François Bayrou |
Lors d’un entretien sur la radio Europe1, François Bayrou s’est dit en phase avec Emmanuel Macron avec lequel il ne regrette pas d’avoir conclu une alliance avant la présidentielle de 2017 et estime que sa prise en charge de la crise libanaise est une réussite.
Concernant Jean Castex, il se montre satisfait de sa nomination et, en creux, ne regrette pas le départ d’Edouard Philippe.
Le président du MoDem veut une vraie politique de souveraineté nationale, en particulier en matière économique et dans la relocalisation d’un certain nombre de productions manufacturières.
Il plaide pour la création d’un Commissariat au plan (à la tête duquel il devrait être nommé à la rentrée) et une vision à long terme de la politique.
Il estime, en outre, qu’il convient d’introduire la représentation proportionnelle pour les élections législatives.
Il analyse la crise de confiance entre la population et le politique par un manque de prise de responsabilité des dirigeants.
S’il défend le libéralisme, il explique qu’il a été façonné par le courant de la démocratie chrétienne et cite, comme c’est souvent le cas dernièrement, un de ses plus illustres représentants, Marc Sangnier.
Enfin, il se dit optimiste pour le futur et estime, dans une vision nataliste, que si la France possède la population la plus nombreuse en Europe, elle pourra redevenir la principale puissance du continent.
► Les propos de François Bayrou
- Liban
Il y a des vérités qu’il faut dire mais je vais vous dire quel a été mon sentiment quand j’ai vu ces images et quand j’ai entendu ces mots du président Emmanuel Macron. J’ai eu un grand sentiment de fierté. Dans un drame de cette importance, dans cette catastrophe comme on en a peu connu – il y a eu AZF, puis celle-là- qui pulvérise une ville, un port, alors on ne peut pas se contenter des mots habituels. Au-delà de l’amitié qu’il y a entre nos deux pays, le Président a eu des paroles pleines d’audace, de force, de justesse. J’imagine que vous avez vu la réaction d’adhésion de la population. Ça m’a rendu fier de la France. Car si nous ne l’avions pas fait, qui l’aurait fait ? La réponse est : personne.
Le président a continué à incarner la dimension internationale qu’il a depuis le premier jour. Il a voulu s’engager parmi les dirigeants européens pour qu’on écoute et qu’on respecte l’Europe. Il a montré la très grande place que l’Europe pouvait prendre dans les grandes crises internationales, surtout quand c’est lié à notre histoire.
- Jean Castex
C’est un très bon choix, par ce que c’est un homme de terrain. Alors il est très familier du sommet de l’Etat, oui, mais il a eu des expériences de terrain. Maire d’une commune de 6000 habitants, président d’une agglomération de 45 communes, cela compte. Il a été responsable des hôpitaux français, secrétaire général adjoint auprès de Nicolas Sarkozy. Et chargé du déconfinement dans la période récente. Et moi, je suis de ceux qui pensent que l’expérience, ça compte.
Je ne sais pas si c’est un métier, pour moi la politique, c’est une vocation. Nous sommes tous, vous comme moi, des citoyens de base, et certains pensent qu’on peut changer le monde, et parmi ceux qui le pensent certains pensent qu’ils peuvent contribuer à y participer. L’expérience, ce serait à mettre de côté ? Nous, nous savons, autour de cette table, que ce n’est pas si simple. Jean Castex possède cette double expérience : de terrain et de capacité nationale. Et puis, il a un style.
Jean Castex connaît la France d’en haut et la France d’en bas. Y compris Son accent, que certains ont ciblé, qui est l’accent de chez nous, je le trouve rafraîchissant. Surtout, il n’est pas rusé, il ne cherche pas des habiletés pour éviter les questions. Beaucoup de Français pensent qu’il apporte quelque chose.
- Edouard Philippe
Edouard Philippe a exercé ces fonctions pendant 3 ans. Il y a certaines choses sur lesquelles nous étions en désaccord. J’étais très partisan d’une réforme de la haute fonction publique en France. Et je n’étais pas persuadé qu’Edouard Philippe en était lui-même très partisan. Il doit sourire, s’il nous entend. Il était lui-même issu du vivier des grands corps. Jean Castex apporte quelque chose.
