ne nous respecteront
en tant qu'alliés que si nous sommes sérieux avec nous-mêmes, et si nous sommes
souverains avec notre propre défense. Je pense donc qu'au contraire, le
changement d'administration américaine est une opportunité de continuer de
manière totalement pacifiée, tranquille, ce que des alliés entre eux doivent
comprendre : nous avons besoin de continuer à bâtir notre autonomie pour
nous-mêmes, comme les États-Unis le font pour eux, comme la Chine le fait pour
elle.
Vous parliez des coopérations réussies, de beaucoup
d'avancées : la Chine a ce grand projet des Nouvelles Routes de la soie, ce
qu’en Europe on a du mal à identifier, un grand projet, un rêve d'avenir.
Est-ce quelque chose tournée plutôt vers l'intérieur ? Vers plus d'intégration,
plus de verdissements, ou au contraire, cela a-t-il vocation à s'étendre sur le
monde ? Quel est le rêve, le grand projet européen ?
Là où vous avez raison, c’est que le mérite des Nouvelles Routes de la soie est
d’être un concept géopolitique très puissant. C'est un fait. Et il témoigne
d'ailleurs de la vitalité d'une nation et de sa force d'âme. On parlait des
références historiques et de l’après 1989 : il faut bien dire que l'Europe a
réglé ses crises intérieures, et c'est comme si elle n'avait plus de
téléologie. Il y a une crise morale de l'Europe, parce que tous ces combats
historiques, elle les a menés, y compris le combat contre la barbarie,
contre les totalitarismes. Quels sont les combats contemporains, parce qu'on se
structure toujours sur un combat ou un rêve commun ? Quels sont les combats
contemporains de l'Europe?
Je vais vous dire comment je les vois. Il y a un combat positif, qui est de
faire de l'Europe la première puissance éducative, sanitaire, digitale et
verte. Ce sont les quatre grands combats, qui font qu'on relèvera ces quatre
grands défis. Donc, le rêve d'investir massivement pour réussir à faire ça. Et
je pense qu'on a totalement la possibilité de le faire, que le plan de relance
qu'on a fait va dans ce sens, que nos politiques nationales aussi. Cela, c'est
un rêve pour nous-mêmes. C'est un objectif très mobilisateur, qui doit changer
beaucoup de choses, mais je pense qu’on peut en attendre un impact planétaire,
car cela attirera Chine et États-Unis derrière quelque chose de très
mobilisateur qui est aussi la condition pour vivre en harmonie chez nous et
avec le reste de la planète. J'ai inclus l'éducation parce que je pense que
c'est un des défis qu'on a abandonnés et qui est majeur.
Il y a pour moi un deuxième défi, qui est que l'Europe reprenne le flambeau de
ses valeurs. Elles sont en train d'être abandonnées partout. Le combat qu'on
mène contre le terrorisme et l'islamisme radical est un combat européen, c'est
un combat de valeurs. C'est un combat pour nous et au fond je pense que le
combat contemporain est un combat contre la barbarie et l'obscurantisme. C'est
cela ce qui se passe. Ce n'est pas du tout un choc de civilisation, je ne me reconnais
pas du tout dans cette lecture des choses, parce que ce n'est pas une Europe
chrétienne qui irait contre le monde musulman, fantasme dans lequel certains
veulent nous entraîner. C'est une Europe qui a des racines judéochrétiennes,
c'est un fait, mais qui a su construire deux choses : la coexistence des
religions entre elles et la sécularisation du fait politique. Ce sont deux
acquis de l'Europe. Parce que c'est ce qui a permis de reconnaître le primat de
l'individu rationnel et libre et donc le respect entre les religions. Et ce qui
est en train de se passer dans le débat que nous avons eu, largement contre la
France, et on ne l'a pas je crois suffisamment mesuré, est un retour en arrière
de l'histoire colossal.
Tout le débat qui a eu lieu a consisté, au fond, à demander à l'Europe de
s'excuser des libertés qu'elle permet. Et en l'espèce à la France. Et le fait
que ce débat ait si peu vécu en Europe, ou qu'il ait été structuré de manière
si gênée, dit quelque chose de la crise morale qui est la nôtre. Mais je
l'assume totalement. Nous sommes un pays de liberté où aucune religion n'est
menacée, où aucune religion n'est malvenue. Je veux que tous les citoyens
puissent exercer leur culte comme ils le veulent. Mais nous sommes aussi un
pays où les droits de la République doivent être parfaitement respectés, parce
qu'on est d'abord citoyen, et qu’on a un projet commun et une représentation
commune du monde : nous ne sommes pas multiculturalistes, nous n’additionnons
pas les façons de représenter le monde côte-à-côte, mais nous essayons d’en
construire une ensemble, quelles que soient après les convictions qu'on porte
dans ce qui est l'intime et le spirituel.
