François Bayrou et Emmanuel Macron |
Il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que François Bayrou analyse la nouvelle donne politique pour faire avancer sa cause auprès du Président de la République et du Gouvernement et, évidemment, des Français.
La perte de la majorité absolue par LaREM à l’Assemblée nationale
qui donne, de fait, une importance inédite depuis le début du quinquennat aux
46 députés du MoDem et, donc à leur chef, permet désormais à Bayrou d’espérer
peser sur les principales décisions du pouvoir et non plus en un simple
visiteur du dimanche de l’Elysée.
Même le président du Mouvement démocrate avait déclaré que
cela ne changeait rien à l’alliance entre les deux partis et à son rôle – sans
que personne ne le croit –, il se trouve que les propos qu’il vient de tenir
sur BFMTV prouvent la contraire et qu’il entend bien, de manière soft dans un
premier temps, utiliser son nouveau pouvoir au sein de la majorité
présidentielle.
Ses critiques sur l’absence de réforme de l’Etat ainsi que
sur un pouvoir déconnecté du peuple, sans oublier celle sur l’interdiction de
rouvrir les parcs et les jardins parisiens et le soutien étonnant au professeur
Raoult dans sa controverse avec le ministre de la Santé, Olivier Véran (dont il
oublie de rappeler qu’il est aussi médecin…) montrent bien son intention de se
différencier du gouvernement actuel tout en pesant sur ses décisions et,
pourquoi pas, devenir le chef du prochain.
La tirade du centriste sur son absence d’ambition
personnelle, outre qu’elle fera rire tous ceux qui le connaissent, est
tellement surréaliste qu’on serait tenté de penser qu’elle est prononcée
justement pour affirmer le contraire.
► Voici les principaux
extraits de l’interview de François Bayrou à BFMTV
Jusqu'à présent et depuis le début du quinquennat, la
politique menée n'était pas forcément faite pour le peuple ?
Ce qui s'est passé depuis le début du quinquennat tout
le monde en voit bien les résultats. Il y a eu un effort de redressement qui a
fait que le chômage était en train de baisser et il y a une attente qui, pour
l'instant, n'a pas trouvé de réponse et cette attente est, à mes yeux, double.
La première, c'est que la France, notre pays retrouve une faculté de réagir
vite, d'agir vite, d'être capable de relever les défis qui sont les siens et
c'est probablement une question d'organisation de son pouvoir, de sa société. La
deuxième, c'est l'attente que toutes les catégories de la population, toutes
les catégories sociales se sentent associées à cet effort. Je ne sais pas ce
que l'on veut appeler «le peuple». Pour moi, le peuple, ce sont tous les
Français, quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent. Il y a des
Français qui sont en effet travailleurs, salariés, retraités, avec des petits
revenus et il faut que ceux-là également soient naturellement associés à cela.
Il y a des propositions, des projets sur ce sujet, que j'avais formulés à
d'autres élections présidentielles.
Lorsque l'on est dans un Gouvernement en action, aux
manettes, qu'il faut une politique pour le peuple, cela signifie-t-il qu'il
faut vraiment le dire, car ce n'était pas le cas ?
J'imagine que tout cela traduit des attentes, parfois
des insatisfactions, parfois des exigences. Il y a toujours dans un
Gouvernement, surtout dans les périodes de transition, des prises de position
qui sont des déclarations dont on voit très bien le sens.
Une offre de services, vous voulez dire !
Je n'emploie pas ce genre de mot, car cela appartient
à un autre vocabulaire. Vous voyez bien que tout cela signifie, en effet, que
c'est l'étape nouvelle que le Président de la République a définie en
disant : "Il faut que l'on change et il faut que je change".
Cette étape nouvelle, il est du devoir de tous ceux qui sentent la gravité de
la situation d'y prendre leur part. Alors, qu'il y ait des offres nombreuses
pour porter cette étape nouvelle, c'est très bien. Cela prouve que la conscience
progresse, mais j'imagine que ne seraient pas restées au Gouvernement des
personnes qui considéreraient qu'avant, la politique n'était pas pour le
peuple. Simplement, l'urgence et l'exigence de l'heure sont évidemment plus
grandes.
