Emmanuel Macron |
Dans un entretien à la presse régionale, Emmanuel Macron a
dévoilé une partie des lignes directrices de son action pour la dernière partie
de son quinquennat, des propos tenus quelques heures avant que l’on apprenne la
démission d’Edouard Philippe de son poste de Premier ministre et son probable
remplacement par une autre personnalité politique.
Le Président de la République a estimé que son cap de 2017
demeurait valide mais devait être amendé par les événements qui se sont
déroulés depuis:
«Je crois que le cap sur lequel je me suis engagé en 2017
reste vrai. Mais ce cap que j’ai fixé ne peut pas non plus faire fi des
bouleversements internationaux et de la crise économique dans laquelle nous
sommes en train d’entrer.»
Et d’ajouter:
«J’ai consulté largement, depuis plusieurs semaines, afin de
rassembler toutes les forces vives du pays pour affronter les prochaines étapes
de la crise. La rentrée sera très dure et il faut nous y préparer.»
Les principales mesures qui devraient être prises sont:
«Il nous faut donc dessiner un nouveau chemin. Je le vois
autour de la reconstruction économique, sociale, environnementale et culturelle
du pays. Cette reconstruction commence par le Ségur de la santé. Elle va se
poursuivre par un chantier sur le grand âge, puis sur l’accompagnement de notre
Jeunesse, car il ne saurait y avoir de génération sacrifiée. Un autre chantier
essentiel est celui de l’égalité des chances, sur lequel nous n’avons pas été
assez loin. On le voit quand une partie de notre jeunesse nous dit « quand on a
telle couleur de peau ou tel prénom, on n’a pas la même place dans la
République ». Ils seront les premières victimes de la crise. C’est à la
jeunesse que nous avons demandé le plus de sacrifices. Ne pas sortir,
interrompre les études. C’est 700 000 ou 900 000 jeunes qui entreront sur le
marché du travail à la rentrée, ce sont ceux qui verront des guichets fermés.
Nous ne pouvons pas les laisser seuls face à cette situation.»
Quant à la philosophie de son action pour les deux ans à
venir, il la défini ainsi:
«Nous devons collectivement rompre avec ce qui est la
maladie française: la préférence pour le chômage. Le modèle français classique,
c’est d’accepter des plans sociaux massifs, ensuite d’avoir un système très
généreux qui les indemnise. Au fond, un modèle qui fait que nous n’avons jamais
réglé le problème du chômage de masse. On doit, par le dialogue social et la
mobilisation de tous, réussir à éviter, partout où on le peut, les plans
sociaux ou les limiter quand ils sont là. »
Et de préciser:
«J’aurais à faire des
choix pour conduire le nouveau chemin. Ce sont de nouveaux objectifs
d’indépendance, de reconstruction, de réconciliation et de nouvelles méthodes à
mettre en œuvre.»
Avant même que l’on apprenne la démissions d’Edouard
Philippe, Emmanuel Macron lui avait rendu hommage dans cet entretien:
«Depuis trois ans à mes côtés, il mène avec les
gouvernements successifs un travail remarquable et nous avons conduit des
réformes importantes, historiques, dans des circonstances souvent très
difficiles. Il conduit des réformes importantes et nous avons une relation de
confiance qui est d’un certain point de vue unique à l’échelle de la Cinquième
République. (…) J’ai fait le choix, en 2017, de prendre à mes côtés un homme
qui n’a pas fait ma campagne et qui n’était pas dans ma formation politique,
qui était dans la même démarche d’ouverture et de dépassement des clivages
traditionnels. Ce que nous avons réussi à faire pendant trois ans, avec
beaucoup de confiance et de coordination, est inédit, contrairement à ce qui a
été écrit.»
► Voici les extraits
principaux de l’interview d’Emmanuel Macron
- La crise du Covid-19 est-elle derrière nous ou la France
doit-elle craindre une deuxième vague ?
Nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire, mais de sa
phase la plus aiguë. Nous entrons désormais dans une phase de surveillance et
de grande vigilance. J’ai demandé au gouvernement de préparer une campagne de
prévention durant l’été. Dans certains territoires comme Mayotte ou la Guyane,
le virus circule encore activement. Nous devons donc rester mobilisés et
solidaires avec nos territoires ultramarins.
- Le reconfinement général peut-il en faire partie ?
Il ne faut rien exclure. L’objectif est de tout faire pour
l’éviter. Quant à savoir s’il faut s’attendre à une ré-accélération de la
circulation du virus, je ne sais pas. Nous ne savons pas tout, mais nous nous
préparons à tout.
