samedi 15 février 2020

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Quand les médias ne relatent plus les événements mais les créent eux mêmes

Ce n’est pas du domaine des «fake news» mais cela peut être aussi dangereux, voire plus, puisque cela concerne des médias qui devraient normalement dire la «vérité» ou, en tout cas, la réalité et non des officines ou des particuliers dont le but est de répandre des mensonges pour déstabiliser la démocratie.
De quoi s’agit-il?
A partir d’un fait plus ou moins mineur – voire d’une suspicion d’un fait, voire d’une simple rumeur d’un fait, voire même d’une information que l’on sait erronée ou que, tout simplement, on a inventé!) –, nombre de médias créent des événements qui n’en sont pas et donnent de la visibilité à quelque chose qui n’en avait pas la légitimité au regard de ce qu’est, a priori, la mission des journalistes, plus sûrement du journalisme.
Même si cette propension existait déjà par le passé, elle a pris des proportions critiques et dangereuses pour le fonctionnement de la démocratie.
Pourquoi ce phénomène?
Parce que dans un secteur fortement concurrentiel où il n’y a pas de place pour tout le monde (que ce soit pour les chaines d’information en continu, les quotidiens, les sites internet, etc.), il vaut mieux être constamment sous les projecteurs en diffusant de l’infontainement (information-spectacle) plutôt que de demeurer dans l’ombre en s’attelant à publier de l’information sérieuse.
Mais l’entreprise peut aussi être en même temps idéologique, voire simplement idéologique de la part de la presse d’opinion.
Dans ce dernier cas, on retrouve, en partie, le profil de la «fake news» ou, plus trivialement, de la propagande.
Or donc, pour être le centre du monde et faire le buzz, le mieux est de créer soi-même l’évènement dans le fond et dans la forme.
Parce qu’au lieu d’attendre l’événement et de partager sa diffusion avec d’autres, on est alors le seul à focaliser l’attention et la seule source où le public peut prendre connaissance de l’«événement».
On va ainsi dramatiser la situation, la romancer, faire du «storytelling» et on va l’habiller avec des titres accrocheurs et emphatiques et la mettre en avant, à la Une avec une place démesurée dans le temps ou la longueur qui lui est consacré.
Un des exemples récents les plus frappants ont été ces longs tunnels avec des bandeaux anxiogènes et racoleurs que les chaines d’info en continu ont consacrés au mouvement de foule des gilets jaunes même quand celui-ci ne concernait que des défilés de quelques centaines, voire quelques dizaines d’individus.
Mais c’est aussi ces titres de la presse écrite qui ne correspondent absolument pas à la réalité de l’événement relaté, voire même au contenu de l’article, pratique dénoncée par ceux-là même qui écrivent ou sont interviewés dans les articles en question…
La création d’événement doit également être reliée à l’apparition d’internet et à la bataille qui fait rage depuis entre la toile (en particulier les réseaux sociaux et les blogs) et la presse traditionnelle pour attirer le chaland.
Partant avec un lourd handicap dans ce domaine, la presse écrite a largement adopté largement les codes de (in)conduite du web et sa capacité manifeste à créer de manière artificielle le buzz.
Sans oublier que beaucoup de ceux qui travaillent désormais dans les médias ont été élevés et nourris avec ce même web quand ils n’ont pas commencé leur carrière professionnelle sur les sites internet et les réseaux sociaux ou en tenant un blog.
Tout cela se fait évidemment au détriment de l’information citoyenne, celle qui doit permettre à chacun de nous d’être capables de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de solution à cette dérive et il n’y en aura peut-être jamais parce que la liberté d’opinion donc d’expression donc de la presse est consubstantielle avec l’existence de la démocratie.
Dire à la presse ce qu’elle doit dire et comment elle doit le dire n’est pas une option.
Bien sûr, quand l’événement est inventé de toute pièce ou quand il met en cause faussement des gens ou des organisations, les tribunaux peuvent agir mais ils ne sauraient, sans risque pour la liberté, dire ce qui doit être mis en une et de quelle manière telle information doit être traitée.
On ne peut pas, non plus, attendre quoi que ce soit d’un code de conduite initiée par les médias et dont on sait qu’il ne serait jamais appliqué par une partie d’entre eux.
Reste à renforcer le plus possible le service public d’information.
D’abord pour en faire un vrai service public.
Ensuite pour qu’il remplisse sa mission d’informer le citoyen du mieux possible sans être entrainé dans les dérives d’une information-spectacle ou une information-propagande.
Aujourd’hui, ce service public joue exactement avec les mêmes codes que tous les autres médias et a parfois des comportements pires ceux des entreprises commerciales que sont les médias privés.
La problématique décrite ici fait partie d’une question plus large du fonctionnement des médias dans une démocratie où la vigilance doit être constante pour assurer leur liberté mais aussi pour empêcher leurs dérives.
Voilà qui n’est pas une mince affaire.


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