Vous-mêmes, vous pourriez être, à votre place,
quelqu'un qui compte dans cette nouvelle étape ? Vous aussi, vous feriez
des "offres de services", même si vous n'employez pas ce terme ?
Je n'ai jamais regardé l'avenir en pensant à moi-même,
en pensant à ma personne ou à ma carrière. Il y a – si vous me le permettez de
le dire – un bail que je ne pense plus en termes de carrière et, par ailleurs,
je suis, comme vous le voyez sur l'écran, enraciné dans une ville dont j'ai la
responsabilité et avec laquelle je me sens absolument en phase. Pour le reste,
je suis Président d'un courant important dans le pays, qui est important depuis
longtemps et qui est important dans la majorité et, à la tête de ce courant-là,
oui, je ferai tout ce que je peux pour que le pays assume les défis qui sont
posés devant lui aujourd'hui. Tout à l'heure vous évoquiez cette sidération
dont la France a été saisie. La vérité, ce n'est pas que la France seule a été
saisie. C'est la première fois dans l'histoire des hommes qu'un événement
bloque, congèle la totalité de la planète en même temps et dans un moment où,
comme vous le savez, les échanges de marchandises, de données numériques, de
capitaux et donc de femmes et d'hommes, ces échanges n'ont jamais été aussi
importants. C'est ce qui fait que l'événement que nous avons devant nous est
absolument sans précédent. Il est sans précédent dans sa réalisation, dans sa
réalité, mais surtout sans précédent dans ses conséquences. Il est très
important de prendre la mesure de cela.
Considérez-vous qu'aujourd'hui, avec les grandes
banques centrales qui rachètent la dette de grands États, ce n'est plus un
problème et que l'on peut laisser filer les déficits ? Sinon,
s'il fallait finir par augmenter les impôts, envisageriez-vous de nouvelles
taxations ? Faudrait-il rétablir l'ISF ? Qui mettriez-vous à
contribution ?
Je suis toujours battu contre la dette improductive,
contre la dette de fonctionnement, pour les dépenses de tous les jours. Je
trouvais anormal que ces dépenses de tous les jours, y compris les dépenses
sociales, quotidiennes, nous les fassions porter aux générations futures. Je me
suis beaucoup battu sur ce sujet, sans être toujours entendu par tout le monde,
comme vous savez. Pourquoi est-ce que je plaidais cette rigueur ? Pour que
nous puissions agir si une situation grave se présentait. Les États bien gérés,
ce sont des États qui font des économies quand cela va bien, pour pouvoir agir
massivement quand cela va mal. De ce point de vue, en effet, nous n'avons pas
été, gouvernements après gouvernements, sans aucune exception au travers du
temps, depuis vingt ou vingt-cinq ans, à la hauteur de cette exigence.
Estimez-vous que cette dette que nous sommes en train
de créer aujourd'hui est acceptable ?
Je pense que cette dette due au Coronavirus doit être
traitée et regardée de manière différente des autres. Pourquoi ? Tout
d'abord, le Coronavirus, personne n'en est responsable. D'habitude, les États
qui font des dettes, c'est parce qu’ils ne sont pas très bien gérés ou qu'ils
n'ont pas su organiser leur société et qu'ils sont obligés de tirer des chèques
en blanc ! Ce n'est pas du tout le cas de la situation dans laquelle nous
sommes. Aucun État, aucun pays n'est responsable de cette épidémie, même pas la
Chine, contrairement à ce que certains disent.
Ces dettes-là, on les laisse à la Banque centrale
européenne ? On la met au congélateur et on n'en parle plus ?
Si vous me le permettez, je vais aller jusqu'au bout
de mon idée. Tout d'abord, il ne faut pas traiter cette dette comme les autres.
Il faut l'isoler. Le verbe que j'emploie, c'est cantonner. Il faut la
cantonner, la définir précisément, savoir quel est son périmètre, ne pas en
profiter pour mélanger des dettes antérieures avec cette dette-là et il faut la
traiter avec la Banque centrale européenne, avec ce que je propose, à savoir un
différé d'amortissement de dix ans. Cela ne signifie pas que les États se
défont de leurs responsabilités. Je crois le contraire. Il faut que nous
assumions les dépenses que nous allons effectuer pour la société française,
pour faire repartir la société, comme les autres États doivent faire repartir
leur propre société. En effet, il y a une coresponsabilité.
Ne faut-il pas envisager une forme de contributions
des plus aisés à cet effort nouveau de solidarité ?
Selon moi, prendre la question par cet angle, c'est la
prendre mal. La question principale, celle qui doit dominer tous nos échanges
est la suivante : de quelle manière faire repartir l'activité du
pays ? Je ne crois pas que les impôts soient la bonne manière de faire
repartir l'activité du pays. Au contraire, assommer une société d'impôts nouveaux,
alors que nous sommes le pays le plus fiscalisé de tous ceux qui nous
ressemblent, assommer une société d'impôts nouveaux, c'est l'empêcher de
repartir. La question que nous devons traiter de manière obsessionnelle, c'est
rétablir la vitalité, l'activité, l'inventivité et la créativité de la France. Ce
pour quoi nous sommes dans une situation délicate, y compris en termes de
commerce extérieur, c'est parce que nous n'avons pas établi cette vitalité du
pays comme nous aurions dû le faire et parce que nous avons laissé partir un
certain nombre de centres d'activités et de décisions au travers du temps. La
France s'est, de ce point de vue, affaiblie et c'est la raison pour laquelle,
j'insiste – ce sera mon dernier mot sur le sujet – sur le fait qu'il nous faut
renouer avec l'obligation – autrefois, le Général de Gaulle évoquait l'ardente
obligation – de prévoir et de se fixer des objectifs. Le marché tout seul ne
peut pas répondre aux impératifs d'une nation. Il faut qu'une nation soit
capable de donner sa liberté et sa créativité au marché et, en même temps,
qu'elle soit capable de dire: "Voilà les objectifs que nous nous
fixons, voilà ce que nous voulons atteindre en termes, par exemple,
d'autonomie, de souveraineté sur un certain nombre de productions". Nous
venons de le voir, nous ne pouvons pas abandonner la production de médicaments
et baisser les bras sur quelque chose de vital si un pépin arrive dans une
société.
Production et question de l'emploi : le
dispositif d'accompagnement du chômage partiel va commencer à être réduit
progressivement dans quelques jours, en juin. Estimez-vous qu'il faille un
maintien exceptionnel ? De manière plus générale, faut-il que le
Gouvernement trouve des moyens de contrainte en matière d'emploi par rapport
aux entreprises ?
Je n'ai jamais beaucoup cru à la contrainte et à son
efficacité. Je pense que c'est un sujet que nous devrons partager du point de
vue national, à savoir les entreprises, les organisations professionnelles, les
syndicats, le Gouvernement et, grosso modo, la société française. En effet,
nous sommes dans un moment où il faut préserver notre outil de production, nos
entreprises et l'emploi. Je pense – tout le monde pense à eux – aux
restaurants, aux bars, aux artisans, à un certain nombre de commerçants et je
pense évidemment aux grandes entreprises pour qu'elles ne saisissent pas, ou
qu'en tout cas, cette situation ne soit pas, pour elles, l'occasion de
destruction d'emplois comme nous pourrions le craindre.
Qu'attendriez-vous, par exemple, de l'État pour aider
véritablement Renault ?
Pour aider Renault, vous me permettrez de ne pas me
déclarer compétent étant donné la précision de ce sujet.
Qu'attendez-vous de l'État actionnaire ?
L'État actionnaire, j'attends qu'il joue son rôle et,
celui-ci, je le définis en quatre mots : "Gouverner, c'est prévoir",
c'est-à-dire une capacité à voir les risques qui se présentent dans l'avenir et
dieu sait qu'ils sont importants – je pense aux transports aériens, au
tourisme, à l'automobile – et que l'État, avec les entreprises, définisse ce
que doit être l'attitude de l'État et de la puissance publique dans un moment
aussi grave que celui que nous allons vivre. C'est vrai pour les très grands,
mais c'est vrai pour les très petits. Vous me permettez d'avoir une
préoccupation dirigée vers les plus petits, car le vrai tissu, en tout cas une
part importante du tissu économique du pays, ce sont les petits. On se focalise
toujours sur les très grandes entreprises avec un succès, comme on le sait,
mitigé, mais la vérité est que les petits et les moyens, c'est cela l'essentiel
ou en tout cas une part importante du tissu économique du pays.
Craignez-vous concrètement une hécatombe en matière de
faillites et d'emplois dans les mois qui viennent.
Oui, je crains une situation critique. Je crains que
beaucoup d'entreprises ne soient déstabilisées au point d'envisager de
"baisser le rideau". Oui, je le crains franchement de ce point de
vue, mais ce n'est pas seulement le cas en France. Regardez ce qui se passe en
Italie, en Espagne, en Belgique ou autour de nous, en Grande-Bretagne et aux
États-Unis. Dieu sait que la situation sanitaire dans ces pays déborde sur la
situation économique et la situation des entreprises. De ce point de vue, le
Gouvernement a raison de dire que préserver, cela doit être un des verbes qui
nous serve de ligne de conduite aujourd'hui, car, quand une entreprise baisse
le rideau, après, pour repartir, c'est terriblement difficile.
Un mot sur la polémique qui repart sur
l'hydroxychloroquine après la publication d'une étude dans la revue The Lancet.
S'agit-il de médecine ou de politique ? Avez-vous, vous-même, une
position ?
Ma position, c'est que les médecins devraient se voir
reconnaître une liberté de prescription réelle parce que c’est en conscience
qu’ils décident de soigner. Ils lisent les publications scientifiques aussi
bien que tous les spécialistes, et notamment que ces spécialistes récents que
sont les journalistes et les politiques. Ils sont à même de faire leurs
choix. Nous sommes devant une maladie qui n'a pas de traitement clairement
défini. J'avoue que je ne comprends pas la guerre de religion autour d'un
traitement médical proposé par les uns et rejeté par les autres. Cela ne
devrait pas être une affaire de guerre de religion, cela ne devrait pas
déchaîner des passions aussi agressives que celles qui sont là. J'aurais
tendance à dire : "Je fais confiance aux médecins. Ils sont formés
pour cela, y compris les médecins de terrain". Je ne fais pas de
différence entre les différents niveaux d'intervention médicale. Ils sont formés
pour cela, ils ont une conscience, ils ont tous prêté le même serment. J'aurais
tendance à leur faire confiance devant une maladie qui n'a pas de traitement,
car la médecine avance comme cela, par essais et corrections, lorsque l'on
s'aperçoit que ce n'est pas juste. Je suis toujours un peu mal à l'aise,
lorsqu'une autorité supérieure, celle de l'État dit : "Voilà ce
que vous devez prescrire et voilà ce que vous ne devrez pas prescrire".
Quand il y a, parlons très franchement, un médecin
comme Didier Raoult qui parle de l'hydroxychloroquine, que, parmi des
études différentes, certaines remettent en cause, par exemple, ce traitement et
le Ministre de la Santé qui demande à l'autorité sanitaire du médicament de
décider de manière centralisée de changer le protocole, vous estimez que c'est
une prise de décision centralisée excessive ?
Je trouve que la société française souffre d'une
centralisation excessive. C'est vrai pour la totalité de l'organisation
administrative, y compris dans le domaine de la santé. C'est vrai dans la
totalité de l'organisation de l'État. C'est vrai dans le rapport entre l'État
et les collectivités locales. Tout cela, c'est le même syndrome et chacune des
crises différentes est un symptôme. Regardez ce qui vient de se passer dans
cette épidémie. Nous avons découvert tout d'un coup qu'au fond, la ligne de
défense la plus efficace, l'action la plus efficace, c'était celle décidée au
plus près et, tout d'un coup, les maires – j'en suis un, alors permettez que je
m'exprime une seconde en leur nom – qui, hier, se voyaient bloqués,
verrouillés, limités dans leurs actions par une autorité, tout d'un coup, les
autorités supérieures ont été obligées de s'en remettre à l'action locale. Si
nous avions attendu l'État pour avoir des masques, et bien nous aurions pu
attendre longtemps et, encore aujourd'hui, nous n'en aurions pas. À Pau, nous
avons donné quatre masques réutilisables à chacun des Palois qui le
souhaitaient. Cette nécessité-là de faire confiance au terrain, c'est valable
pour les collectivités locales, c'est valable pour les entreprises, c'est
valable pour les médecins, à mes yeux, en tout cas.