- Cette crise a souligné les difficultés du monde de la
Santé. Le Ségur de la Santé s’achève et pour les syndicats, l’enveloppe de 6,3
milliards d’euros n’est pas à la hauteur. En restera-t-on là ?
Notre système de santé est un bien commun que nous devons
préserver. J’ai acquis la conviction que l’hôpital avait été fragilisé par des
années de gestion budgétaire trop court-termiste. La réponse, par le dialogue
du « Ségur », c’est un investissement massif et durable de la Nation dans notre
système de santé, un meilleur accès aux soins pour tous, une simplification du
fonctionnement de l’hôpital pour les personnels comme pour les usagers. Nous
allons très fortement revaloriser les situations des personnels médicaux et non
médicaux. Le gouvernement a mis plusieurs milliards sur la table et la
négociation est en cours. Nous augmenterons de plusieurs centaines d’euros les
rémunérations à coup sûr; une partie doit être liée à une forme de
contractualisation au sein de chaque hôpital pour en améliorer la qualité des
soins et de l’organisation. Le Ségur de la Santé doit aussi permettre un
décloisonnement, une simplification, plus de liberté sur le terrain, moins de
bureaucratie, et au bout du compte un système plus efficace. L’investissement
dans les bâtiments, les équipements et le numérique sera également massif :
nous dégagerons au total entre 15 et 20 milliards d’euros.
- Vous promettez un nouveau chemin, vous demandez aux
Français une réinvention.
Je crois que le cap sur lequel je me suis engagé en 2017
reste vrai. Mais ce cap que j’ai fixé ne peut pas non plus faire fi des
bouleversements internationaux et de la crise économique dans laquelle nous
sommes en train d’entrer. J’ai consulté largement, depuis plusieurs semaines,
afin de rassembler toutes les forces vives du pays pour affronter les
prochaines étapes de la crise. La rentrée sera très dure et il faut nous y
préparer. Il nous faut donc dessiner un nouveau chemin. Je le vois autour de la
reconstruction économique, sociale, environnementale et culturelle du pays.
Cette reconstruction commence par le Ségur de la santé. Elle va se poursuivre
par un chantier sur le grand âge, puis sur l’accompagnement de notre Jeunesse,
car il ne saurait y avoir de génération sacrifiée. Un autre chantier essentiel
est celui de l’égalité des chances, sur lequel nous n’avons pas été assez loin.
On le voit quand une partie de notre jeunesse nous dit « quand on a telle
couleur de peau ou tel prénom, on n’a pas la même place dans la République ».
Ils seront les premières victimes de la crise. C’est à la jeunesse que nous
avons demandé le plus de sacrifices. Ne pas sortir, interrompre les études.
C’est 700 000 ou 900 000 jeunes qui entreront sur le marché du travail à la rentrée,
ce sont ceux qui verront des guichets fermés. Nous ne pouvons pas les laisser
seuls face à cette situation.
- Y aura-t-il une prime à l’embauche pour ces jeunes ? Des
suppressions de charges pour les entreprises qui embaucheront des jeunes ?
Nous irons en effet beaucoup plus loin dans les prochaines
semaines. Il y aura des incitations financières à l’embauche et un ensemble de
mesures pour ne laisser aucune jeune sans solution.
- Quelle est la philosophie du plan de relance qui doit être
présenté cet été ?
Nous devons collectivement rompre avec ce qui est la maladie
française: la préférence pour le chômage. Le modèle français classique, c’est
d’accepter des plans sociaux massifs, ensuite d’avoir un système très généreux
qui les indemnise. Au fond, un modèle qui fait que nous n’avons jamais réglé le
problème du chômage de masse. On doit, par le dialogue social et la
mobilisation de tous, réussir à éviter, partout où on le peut, les plans
sociaux ou les limiter quand ils sont là. C’est une nouvelle donne sociale pour
sauver l’emploi, ensemble, que j’ai souhaité lancer avec les partenaires
sociaux. Et cela s’est traduit par une vision, je crois, partagée. Et on a
commencé à agir. On le voit avec le plan aéronautique, qui a réduit le plan
social qu’il y a chez Airbus aujourd’hui. Mais je vais être très clair avec
vous : il y a des plans sociaux, et il y en aura. La crise sanitaire a détruit
5 points de richesse nationale et mis des secteurs entiers à l’arrêt. Cela a
forcément des conséquences sur les entreprises.