- Premier ministre et le président complémentaires
Je le crois, absolument. Dans les commentaires, on a pu entendre qu’Emmanuel Macron effaçait le Premier ministre. Je n’ai jamais cru que le Premier ministre était un collaborateur, comme le disait Nicolas Sarkozy. J’ai eu de très nombreuses discussions avec le Président sur ce sujet. Une complémentarité entre le Premier ministre et le président est utile et nécessaire. C’est comme la stéréophonie pour le son, ou la stéréoscopie. Et ce n’est pas discordant du tout. Il y a une double source de compréhension.
- Commissariat au plan
C’est l’idée que, quand on gouverne, la prise de conscience du temps long est absolument indispensable. Dans une de mes aventures pour la présidentielle, j’avais employé la formulation. Gouverner, c’est prévoir. La Chine gouverne à 30 ans - bien, mal, vous savez que ce n’est pas mon orientation - la perception des problèmes se prévoit sur un temps long. En ce moment, la Chine multiplie les achats de terre à la surface de la planète. Sans-doute devance-t-elle une baisse des ressources. Nous, nous gouvernons à 30 jours, peut-être même à 30 heures.
C’est l’idée de faire renaître ce que Jean Monnet avait créé en 1946, après la guerre. Il faut reconstruire avec des lignes directrices qui vont très loin dans le temps, sans la pression de l’actualité. Je n’ai jamais défendu cela en pensant que je pourrais occuper la fonction puisqu’à l’époque c’est une autre fonction que je briguais, vous le savez. Le plan permettrait de contribuer au débat des citoyens et aux décisions qui sont celles des gouvernements. Il ne s’agit pas d’entrer en compétition avec d’autres fonctions, c’est le contraire. Cela permet d’identifier les grands enjeux, sur le long terme. Comme, par exemple, la démographie. On n’en parle jamais. Ça a été l’un des plus grands atouts de la France et quand on compare avec l’Allemagne, cela pourrait l’être de nouveau. La démographie a des conséquences dans de nombreux domaines : une au hasard, ce sont les retraites, par exemple. Le Japon, pays qui vieillit, consacre ses ressources à inventer des robots qui font les courses à votre place. Or, il est formidable pour un pays de se renouveler, c’est une jouvence. C’est là un point vital, qui n’a jamais pris en compte par les gouvernements.
- Souveraineté économique
C’est absolument indispensable, je défends cela depuis une génération. J’ai fait campagne, pour la présidentielle, sur le thème « Produire en France, produire en Europe ». On croyait les grandes crises du monde derrière nous. On voit aujourd’hui qu’elles sont devant nous. La crise entre la Chine et les Etats-Unis : Personne, il y a dix ans, n’aurait imaginé une si grande crise, que l’on serait au bord de revivre un tel antagonisme. Une ligne directrice, que je défends et que je défendrai dans l’avenir : Il y a des productions stratégiques que l’on n’a pas le droit de désindustrialiser.
- Désindustrialisation
Il s’est passé une chose extrêmement simple : Une idéologie, celle de la primauté du marché, a envahi les esprits.
On peut toujours [rééquilibrer], il suffit qu’on le veuille. Vous savez, je suis quelqu’un qui a mis en alerte sur la question de la dette. Qui aurait-dit, il y a un an, qu’on pourrait trouver 500 milliards tout de suite ? Quand on veut, on peut. Et si l’on sait où l’on va, on peut trouver le chemin.
Pour les textiles, c’est une chose. Mais pour les médicaments, ça nécessite des brevets. De temps en temps, ils les vendent, on peut discuter de la manière dont on peut reconquérir ce genre de choses. Qu’est-ce qui justifie que les génériques soient fabriqués en Inde ?
Il s’agit simplement de décider que ce qui est vital est vital. Quand on est un citoyen conscient, il faut être capable de dire : Il y a des domaines que nous n’abandonnerons plus. Cette reconstruction ; c’est la clé de l’avenir. Quel est l’autre avenir ? Dévaler le toboggan, la pente, avoir le sable qui file entre nos doigts, il faudrait être complètement fous.
