Et les objectifs que poursuivra l’organisme à la tête duquel il a été nommé par Emmanuel Macron.
Celui qui demeure président de la formation centriste du Mouvement démocrate tout en dirigeant le Commissariat au plan, a défini son rayon d’action:
«Je ne cherche pas de pouvoir. Je veux simplement que ces questions autour de l’avenir du pays soient réimplantées dans le débat et que nous puissions, en les éclairant, avoir de l’influence..»
Et de préciser, dans la foulée pour répondre à ceux qui voient dans sa fonction un possible premier ministre bis:
«Je ne cherche pas de pouvoir. Influence et pouvoir ce n’est pas la même chose. »
Il a, à nouveau, utilisé la comparaison entre la France et la Chine pour expliquer l’importance d’une prospective à moyen et long terme:
«Un pays comme la Chine gouverne à 30 ans. Il y a une réflexion continuelle prospective sur ce que les nécessités vont être. Nous, nous gouvernons à 30 jours, et encore (…) Quels que soient les gouvernements, la pression de l’urgence est l’élément déterminant pour la prise de décision au sommet (…) j’ai toujours trouvé que c’était une erreur absolue de supprimer ce travail de prospective».
En outre, il a estimé que «la France est championne du monde des compétences non utilisées. Les rapports des assemblées, de France Stratégie, du Conseil économique, social et environnemental s’entassent dans les bibliothèques (…) personne n’utilise ce gisement de ressources (…) Il faudrait que toutes ces compétences soient mises en exploitation».
Concernant la crise économique actuelle il a expliqué:
«Je n’ai pas de compétence sur le plan de relance. Je ne souhaite pas en avoir car Bercy a tous les moyens du monde pour prendre ces orientations (…) Je pense que ce serait une erreur pour cette institution recréée de rechercher du pourvoir. Le pouvoir, c’est du domaine de l’exécutif.»
A propos de la dette publique qui a explosé avec cette crise il a déclaré:
«Le François Bayrou qui serait venu devant vous il y a 10 ans avait des idées granitiques sur la dette, sur les garanties qu’on doit apporter, qu’on doit toujours finir par payer… (…) Aujourd’hui, tout a changé (…) Il faut aborder le problème de façon différente et personne ne sait véritablement comment l’aborder.»
Sur l’analyse des conséquences de l’épidémie de la covid19, il a affirmé:
«Cette crise sanitaire a démontré l’impréparation du pays. Il nous faut absolument améliorer notre indépendance dans la production de matériels de soins et de médicaments.»
Enfin, il s’est dit inquiet pour l’avenir de la jeunesse face à cette crise:
«Quand on a 20 ou 22 ans et que l’univers qu’on vous propose, c’est le confinement; quand aucune porte n’est ouverte sur le marché du travail, je suis inquiet. Cela fait des décennies qu’il n’y a plus de projets pour les jeunes.»
► Présentation par François Bayrou de la méthode et de l’agenda de travail du Haut-Commissariat au Plan au Conseil économique, social et environnemental, le 22 septembre 2020
Je suis doublement ému de me retrouver à cette tribune dans ce magnifique hémicycle, que je retrouve, à dire vrai, après 25 ans. J’ai une pensée à cet instant pour Georges de la Loyère qui vient de nous quitter et qui a siégé sur ces bancs. Je suis très heureux de me trouver devant vous pour un exercice qui n’a pas eu lieu depuis longtemps, mais qui aujourd’hui prend une importance nouvelle. Voir la nation se poser en amont des décisions publiques les questions mêmes dont dépend son avenir, questions stratégiques, de long terme, à 10, 20, 30 ans, les traiter dans une démarche de dialogue entre toutes les forces, professionnelles, scientifiques, techniques, sociales, associatives et civiques qui la composent, et proposer aussi simplement que possible des options cohérentes pour y répondre, telle est la vocation même du Plan.
Et telle est la mission que le président de la République a voulu lui confier en le faisant renaître.
La présentation, que j’ai souhaité faire devant vous, de la méthode et de l’agenda de travail du Commissariat au Plan pour les semaines, les mois qui viennent n’est pas due au hasard. On l’aura compris. Elle répond à l’invitation de votre président, Patrick Bernasconi, et elle signifie que pour l’élaboration des analyses et des propositions qui sont la mission que le président de la République nous a fixée, le Conseil économique, social et environnemental est un interlocuteur et un partenaire naturel et premier.
En effet, le Commissariat au Plan et le CESE sont jumeaux. Ils ont été créés en 1946 avec les mêmes objectifs et ont emprunté les mêmes chemins pour permettre à la Nation de faire face à son avenir. Est réunie ici une somme considérable d’expériences, de connaissances, d’habitudes du dialogue social dans les instances de l’État, dans l’entreprise, ou dans les associations. Cette somme d’expériences et de connaissances, je pense qu’il n’est pas bon de la laisser en friche, comme elle l’est trop souvent dans le débat public. Surtout au moment où nous devons essayer d’éclairer l’avenir, ou plus exactement d’éclairer avec ce que nous pouvons savoir de l’avenir, la décision publique et le débat démocratique.
Votre Conseil n’est pas le seul patrimoine d’intelligence et de compétence que notre vie démocratique laisse un peu inexploité.
