Ce n’est pas du domaine des «fake news» mais cela peut être
aussi dangereux, voire plus, puisque cela concerne des médias qui devraient
normalement dire la «vérité» ou, en tout cas, la réalité et non des officines
ou des particuliers dont le but est de répandre des mensonges pour déstabiliser
la démocratie.
De quoi s’agit-il?
A partir d’un fait plus ou moins mineur – voire d’une
suspicion d’un fait, voire d’une simple rumeur d’un fait, voire même d’une
information que l’on sait erronée ou que, tout simplement, on a inventé!) –,
nombre de médias créent des événements qui n’en sont pas et donnent de la
visibilité à quelque chose qui n’en avait pas la légitimité au regard de ce
qu’est, a priori, la mission des journalistes, plus sûrement du journalisme.
Même si cette propension existait déjà par le passé, elle a
pris des proportions critiques et dangereuses pour le fonctionnement de la
démocratie.
Pourquoi ce phénomène?
Parce que dans un secteur fortement concurrentiel où il n’y
a pas de place pour tout le monde (que ce soit pour les chaines d’information
en continu, les quotidiens, les sites internet, etc.), il vaut mieux être
constamment sous les projecteurs en diffusant de l’infontainement (information-spectacle)
plutôt que de demeurer dans l’ombre en s’attelant à publier de l’information
sérieuse.
Mais l’entreprise peut aussi être en même temps idéologique,
voire simplement idéologique de la part de la presse d’opinion.
Dans ce dernier cas, on retrouve, en partie, le profil de la
«fake news» ou, plus trivialement, de la propagande.
Or donc, pour être le centre du monde et faire le buzz, le
mieux est de créer soi-même l’évènement dans le fond et dans la forme.
Parce qu’au lieu d’attendre l’événement et de partager sa
diffusion avec d’autres, on est alors le seul à focaliser l’attention et la
seule source où le public peut prendre connaissance de l’«événement».
On va ainsi dramatiser la situation, la romancer, faire du
«storytelling» et on va l’habiller avec des titres accrocheurs et emphatiques
et la mettre en avant, à la Une avec une place démesurée dans le temps ou la
longueur qui lui est consacré.
Un des exemples récents les plus frappants ont été ces longs
tunnels avec des bandeaux anxiogènes et racoleurs que les chaines d’info en
continu ont consacrés au mouvement de foule des gilets jaunes même quand
celui-ci ne concernait que des défilés de quelques centaines, voire quelques
dizaines d’individus.
Mais c’est aussi ces titres de la presse écrite qui ne
correspondent absolument pas à la réalité de l’événement relaté, voire même au
contenu de l’article, pratique dénoncée par ceux-là même qui écrivent ou sont
interviewés dans les articles en question…
La création d’événement doit également être reliée à
l’apparition d’internet et à la bataille qui fait rage depuis entre la toile
(en particulier les réseaux sociaux et les blogs) et la presse traditionnelle
pour attirer le chaland.
Partant avec un lourd handicap dans ce domaine, la presse
écrite a largement adopté largement les codes de (in)conduite du web et sa
capacité manifeste à créer de manière artificielle le buzz.
Sans oublier que beaucoup de ceux qui travaillent désormais
dans les médias ont été élevés et nourris avec ce même web quand ils n’ont pas
commencé leur carrière professionnelle sur les sites internet et les réseaux
sociaux ou en tenant un blog.
Tout cela se fait évidemment au détriment de l’information
citoyenne, celle qui doit permettre à chacun de nous d’être capables de prendre
des décisions en toute connaissance de cause.
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de solution à cette dérive
et il n’y en aura peut-être jamais parce que la liberté d’opinion donc
d’expression donc de la presse est consubstantielle avec l’existence de la
démocratie.
Dire à la presse ce qu’elle doit dire et comment elle doit
le dire n’est pas une option.
Bien sûr, quand l’événement est inventé de toute pièce ou
quand il met en cause faussement des gens ou des organisations, les tribunaux
peuvent agir mais ils ne sauraient, sans risque pour la liberté, dire ce qui
doit être mis en une et de quelle manière telle information doit être traitée.
On ne peut pas, non plus, attendre quoi que ce soit d’un
code de conduite initiée par les médias et dont on sait qu’il ne serait jamais
appliqué par une partie d’entre eux.
Reste à renforcer le plus possible le service public
d’information.
D’abord pour en faire un vrai service public.
Ensuite pour qu’il remplisse sa mission d’informer le
citoyen du mieux possible sans être entrainé dans les dérives d’une information-spectacle
ou une information-propagande.
Aujourd’hui, ce service public joue exactement avec les
mêmes codes que tous les autres médias et a parfois des comportements pires
ceux des entreprises commerciales que sont les médias privés.
La problématique décrite ici fait partie d’une question plus
large du fonctionnement des médias dans une démocratie où la vigilance doit
être constante pour assurer leur liberté mais aussi pour empêcher leurs
dérives.
Voilà qui n’est pas une mince affaire.
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