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L'âne, emblème du Parti démocrate |
Alors que l’ancien
maire de New York et centriste revendiqué, Michael Bloomberg, est proche de se
lancer dans la course à la primaire du Parti démocrate pour la présidentielle
de 2020 et que la procédure de destitution du président commence concrètement
cette semaine à la Chambre des représentants avec les «hearings» (dépositions
et témoignages) publics dans l’affaire ukrainienne, les démocrates mais aussi
les «pundits» (experts) et les médias bataillent pour savoir quel serait le
meilleur profil du candidat du Parti démocrate pour battre Donald Trump.
Si les derniers
sondages permettent à tous les prétendants sérieux (Biden, Warren, Sanders,
Buttigieg, Harris et maintenant Bloomberg) de le devancer largement en terme de
voix, rappelons pour ceux qui ont manqué le dernier épisode en 2016, que
l’élection présidentielle américaine se joue Etat par Etat, chacun d’eux
délivrant un nombre de délégués, les «grands électeurs», qui élisent dans un
scrutin à deux échelons d’un autre âge (et dont la justification, empêcher un populiste
démagogue d’accéder à la Maison blanche s’est avéré complètement illusoire!) le
nouveau chef de l’Etat.
Ainsi, avec près de
trois millions de voix de retard sur Hillary Clinton, Trump l’avait emporté car
il avait gagné ce que l’on appelle des «key states» (les Etats-clés) voire des
«swing states» (les Etats qui ne votent pas toujours pour le candidat du même
parti qui sont de plus en plus rares, donc de plus en plus importants) comme
ceux de Pennsylvanie, du Michigan ou du Wisconsin avec seulement quelques
milliers de voix d’avance dans chacun d’eux…
Dès lors, si les
marges sont devenues énormes (mais nous sommes à un an de l’élection qui aura
lieu le 3 novembre 2020 et rien n’est évidemment figé) où le candidat démocrate
possède entre 17 point d’avance comme c’est le cas de Joe Biden et 6 points
pour le nouveau venu Michael Bloomberg, certains candidats ont de mauvais
sondages dans ces Etats qui feront l’élection, seul, en l’occurrence, Biden
possède actuellement des scores qui lui permettent de devancer facilement
Trump.
Du coup, se pose la
question récurrente depuis maintenant près de cinquante ans (et la défaite
cinglante du social-démocrate George McGovern face à Richard Nixon en 1972) de
savoir s’il faut présenter un candidat «liberal» (de gauche) ou centriste face
à celui du Parti républicain.
S’y ajoute désormais
et depuis la primaire 2016, la possibilité d’un candidat socialiste revendiqué
comme c’est le cas de Bernie Sanders qui avait été un concurrent sérieux à
Clinton.
Se surajoute les
questions de genre (femme ou homme), d’âge (les trois principaux candidats ont
plus de 70 ans), d’origine sociale (Biden est le seul à venir de la classe
ouvrières), de financement de la campagne, entre autres.
On voit ici ce que
l’on voit dans toute campagne électorale avec ses inconnues et ses évolutions
au fil du temps.
Il faut ajouter
immédiatement que l’on voit également le désarroi d’un Parti démocrate qui est
naturellement le favori (Trump n’a jamais été majoritaire dans le pays, que ce
soit lors d’élections, notamment lors de celles de mi-mandat où les
Républicains ont été laminés ou dans les sondages) mais qui ne peut oublier –
et comment le pourrait-il?! – la victoire improbable du démagogue populiste en
2016 qui les a laissés véritablement KO debout et dans un énorme questionnement
sur la stratégie à adopter.
Car, si Trump est
battu en 2020, on pourra se consoler (à peu de frais toutefois…) en disant qu’il
était un accident malheureux de l’Histoire et que le peuple américain s’est
ressaisi.
Mais s’il gagne…
Dès lors, choisir le
bon profil est une obsession et ce bon profil n’est pas tellement à chercher
dans qui propose le meilleur programme mais dans celui qui représente la bonne
personne par rapport aux critères que nous avons vu plus haut pour s’imposer
face à un personnage pour qui tous les coups foireux sont permis (sa possible
destitution en est la preuve pour avoir essayé de truquer la prochaine présidentielle).
Bien entendu, les
mesures que chacun des candidats annonce qu’il prendra s’il est élu sont
importantes mais ce qui compte avant tout est de savoir s’il est proche de la
base du Parti démocrate, des électeurs potentiels du Parti démocrate et des
classes moyennes et ouvrières tant en termes de personnalité, d’image, de
charisme et socialement parlant.
Une élection
présidentielle aux Etats-Unis (mais aussi en France) est d’abord le combat d’une
personnalité contre une autre avant d’être une confrontation d’idées.
On peut le regretter
comme l’auteur de ce texte mais c’est une réalité.
Si l’on prend le
critère de la base du parti, c’est plutôt un candidat «liberal» (style Warren)
ou socialiste (style Sanders) qui est favori, sachant que lors des primaires ce
sont les militants et les sympathisants les plus radicaux qui se déplacent pour
voter (comme c’est aussi le cas au Parti républicain).
Si l’on s’attache au
critère de l’électorat, comme le prouve les sondages, c’est avant tout
l’«électabilité», c'est-à-dire la capacité réelle à battre Trump qui est
privilégiée largement dans ses rangs et, ici, c’est Biden qui est préféré à
tous les autres candidats.
Quant au critère de
l’origine sociale du candidat, là aussi, Biden part avec un avantage car vient
de la classe ouvrière blanche, celle qui a voté en grande partie pour Trump
(dans une sorte d’illogisme perturbant, croyant qu’un milliardaire serait plus
proche de leurs problèmes et s’attaquerait vraiment à leur sentiment de
déclassement…) et que les démocrates veulent récupérer.
Si l’on analyse
maintenant les forces et les faiblesses de chacun des prétendants à
l’investiture, on s’aperçoit que l’âge est un problème sans en être un, dans le
sens où les démocrates regrettent que les favoris aient 70 ans ou plus mais que
face à Trump qui est de la même génération, cela ne sera pas un handicap réel.
A noter que les seconds
couteaux, eux, sont plus jeunes et peuvent donc espérer une sorte de choc à la
Kennedy, à la Clinton (Bill) ou à la Obama dans les mois qui viennent pour s’imposer
mais actuellement ce n’est pas le cas.
Cependant, l’âge
pourrait être un critère primordial si un des candidats montre des signes de
faiblesse dans son comportement et ses dires.
Ainsi, si tel n’est
pas encore le cas, on voit beaucoup des soutiens aux candidats de gauche
s’attaquer à Biden dont ils prétendent que ses propos ne sont pas toujours très
clairs, qu’il n’est pas capable de débattre sur le fond dans la durée et ils
suggèrent que ses gaffes – célèbres depuis des années – montrent des indices
d’une sorte de sénilité dont il serait atteint, le rendant impropre à occuper
le Bureau ovale.
Du côté de Warren et
de Sanders, c’est plutôt le côté idéologique qui est un de leur handicap dans
un pays où la philosophie dominante depuis William James et John Dewey est le
pragmatisme et où, même si l’on est pauvre et même si l’ascenseur social du
Rêve américain est un mirage depuis longtemps, on valorise la réussite sociale
et financière (d’où également la fascination et le soutien de la classe
laborieuse à Trump ou plutôt à la légende qu’il a construit sur sa réussite puisqu’il
n’est qu’un héritier qui, de plus, a fait faillite quatre fois!).
C’est pourquoi, leurs
programmes sociaux qui coûtent énormément chers et qu’ils veulent soi-disant
financer avec une taxe sur les riches (affirmant que les classes moyennes ne
paieront pas plus d’impôts) sont très critiqués par tous les autres candidats à
la primaire mais aussi par nombre d’experts qui les estiment irréalisables.
Quant à Pete
Buttigieg, le maire de South Bend dans l’Indiana et premier candidat
ouvertement gay, sa force est d’avoir le soutien de la communauté LGBT et d’une
frange progressiste du parti mais c’est évidemment sa faiblesse pour l’élection
générale même si l’élection du premier président noir en 2008 montre que tout
est désormais possible pour des candidats différents.
De son côté, Kamala
Harris bénéficie d’être issue de la communauté afro-américaine mais, malgré ses
efforts (et ceux d’un autre candidat noir, Corey Booker) celui qui attire à lui
la majorité du vote noir est Biden, et pas seulement parce qu’il a été le
vice-président de Barack Obama.
Ici se pose évidemment la question du genre.
Le précédent Hillary Clinton (battue lors de la primaire
démocrate par Barack Obama en 2008 et lors de la présidentielle de 2016 par
Donald Trump alors qu’elle avait, à chaque fois, gagné le vote populaire!)
n’incite pas à faire d’une femme, une favorite.