Quand je compare l’abondance des rapports, la multiplication d’études de toutes natures, venant du Parlement, de l’Assemblée nationale et du Sénat, du CESE lui-même, de France Stratégie, qui est le bras armé du Commissariat au Plan, et des Conseils qui y sont rattachés, des think tanks divers et variés, avec le peu de résultats et la réalité de l’influence que ce travail et ces compétences ont sur le débat public, et parfois même sur la décision publique, j’ai un peu une impression de gâchis. Ces études et ces rapports, ces recherches et ces compétences, devraient nourrir dans tous les domaines clés de notre avenir la stratégie de la nation. À partir de tant d’efforts, il devrait revenir à l’intelligence collective de penser l’avenir, le faisable, le possible, le difficile et l’infaisable.
Or cet exercice démocratique de la réflexion du Plan a été depuis longtemps abandonné, laissant face à face le pouvoir et les citoyens, dans l’instantané de la décision publique
Et le plus souvent sans préparation et sans repères préalables.
Il me semble que ce refus de stratégie partagée a fait gâcher à notre pays des chances immenses! Je voudrais citer un seul exemple.
Nous avons été, vous le savez bien, les premiers au monde à penser l’immense changement que le numérique allait offrir à tous. Nous avions pris une avance considérable, d’abord en équipant tous les foyers français d’un terminal numérique (c’était le minitel) et ensuite en inventant les bases du réseau (Louis Pouzin, maître d’œuvre de cette incroyable avancée) qui allait devenir internet. Et au moment de l’explosion mondiale de ce nouveau modèle de partage de l’information, nous nous sommes trouvés désespérément dépassés! Un pays pionnier qui n’a pas su prévoir les développements que son génie avait rendu possibles.
Je vais risquer une explication à cette insuffisance: c’est que peu à peu s’est installée l’idée que notre action publique devait s’effacer entièrement devant les initiatives privées. Ce n’est pas moi, vous le comprenez bien, qui vais décrier devant vous l’initiative privée. Je crois à l’entreprise, je crois à l’inventivité, je crois à l’initiative, je crois que l’on doit les soutenir et les aider, autant que l’on peut. Mais je crois que la démocratie devrait permettre la naissance et l’affirmation d’une volonté collective, assise sur l’idée que l’on peut se faire de l’intérêt général.
Comme vous le savez, dès que la décision du président de la République de faire renaître le Commissariat au Plan a été annoncée ou même seulement préfigurée, un certain nombre de critiques se sont fait entendre, prétendant qu’il s’agissait d’une idée d’un autre temps, que tout cela sentait furieusement l’après-guerre, que c’était en un mot dépassé et archaïque. Il se trouve que je considère, moi, depuis longtemps, que ce qui est dépassé et archaïque, ce sont les partis pris qui pensent qu’une nation, représentée par un État, n’a pas de légitimité et n’a pas de compétence sur la définition de l’intérêt général, et qu’il suffirait de laisser faire pour que le cap se fixe tout seul, en somme comme si l’intérêt général n’était autre chose que la somme des intérêts particuliers. On vient de vérifier au prix d’une évidence aveuglante pendant cette épidémie, et précisément, pour ne prendre qu’un seul exemple, on vient de vérifier en matière pharmaceutique que cette idée méritait d’être corrigée. Les médicaments les plus urgents, les plus nécessaires au traitement des malades les plus en danger, ces médicaments se sont trouvés dans notre pays menacés de rupture d’approvisionnement!
On a vu brutalement chez nous qui nous targuions d’être à la pointe de la médecine et de la recherche pharmaceutique, on a vu manquer les médicaments pour l’anesthésie, les médicaments utilisés dans la lutte contre le cancer, les corticoïdes, les antibiotiques et même la molécule que tout le monde a dans son armoire pharmacie: le Doliprane, c’est-à-dire le paracétamol. Tous ces médicaments, d’usage vital ou primordial, que pour beaucoup d’entre eux la France et nos pays européens voisins ont inventés, nous avons découvert que leur fabrication avait été systématiquement délocalisée en Asie, en Inde par exemple, ou en Chine et pour un grand pays comme le nôtre, avec une telle tradition médicale, accepter que soit rompue la chaîne d’approvisionnement en produits aussi indispensables est proprement scandaleux. Alors on comprend très bien le mécanisme qui a conduit à cette décision, puisqu’il s’agissait de produits tombés pour la plupart dans le domaine public, dont la recherche d’une meilleure gestion ou de bénéfices plus conséquents, a pu entraîner les responsables de ces compagnies, à délocaliser la production de manière que les bénéfices puissent être préservés.
Et la préoccupation des profits est parfaitement légitime pour une entreprise privée! Mais lorsque les intérêts particuliers contredisent l’intérêt général, alors il y a un devoir de la puissance publique, un devoir de la démocratie, de les prendre en charge !
C’est proprement une question d’indépendance, de souveraineté et de responsabilité sociale. Il est des domaines vitaux pour la nation, des domaines vitaux pour la société française, des domaines vitaux pour l’Union européenne, (car je ne fais pas de différence fondamentale entre les intérêts vitaux de la France et ceux de ces voisins et partenaires. Il est des domaines vitaux qui nécessitent une intervention de l’État, en tout cas une orientation et une incitation de l’État, pour que la vie économique n’en compromette pas l’existence et l’efficacité.