Quand je préconisais le « Produire en France », des esprits très bien, m’ont dit que c’était complètement irréaliste. Et je leur disais : mais vous ne comprenez pas, on est en train de désarmer la France, c’est non-assistance à économie en danger.
Le réel est puissant, vous savez. Il y a des vers de ce grand écrivain, un peu oublié, Jules Romain : « L’événement est sur nous, il a le poil et le pas d’une bête quaternaire ». Nous sommes face à un événement totalement paradoxal. L’architecture commerciale, économique, financière, se trouve renversée par quelque chose d’un million de fois plus petit qu’un grain de sable [la covid19]. Ça valait la peine de penser un peu, de réfléchir un peu à l’avance.
- Libéralisme
Le « Gouverner c’est prévoir », c’est aussi un moyen de fédérer. Pour moi le libéralisme, c’est la responsabilité des acteurs de terrain, et cela, c’est très bien. C’est la liberté d’inventer, de laisser les énergies se déployer, et c’est très bien. L’idée que les intérêts des actionnaires doivent l’emporter à tout coup, en revanche, non… je suis pour que ce soit rééquilibré, dans le sens de l’intérêt général.
- Grands débats de société
C’est tout le secret, dans une démocratie, il faut des voix qui portent. On n’est pas assurés d’en être mais on peut essayer. On voit une remise en cause fondamentale de tous les glissements que l’on a laissés s’opérer. La prise de responsabilité est devenue obligatoire, nécessaire. Comment s’y prend-on ? En identifiant les questions que l’on a oubliées et qui vont se poser. Comme l’explosion de tout ce qui touche aux algorithmes, la pénétration par les machines de nos vies humaines. Cela a une incidence sur la participation, sur le travail. Il faut dire les choses avec simplicité, humilité et sans crainte. Airbus, cette semaine, a annoncé, qu’il avait fait atterrir 1000 fois un avion sans pilote. Souvent les pilotes sont contents de vous avoir sur leur vol, vous le savez comme moi, et ils vous font venir dans le cockpit pour vous montrer comment on fait sans pilote. Lorsqu’il s’agira de la voiture, du camion, cela constituera un changement fondamental. Il y a 1M ou 2M de chauffeurs. On doit réfléchir à l’organisation du travail. J’ai toujours trouvé les 35 heures idiotes où l’on met tout le monde à la même toise. Pour certains, il est besoin de plus d’heures, pour d’autres de moins. C’est une manière différente de salarier. Ça ouvre des perspectives. L’avenir s’ouvre.
Le débat public va exiger que l’on pose ces questions, sans le pessimisme perpétuel. Je suis de ceux qui pensent que les Français peuvent comprendre et même qu’ils vont exiger de comprendre. Il faut garder les yeux ouverts, en parler avec les mots qu’il faut. Des mots simples, graves et optimistes. Les Français ne pardonneront pas à ceux qui vont évacuer les questions.
- Convention citoyenne sur le climat
Ça ne va pas me rendre populaire, mais je ne connais pas pire pour choisir les responsables que le tirage au sort. Je viens d’un courant, la démocratie chrétienne, spiritualiste, qui considère qu’il y a autre chose que le matériel et le financier. Je médite souvent cette citation de Marc Sangnier : « La démocratie, c’est l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen ». Vous êtes pleinement citoyen et vous prenez les choses à bras le corps. C’est le contraire du tirage au sort.
- Responsabilité
Il faut l’exercice de la responsabilité quotidienne. Les gens ont voté, très bien, il faut que tous les jours vous soyez en mesure de rendre compte de ce mandat. Pour la première fois depuis très longtemps, les sommets européens font un compte-rendu devant les citoyens. Je parle de cela très souvent avec le président. Au moment de la crise grecque, ce n’était pas le cas, on ne savait pas qui pensait quoi. Aujourd’hui, on nous dit : voilà les forces en présence, en tout état de cause, je vous rendrai compte directement, sans passer par les habituelles images coincées. C’est légitime et nécessaire. Il faut aller de plus en plus vers cette gravité. La démocratie, ce sont des forces et des personnes qui viennent proposer des options, et ce sont les Français qui choisissent.
