Mais quand ces mêmes règles sont utilisées pour des buts
essentiellement égoïste et clientéliste, d’opposition des uns contre les
autres, quand la liberté d’expression est instrumentalisée et devient une arme
pour menacer l’autre et lui dénier sa propre liberté de parole, quand on justifie
l’insulte et la violence comme modes d’expression légitimes alors qu’elles
nient l’existence même des valeurs démocratiques que l’on prétend défendre par
leur utilisation, alors elle devient un des pires systèmes de gouvernement
parce qu’elle dévoile les travers les plus exécrables et les plus hideux des
individus avec cet effet boule e neige qui peut devenir terrifiant.
Si l’on ne doit pas passer sous silence les succès évidents
de la démocratie, il convient, tout autant de ne pas se taire sur ses dérives.
Et ici, je ne parle même pas de la plus extrême, celle qui a
permis, en toute légalité «démocratique» de permettre à des dictateurs de
prendre le pouvoir par les urnes…
La démocratie est un système de gouvernement qui a des
objectifs bien précis: la liberté, l’égalité, la solidarité (fraternité), la
tolérance, le respect de la dignité de chacun par un gouvernement élu par la
majorité des citoyens et dont un des devoirs est de protéger les droits de la
minorité, le tout dans la sécurité et la paix civile.
Cette mission ne peut être réalisée qu’avec la participation
et l’adhésion des citoyens.
Or ce qui fait la beauté de ce système est ce qui en fait
aussi sa faiblesse parce que les citoyens, s’ils sont garants de ses bienfaits,
sont également les complices de ses éventuelles dérives et perversion, soit
directement par un activisme et des comportements qui instrumentalisent les
bienfaits pour en faire des outils contre les valeurs mêmes de la démocratie,
soit de manière indirecte en laissant faire (et parfois en les soutenant) des
groupes subversifs qui s’attaquent frontalement ou dans l’ombre à ces mêmes
valeurs.
Parce que si la démocratie est légitime à revendiquer d’être
le régime «naturel», c'est-à-dire celui qui possède la légitimité ultime d’être
le modèle de gouvernement des humains, sa construction culturelle est une lutte
contre ce qui est le plus négatif de la nature humaine.
Ici, j’utilise l’adjectif «naturel» à la manière de Locke et
des libéraux: la démocratie est «naturelle» parce que c’est elle qui est le
mieux à même de réaliser les projets de vie des individus dans le cadre du
meilleur projet de vie collectif.
Mais l’on comprend bien qu’elle est, dans les faits,
totalement et complètement à la merci des «humeurs» de ses garants,
c'est-à-dire les citoyens.
Ceux-ci, en tant qu’entités créatrices légitimes de la
démocratie sont à même de l’appliquer correctement ou de la dénaturer, voire de
la supprimer.
Or, la dénaturation et la suppression ne devraient pas être
possibles si la démocratie est le régime naturel par excellence, parce qu’il
doit s’appliquer quel que soit l’envie ou la volonté des citoyens.
On touche là à une des fragilités constitutives de la
démocratie, sa dépendance au bon vouloir de ses garants alors même qu’elle doit
pouvoir garantir à chacun de ses membres le respect de ses valeurs quel que
soit la volonté d’une majorité, fut-elle de tous moins un, voire même de tous
au regard des générations futures.
Mais comment faire autrement que de donner le pouvoir aux
garants qui sont en même temps les bénéficiaires du système démocratique?
Si ces garants-bénéficiaires ne la soutiennent plus, aucune
loi, aucune action, aucune résistance n’est réellement possible devant
l’intention majoritaire ou unanime de l’abattre, que ce soit dans les urnes ou
par la violence.
De même, de la laisser en vie et de s’en servir contre les
valeurs mêmes qu’elle défend comme cela s’est déjà produit dans l’Histoire.
Que faire alors afin de permettre que le meilleur système
n’accouche pas d’un monstre comme ce fut le cas en Allemagne en 1933 ou qu’il
devienne une «dictacratie», ce mélange de régime autoritaire, de pratiques
populistes et de résidus de mécanismes démocratiques (que d’autres appellent,
improprement selon moi, «démocrature»)?
Retirer le pouvoir au «peuple», en tant qu’entité qui
incarne ceux qui bénéficient de la démocratie et qui en sont les garants n’est
évidemment pas possible même si cela serait souhaitable lors d’épisodes
critiques comme celui que je viens de citer.
Nous devons donc accepter la fragilité et la faiblesse
inhérente à la démocratie, savoir qu’elle est le meilleur régime et que son
dévoiement tourne rapidement au cauchemar.
Mais cette acceptation n’est pas et ne doit pas être
renoncement.
Ainsi, la démocratie nécessite et nécessitera toujours un
activisme constant pour la défendre.
Une des grandes erreurs de beaucoup de ses défenseurs et de
ses prosélytes a été de croire que les bienfaits de la démocratie en feraient
un système indestructible «par nature».
Rien n’est plus faux
Dans leur analyse, ils avaient plus ou moins complètement
oublié que la liberté est un état qui nécessite la prise en charge par chaque
individu de la responsabilité de sa vie (en prenant les décisions qui vont, en
partie, en faire ce qu’elle va devenir) et celle de ses actes vis-à-vis
d’autrui.
Or, nombre de gens ne veulent pas de cette double
responsabilité qui les oblige et préfère le «cocon» de l’incapacité et de la
débilité tout en revendiquant malgré tout d’être le centre du monde et de
bénéficier entièrement des bienfaits sans en accepter les obligations inhérentes
qui y sont attachées.
Dès lors, tout en sachant que le pire est toujours possible
mais pas forcément inévitable, tous ceux qui défendent la démocratie doivent
faire en sorte de la promouvoir constamment, de la solidifier par la loi et par
des mesures concrètes comme la constante élévation du niveau culturel des
populations et, surtout, dans la réalisation effective des promesses contenues
dans ses valeurs tout en étant conscients que tout interférence inhérente à la
vie sur Terre sera généralement portée au passif de cette démocratie par ses
garants, le peuple.
Si la démocratie est ce gouvernement du peuple, par le
peuple et pour le peuple, elle ne doit jamais être laissée au bon vouloir du
peuple et à ses humeurs.
Plus facile à dire qu’à faire mais si l’on y parvient et
pour répondre à notre question, alors la démocratie est la plus belle chose.
Mais que la route semble encore longue.
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