Et si l’on veut aller plus loin et regarder de plus près les équilibres internationaux dont nous dépendons, alors on s’apercevra que des menaces brûlantes peuvent compromettre la liberté de choix, l’indépendance de notre pays et des pays partenaires. De ces menaces, notre démocratie et notre action publique ne peuvent pas se détourner.
C’est tout l’intérêt du Plan.
*Vous avez rappelé monsieur le Président dans ces murs, l’expression «ardente obligation » qui dans la bouche du fondateur de la Ve République, traduit la vraie nature de l’exercice qu’il confia à Jean Monnet.
Naturellement, comme l’a rappelé le président de la République dans la lettre de mission qui vous a été distribuée, le Plan ne peut pas être, comme il l’était après la guerre, normatif, chiffré, une injonction à laquelle on attendait que toute la société obéisse.
Et d’ailleurs, disons la vérité, Il ne l’a jamais été. Et Jean Monnet lui-même l’a souvent expliqué: «le plan ne décidait pas, il orientait».Cela est évidemment d’autant plus vrai aujourd’hui. Et ce n’est pas une contradiction. Car il est plus efficace de convaincre que d’imposer. Il est plus efficace de fédérer les efforts que de donner des ordres qui seront toujours considérés comme abusifs et qui au bout du compte ne seront pas suivis. Et au contraire réunir, fédérer sur des lignes directrices, faire apparaître, aux yeux de tous, des points de consensus sur l’intérêt général et accepter les points qui font débat, les options différentes, voire antagonistes. La réflexion sur notre avenir commun à horizon de 10, 20 ou 30 ans, elle réunit, ou au moins elle permet des débats plus ouverts. Alors que très souvent les débats sur la décision immédiate provoquent inéluctablement des affrontements violents.
C’est l’avantage du temps long, monsieur le Président, sur la dictature de l’urgence. C’est ce que cette réflexion nouvelle, animée par le nouveau Commissariat au plan, se propose de faire.
Il s’agit pour moi, dans un temps ou la dictature de l’immédiat, de l’urgence montée en épingle, des réseaux sociaux qui prennent feu, de l’actualité à tout instant brûlante, il s’agit pour moi de ré-enraciner les sujets de long terme dans le débat public, pour qu’ils soient pris en compte par les décideurs au moment de la décision, et par les citoyens dans le débat démocratique.
C’est précisément ce que nous avons voulu faire en arrêtant la méthode de travail que je me propose de présenter devant vous.
Ce n’est pas une méthode de travail pour traîner. Comme je l’ai rappelé au début de cette intervention, les études, souvent passionnantes, souvent savantes et brillantes, sont légion. Mais, vous le savez bien, elles s’entassent dans les tiroirs et sur les rayons oubliés des bibliothèques. Je pense qu’il faut traduire la somme de ces études, aussi impartialement que possible, en questions stratégiques, et en dégager des options entre lesquelles les gouvernants et les citoyens auront, mieux informés, la liberté et le devoir de choisir.
Je viens de prononcer le mot, ma résolution, c’est l’impartialité. Certains pensent qu’on ne peut pas être impartial, qu’on est forcément influencé par son opinion ou sa tendance personnelle. Je plaide le contraire pour qu’on sache se détacher de ses préférences, pour établir ensemble des faits incontournables et des nécessités indiscutables. Et si l’on veut bien y réfléchir, cette défense de l’impartialité, ce n’est pas autre chose, dans l’ordre de la connaissance du réel, que le principe de laïcité dans l’ordre des convictions personnelles.
Avec la laïcité, on peut croire, ou ne pas croire, partager une croyance ou une incroyance, mais cela ne rend pas aveugle et n’empêche pas de vivre avec l’autre, même s’il ne partage pas vôtre conviction!
Eh bien pour vivre ensemble, et choisir notre avenir de concert, il faut pouvoir s’accorder sur des points de réalité, qui échappent à l’idéologie, à la philosophie, à la subjectivité.
Je disais donc ne pas traîner, pour rendre utiles ces études si nombreuses, il faut d’abord dégager les questions cruciales pour notre avenir commun. Ces questions, je vous propose de les poser d’emblée, selon une méthode simple et qui fait appel à l’intelligence collective.
Nous allons poser ces questions et les formuler, mais je veux dire que nous n’avons aucune intention de revendiquer un monopole sur le choix des questions, pas davantage que le gouvernement, le parlement, ne revendiqueront un tel monopole: les forces politiques, les forces sociales et professionnelles, les associations et les citoyens auront le même droit à formuler des questions, à proposer des questions que nous intégrerons à la réflexion autant que possible en les regroupant.
Sur chacune de ces questions, sans perdre de temps, nous établirons une note concise, traitant de l’état des choses et formulant la nécessité stratégique de la question posée. Une telle note prendra en compte les études que j’évoquais à l’instant. Ce sera, pour ainsi dire, une note «d’entrée en mêlée» et vous reconnaitrez la culture qu’un certain nombre d’entre nous partageons. Avec des perspectives aussi précises et aussi établies que possibles, nous la soumettrons à la discussion, à l’amendement, aux opinions divergentes, pendant un temps donné et qui n’excédera pas deux ou trois mois.