- Le nucléaire est-il partie prenante de la transition
énergétique ?
Jamais je ne supprimerai du nucléaire pour remettre de
l’énergie fossile car ce serait accepter plus d’émissions de CO2. Supprimer du
nucléaire a du sens quand on peut le substituer par du renouvelable non
intermittent. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore le faire complètement. Il
faut avoir réussi la capacité de stockage du renouvelable ou par de la baisse
de consommation c’est-à-dire rénovation thermique des bâtiments, baisse de
consommation des déplacements. Un modèle qui consomme moins, c’est ça qui est
pertinent en termes de souveraineté économique et en termes d’émissions de CO2.
Le plan de relance aura ça au cœur.
- L’Europe est-elle à la hauteur de la crise ?
Il faut faire de cette crise une opportunité en nous aidant
à aller plus loin, plus vite et plus fort sur la construction d’un modèle
social plus intelligent pour nos jeunes, plus environnemental et à
réindustrialiser plus vite le pays. Ce sur quoi j’ai beaucoup travaillé et qui
ne s’est pas beaucoup vu par nos compatriotes, c’est sans doute le changement
de paradigme le plus important en Europe de ces dernières années, c’est l’accord
franco-allemand que nous avons conclu avec la Chancelière. Après deux Conseils
de crise qui étaient des échecs, des moments de très grandes tensions entre
l’Europe du nord et certains pays du sud, nous avons travaillé d’arrache-pied
pendant plusieurs semaines avec Angela Merkel de manière confidentielle pour
bâtir un accord franco-allemand qui reconnaît que la zone Euro et le marché
européen peuvent s’effondrer avec cette crise. On accepte ensemble d’émettre de
la dette. Ce qui ne serait pas juste, ce serait de financer les dépenses
nouvelles pour le modèle social et les augmentations de salaires sur de la
dette. Là-dessus, j’ai été très clair. Le nouveau chemin, ce n’est pas le
tête-à-queue.
- Vous n’augmenterez pas les impôts ?
Non. Ce serait une erreur profonde parce que nous sommes un
des pays les plus fiscalisés du monde.
- Même pour la taxe carbone ?
Je pense que sur les deux ans qui viennent, nous
n’arriverons pas à remettre une taxe carbone. Cela doit être un débat de la
prochaine élection présidentielle. Si une taxe carbone qui est pertinente d’un
point de vue économique peut exister, elle doit exister d’abord au niveau
européen. Je vais me battre pour cela avec une taxe aux frontières de l’Europe,
comme l’a proposé la convention citoyenne. Ensuite, elle ne peut exister en
France que dans le cadre d’une réforme fiscale en profondeur qui soit
environnementale et juste. Donc elle passe par la réforme d’autres impôts mais
ce n’est pas la priorité du moment.
- Est-ce qu’il faut remettre en cause les 35 heures ?
La priorité à court terme, c’est de sauver les emplois, à
commencer par l’activité partielle de longue durée. Mais le débat que nous
avions connu avant cette crise autour de la durée du nombre d’années de
cotisation dans la vie continue à se poser. Nous ne pouvons pas être un pays
qui veut son indépendance, la reconquête sociale, économique et
environnementale et être un des pays où on travaille le moins tout au long de
la vie en Europe. Nous devons être honnêtes avec nous-mêmes.
- On ne renonce donc pas à l’âge-pivot ?
Est-ce que la réforme des retraites est à jeter? Non. Ce
serait une erreur pour deux raisons. La première, c’est ce qu’est le système
universel de retraite est juste. Nous avons tous vu durant cette crise ce qu’on
appelle la deuxième ligne, les livreurs, les caissières… Toute cette France-là
est la France perdante du système de retraite actuel. C’est celle qui gagne
dans le système de retraite universelle par points, celle des petites carrières
et des carrières fracturées. Le deuxième sujet, c’est celui des équilibres
financiers. Je demanderai au gouvernement de réengager rapidement une
concertation en profondeur, dans un dialogue de responsabilité associant les
partenaires sociaux dès l’été sur ce volet des équilibres financiers. Il faut
que tout cela soit mis sur la table. Il n’y aura pas d’abandon d’une réforme
des retraites. Je suis ouvert à ce qu’elle soit transformée.
- Cela peut passer par une augmentation de la durée de
cotisation ?
Nous avons un modèle social parmi les plus généreux au
monde, qui a montré sa force durant cette crise. Nous l’avons en partage. Cette
réforme ne peut pas être reprise de manière inchangée à la sortie de crise,
mais la question du nombre d’années pendant lesquelles nous cotisons demeure
posée.