Au-delà du débat sur le traitement, Didier Raoult
relativise la pandémie. Il dit que nous avons paniqué, que nous en avons fait
trop, que nous avons peut-être même été victimes de la peur elle-même, que nous
ne supportons plus le risque. A-t-il raison ?
Je pense qu'il y a du vrai dans ce qu'il dit, mais il
se trompe sur un point, c'est qu'il n'y a pas un État moderne au XXIème siècle
qui puisse affronter sans émotion, sans s'en faire, la disparition de centaines
de milliers de ses citoyens. Personne. Dans chaque famille, l'émotion est telle
que cela crée une vague de rejet pour les gouvernants s'ils ne font rien. Regardez,
Boris Johnson a essayé et qu'a-t-il été obligé de faire ? Il a été obligé,
lui-même, de changer la politique qu'il avait définie et l'ironie de
l'histoire, c'est qu'il a lui-même été atteint. Qu'a fait Donald Trump ?
Il a commencé en disant que tout cela n'avait aucune importance, que le pays
pourrait bien le supporter et il a été obligé de changer sa politique. Ceci se
passe dans tous les pays. Il y a des dictateurs, comme Jair Bolsonaro au
Brésil, qui disent : "On s'en fiche", mais il n'y a pas
un pays démocratique dans lequel un Gouvernement puisse dire à ses
citoyens : "Des centaines de milliers d'entre vous vont mourir,
mais ce n'est pas grave, nous n'avons pas à tenir compte de cela".
Sauf que nous n'en sommes pas à des centaines de
milliers !
Nous en sommes heureusement à des chiffres plus
limités, car il a été décidé d'un confinement le plus strict qui n'ait jamais
été décidé, en tout cas de mémoire d'homme sur l'ensemble de la planète et cela
a joué un très grand rôle pour ralentir ou arrêter l'épidémie. C'est du bon
sens.
Il existe un problème de réactivité dans les décisions
prises et un problème de cohérence. Nous constatons aujourd'hui que, dans les
zones rouges, les cérémonies religieuses sont à nouveau autorisées, que les
centres commerciaux peuvent être ouverts, mais que les parcs et jardins sont
toujours fermés. Comprenez-vous un peu que les Français
s'interrogent sur la cohérence de toutes ces décisions ?
Les Français, je ne sais pas, mais, moi, je
m'interroge sur la cohérence. Cette histoire des parcs et jardins constitue,
pour moi, une grande interrogation. Les études se multiplient – la plus récente
date d'il y a moins d'une semaine sur des dizaines de milliers de cas, il y a
une étude en Chine, aux États-Unis – et aboutissent à un élément simple: 95 %
des contaminations se font dans un lieu clos. Si vous avez des masques, alors
le pourcentage de contamination est de 1 % ou 2 %. Le plein air
constitue donc une défense contre la contamination. Dans ce cas, pourquoi ne
pas ouvrir les espaces les plus larges en vérifiant et en faisant attention à
ce que l'on maintienne les distances de sécurité entre ceux qui visitent ces
lieux-là ? Franchement, ce n'est pas dans les parcs et jardins que l'on va
rencontrer le plus grand risque épidémique. Le plus grand risque épidémique,
c'est dans un lieu clos. Le Président de la République me racontait l'autre
jour à quel point il avait été frappé par le fait que, sur le Charles de
Gaulle, avec pourtant des recyclages d'air, des traitements, des filtrations,
il y a eu plus de 30 % de contamination. Il n'y a pas 30 % de contamination
dans les parcs et jardins.
Si vous en parlez avec le Président, pourquoi les
choses ne changent-elles pas ?