Forts de cela, nous avons des droits : la liberté d'expression, de caricature,
qui a fait tant couler d'encre. Il y a cinq ans, quand on a tué ceux qui
faisaient des caricatures, le monde entier défilait à Paris et défendait ces
droits. Là, nous avons eu un professeur égorgé, plusieurs personnes égorgées.
Beaucoup de condoléances ont été pudiques et on a eu, de manière
structurée, des dirigeants politiques et religieux d’une partie du monde
musulman – qui a toutefois intimidé l'autre, je suis obligé de le reconnaitre –
disant : « il n'ont qu'à changer leur droit ». Ceci me choque et en tant que
dirigeant, je ne veux choquer personne, je suis pour le respect des cultures,
des civilisations, mais je ne vais pas changer mon droit parce qu'il choque
ailleurs. Et c'est précisément parce que la haine est interdite dans nos
valeurs européennes, que la dignité de la personne humaine prévaut sur le
reste, que je peux vous choquer, parce que vous pouvez me choquer en retour,
nous pouvons en débattre et nous disputer parce que nous n'en viendrons jamais
aux mains puisque c'est interdit et que la dignité humaine est supérieure à
tout. Et nous sommes en train d'accepter que des dirigeants, des chefs
religieux, mettent un système d'équivalence entre ce qui choque et une
représentation, et la mort d'un homme et le fait terroriste – ils l'ont fait –,
et que nous soyons suffisamment intimidés pour ne pas oser condamner cela.
Ceci pour moi dit une chose. Le combat de notre génération en Europe, ce sera
un combat pour nos libertés. Parce qu'elles sont en train de basculer. Et donc,
ce ne sera pas la réinvention des Lumières, mais il va falloir défendre les
Lumières face à l'obscurantisme. Cela est sûr. Et ne nous laissons pas enfermer
dans le camp de ceux qui ne respecteraient pas les différences. C'est un faux
procès et une manipulation de l'histoire. Il n'y a de respect possible que si
la dignité humaine se place au-dessus de tout, mais le respect ne doit pas se
faire aux dépens de la liberté d'expression. Sinon, ce n'est pas du vrai
respect, c'est l'abandon, au fond, de la discussion, de la conflictualité qu’il
peut y avoir dans la discussion et le débat. C'est ce qu'ils veulent. Là,
l'Europe a une responsabilité, donc pour moi le deuxième combat à mener, c'est
ce combat pour nos valeurs. Ce mot paraît générique, mais c'est le combat pour
les Lumières.
Et le troisième grand projet européen, c'est pour moi la conversion des regards
avec l'Afrique et la réinvention de l'axe afro-européen. C'est le combat d'une
génération mais je pense qu'il est fondamental pour nous. L'Europe ne réussira
pas si l'Afrique ne réussit pas. Cela est sûr. On le voit quand on n'arrive pas
à créer la sécurité, la paix, ou la prospérité à travers le fait migratoire. On
le voit parce que l'Afrique est dans nos sociétés. Nous avons une part
d'Afrique dans toutes nos sociétés, qui vit aussi en consonance. Et quand je
dis Afrique je parle de l'Afrique et du pourtour méditerranéen lato sensu.
Mais nous avons quelque chose à bâtir. Et quand je dis une conversion, c'est
qu’on doit réussir à ce que l'Afrique voie l'Europe différemment et que
nous-mêmes, nous la voyions différemment, c'est-à-dire comme une chance, une
formidable opportunité de développement conjoint pour réussir ce projet pour
nous-mêmes que j'évoquais. Je le dis parce que je ne crois pas que nous
avancerons ou que nous réglerons nos problèmes en étant emprisonnés par notre
histoire. J'ai moi-même lancé des travaux mémoriels et politiques importants
sur l'Algérie notamment, mais je vois dans notre histoire comme un retour du
ressentiment et du refoulé où tous les sujets d’ailleurs viennent se mêler : la
post-décolonisation, les sujets religieux, les sujets économiques et sociaux,
qui créent une forme d'incommunicabilité entre Europe et Afrique. Je pense
qu'il faut dénouer ces fils mais qu’il faut surtout embrasser l'Afrique avec
beaucoup plus de force dans la capacité qu'on lui donne à se développer
elle-même, en l’aidant, et donner une fierté aux diasporas qui vivent dans nos
pays et qui viennent d'Afrique pour en faire de formidables ferments de
cette chance et pas des problèmes comme on les regarde trop souvent. C'est pour
cela que je parle de conversion du regard, afin de réussir à montrer que cet
universalisme qu'on porte n'est pas un universalisme de dominant, ce qui était
celui de la colonisation, mais d'amis et de partenaires. Ce sont, pour moi, les
trois grands combats à mener...
- Sur ce dernier point, vous mentionnez une
incommunicabilité avec l'Afrique. Est-ce qu’au sein de l'Europe, sur ce
partenariat à bâtir avec l'Afrique, il n'y a pas une forme d'incommunicabilité
entre les pays de l'Ouest et les pays de l'Est de l'Europe ?
D'abord, je ne dis pas qu'il y a une incommunicabilité mais un cumul de
difficultés et de problèmes, un entremêlement et des manipulations de la part
de certains. Il y a une manipulation sur ce sujet. Elle est par ailleurs évidente
de la part de certaines puissances hégémoniques qui ont un nouvel impérialisme
en Afrique et qui utilisent ce ressentiment pour fragiliser l'Europe et la
France.
Quand on prend l'Europe et la relation à l'Afrique, on a vingt-sept histoires
avec l'Afrique. Je ne dirais pas que l'opposition est entre l'Est et l’Ouest.
Prenez la France et l'Allemagne : nous n'avons pas la même relation avec
l'Afrique. D'abord parce que le langage est important et que l'Afrique est en
grande partie francophone. Et nous avons une relation avec l'Afrique
francophone qui est particulière. J'ai voulu, moi, rebâtir une relation très
forte avec l'Afrique anglophone et lusophone, ce que j'assume. J'ai été le
premier Président français à aller au Ghana ou à aller au Kenya par exemple. Ou
à me rendre à Lagos. Cela paraît fou.,mais c'était comme ça : la France n'avait
une relation qu'avec une certaine Afrique. L'Allemagne a une relation très
différente, comme vous le savez, et c'est le fruit de l'histoire de la fin du
XIXe siècle. Donc je pense qu'on a des relations plurielles dans notre
histoire, qui ne doivent pas surdéterminer la manière de penser les choses
aujourd'hui.
Je pense qu'il faut engager l'Europe de l'Est à plein dans cette politique. Et
je pense que quand on le fait, cela marche très bien. Je constate que plusieurs
pays d'Europe de l'Est ou du Nord sont avec nous pour aider à la sécurité de
l'Afrique. Notre meilleur partenaire au Mali, c'est l'Estonie, oui l’Estonie,
parce qu'ils ont été convaincus par ce concept d'autonomie stratégique —
notamment parce qu'ils ont peur de la Russie, parce qu’ils y ont vu leur
intérêt — et comme on leur a offert de s'associer avec nous ils sont en train
de mieux connaître, de coopérer avec nous dans toutes les opérations que nous
menons, y compris les plus spécifiques, qu'on appelle Takuba pour les forces
spéciales. Donc on arrive à tous les engager. Je crois donc qu’il n'y a pas de
différence entre ces deux Europe.
Il y a des sensibilités différentes. Et, au fond, qu'est-ce qui pourrait compliquer
aujourd'hui la relation de l'Europe avec l'Afrique ? C'est le fait migratoire,
c’est cela. C’est qu’on ne regarde l'Afrique que par ce truchement. Je pense
que c'est une erreur. Il faut le régler, sur certains sujets. On assiste
aujourd'hui à un détournement massif du droit d'asile. C'est cela qui dérègle
tout. Des groupes de passeurs, qui sont souvent aussi des trafiquants d'armes
et de drogues, et qui sont liés au terrorisme, ont organisé un trafic d'êtres
humains. Ils proposent une vie meilleure en Europe et ils emploient des
filières qui utilisent le droit d'asile. Quand vous avez des femmes et des
hommes par centaines de milliers chaque année qui arrivent sur notre sol, qui
viennent de pays qui sont en paix et avec lesquels nous entretenons des
relations excellentes, à qui on donne des centaines de milliers de visas par
an, ce n’est pas du droit d’asile. Ou plutôt, 90 % du temps, ce n'est pas du
droit d'asile. Donc il y a un détournement. Il y a une tension sur ce sujet. Il
faut la régler dans un dialogue avec l'Afrique, qu'on avait initié en
2017-2018. Sur lequel il faut repartir avec beaucoup d'engagement.
Mais il faut mettre ce sujet d'un côté de la table. Le vrai sujet avec
l'Afrique c'est son développement économique, sa paix et sa sécurité. Aider
l'Afrique à lutter contre le fléau du terrorisme et des groupes djihadistes au
Sahel, dans la région du lac Tchad, maintenant dans l'Est de l'Afrique où il y
a, du Soudan au Mozambique, des situations absolument intenables. Il faut
ensuite l'aider au développement économique par l'agriculture, par
l'entreprenariat, par l'éducation, en particulier des jeunes filles, et toute
cette politique d'émancipation que l'on a commencé à mener. Mais qu'il faut
pousser beaucoup plus loin. Voilà la clef pour moi.
- Une question fondamentale dans votre pratique, si l'on
peut dire, dans votre doctrine des relations internationales, c'est qu'au fond
on voit qu'il y a un principe d'association d'entités différentes — des États,
des entreprises, des acteurs locaux, des associations. Êtes-vous en train de
disrupter le multilatéralisme des États pour le remplacer par quelque chose
d'autre ? Et plus concrètement : pensez-vous que la question de la distribution
du vaccin va porter cette doctrine ?
C'est un bon test. Cela peut ne pas être le moins cruel. Oui, je pense que si
l'on veut avancer dans le multilatéralisme, il faut le faire fonctionner.
Regardez comment le multilatéralisme a fonctionné pendant la Guerre froide. Il
y avait quand même une forme de gentlemen's agreement pour dire qu'il y avait
des sujets sur lesquels on décidait d'avancer ensemble. Malgré les tensions
qu'il y avait, on a su stabiliser les stratégies d'armement, avoir des éléments
de régulation d'un conflit de plaque à plaque, avec ensuite les non-alignés qui
se structuraient autour. Ces dernières années, il y a eu un phénomène de
désagrégation y compris de ces mécanismes de coopération. Il y a eu une
stratégie russe de ne plus les respecter, de fragiliser les enceintes
internationales. Et une réponse américaine qui a consisté à les dénoncer. Je
prends l'exemple du désarmement de l'Europe : nous n'avons jamais été si
exposés par le non-respect russe d'abord, puis par la décision américaine de se
retirer des programmes. Donc on doit réengager un multilatéralisme où il faut
les États. Quand il s'agit de l'armement, quand il s'agit des grandes questions
géopolitiques, vous avez besoin des États. Ce qu'il faut réussir à faire c'est
des coalitions originales pour réussir à marginaliser ceux qui bloquent. Parfois,
cela marche, parfois cela ne marche pas. Je suis obligé de constater que sur la
Syrie par exemple nous n'avons pas réussi. Et à cet égard, pour nous Européens,
c'est très dur de faire respecter les choses quand les États-Unis d'Amérique ne
sont pas avec nous, parce que nous n'avons pas suffisamment d'autonomie
militaire ni d'engagement de tous. C'est notre faiblesse aujourd'hui, on l’a
vue sur la Syrie.
Ensuite sur les grands sujets dits de bien commun, les grands sujets
internationaux, en effet, le multilatéralisme étatique ne suffit plus. Quand on
parle de nouvelles technologies, vous avez besoin d'engager des plateformes qui
se sont développées hors de toute règles parce qu’elles n’existaient pas,
j'allais dire malgré les États, en tout cas les États-Unis d’Amérique
l’acceptant. Elles ont développé une innovation sans que les règles existent.
Et donc il y a eu une espèce d'invention d'un univers commun par des acteurs
privés qu'il faut progressivement réguler, moi je suis un partisan de cela :
fiscalité, contenus, droits des citoyens et des entreprises, et espace public
commun. Mais vous devez coopérer et les engager. C’est pour cela que j’ai lancé
Tech For Good dès 2017 et qu’on a une édition par année et qu’on a grâce à cela
pu engager plusieurs initiatives, comme celle qu'on évoquait pour Christchurch.
Quand on parle de climat, de la même manière, on doit engager des ONG, des
entreprises, parfois des régions, des villes, des États fédérés. Moi, j’assume
ce pragmatisme pour avoir des résultats.
Sur le sujet de la santé, en effet, entre Act-A et la stratégie COVAX qu'on a
lancées, on a mis autour de la table des organisations internationales, comme
l'OMS, des États, des puissances régionales, comme l'Union européenne et
l'Union africaine, on a mis des fonds sectoriels, comme Unitaid, comme Gavi, on
a mis des fondations privées, comme la fondation Gates par exemple, et des
acteurs industriels et des laboratoires publics qui travaillent sur les
projets. C'est complètement hybride mais avec une gouvernance qu'on a confiée à
l'OMS pour qu'il n'y ait pas de conflits d'intérêt. Parce que l'OMS est garante
d’un dispositif où on ne permet pas que ce soit le privé qui décide des règles
pour tous. Vous verrez, nous allons avoir beaucoup de polémiques sur ce sujet.
D'abord parce qu'il va y avoir une diplomatie du vaccin, c'est-à-dire que
chacun va vouloir brandir son drapeau en disant « c'est moi qui l'ai trouvé ».
Donc il y aura un effet de précipitation sous la pression des opinions
publiques pour très vite dire « on a le bon vaccin ». Il faudra être très
vigilant là-dessus. Et faire attention : est-ce que toutes les règles
scientifiques et les diligences auront été faites ? Ce sont nos scientifiques
d'État qui peuvent le dire et ceux de l'OMS, parce qu'ils n'ont pas de conflit
d'intérêt. N'oublions jamais ce qu'on a bâti : l'État est le garant de
l'intérêt général. Cela ne se délègue pas. Et là les États ont un rôle à jouer.