-Avec toutes ces réformes, une partie de la France est en
colère. Vous sentez-vous responsable ?
J’ai ma part de maladresse. J’ai parfois considéré qu’il
fallait aller vite sur certaines réformes. Cela ne peut marcher que par le
dialogue. J’ai beaucoup d’ambition pour notre pays. J’ai parfois donné le
sentiment de vouloir faire les réformes contre les gens.
- Quelle est votre vision de la décentralisation ?
Rien ne peut se faire sans une large concertation avec
l’ensemble des acteurs. Je suis toutefois favorable à ce qu’on ait plus de
différenciations, parce que je pense que cela correspond à la fois à la demande
des collectivités territoriales et au besoin des territoires. Avec la
différenciation, je suis prêt à faciliter les expérimentations. Le dialogue
doit s’organiser entre tous les territoires et le gouvernement. La priorité qui
est la nôtre, c’est la reconstruction du pays. À court terme, il ne faut pas
que nous nous perdions dans des grands débats. Il faut que nous soyons
pragmatiques. Et qu’on associe tout le monde. Je suis prêt à associer tous les
élus qui sont prêts à l’effort de reconstruction. Pas par des grandes réformes
institutionnelles mais par des politiques concrètes. De différenciation.
D’association. De clarification. Je veux les associer en lançant dès cet été
une grande conférence des territoires où je veux de manière très concrète qu’on
regarde au cas par cas, qu’on ne se perde pas dans des débats de cathédrale.
- Faut-il reporter les élections départementales et
régionales ?
C’est un faux débat. Les débats institutionnels, il faut les
ouvrir, j’y suis prêt. Mais pensez-vous que ce serait bienvenu de la part du
Président de la République d’imposer lui seul ce report ? Ce n’est pas au
Président de trancher, seul, cette question. Si on va vers un nouveau big-bang
des collectivités territoriales et des transferts massifs de compétences, ça
peut prendre des mois. Est-ce la priorité alors qu’on aura des élections au
mois de mars et que le temps est à la reconstruction du pays ?
- On dit que vous souhaitez un gouvernement de combat :
qu’est-ce que cela signifie ?
Nous aurons peu de priorités : la relance de l’économie, la
poursuite de la refondation de notre protection sociale et de l’environnement,
le rétablissement d’un ordre républicain juste, la défense de la souveraineté
européenne. Oui, il faut toujours qu’il y ait de nouveaux visages, de nouveaux
talents. Des personnalités venues d’horizons différents. Le choix des hommes et
des femmes est important mais les ambitions pour le pays sont plus grandes que
nous, les institutions et leur calendrier s’imposent à nous.
- Vous pensez à la présidentielle 2022 ?
Je n’ai pas le droit de faire des calculs pour moi. Cela
voudrait dire de renoncer à prendre des risques utiles pour relancer
l’économie. Si on veut réconcilier sans agir, en étant un tacticien pour
soi-même, c’est une faute grave.
- Qu’avez-vous pensé du très mauvais résultat de la
République en Marche aux élections municipales?
Mon rôle n’est pas de commenter la vie politique française.
Le président de la République n’est pas un chef de parti. De là où je suis, je
félicite tous les maires que les Français se sont donnés et je veux travailler
avec eux.
- Quand, dans votre discours du 13 avril, vous avez employé
l’expression des «jours heureux», vous faisiez allusion au programme du Conseil
national de la Résistance. Mais votre «nouveau chemin» semble être beaucoup
moins ambitieux…
Nous sommes en train de bâtir un modèle de protection qui
n’a jamais existé; nous sommes en train de bâtir un modèle de formation sans
équivalent, notamment pour les jeunes; nous sommes en train de créer une
nouvelle branche de la protection sociale, celle de la dépendance ; nous sommes
en train de refonder l’hôpital comme il n’a pas été refondé depuis 1945; nous
nous donnons pour objectif de réindustrialiser le pays en réinventant un modèle
industriel écologique. Ces quelques chantiers montrent le caractère historique
de notre action. Simplement, ils ne se font pas du jour au lendemain. La France
des jours heureux, c’est d’abord la France des devoirs. Nos prédécesseurs qui
ont reconstruit le pays en 1945 avaient aussi l’esprit de conquête chevillé au
corps, le refus de la défaite. Cet esprit de défaite, je le vois trop souvent
rôder et ce n’est pas bon pour notre pays.
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