Tous ceux qui se reconnaissent dans cette vocation prospective et stratégique y auront leur place. Les grands organismes bien sûr, je cite France Stratégie, dont le concours précieux est assuré, les Conseils et organismes, qui jugeront des richesses d’expérience et de réflexion qu’ils ont à apporter. Mais parmi nos concitoyens, très nombreux sont ceux qui à partir de leur expérience ont réfléchi à l’avenir des secteurs cruciaux que nous allons aborder: bien sûr ils auront leur place et leur contribution sera reconnue et organisée. Mais je veux insister en particulier sur les universités et les universitaires. La France est le seul pays au monde qui ne met pas en valeur, dans sa réflexion prospective, le capital de science et de connaissances, de recherche et de transmission, qui est la fonction même de l’université. Le seul pays au monde! Dans l’immense travail que nous entreprenons, je souhaite que les universités, librement, et les universitaires prennent enfin leur place.
Il faut que notre pays et notre vie démocratique réapprennent à aller vite, au rythme du temps qui est le nôtre, et pour éviter que nos concitoyens ne pensent une fois de plus que tout cela, c’est pour les endormir, et que ces efforts se perdront forcément dans le sable. Au demeurant, sauf lorsqu’il s’agit d’études scientifiques et de recherche fondamentale, il est bien rare que la réponse que vous ne saurez pas formuler en trois mois, vous n’en serez pas davantage maître en deux ans. Il se trouve que les grandes décisions, sur les grands sujets, se prennent généralement en quelques heures et sous l’empire de la nécessité. Il suffit donc de saisir l’enjeu et de le formuler sans timidité.
Et il se trouve que les grandes questions se formulent généralement simplement.
J’ai dégagé 25 questions qui m’apparaissent stratégiques pour notre pays et notre Union européenne.
Ces questions, à l’invitation du président de la République, je vous propose de les regrouper en trois grands chapitres.
Le premier chapitre, je dirai le premier horizon, réunit les questions qui touchent à la vitalité de notre pays. Il est dans l’histoire des peuples qui perdent l’envie de vivre, et cela se traduit dans tous les domaines de leur existence.
Et donc le premier des buts autour desquels doit s’organiser une réflexion véritablement stratégique, c’est celui de la vitalité de notre pays, du désir et sa volonté de conquérir et de maîtriser la vie qui est la nôtre, la vie de ces concitoyens.
S’agissant de vivre, la situation du monde étant ce qu’elle est aujourd’hui, la première question sera naturellement celle du rapport avec le vivant, avec notre environnement, avec notre biotope pour ainsi dire, avec la préservation ou le rétablissement de l’équilibre climatique, avec la planète. Nous sommes devant une obligation, qui a été largement traitée par l’accord de Paris de rendre notre développement compatible avec les équilibres subtils qui devraient protéger le climat et la biodiversité.
Les questions d’émissions de gaz à effet de serre, les questions de production d’énergie, de véritable bilan carbone de chacune des voies de production, ont été largement étudiées. Pour autant, il existe des questions de cohérence et de faisabilité dans les différents discours des pays européens par exemple. Tous ces projets méritent d’être interrogés dans la perspective de l’accord de Paris et aussi des réalités, telles qu’on peut les décrire, à 10, 20 ou 30 ans.
Et de la même manière, la question de savoir où conduisent vraiment les politiques suivies dans les différentes grandes régions du monde et leurs conséquences sur notre patrimoine commun, d’air, d’eau, de terre, d’espèces vivantes, tout cela mérite des analyses et des choix stratégiques dans lesquels la France, leader si elle le veut de l’Union européenne, doit jouer un rôle majeur.
Le deuxième élément de vitalité, c’est la dynamique propre de la population française. Il est en Europe et dans le monde des catastrophes démographiques à l’œuvre. Jusqu’à maintenant, la France, parmi les pays développés, apparaissait comme une heureuse exception. À telle enseigne que, la démographie s’agissant des personnes déjà nées, la démographie étant à peu près une science exacte, les projections prévoyaient que la France doublerait l’Allemagne peu après 2040et serait donc dans vingt ansle premier pays par la population et par la jeunesse de cette population du continent européen.
Or cet élan vital paraît s’éroder. Depuis quelques années la France n’assure le renouvellement des générations!,
Faut-il tenter de retrouver notre natalité positive, et comment le faire, vous voyez toutes les implications sociales, pour la situation des femmes, des familles, sur la garde des enfants, pour que soit reconnu cet immense enjeu, d’attractivité et d’influence, que représente la bonne santé démographique.
Le troisième élément de vitalité touche à l’économie, à la recherche, à l’innovation, à la place des créateurs d’entreprise et des développeurs d’entreprise.
Votre assemblée connaît mieux que d’autres ce paradoxe: nous sommes le premier pays européen pour la création d’entreprises. Nous sommes un pays de premier plan pour les très grandes entreprises d’ambition mondiale. Mais c’est entre les deux qu’est le grand manque des entreprises intermédiaires françaises. Et connaissant mieux que d’autres cette réalité, vous connaissez mieux que d’autres les implications des politiques fiscales, impôts de production en particulier, des dispositions règlementaires si souvent lourdes, le poids des normes et des injonctions parfois paradoxales, sur la destinée des entreprises au moment même où elles devraient prendre leur envol. Vous connaissez aussi très bien les obstacles multipliés au moment de la transmission des entreprises, et qui obèrent leur avenir.
Autre paradoxe: nous sommes un pays de recherche fondamentale souvent brillante. Mais trop souvent, de nos jours, les chercheurs s’en vont, et en même temps nous sommes en retard du point de vue des brevets, des développements et des transferts technologiques.
Les explications existent même si certains diront qu’elles sont parfois difficiles à entendre. En tout cas, cette réflexion mérite d’être conduite et que des orientations pour les années et les décennies qui viennent puissent être dégagées.
Il n’y a pas d’entreprise sans capitaux, il n’y a pas d’entreprise sans main d’œuvre formée, il n’y a pas d’entreprise sans lien avec la recherche et l’innovation. Chacun de ces éléments de vitalité économique, de vitalité du tissu entrepreneurial, devra faire l’objet d’options clairement définies. C’est en particulier le cas de l’évolution des métiers. Depuis des années, des études approfondies ont été menées, notamment au sein de France Stratégie, pour rendre lisible par les entreprises et les travailleurs, y compris les futurs travailleurs, je pense particulièrement aux jeunes au moment de l’entrée sur le marché du travail, le paysage que les évolutions techniques et numériques vont nécessairement recomposer. Avant la fin de cette année, je me propose de présenter aux Français le résultat de cette étude approfondie. Que sait-on précisément des métiers tels qu’ils seront, et quelles voies nouvelles s’ouvriront pour ceux qui entreront sur le marché du travail, ou seront obligés de réfléchir à de nouvelles orientations.
Je souhaite que l’on puisse aborder sans crainte une autre question qui tient à la vitalité de notre pays, les questions d’identité. Les sujets qui tiennent à la dynamique interne des pays, des peuples, sont étroitement liés aux dynamiques des sociétés, à leur psychologie collective. Il est des peuples en dépression. Il est des peuples en découragement. Et il est des peuples au contraire en mouvement, liés par un ciment de convictions communes qui les soudent et les portent.
Ce sont, je le sais bien, des questions délicates et sensibles. Mais précisément les questions délicates et sensibles méritent d’être abordées à froid plutôt qu’à chaud, quand le cœur des crises, le cœur des névroses collectives devient bouillant et explosif.
Le malaise des peuples confrontés à ce qu’ils ressentent comme le rouleau compresseur de la mondialisation. Ce malaise est présent sur toute la planète. Et comme en compensation de cette menace, la revendication identitaire s’exprime, flambe et peut parfois prendre un tour extrême.
Si nous devons assumer cette question, et je crois que nous devons le faire sans crainte, quelles orientations nouvelles, quelles affirmations et quelles règles devrons-nous choisir, pour que nous choisissions librement de vivre ensemble, tels que nous sommes, et tels que nous voulons apparaître aux yeux du monde?
Je ne veux pas éluder, dans l’énoncé de cette question d’identité, le sujet de la langue française, notre trésor national, et celui de centaines de millions de femmes et d’hommes sur la planète. Chiffre en constante progression .Puis-je dire avec vous et devant vous qu’en matière de langue, pour refuser l’abaissement, en particulier dans toutes les instances européennes et internationales, il y a un combat à mener, et que ce combat tient à notre avenir même!
De la même manière, nous sommes inquiets sur la vitalité de la démocratie et de l’action publique.
Une grande inquiétude plane sur les démocraties. À l’intérieur, elles font face à un doute profond, qui porte sur l’efficacité et la légitimité de la démocratie représentative. À l’extérieur, alors qu’elles croyaient être pour toute l’humanité et, il y a peu de temps encore ,un le modèle universel et indépassable, envié par tous les peuples, elles découvrent qu’elles sont en concurrence avec des modèles autoritaires, peu soucieux de libertés personnelles, adossés à un hyper-contrôle technologique, et poussées par d’immenses puissances économiques et innovatrices.
Enfin, nous avons la responsabilité de nos outre-mer. Ce grand large qui est une part de notre identité et de notre histoire française, qui nous met directement au contact de la planète et du sixième continent, le continent des océans lointains, nous devons accepter de penser à plus long terme que ne peuvent le faire les gouvernants qui ont tant d’urgences ultra-marines sur les bras, son développement, son irruption dans la modernité, la formation des plus jeunes générations, sa créativité, une recherche adaptée universitaire adaptée à sa nature même, sa culture, artistique et linguistique, et son identité.
Deuxième horizon, c’est celui de l’indépendance. C’est un horizon politique et économique, lié bien sûr à la question de la vitalité de notre pays, et de l’Union européenne.
Des faits majeurs et inquiétants apparaissent qui demandent de construire une réponse politique et économique.
La première question est celle des productions vitales.
Je l’ai dit, il est des productions, cruciales pour la vie de nos sociétés, mais pour lesquelles nous sommes devenus entièrement dépendants de partenaires lointains, et dont avons vérifié, par exemple pendant la crise que les approvisionnements peuvent se trouver interrompus par des décisions ou des événements qui nous échappent.
J’ai déjà cité la pharmacie. Des molécules de toute première importance, dont l’usage est proprement vital pour un certain nombre de malades, se sont trouvées menacées d’interruption d’approvisionnement. Le plan de relocalisation sur le territoire de l’Union, que le président de la République a initié, relève de l’urgence. Le négliger ou le retarder, ce serait non-assistance à personnes en danger et renoncement à notre souveraineté. La pharmacie n’est pas le seul domaine où notre indépendance se trouve ainsi ouvertement en cause. Nous sommes des sociétés qui vivent tout entières autour de l’électronique. Or nous sommes, pour la production des composants électroniques, qu’il s’agisse de l’électronique grand public, ou de l’électronique la plus spécialisée et la plus pointue, presque entièrement dépendants de l’extrême Orient.
Cette situation est d’autant plus dommageable, scandaleuse et insupportable que l’argument bateau, qui a servi au fond de justification pendant des décennies, argument qui paraissait de bon sens à cette politique de translation des productions vitales vers l’Orient lointain, n’a plus aujourd’hui à mes yeux de réelle validité.
Le sujet, c’était nous dit-on le coût de la main d’œuvre. Or sur l’ensemble du continent asiatique, devenu usine presqu’exclusive du monde, le coût de la main d’œuvre a augmenté régulièrement tendant à se rapprocher de nos propres standards, et de surcroît la part de la main d’œuvre dans le coût de ces produits finis est devenue epsilonesque! Ces produits suivent des processus entièrement automatisés, en salle blanche, par des techniciens de haute qualité professionnelle. Alors, qu’est-ce qui justifie que nous ne puissions envisager ces productions sur notre sol, sinon une ambiance générale de renoncement? Il faut mesurer que laissant partir ces productions, nous abandonnons en même temps la technicité, l’expérience, l’innovation, la recherche qui l’accompagnent quotidiennement.
Nous ne perdons pas seulement des emplois, nous ne perdons pas seulement la garantie des approvisionnements mais nous perdons toute la compétence et tout le savoir qui va avec le développement de ses produits. C’est une perte pour le présent et c’est une perte encore plus grave pour l’avenir.
Alors certains s’en accommodent, baissant les bras et nous proposent de nous spécialiser purement et simplement dans la commercialisation de ces produits vitaux, dans le trading comme on dit.
Qui ne voit où conduit cet abandon. Les chiffres du commerce extérieur de la France ces dernières décennies et, je le crains du commerce extérieur de l’Union bientôt, traduisent en termes crus le bilan de cette défaite historique.
Nous ne parviendrons pas seuls à redresser la barre. C’est une politique de grand effort, grand effort d’investissement, grand effort intellectuel, de profonde fermeté politique qui doit être conduite entre les pays européens intéressés par la question même de leur indépendance.
Et pourtant c’est possible: nous avons conduit une telle politique avec Galileo! Tous nos GPS, civils et militaires, celui de votre voiture, des blindés, des avions étaient, presque sans qu’on s’en aperçoive, entièrement dépendants du réseau de satellites américains qui lui était dédié. Qui ne voit que lorsque qu’on est entièrement dépendant, que celui qui tient la clé du signal, vous tient évidemment à sa merci. Et bien prenant en compte cette nécessite et cette urgence, sans que les opinions publiques en soient directement informées, les dirigeants européens ont en quinze ans, pensé, construit et lancé les satellites de notre propre réseau européen, au prix d’un grand effort partagé.
Définir ce que sont les productions vitales, décider en commun des stratégies convenables à leur réimplantation sur notre sol, voilà qui relève de la proposition d’un plan stratégique au sens propre du terme.
La question agricole est elle aussi, une question d’indépendance. Aujourd’hui l’enjeu de produire pour un demi-milliard d’Européens semble maîtrisé du point de vue agronomique et industriel. Mais deux questions brûlantes se posent: il est des milliards d’hommes qui ont besoin d’être nourris, qui ont besoin de nous, et il est même un ou deux milliards d’hommes pour qui la question se pose aujourd’hui encore d’être nourris tout court. Nous pouvons relever ce défi, mais nous devons le relever dans une démarche exemplaire de respect de la terre nourricière, de son équilibre de long terme, de la préservation et de l’amélioration de la qualité agronomique des sols, de la qualité de l’air, de l’eau, et de la biodiversité.
Et nous devons le relever, c’est une question incontournable pour nos concitoyens et pour les éleveurs, en respectant la condition des animaux qui sont aussi avec nous sur la planète, les hôtes de cette maison. Cela exige un grand effort de recherche et de maîtrise de nos interventions, dont nul ne pourra se détourner dans l’avenir. Je suis sûr que dans cet effort nous trouverons le concours engagé des éleveurs dont, pour l’immense majorité d’entre eux, permettez-moi de le rappeler, la vie entière est dédiée au soin et l’amélioration constante de la condition des animaux qui leur sont confiés.
Vous ne serez pas étonnés que poursuivant l’énumération de ces questions d’indépendance, je formule la question de la dette publique, qui ces dernières années, théoriquement et pratiquement, a profondément changé de nature, et avec laquelle nous allons devoir vivre tant les mutations que j’évoque et les conséquences immédiates de la crise requièrent d’investissements et d’interventions de soutien. Selon quelle philosophie et quels mécanismes économiques et monétaires, rendre la dette soutenable ?
La pandémie Covid19 devrait nous avoir alertés sur la question de l’alerte de notre pays face aux grands risques. De quelle manière, après avoir fait la faisant la revue des expériences étrangères, et n’hésitant pas à penser en pratique pour notre société, pouvons-nous imaginer une organisation de l’alerte. Je vais prendre un exemple ancien pour éviter les polémiques liées au présent: combien de vies et combien de milliards aurions-nous pu préserver si une telle autorité indépendante avait, dès les premiers éléments d’inquiétude vérifiés, alerté efficacement notre société sur les risques de l’amiante ? Et je pourrais énumérer comme ça un certain nombre de vagues de déstabilisations et de malheurs qui probablement auraient pu être écartées. L’épidémie virale, Covid19, était prévue quasiment mot à mot dans le Livre blanc de la défense dès 2008. Simplement les autorités chargées de l’alerte, gouvernement après gouvernement, et je ne jette la pierre à personne tant l’actualité est brûlante, ayant peu repris ces avertissements nous nous sommes trouvés devant l’extrême difficulté que nous traversons aujourd’hui.