Mais derrière, la négociation qu'on est en train de mener avec les États et les
entreprises est un très bon test de ce nouveau multilatéralisme. C’est l’idée
du bien public mondial, en tout cas, d'avoir un accès mondial au vaccin. Cela
veut dire qu'aucun des laboratoires qui développera le vaccin ne se mettra en
situation de bloquer l'accès à d'autres laboratoires de production, y compris
en surdose, pour les pays en voie de développement. Je ne sais pas si on va
gagner cette bataille. Parce que très clairement je ne suis pas sûr que tous
les pays aient envie de s'engager là-dedans. On verra si la Chine est prête, si
c’est elle à découvrir le vaccin, si la Russie est prête, si les États-Unis
sont prêts avec la nouvelle administration — ce n'était pas sûr avec la
précédente, enfin l'actuelle — et on verra ce que font les entreprises. Mais
quoi qu'il arrive, ce que nous avons fait crée un cadre commun avec tous les
acteurs importants autour de la table : un tiers de confiance qui est l'OMS,
des mécanismes de coopération, une pression des pairs. Et donc nous avons le
maximum de chances pour que quand il y aura quelque chose, si l'un de ces
acteurs se comporte mal, il aura beaucoup à perdre à mal se comporter.
Mais c'est cela le nouveau multilatéralisme. Il faut bien le constater.
L'état de fait est devenu la nouvelle doctrine pour beaucoup de pays : la Russie
avec l'Ukraine ; la Turquie avec la Méditerranée orientale ou avec
l'Azerbaïdjan. Ce sont des stratégies d'état de fait, qui signifient qu'ils
n'ont plus peur d'une règle internationale. Donc il faut trouver des mécanismes
de contournement pour les encercler.
- Nous aimerions revenir à la question climatique que
vous avez déjà évoquée, comme une grande priorité et une urgence absolue. La
question qui se pose, comme pour le vaccin, est celle de sa politisation.
L'écologie est désormais structurante dans le champ politique. Vous
définissez-vous aujourd'hui comme un écologiste ?
Oui, je suis d'ailleurs devenu écologiste. Je l'assume et je l'ai dit plusieurs
fois. Je pense que la lutte contre le dérèglement climatique et pour la
biodiversité est centrale dans les choix politiques que nous devons faire. Cela
ne veut pas dire qu'elle prime de manière irrévocable. Je l'ai déjà dit, je ne
suis pas pour un droit de la nature qui serait supérieur aux droits de l'homme.
Mais je pense qu'on ne peut plus penser les droits humains sans penser ces
interactions, ces conséquences. Et donc cela doit être au sommet de l'agenda.
Et après, nous avons dans tous les pays des choix à faire, la rapidité de la
transition et les conséquences économiques et sociales qu'elle a. Ma conviction,
et je dis cela après avoir fait beaucoup d'erreurs, y compris dans notre pays
avec la contribution carbone, on ne peut pas mener cette transition si on
n’investit pas massivement et si on n’en fait pas une transition qui est à la
fois écologique et sociale et si on ne transforme pas la manière de produire
et, au fond, le cœur du modèle de nos structures. C’est aussi toute cette idée
du consensus de Paris. Parce que, sinon, on est toujours à courir derrière une
espèce de déséquilibre en le corrigeant. Non, il faut produire différemment. Et
produire différemment veut dire que je dois changer le prix du carbone. C'est
ce qu'on fait au niveau européen. Je dois mettre les bonnes incitations. Je
dois interdire certaines activités.
Il est donc normal que ce soit très dur. Il y a eu le temps des interpellations
dans les années 1990. Ensuite, il y a eu le temps des invocations, jusqu'à
l'accord de Paris — c'està-dire qu'on prenait des lois qui valaient pour les
successeurs, ce qui est généralement ce que l'on préfère faire quand on fait de
la politique. On fait une grande loi pour la transition du pays, le changement,
mais vous n’avez aucune conséquence à la porter. Nous, on n’a pas de chance,
nous sommes ceux qui avons à gérer le réel dans toutes ces tensions. C’est
bourré de tensions, ce sujet. Vous avez des gens qui ont cette même peur mais
quand vous êtes un agriculteur, qui aime notre pays, sa terre, ses bêtes, mais
dont le modèle économique est dépendant de certains intrants, c’est très dur
d’en sortir. Donc c’est une transition que vous ne pouvez pas demander du jour
au lendemain, surtout si les voisins ne le font pas. On est en pointe, parmi
ceux qui ont le plus poussé. Mais il faut accepter un temps de transition, de
bonnes incitations, de l’accompagnement ; il ne faut pas stigmatiser. On a
souvent tendance à stigmatiser, à pointer du doigt.
De la même manière, si je prends une famille française, qui a fait tout ce
qu’on lui a demandé depuis trente ans. On lui a dit : « il faut trouver un
boulot » – elle a trouvé un boulot. On lui a dit : « il faut acheter un
pavillon » – mais un pavillon, c’est trop cher dans la grande ville, donc elle
l’a acheté à 40, 50, 60 kilomètres de la grande ville. On lui a dit : « le
modèle de la réussite, c’est d’avoir chacun sa bagnole » – elle a acheté
deux voitures. On lui a dit : « si vous êtes une famille digne de ce nom, vos
enfants vous devez bien les élever, il faut qu’ils fassent le conservatoire et
puis le club de sport, etc. » donc le samedi, ils ont fait quatre trajets pour
emmener leurs enfants. Cette famille-là, vous lui dites : « vous êtes des gros
pollueurs, vous avez un pavillon mal isolé, vous avez une voiture et vous
faites 80, 100, 150 kilomètres. Le nouveau monde ne vous aime pas. » Les gens
deviennent fous ! Ils disent : « Mais j’ai tout bien fait ! Et y compris l’État
français pendant des décennies m’a demandé d’acheter du diesel, et j’ai acheté
du diesel ! »
Vous voyez bien que nous-mêmes, nous sommes en train de changer de nouveau les
choses. Pour moi, le plus structurant, dans la lutte contre le réchauffement
climatique, ce sont les mobilités. C’est l’isolation thermique des bâtiments –
ce que nous allons faire – mais ce sont aussi les mobilités. C’est faire, donc,
que pour une famille comme celle-ci, j’arrive à la convaincre de revenir plus
près du centre-ville, ou que j’isole mieux son logement, que je la convainque
de plus utiliser des transports en commun – s’il y en a – et que je l’aide à
changer ses véhicules pour qu’ils soient moins polluants. Mais je ne change pas
les habitudes d’une société en quinze jours. Tout cela pour vous dire – je
prends un exemple imaginé mais qui est la vraie vie, pour vous montrer combien
est dure la transition climatique et environnementale. Rien ne justifie qu’on
ralentisse, mais tout justifie qu’il y ait beaucoup de compréhension mutuelle
et de respect. Et donc cela veut dire qu’il faut qu’on regarde quelles sont les
contraintes qu'on peut lever. J’ai assumé que la France soit le premier pays
qui ferme toutes ses centrales à charbon. On pouvait le faire, c’est une énorme
contrainte. Il faut expliquer aux gens qui y travaillent depuis des décennies :
vous allez perdre votre emploi, on va vous en trouver un ailleurs. Mais on le
fait en avançant : on développe beaucoup le renouvelable et on va faire cette
transition sur la mobilité. Simplement, le rythme, c’est la digestion par nos
sociétés, non par des lobbys, non par des grands intérêts, mais par des gens
normaux. Parce qu’on ne change pas la vie des gens en appuyant sur un bouton.
Et j’ai fait des erreurs en pensant cela.
Ce que je suis en train de vous dire sur l’exemple de cette famille, c’est
qu’elle m’a vu exactement ainsi à la fin de l’année 2018 : comme le type qui
lui disait tout d’un seul coup : « tout ce qu’on fait au quotidien, parce qu’on
a suivi tes conseils, d’un seul coup va devenir mauvais. » Mais j’ai compris
qu’on avait fait une erreur. Il faut engager nos sociétés dans ce changement.
C’est pour moi un changement absolument fondamental de nos sociétés. Il faut qu’on
embarque tout le monde dans ce changement. Il faut qu’on montre que chacun est
acteur, et qu’on le fasse en donnant une place à chacun, c’est-à-dire aussi en
développant massivement des nouveaux secteurs d’activité économique, qui
permettent de créer plus vite les nouveaux emplois qu’on ne détruit les
anciens. Parce qu’il ne faut pas se tromper : ce changement arrive après l’un
des grands changements qu’on évoquait tout à l’heure, celui de la
mondialisation dans un capitalisme ouvert. Les classes moyennes des démocraties
européennes et occidentales ont vécu le changement comme synonyme de sacrifice.
Quand on a dit « on va changer des choses pour le mieux », comme le commerce :
elles ont perdu leur job. Si on leur dit maintenant : « la transition climatique
c’est vachement bien parce que vos enfants pourront respirer mais c’est vous
qui allez encore en payer le prix parce que c’est vos jobs et votre vie qu’on
va changer, mais pas celle des puissants, parce qu’eux vivent dans les beaux
quartiers, ne prennent de toute façon pas de bagnole et continueront à pouvoir
prendre l’avion pour faire des déplacements à l’autre bout du monde », ça ne
marchera pas.
C’est donc aussi un moment de rephasage. Ce sujet,
c’est comment on rephase nos objectifs. Nous, ce qu’on doit faire, ce sont les
bonnes stratégies, les bonnes politiques publiques, les bons investissements,
les bonnes incitations. Ensuite il y a tout un travail, je dirais politique, au
sens noble du terme, anthropologique, qui est d’engager nos sociétés dans ce
changement, d’en faire des acteurs. Et après, il y a la mise en cohérence de
tout notre agenda par rapport à cela. Et dans le consensus de Paris, c’est
clef. Si on continue à avoir un système financier qui ne distingue pas ce qui
est bon pour la planète de ce qui est mauvais, ce que font les gouvernements ne
sera jamais suffisant. Pour réussir cette transition, je veux aussi qu’on passe
des règles au niveau de l’Europe et des marchés financiers – comme on a su le
faire sur des sujets prudentiels ou de finance stricte – qui pénalisent
l’investissement dans le fossile et qui favorisent l’investissement dans le
vert. L’intégration du marché européen doit se faire par ce biais. On doit
mettre des obligations vertes européennes, on doit réussir à avoir un système
qui incite à aller sur ces activités beaucoup plus fortement.
De la même manière, on doit aligner notre agenda commercial. Si l’on change
toutes les règles, qu’on demande des sacrifices et que derrière on continue à
bâtir des accords commerciaux avec des pays du monde – et la question va se
poser, vous allez voir, avec la nouvelle administration américaine – qui ne
font pas les mêmes efforts, on est des fous ! C’està-dire que vous allez dire à
votre agriculteur : « il faut que tu fasses des efforts colossaux, tu vas
sortir du glyphosate, tu vas faire du zéro pesticide, tu vas faire ceci, tu vas
faire cela. » Il va le faire parce qu’il pense que c’est bon. Et de l’autre
côté, on va faire un accord qui permet d’ouvrir et de faire venir des produits
qui sont faits avec OGM, avec pesticides et autres, parce que ça c’est le
commerce ? Tout se tient, les gens le voient. On a donc besoin d’avoir des
accords commerciaux qui soient en cohérence avec notre agenda climatique, ce
qui est une énorme bataille. Et là, sur cela, il n’y a pas encore de consensus
européen, encore. Je me bats beaucoup pour cela. On l’a porté dans le combat
européen de 2019. Là, il y a une vraie différence. Car certains pays sont
restés avec un logiciel qui est un logiciel d’ouverture et de commerce, que je
respecte. Mais la variable commerciale reste seconde. Je pense que ce n’est pas
cohérent d’un point de vue d’efficacité, mais surtout que ce n’est pas
politiquement soutenable – politiquement. Vous ne pouvez pas créer de consensus
dans nos sociétés si vous demandez des efforts aux citoyens et aux entreprises
et que vous demandez quelque chose qui est complètement contraire quand il
s’agit de l’international.
- Notre dernière question porte sur votre vision de la
théorie de l’État et de la souveraineté. Est-ce que la souveraineté
westphalienne peut coexister avec l’urgence climatique ?
Oui, parce que je n’ai pas trouvé de meilleur système pour ma part que la
souveraineté westphalienne. Si c’est l’idée de dire qu’un peuple au sein d’une
nation décide de choisir ses dirigeants et d’avoir des gens pour voter ses
lois. Je pense que c’est tout à fait compatible parce que sinon qui va décider
? Comment le peuple se constitue et décide ? Je ne sais pas. La crise qu’on vit
dans nos sociétés, c’est plutôt une crise de la responsabilité. C’est que plus
personne ne veut prendre de décisions et agir en responsabilité. Parce qu’en
quelque sorte on discute en permanence et tout le monde est dans des conflits
de légitimité, mais c’est très dur de décider parce qu’il faut se heurter à des
choix. Mais nous aurons toujours besoin de la souveraineté des peuples. Moi j’y
tiens beaucoup. Et compte tenu de ce que je disais tout à l’heure sur les
combats que nous avons à mener, ne lâchons jamais cela. À qui déléguezvous de
faire vos lois dans une société, si cela n’est pas à des dirigeants que vous
choisissez, vous ? Des entreprises ? Le cours du monde ? Des dirigeants
non élus, mais qui seraient éclairés ? Je ne veux aucun de ces systèmes, moi.
Je veux pouvoir choisir chaque jour, à chaque fois que je suis invité aux
élections, qu’elles soient régulières et qu’il y ait un système qui respire. Et
ne vous trompez pas : non seulement on en a besoin, mais on a besoin de rendre
ce système efficace. Et le rendre efficace, c’est rebâtir idéologiquement le
consensus qu’on évoque depuis tout à l’heure, et c’est avoir des résultats.
