Si les républicains ont toujours voulu présenter des
démocrates comme des dangereux gauchistes, voire des communistes infiltrés – la
véhémence de leurs attaques à l’encontre de Franklin Roosevelt est à ce titre très
caractéristique –, une stratégie systématique en ce sens a été mise en place
depuis les années 1990 lors de la présidence de Bill Clinton – en particulier avec
l’activiste Newt Gingrich, alors speaker de la Chambre des représentants – puis
a pris une dimension quasiment quotidienne lors de la présidence de Barack
Obama et est devenue désormais du domaine de l’hystérie.
Cette stratégie avait un objectif, faire en sorte de
diaboliser les démocrates pour que les électeurs – en particulier les
«independents» modérés – se détournent de ceux-ci par peur et rejet d’adjectifs
comme «liberal», «socialiste», extrême-gauche», etc. qui sont souvent des
épouvantails pour une partie de la classe moyenne notamment des petites villes
et des campagnes.
Pour ce faire, les républicains ont mis en place une
tactique à double détente: invectiver constamment les démocrates tout en
refusant toute collaboration avec des derniers et en menant, parallèlement, une
désinformation constante qui consistait à délibérément déplacer de manière
illégitime, le curseur politique qui leur permettait alors de placer les
démocrates à gauche en les accusant de dérive gauchiste et eux au centre-droit
tout en faisant en sorte de mener une politique de droite radicale voire
extrémiste.
Tout ceci a, d’une part, été bien expliqué par nombre de
politologues et politistes américains (avec, en particulier, un ouvrage
référence écrit par deux universitaires, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre
républicain, Norman Onrstein intitulé «It’s Even Worse Than It Looks: How The
American Constitutionnal Sytem Collided With The New Politicis Of Extremism»),
et d’autre part, bien fonctionné auprès, sinon du grand public, en tout cas de
nombre de médias qui se sont laissé prendre par cette propagande très simpliste
mais efficace.
Un autre but des républicains dans l’affaire était de
réellement radicaliser les démocrates, c'est-à-dire de faire en sorte de créer
une opposition dure de leur part en réaction à ces accusations et de permettre,
dans le même dans, à la gauche démocrate, de retrouver une légitimité en
démontrant l’inanité, selon elle, de la part des centristes du parti de vouloir
mener une politique équilibrée et consensuelle, surtout de continuer à
rechercher le compromis avec des républicains modérés (il est vrai de moins en
moins nombreux car éliminés systématiquement lors des primaires, les militants radicaux
et extrémistes étant, dans les deux partis, surreprésentés alors lors de ces
scrutins).
Et force est de reconnaitre que cette stratégie primaire a,
en partie, fonctionné.
L’opposition plus frontale des démocrates s’est bien
produite mais, non pas par leur radicalisation mais tout simplement parce qu’il
fallait s’opposer à des républicains devenus des radicaux et des extrémistes
dans leur majorité.
Néanmoins, cela a créé cette impression, reprise de manière
éhontée (et peu professionnelle) par nombre de médias, d’une radicalisation des
démocrates.
De même que la relégitimisation de la gauche démocrate, qui
était discréditée après ses multiples échecs électoraux (le plus cuisant étant
celui de leur candidat à la présidence en 1972, George McGovern, face à Richard
Nixon), s’est également produite ce qui a permis au socialiste Bernie Sanders (qui
n’est pas membre du Parti démocrate) d’être un concurrent crédible face à
Hillary Clinton lors des primaire démocrates de 2016 et qu’aujourd’hui pour les
primaires de 2020, ce soit le cas d’Elizabeth Warren (liberal de gauche) et du
même Sanders face au favori actuel, le centriste Joe Biden.
Ces deux candidats à la primaire et tout un mouvement très à
gauche à l’intérieur du parti (avec comme cheffe de file, entre autres, la
représentante de New York, Alexandria Occasio-Cortez, qui se définit comme
socialiste et qui est devenue l’égérie de tout ce qui est à gauche dans le
parti) sont, a priori, du pain béni pour les républicains, pour l’instant, et
pour Donald Trump en vue de sa possible (et cauchemardesque) réélection.
Dans la presse américaine, en tout cas, le débat est
désormais lancé ce qui est d’abord une victoire pour le Parti républicain mais
aussi pour tout ce que le pays compte de gens de gauche et tout cela au
détriment du Centre.
Ainsi, on a vu fleurir tout une série d’articles, de
reportages et d’enquêtes qui pointaient un déplacement vers la gauche du Parti
démocrate avec, en particulier, cette Une un brin provocatrice du New York
Magazine, titrée «When did everyone become a socialist?» (quand est-ce que nous
sommes tous devenus socialistes?).
Un des derniers du genre est paru dans le Washington Post
(et repris par CNN) et il qualifie Barack Obama de «conservateur», le
journaliste l’ayant écrit prétextant un changement dans le paysage politique du
pays pour caractériser l’ancien président alors que son centrisme est indiscutable!
Qu’en est-il donc, en réalité, de la soi-disant gauchisation
du Parti démocrate?
La réponse à question cette invite à une certaine nuance.
D’abord, il y a effectivement une vague de gauche qui a
émergé ces trois dernières années (mandat de Trump) avec, par exemple, une
hausse du nombre de militants des Democratic Socialists of America, elle est
avant tout extérieur au Parti démocrate.
Et si l’on parle du positionnement général du parti, il
semble que si déplacement il y a, il est relativement modéré.
Car si les démocrates aujourd’hui défendent une assurance
santé universelle, une augmentation significative des salaires, des impôts plus
élevés pour les riches et les ultras-riches, des protections pour certaines
minorités, le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est essentiellement
parce que les républicains ont adopté des législations très à droite qui ont
largement été désastreuses pour les plus pauvres et les classes moyennes.
Toutes les positionnements que l’on vient de citer sont
défendus par les centristes dans une vision de juste équilibre et de
méritocratie ainsi que de liberté de l’individu qui sont ici remis en cause par
les radicaux et les extrémistes républicains.
En revanche, on peut dire que la gauche démocrate a retrouvé
des couleurs mais est également capable d’influencer la ligne politique du
parti, souvent à la marge, parfois de manière plus évidente.
Et, c’est vrai également, qu’elle tente d’exercer une forte pression
sur la direction du parti pour que celle-ci épouse leur idéologie.
Néanmoins, le Parti démocrate reste encore une formation de
centre-gauche avec un fort courant centriste libéral et progressiste (au sens
français des termes).
Cependant, une gauchisation n’est pas à exclure si le
candidat démocrate désigné lors des primaires était un centriste et ne
parvenait pas à battre Donald Trump lors de l’élection générale de 2020 (Actuellement,
Joe Biden possède 11 points d’avance sur Sanders dans la moyenne des sondages concernant
les primaires et 13 points sur Trump dans le dernier sondage sur la présidentielle).
Car l’«accident historique» de 2016 n’en serait plus un et
impliquerait – peut-être pour le pire – un examen de conscience des démocrates
qui pourraient les déporter vers une gauche plus appuyée voire radicale, ce qui
pourrait les éloigner du pouvoir pendant longtemps alors même que la
démographie électorale joue en leur faveur.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC