L’avenir du Centre en Espagne est-il
en jeu?
Cette question n’est pas seulement
rhétorique alors que le 10 novembre le parti centriste Ciudadanos vient de connaître
une débâcle sans précédent depuis sa création en mars 2006 puis son entrée au
Parlement en 2014 et que, dans la foulée, son leader historique et fondateur, Albert
Rivera, a non seulement démissionné de son poste de président mais aussi de
député, affirmant quitter la vie politique.
Pour bien visualiser celle-ci,
Ciudadanos a perdu lors du scrutin de dimanche dernier par rapport à celui d’avril,
soit en six mois, plus de 60% de ses électeurs (6,1% des voix contre 15,7%) et 82%
de ses députés (10 contre 57)!
Ce désastre politique vient
essentiellement d’une impossibilité pour les Espagnols de comprendre la logique
partisane du parti qui n’a pas su, à la fois, expliquer avec la conviction
suffisante celle-ci et le sentiment qu’il trahissait ses valeurs centristes.
Il est une sorte de victime –
consentante, malheureusement – du chaos de la situation politique que vit l’Espagne
depuis plusieurs années où corruption, populisme, extrémisme, esprit partisan primant
sur l’intérêt national et pression constante des indépendantistes dans de nombreuses
régions (en particulier en Catalogne, d’où est issu Ciudadanos) s’intriquent
entre eux pour créer un mélange détonant.
Ainsi, alors que le bipartisme
semblait avoir remporté le combat avec deux grandes formations, le PSOE (Parti
socialiste ouvrier espagnol) et ce qui est devenu le PP (Parti populaire), les
scandales sur fond de crise économique agrémentés par des décisions
désastreuses (comme celle qui créa la crise immobilière sans précédent)
permirent, non seulement, aux centristes de réexister (ils avaient dirigé le
pays après la démocratisation voulue par le roi Juan Carlos suite à la mort du
dictateur Franco grâce à L’Union du centre démocratique et son leader, Adolfo
Suarez) alors qu’ils avaient pratiquement disparu du paysage politique, mais
aussi à l’extrême-gauche populiste de prendre son envol (avec Podemos) et,
depuis peu, à l’extrême-droite nostalgique du franquisme de revenir en force (avec
Vox qui est désormais la troisième formation du pays).
D’un bipartisme on es passé en
quelques années à un multipartisme éclaté (car il faut aussi compter les
mouvements nationalistes indépendantiste).
Les positions forte de Ciudadanos
pour une société de liberté, contre la corruption généralisée (d’où son appellation
de «Citoyens» pour se distinguer des partis classiques), pour un libéralisme
social et, surtout, pour l’absolue défense de l’intégrité du pays face à tous
les mouvements indépendantistes, lui avaient attiré de nombreuses sympathies et
soutiens.
Son jeune leader (en 2006, il
avait alors 26 ans et en a aujourd’hui 39), l’avocat catalan, Albert Rivera
permit grâce à sa jeunesse et son dynamisme d’en faire en quelques années la troisième
force du pays et, pour beaucoup, la prochaine à diriger le pays.
C’est sans doute cet emballement
qui a été une des causes de la chute.
Car Ciudadanos s’est voulu gardien
du temple démocrate et républicain face à des manœuvres politiciennes indignes
des autres partis (ce qui était tout à son honneur et à l’esprit de sa
création) mais s’est retrouvé coincé dans des contradictions dont la formation
centriste n’a pu sortir.
Ainsi, plus proche de la social-démocratie
du PSOE que du conservatisme traditionnel du PP, Ciudadanos a refusé d’envisager
de gouverner avec les socialistes parce que ceux-ci, non seulement, faisaient
les yeux doux à l’extrême-gauche avec lesquels ils ne partagent pas grand-chose
et qui, pour faire un gouvernement, faisait du chantage aux postes, mais
essayaient également de s’entendre avec des mouvements indépendantistes afin d’avoir
une majorité au Parlement, notamment avec ceux de Catalogne.
Pour Albert Rivera et ses troupes,
il s’agissait de deux lignes rouges que l’on peut comprendre venant d’un parti
centriste.
Cependant, dans cette opposition
frontale au PSOE, Ciudadanos s’est voulu aussi un parti responsable qui se
devait de montrer ses capacités à gouverner.
Il s’est alors tourné vers le PP
pour des «pactes de gouvernement» dans des régions et des municipalités sur des
programmes qui n’avaient rien de scandaleux.
Sauf que pour occuper le pouvoir
dans ces collectivités territoriales, les centristes et les droitistes avaient
besoin de l’appui (ou de la non-opposition) de l’extrême-droite.
Rivera a toujours affirmé qu’une
autre ligne rouge était un accord avec Vox.
Mais cela n’a pas été le cas pour
le PP.
Et dans un jeu politique qui a
semblé être une tambouille politicienne peu ragoûtante, le PP a négocié avec
Vox, puis obtenant son appui, a formé une alliance avec Ciudadanos qui, lui,
affirmait qu’il n’avait rien négocié avec l’extrême-droite!
Si techniquement cela était vrai
et que Ciudadanos n’a vraiment aucune accointance avec les admirateurs de
Franco, dans les faits, ces alliances avaient été permises par ces derniers qu’on
le veuille ou non.
Le refus de gouverner avec les socialistes
afin d’éviter une énième crise politique et celui d’accepter tacitement l’aide
de l’extrême-droite pour gérer régions et mairies ont été très mal perçus par
les Espagnols et, surtout, par les électeurs de Ciudadanos qui lui ont fait
payer dans les urnes ce qui ressemble à une inconséquence alors même que les
valeurs sur lesquelles s’appuie le parti sont bien centristes.
Cette dégringolade pourrait
signifier un effacement du Centre pour un bout de temps (comme ce fut le cas
des Liberal democrats au Royaume Uni après leur passage pitoyable au pouvoir
dans une alliance entre leur leader Nick Clegg et le conservateur David
Cameron) voire un retour à la case groupusculaire...
Cependant, à l’issu des élections
de dimanche, rien n’est réglé en Espagne puisque, si les socialistes ont gagné
le scrutin, ils ne bénéficient toujours pas d’une majorité et que le PP s’est
renforcé sans oublier que Vox, désormais, devance Podemos.
D’où de nouvelles batailles
politiques en perspective qui pourraient remettre en selle – même si cela sera
difficile à court terme – des centristes aujourd’hui désemparés.