Le troisième horizon, c’est celui du projet de société fondé sur la justice.
La France est un pays singulier, et heureusement.
Nous sommes un peuple et une nation qui ne se pense pas sans idéal, sans idéal pour lui-même et pour le monde. Cet idéal, il est contenu dans son projet républicain, dans sa devise, projet de société autant que revendication personnelle des citoyens et de leur famille.
Cet idéal, s’il faut le décrire en un seul mot, est un idéal de justice.
Dans notre société les inégalités se creusent. La conscience des inégalités grandit. Nos concitoyens en souffrent et en éprouvent un profond sentiment d’injustice subie. Ils ont pu l’exprimer de nombreuses manières ces dernières années. Et la première de ces inégalités est celle qui affecte l’éducation.
Car tout commence dans l’éducation, ou avec l’éducation. Il y a eu un temps, pas si lointain, dans la société française où le chemin du parcours social, du parcours de réussite, de promotion personnelle et sociale était balisé. Vous tous, vous avez connu ce temps.
Le parcours de la réussite, d’où qu’on vienne, de quelque quartier, de quelque milieu qu’on vienne, ce parcours, pour le résumer en une phrase, était simple: il suffisait de bien travailler à l’école.
De sorte que l’école était en même temps le viatique, le patrimoine de connaissances et de comportement dont on se dotait pour la vie, et le chemin qui permettait de faire sa vie.
Et bien c’est cela qui a disparu. Sous la pression de la «massification» existe l’idée généreuse qu’on allait garantir le même bagage à tout le monde, que personne ne devait en être exclu, la fonction de l’école de chemin vers la réussite s’est dissoute, et pour le dire comme je le ressens, plus personne, dans les milieux normaux, dans les milieux populaires, dans les milieux non-initiés, plus personne ne connaît le chemin. Plus personne n’a la carte et la boussole. Sauf, évidemment, les milieux privilégiés ou favorisés, qui connaissent les meilleures stratégies, les meilleures filières, les établissements réputés. De sorte que pour la plupart, la question du milieu où l’on est né est devenue, sauf rares exceptions, le seul élément qui commande le destin de chacun. Et les fractures sociales et culturelles sont devenues telles, et cela est l’effet des temps, et les travaux pédagogiques peinent à suivre, que le capital de connaissances et de savoir-faire, lui-même, se trouve amoindri. Sans compter les si importantes questions de fondamentaux, de contenu et de pédagogie, que pose avec beaucoup de constance le ministre de l’Éducation nationale. La France est un grand pays scientifique, mais les vocations se font plus rares.
La maîtrise de la langue, et d’abord de l’écriture et de la lecture a été considérablement favorisée ces toutes dernières années par l’effort national voulu par le gouvernement du dédoublement des classes dans les secteurs d’éducation prioritaire. Mais le rôle qui pourrait être majeur des sciences comme on dit cognitives, et des technologies de l’information, dans la transmission des connaissances, n’a pas encore eu toute la place qui devrait être la sienne.
Par exemple, et cela a été la passion de toute une partie de ma vie, nous n’avons pas trouvé, encore aujourd’hui, à ma connaissance, de vraie méthode de réapprentissage de la lecture lorsque la vie a fait que vous en avez été privé, que vous avez manqué le tournant, à ce moment de l’enfance où cela se joue. Or, sans lecture, ce sont d’immenses difficultés pour la vie même.
L’éducation, c’est la justice en actes.
La santé aussi est affaire de justice. Nous vivons dans un pays qui est probablement le plus avancé au monde en matière d’accès, et d’accès gratuit, à l’ensemble du système médical, que ce soit en temps normal ou en temps critique de grave maladie ou d’urgence.
Et cependant, nous vivons tous les jours l’exigence d’une meilleure organisation des soins, l’exigence, si difficile à construire en France d’une organisation efficace de la prévention, de l’accompagnement, du suivi des malades pour éviter la surconsommation et la sous-consommation de consultations et de prescriptions.
Dans le travail que nous présenterons sur la santé, permettez-moi un focus particulier sur la santé mentale et la psychiatrie dans notre pays, qui se sent si souvent abandonnée, sauf dans les moments les plus tragiques.
Et bien entendu, la solidarité active doit accompagner l’âge avancé, la question de la dépendance, celle de l’accompagnement, nous le savons bien, c’est une génération tout entière qui va devoir prendre en charge une réflexion et une action auxquelles on hésite à se confronter tant les enjeux, sociaux et financiers, sont impressionnants. Mais là comme ailleurs, cela n’empêche pas d’élaborer une stratégie et de présenter des options, différentes peut-être entre elles mais qui seront un des moyens de faire face.
Grande affaire de justice: l’aménagement du territoire. Vous comprendrez qu’élu local, provincial, de la province métropolitaine la plus éloignée de Paris, élu des Pyrénées et du Béarn, je sois particulièrement sensible à ce sujet.
