Non seulement les populistes s’arrogent le droit de parler pour le peuple – surtout à la place du peuple dont ces mauvais ventriloques prétendent êtres les «vrais» représentants – mais ce fameux «peuple» n’est qu’une mystification d’une entité introuvable qui permet de faire accroire que l’on peut résumer les individus en les enfermant dans une entité globalisante, donc à tentation totalitaire, et de faire éclore une volonté et un intérêt général, deux supercheries, deux concepts largement liberticides.
D’autant plus que si je ne pense pas comme ce «peuple» dont ils
ont inventé eux-mêmes l’identité, je serais donc un mauvais citoyen.
Ou une sorte d’élitiste voué aux gémonies et dénoncé comme tel
à la vindicte populaire comme au plus beau temps de délateurs qui aurait
l’outrecuidance de se penser au-dessus de cette masse qui, en démocratie, est
sensée détenir la légitimité et, plus encore, la vérité, les grands mots sont lâchés.
C'est-à-dire, selon leurs critères, toujours un mauvais
citoyen.
Admettons que la réunion de tous les individus dans ce Léviathan
qu’est l’appellation peuple est une facilité qui permet de rapprocher des
volontés et des intérêts individuels afin de pouvoir affirmer l’existence d’une
communauté unie dans son destin, donc de pouvoir organiser et structurer une
collectivité composée d’individus qui vivent ensemble et partagent ainsi un
certain nombre de choses comme, par exemple, un territoire, un appareil étatique
ou des références culturelles communes.
Mais si le langage mathématique nous permet de dire qu’un
citoyen égale un autre citoyen dans ses droits et ses devoirs, donc de trouver
ce liant entre individus vivant dans cette communauté et constituant ce
collectif, en revanche, un individu n’égale jamais un autre individu dans son
individualité et sa différence.
Dans le premier cas 1=1 alors que dans l’autre 1≠1.
Plus, dans le premier cas l’équation 1+1=2 est possible alors
que dans le deuxième cas, 1+1=1 et 1.
Dans le premier cas, on peut additionner alors que dans le
deuxième cas on ne peut, au plus, qu’associer.
Et cela fait une énorme différence notamment pour le sujet
qui nous intéresse.
La démocratie républicaine est ainsi un régime où les
individus s’additionnent en termes de droits et de devoirs mais jamais en termes
de volonté et d’intérêt.
Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut gouverner la population
d’une telle entité mais que celle-ci ne représente jamais un peuple unifié mais
peut être des associations d’individus qui recherchent les mêmes objectifs, qui
partagent des biens communs (territoire, services publics, langue, etc.),
surtout reconnaissent la nécessité d’organiser une sécurité commune face aux
menaces internes et externes à la communauté à laquelle ils sont membres, pas
seulement en termes de violences physiques mais aussi psychologiques,
économiques et sociales.
Bien entendu, dans des entités aussi complexes que nos pays,
la délégation de volonté s’organise par l’élection de représentants parce qu’il
ne peut en être autrement comme du s’y résoudre à contrecœur Rousseau dont le
modèle de démocratie directe était inapplicable.
Mais l’élection, aussi importante soit-elle, ne peut, à elle
seule, prétendre globaliser les intérêts d’individus différents.
C’est ici que la liberté et la protection de la minorité
jouent un rôle crucial parce qu’elles assurent à ceux qui n’auraient pas choisi
comme la majorité qu’ils bénéficieront des mêmes droits et de la même
protection que celle-ci.
Et le «peuple» fantasmé des populistes n’a aucune légitimité
démocratique à s’attaquer à cette liberté et à cette protection.
Le peuple est donc une idée despotique et oppressive, là où
celle d’individus associés doit être le fondement de la démocratie républicaine.
C’est pourquoi tous les populistes dans leur prétention à parler
pour tous (voire pour le seul «vrai» peuple) sont toujours des personnages dangereux,
et pour la démocratie, et pour la république, et pour les intérêts individuels,
et pour le bien vivre ensemble.
Au lieu de rassembler, ils divisent en bon et mauvais
citoyens et, dans une démagogie des plus exécrables, se proposent de réaliser
les desideratas d’un peuple qui n’est souvent qu’une foule qui n’est même pas capable
de savoir où est réellement ses intérêts et dont la volonté est souvent introuvable
ce qui permet de la transformer en haine de l’autre, en violence aveugle et gratuite,
en un irrespect de la dignité humaine.
Les populistes ne sont aucunement les défenseurs d’une
démocratie soi-disant confisquée mais bien ses fossoyeurs.
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