Les Gilets jaunes, c’est extrêmement simple, il y a eu un aveuglement de l’Etat sur la fiscalité. On a cru avoir trouvé la poule aux œufs d’or, que ça plairait aux écologistes et que cela alimenterait les caisses de l’Etat. Or, on n’a pas pensé aux gens qui habitent à 30km de leur lieu de travail : On leur mettait sur le dos toute la charge que l’on retirait aux autres. Moi je plaidais pour une taxe variable dans le temps sur le prix du pétrole. A cela s’est ajouté le sentiment de l’incompréhension fondamentale de notre société. La rupture entre la base et ceux qui se croient au sommet. Ils ne parlent plus la même langue. Le vocabulaire même est confisqué. Il y a là un danger mortel. C’est cela qui a fait le ressaut de la vague des Gilets jaunes.
- Alliance avec Emmanuel Macron
J’ai réalisé une alliance avec Emmanuel Macron. Si je le regrette? Non, jamais je ne l’ai regretté. J’ai abandonné le ministère de la Justice parce que j’ai examiné en conscience qu’il ne fallait pas nuire à l’équipe que l’on représentait. Quand on m’interroge sur ces questions, je suis frappé d’amnésie, vous remarquez…
- Administration
La rupture avec ceux qui se croient élites, elle devrait être l’ennemi public N°1. La rupture, l’incommunication, c’est le grand problème. La mise en cause de la légitimité est une vraie question. On ne s’est pas interrogé à temps sur les causes.
L’organisation de l’Etat est nécessaire, mais l’Etat de tous les jours, administratif, en raison de son poids, est un frein à la société. Il y a une idée d’Emmanuel Macron, dans son programme, que j’aimais beaucoup : la 2e chance. Que faites-vous à ce moment ? Et quand on ne vous a pas expliqué là où vous êtes en tort ? L’action publique doit venir en soutien et pas en castration des actions de la société
- Centre
Cette idée que ceux qui ont échoué en tout doivent être maintenus à l’avenir, c’est sans intérêt. Je disais depuis longtemps que ces 2 tours jumelles de la gauche et la droite, étaient vermoulues, qu’elles pouvaient s’effondrer et que l’on pouvait les remplacer par autre chose. On me disait, les journalistes: « Ce n’est pas sérieux, même si un homme du centre était élu, il n’aurait jamais de majorité », on m’a opposé cela pendant des heures de débat et je disais, citant François Mitterrand : « Imaginez-vous que les gens ne sont pas assez bêtes pour élire un candidat de ce nouveau courant Président de la République et après de ne pas lui donner de majorité ? ».
A gauche, on croyait que l’Etat pouvait s’occuper de tout, cette pensée-là s’est heurtée à la réalité. La pensée de droite, nationale-libérale, s’est aussi heurtée au réel. La Banque Centrale Européenne, c’est elle qui nous permet de garantir nos emprunts. Le libéralisme à lui tout seul ne permet pas de répondre aux questions. Ce sont 2 organismes qui ont perdu leur légitimité.
- Proportionnelle
L’élection présidentielle au suffrage universel, c’est nécessaire. L’incarnation est une nécessité. Mais profiter du grand basculement pour que tout à coup tous les sièges soient occupés par le même courant, c’est dangereux. Il y a un effet présidentiel, mais il faut que tout le monde ait sa place. Ainsi, c’est plus juste et plus serein.
- Futur de la France
Quel est l’autre choix que l’optimisme ? Si vous voulez être un homme d’action, votre premier choix est de renoncer au pessimisme. Un certain nombre des risques, je les avais désignés à l’avance. Il faut, bien sûr, de la lucidité. Je suis maire d’une ville formidable, dans un pays formidable. Quand vous prenez en main le destin d’une communauté, c’est que vous pensez pouvoir faire bien. La France peut redevenir la première nation d’Europe. Si l’on redevient la première puissance démographique. Quand vous avez les filles et les garçons, c’est une grande richesse. Nike a choisi un slogan - que je ne vous donne pas en anglais – qui est celui que j’avais choisi pour une campagne présidentielle : Un pays uni, rien ne lui résiste. L’unité du pays, c’est essentiel.
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