Car nous sommes une société, une organisation
politique où ce n'est pas la voix d'un seul qui tranche contre tout le monde,
contre les autorités sanitaires et contre le Gouvernement.
Tant mieux ou tant pis ?
Quelques fois, je souhaiterais que cela aille plus
vite, mais je reconnais avoir peut-être, de ce point de vue, une faiblesse. Le
Gouvernement a la décision entre les mains, le Parlement a une partie de la
décision entre les mains. Les autorités sanitaires ont une influence sur la
décision. Quoi qu'il en soit, il me semble que ce que je dis est de bon sens.
La contamination se fait pour 95 % dans des espaces clos et le port du
masque l'arrête. Ouvrons donc les espaces de grand air, car ils
constituent une défense contre l'épidémie.
Le Président est-il dans son rôle quand il téléphone à
Jean-Marie Bigard pour lui demander son avis concernant la
réouverture des bars, comme il semble l'avoir fait cette semaine ?
Je ne crois pas que le Président de la République
doive être Jupiter capitolin, comme on le disait en latin. Je ne
pense pas qu'il doive être tout à fait là-haut, au sommet de la montagne, qu'il
doive être dans son empyrée, comme on disait dans le beau français
de l'époque classique. Je ne crois pas que le Président de la République doive
être coupé de tout et j'approuve chaque fois qu'il parle avec les uns et les
autres, avec les différents acteurs de la société, car c'est comme cela que
l'opinion se fait. Il est allé voir le Pr Raoult. J'ai pensé que c'était
bien. Cela ne signifie pas qu'il a pris parti pour une thèse ou une autre, mais
il a des capteurs, il s'informe. Tous les Présidents de la République ont eu
des capteurs, vous croyez que, lorsque François Mitterrand parlait avec
Roger Hanin, c'était uniquement dans le cadre des liens familiaux ?
Pas du tout, c'était un capteur de la société, tout comme l'était Marguerite
Duras. Je ne confonds naturellement pas Jean-Marie Bigard et Marguerite
Duras, mais ce sont des capteurs de la société. Il faut cesser d'imaginer que
le Président de la République doit être coupé de tout. Je crois exactement le
contraire et je pense, d'une certaine manière, que, dans la période précédente,
dans les trois premières années du quinquennat, l'organisation des choses l'a,
au fond, trop séparé de la société. J'ai aimé lorsque, face à cet événement si
important des gilets jaunes, il a "pris le taureau par les cornes",
si j'ose dire, et il est allé directement parler avec les contestataires ou les
responsables pour avoir un échange direct avec eux, dont il est sorti plus de
choses positives – et j'espère qu'on les reprendra – que s'il était resté
enfermé à l'Élysée avec des cordons de CRS autour. Je ne suis pas pour
l'isolement. Je suis pour la dimension historique. Je suis pour ce que
les Romains appelaient la gravitas, la gravité. Le Président de la
République, ce n'est pas quelqu'un qui s'expose à des gestes ou à des attitudes
de saltimbanques. C'est quelqu'un qui, à chaque instant, a la notion de sa
mission, mais il ne doit pas être coupé des Français, ni de leurs différentes
expressions, qu'on les apprécie où qu'on les apprécie moins.
Pouvons-nous enfin espérer une réforme de la santé
digne de ce nom qui, comme vous l'indiquez souvent, renverse la table et
remette enfin notre système de santé au niveau qui est théoriquement le sien,
sachant ce que nous dépensons en France pour la santé et connaissant la qualité
de nos personnels de santé, alors que nous traversions la crise la plus grave
de notre système sanitaire depuis la seconde guerre mondiale, avant même cette
épidémie de Covid19?