Si on voulait ne connaître la France qu’au travers des médias, des sujets de reportages, d’articles ou d’émissions, si on voulait en découvrir ainsi la vie démocratique ou sociale, au travers de ces manifestations, on en ferait un tableau stupéfiant. On verrait le Paris politique et médiatique, en tout peut-être cent mille personnes, réunies sur quelques hectares de territoire au bord de la Seine, peser peut-être 10 fois,100 fois plus lourd que le reste de la France, les quartiers parisiens périphériques, les banlieues, les autres régions du pays, quelque soixante-sept millions d’autres concitoyens!
C’est un rapport de 1 à 1000 qui est ainsi établi sur la reconnaissance, en tous cas médiatique, de ce qu’est la vie réelle du pays. Tel est l’héritage français. Cet abandon psychologique et moral de la province, il est étroitement apparenté à l’abandon de la base des citoyens par le prétendu «sommet». Et il est inacceptable.
Il est d’autant plus inacceptable en ce moment où notre génération vient de redécouvrir les difficultés et les handicaps des grandes concentrations urbaines, et les possibilités de rencontre et de travail à distance qu’offrent les technologies nouvelles.
Il est donc important de répondre à deux cahiers des charges que je voudrais définir avec vous: d’abord une stratégie pensée et agissante de ré-enracinement des centres de décision et de réflexion précisément en province. Pour que si cette province ne peut pas participer directement aux grandes décisions, alors elle est territoire de seconde zone. Il faut que chacun se persuade que tous les Français, où qu’ils se trouvent, ont un droit légitime de regard et d’orientation sur l’avenir de leur pays. Et deuxième cahier des charges: nous devons indiquer clairement quel est le droit élémentaire d’accès aux services publics, sociaux et aussi aux services privés, de nos concitoyens, où qu’ils se trouvent, aussi loin qu’ils se trouvent sur le territoire national, et quel est le périmètre acceptable et souhaitable. Et ce qui vaut pour la province vaut d’autant plus avec les adaptations géographiques nécessaires, pour l’outre-mer. Ce qui me permet de poser l’avant dernière question de justice. Ce n’est pas la plus facile mais c’est à mon sens la plus urgente.
Nous avons à vivre un très grand nombre d’évolutions qui sont liées aux ruptures de développement entre le Nord, l’Occident avancé et le Sud, et je pense en particulier à l’Afrique. Si nous ne parvenons pas définir une politique de développement qui tienne la route pour ces régions du monde, qui sont si souvent à la fois du point de vie de leur organisation, du point de vue de leur économie, en déshérence, alors nous rencontrerons des drames inéluctables. L’immigration ce ne sont pas des gens qui font du tourisme. Ce sont, hélas, des jeunes et des familles qui fuient des situations qu’ils considèrent comme inacceptables et qui se retrouvent à l’intérieur de nos frontières sans solution, sans que la puissance publique ait de solution non plus.
Il n’est qu’une réponse imaginable à moyen terme et, j’espère à plus court terme si on arrive à raccourcir le délai, c’est une vraie politique de développement pour ces régions du monde si souvent abandonnées. Enfin, parmi ces services publics, je ne l’oublie pas, figure le service public de la justice, en proie aujourd’hui à bien des interrogations, et sur lequel, si les professionnels l’acceptent, il sera tout aussi légitime que nous dessinions un horizon accessible, à quelques années, 10 ans, 20 ans30 ans, ce qui pourra peut-être aider aux rendez-vous qui sont devant le gouvernement et devant l’institution.
Voilà, monsieur le Président, mesdames et messieurs les conseillers, je n’ai pas tout traité. Je fais à l’avance amende honorable pour n’avoir pas, dans cet exposé de première étape, pris en compte l’exhaustivité des enjeux. J’ai fait mon possible pour en balayer un grand nombre. Je veux répéter ceci: tous les acteurs de notre jeu démocratique, et vous en êtes au premier chef, tous les citoyens qui le souhaiteront, ont droit de proposer des questions stratégiques à traiter. Nous les prendrons en compte en les regroupant s’il faut le faut.
Dès le mois d’octobre, un site internet: plan.fr permettra de recevoir des contributions, des demandes de questions, et de communiquer les documents de notre travail commun. J’aborde ce travail, je sais que vous me croirez, avec une conscience aigüe de son immensité. Le futur c’est un labyrinthe, ses relations avec le présent relèvent de l’architecte Dédale, que les Grecs nous proposaient. La tâche paraît sans mesure, herculéenne. Mais je crois que dans cette forêt vierge on peut tracer des chemins, placer des repères, qui nous permettront de nous orienter. Sommes-nous assurés de réussir ? Certainement pas. Mais ne pas essayer, ce serait être en sens inverse, absolument condamné à l’échec dans cette tâche de citoyens, à la recherche comme disait Marc Sangnier, «de conscience et de responsabilité».
Nous ferons des erreurs. Si nous faisons des erreurs, nous les corrigerons. Nous ne serons en concurrence avec personne pour la meilleure des raisons: nous ne cherchons pas du pouvoir, nous cherchons seulement à être utiles. Jean Monnet disait, il disait «je» mais je vais dire «nous»: «Nous ne prenons la place de personne. Nous ne sommes supérieurs à personne. Nous occupons un territoire jusqu’à présent sans nom et sans maître.» Nous sommes là, et nous avons choisi d’être là pour aider! Aider précisément, en ce moment de doutes et de grandes menaces, aider notre pays à trouver son chemin de vitalité, d’indépendance et de justice.
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