Les systèmes de souveraineté westphaliens et les démocraties qui vont avec
vivent aujourd’hui une crise qui est double. Beaucoup des problèmes ne sont pas
à l’échelle de l’Étatnation, c’est vrai, et donc cela suppose des coopérations,
mais ces coopérations ne supposent pas la dissolution de la volonté du peuple.
Cela suppose de savoir les articuler. La deuxième crise qu’elles vivent, c’est
une crise d’efficacité des démocraties. C’est que les démocraties occidentales,
depuis plusieurs décennies, donnent le sentiment à leurs peuples de ne plus
savoir régler leurs problèmes, parce qu’elles sont empêtrées dans leurs lois,
leurs complexités – je le vis au quotidien pour ce qui me concerne –, leur
inefficacité, et en deviennent des systèmes qui expliquent aux gens comment
devraient se passer des choses qu’ils nous demandent. Et ils disent: « Ils ne
savent pas nous régler le système du progrès, le problème de la sécurité, et
autres ». Il faut retrouver de l’efficacité, par nos mécanismes de coopération,
mais en bousculant aussi nos structures pour trouver des effets utiles. C’est
cela la crise des démocraties : c’est une crise d’échelle et d’efficacité. Mais
je ne crois pas du tout que ce soit une crise de la souveraineté westphalienne.
Parce que moi j’y tiens et que je crois qu’il n’y a pas mieux que cela. Et que
d’ailleurs, dans tout ce que je fais sur le plan international, pour moi le
primat c’est toujours celui de la souveraineté des peuples. À chaque fois qu’on
a voulu s’y substituer, on a créé des dérèglements. Donc je suis profondément
attaché à cela. Profondément.
Mais c’est pour cela que derrière, vous avez besoin de faire ce travail
idéologique que j’évoque depuis tout à l’heure. Parce que la crise que vivent
nos concitoyens, c’est une espèce de diffraction des espaces : le citoyen
n’arrive plus à réconcilier le consommateur, le travailleur et la conscience
qui est en lui. Parce qu’on a mondialisé tout cela et qu’à un moment donné, les
interactions font que cela devient incohérent. Et le citoyen qui veut lutter
contre le réchauffement climatique n’est pas cohérent avec le consommateur qui
veut pouvoir tout acheter à des prix très bas, avec le travailleur qui veut
continuer à avoir une usine pour que son fils y travaille à côté. C’est cela
qu’on n’a pas réussi à réconcilier. C’est cela que le nouveau consensus doit
permettre de faire en intégrant dans le fonctionnement de nos entreprises, de
notre système financier, de notre système politique, la réconciliation de
l’agenda climatique, technologique et de souveraineté. C’est un énorme défi
dont on parle. Mais on est en train progressivement de le faire. Malgré le
découragement qu’on peut avoir au milieu du chantier ou quand on ne distingue
pas encore le tableau parce qu’on est trop loin. Donc je pense qu’il faut
continuer à avancer sur cette voie. Les grandes transformations doivent nous
conduire à continuer à savoir être très inventifs. Inventer des nouvelles
coopérations, prendre des risques, comprendre et penser les grandes transitions
de ce monde mais elles ne doivent pas nous conduire à renoncer à nos
fondamentaux : la souveraineté du peuple, et les droits et libertés qui nous
ont constitués. Car ils sont menacés.
Et face à ce que vous dites en effet beaucoup de gens disent : dissolvons la
souveraineté nationale, que les grandes entreprises décident du cours du monde
; d’autres vous disent : la souveraineté populaire librement exprimée est moins
efficace qu’un dictateur éclairé ou que la loi de Dieu. Et vous assistez
aujourd’hui au retour des théocraties, au retour des
systèmes autoritaires. Faites la photographie du monde d’aujourd’hui par
rapport à il y a quinze ans : elle est très différente. La souveraineté
populaire démocratique est un trésor à garder précieusement.
- Merci.
Merci à vous. Ce qui est important pour moi dans ce moment qu’on vit – le
travail que vous faites est à cet égard clef – c’est que cette réflexion se
poursuive et qu’on arrive à bâtir une conversation et un processus. On doit
réussir, par les contributions et les réflexions qui seront les vôtres, à faire
vivre ce débat un peu partout en Europe et à bâtir ce qui est notre intérêt
conjoint et la force de nos propositions. Mais je pense qu’il y a un monde à
inventer. On est déjà en train de le faire mais il faut le révéler plus
clairement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires anonymes ne sont pas publiés ainsi que ceux qui seraient insultants ou qui ne concernent pas le Centre et le Centrisme.