Si vous me permettez, je vais énoncer pour vous un
jugement minoritaire dans la majorité. Je pense que le Président de la
République a été élu en 2017 sur un engagement à l'endroit des Français qui
était de changer l'organisation du pays, le mode de gouvernement et la
structure ou l'architecture des pouvoirs en France. Il avait fait le diagnostic
– juste à mon avis et je l'indique car j'ai participé à la campagne électorale –
que là était une faiblesse, que là était une des raisons des blocages du pays
et, au fond, la promesse explicite qui était dans tous les chapitres et
paragraphes de ses engagements, c'était que l'on allait s'attaquer à cela,
sachant qu'aucun Gouvernement jusqu'alors n'avait su apporter une réponse. Si
nous devons avoir un regret sur les trois années qui viennent de s'écouler,
c'est que l'on n'a pas mis cette volonté ou cet engagement pour changer
l'organisation des pouvoirs et la structure de la société française comme on
aurait dû le faire. On a, en effet, continué à gouverner avec des changements
bienvenus, mais à peu près comme on avait gouverné sur les vingt-cinq années
précédentes. Pour moi, cette organisation des pouvoirs, de la société, des
hiérarchies et les décisions que l'on doit prendre dans une société comme la
nôtre sont l'une des causes principales des difficultés que nous rencontrons. Par
exemple, je l'ai dit au début de cette émission, tant que l'on ne se décidera
pas à prendre en compte l'impératif de prévision, de plan si je veux employer
un mot comme il y avait avant, en définissant des risques et des chances et en
se fixant des objectifs, pas en décidant à Paris de tout, comme on le faisait
en Union soviétique, mais, au contraire, en rassemblant les acteurs pour leur
proposer des objectifs partagés, cela n'évoluera pas. J'ai cité l'objectif de
souveraineté sur des domaines essentiel. Concernant les médicaments, on ne peut
pas être perpétuellement dépendants de l'extérieur.
Une question concernant l'organisation des
municipales : nous nous rappelons que vous étiez opposé à la tenue du
premier tour des élections le 15 mars. Édouard Philippe vient de programmer le
second pour le 28 juin.Êtes-vous d'accord ?
J'étais, en effet, opposé à la tenue du premier tour à
la date indiquée, car, dire en même temps aux Français qu'ils ne devaient plus
sortir, mais qu'ils le pouvaient pour aller voter comportait une contradiction
intrinsèque et une incohérence dangereuse. Aujourd'hui, nous sommes en période
de déconfinement et nous allons essayer de retrouver une vie normale. Je pense
donc juste de respecter les engagements. Quels étaient-ils ? La loi votée
solennellement par le Parlement mentionne ceci : "S'il est
possible de le faire, il faut voter avant fin juin". Il semble que ce
soit possible. Tout le monde voit bien qu'il y a des éclaircies et que nous
commençons à voir un bout de ciel bleu, en espérant que cela ne changera pas et
qu'il n'y aura pas de ressaut de l'épidémie. Si c'est possible, il est donc
juste de voter avant fin juin. Comment mener campagne ? En respectant
autant que possible deux impératifs : ne pas mettre en danger la
santé de ceux qui participent à la campagne, candidats et citoyens et faire
preuve d'imagination. C'est pourquoi je voudrais plaider devant vous pour un
élément. Je propose, s'il y a des communes volontaires, que l'on puisse
expérimenter le vote par correspondance, utilisé en France pendant longtemps et
maintenant abandonné, et le vote numérique par Internet.
Faut-il une loi ?
Il est possible de voter par Internet pour les
associations de pêcheurs à la ligne, pour les organisations syndicales, pour la
totalité des consultations lorsqu'il s'agit de désigner des représentants et
que vous êtes, par exemple, enseignants. Rien n'est plus facile, me
semble-t-il, de garantir la sincérité du scrutin, puisque toutes les listes
électorales sont numérisées. Il suffirait donc que les citoyens envoient une
photocopie de leur carte d'identité ou de leur carte électorale pour qu'on leur
donne un numéro de code et qu'ils puissent voter. Le "blocage" de la
France sur le vote numérique par Internet me paraît une absurdité. Désormais,
cela s'impose partout. Chacun pourrait ainsi voter de chez soi sans prendre de
risques. Je suis certain que cela augmenterait la participation. Si l'État ne
veut pas le faire, qu'il accepte que certaines communes le fassent et, moi, en
tout cas, je propose, si l'État l'accepte, que la ville de Pau soit une de ces
villes faisant le choix d'un vote par Internet, ce qui rendrait la
participation beaucoup plus facile et beaucoup moins risquée pour ceux
craignant l'épidémie.
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