D’une part, parce que les défaites dont on vient de parler
demeurent encore un véritable traumatisme pour tous ceux qui espèrent qu’une
femme occupera bientôt le Bureau ovale et, d’autre part, parce que désigner une
femme sera une sorte de pari que prendront les démocrates et il s’agit de
savoir s’ils seront capables de le prendre au risque de faire réélire Trump.
Car rien ne dit que la société américaine, malgré les
sondages, soit prête à élire concrètement une femme à la tête du pays en 2020.
Ou plutôt le système électoral américain qui permet à des
Etats et des électorats conservateurs, voire réactionnaires de contrecarrer
cette évolution sociétale et politique qui semble pourtant évidente.
D’autant que des deux femmes qui ont une chance actuellement
de remporter la nomination, une est une «liberal» très à gauche et l’autre est afro-américaine.
Côté espoir, on peut faire le rapprochement avec l’élection
de John Kennedy alors que l’on estimait impossible au début des années 1960 la victoire
d’un catholique (d’un «papiste» disaient les protestants) et avec l’élection de
Barack Obama alors que l’on pensait qu’un noir ne serait pas élu avant des
lustres.
Reste que le fameux «plafond de verre» dont a tant parlé
Hillary Clinton à propos des barrières faites aux femmes n’a pas encore été brisé
et que rien ne dit qu’il le sera sans problème l’année prochaine.
En prenant en compte
le dynamisme de la campagne de chaque prétendant, ici, c’est plutôt les seconds
couteaux qui ont eu la faveur des médias et des sondages.
Mais si, aujourd’hui, cela
semble avantager Buttigieg, ce fut, auparavant, le cas pour Harris (mais son
«momentum» a disparu) et avant elle pour Beto O’Rourke qui vient d’annoncer
qu’il se retirait de la compétition…
D’où, d’une part, qu’il
faut se méfier de l’instant présent dans une telle campagne et, d’autre part,
qu’il faut avoir le momentum au bon moment comme ce fut le cas pour Jimmy
Carter, Bill Clinton et Barack Obama, en général lors des votes des premières
primaires.
Beaucoup de gens
reprochent à Biden sa campagne terne et peu enthousiasmante et se félicitent de
celle de Warren qui est certainement plus dynamique.
Reste que Biden
rassure un électorat modéré (les fameux «independents» centristes ou
non-radicaux), ce qui n’est pas le cas, ni de Warren, ni de Sanders qui partent
là avec un très gros handicap.
En effet, ces
électeurs seront ceux qui feront sans doute la différence dans les «key
states».
En fin de compte, il
est difficile de dresser le portrait-robot du meilleur candidat démocrate ou de
dire qui, des prétendants en lice est le mieux placé.
C’est sans doute pourquoi
Michael Bloomberg, après avoir affirmé qu’il ne se présenterait pas, a décidé
de concourir, estimant qu’il avait ses chances devant un parterre qui ne
soulevait pas l’enthousiasme dans l’électorat (même si sa haine viscérale de
Trump qui le lui rend bien a sans aucun doute été une motivation importante…).
Certains auraient même
le secret espoir totalement fou et complètement infondé d’une candidature
d’Hillary Clinton pour booster, selon eux, véritablement la campagne et les
chances des démocrates!
Toujours est-il
qu’actuellement, c’est bien Joe Biden qui est le favori parce qu’il possède le
plus d’avantages ou le moins de désavantages, selon que l’on voit le verre à
moitié vide ou à moitié plein.
Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard si Donald Trump a essayé de le salir en demandant au gouvernement
ukrainien de déclarer qu’il allait lancer une enquête sur sa prétendue
corruption et qui vaut aujourd’hui au président en place une procédure
d’«impeachment» (destitution) lancée par le Congrès.
Reste que lors des
dernières élections présidentielles, ce n’est pratiquement jamais le favori de
départ qu’il l’a emporté: Reagan en 1980, Clinton en 1992, Bush en 2000 et
2004, Obama en 2008 et 2012, Trump en 2016 étaient clairement les outsiders et
en sont les parfaits exemples.
Seuls George Bush père
en 1988 a déjoué cette règle.
Du coup, tout reste
ouvert même si l’on peut conclure en disant qu’un candidat centriste est
certainement celui qui aura le plus de chance de battre Trump.
A savoir s’il
s’appellera, in fine, Joe Biden, est une toute autre histoire…
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC