Emmanuel Macron |
Si la plupart des commentateurs se sont focalisés sur
les propos du Président de la République sur «la mort cérébrale de l’OTAN» qui
n’est qu’une constatation d’une réalité et la dénonciation d’un non-dit – en
particulier avec cette situation extraordinaire où, sans aucune concertation
avec ses alliés, Trump a laissé tomber les Kurdes, permettant un offensive des
Turcs (pourtant membre de l’organisation…) et le déploiement de troupes russes –,
ceux-ci sont plutôt tournés vers un message fort en direction de l’Europe pour
qu’elle prenne enfin son destin en main face à la nouvelle situation mondiale
et qu’elle devienne une vraie puissance et non plus simplement un espace
économique, ce que demandent depuis longtemps les centristes français mais
aussi européens, lucides sur les défis qui se présentent à l’UE.
Car si les Etats-Unis regardent de plus en plus vers
le Pacifique et que les décisions de Trump favorisent les autocrates et dictateurs
de tous bords, souvent ennemis de l’Europe, il ne faut pas oublier la montée de
la Chine et de son régime totalitaire qui a désormais, clairement affichées,
des ambitions hégémoniques, espérant devenir la première puissance mondiale à
l’horizon 2049, centenaire de la prise de pouvoir par les armes du Parti
communiste dirigé alors par Mao Tsé-toung.
Face à ce que l’on a appelé le «G2» (le partage du
monde entre les Etats-Unis et la Chine, expression tombée un peu en
désuétude ces derniers temps avant la politique inconséquente et incohérente de
Trump), Emmanuel Macron affirme que si les Européens ne prennent pas leur
destin en main, ils ne seront plus, demain, que des pions sans aucun pouvoir
face aux des mastodontes, n’ayant plus leur destin en main et ne pouvant plus
défendre leurs valeurs démocratiques.
Tout cela n’est guère nouveau comme s’en alarment depuis des
années l’ensemble des experts en géopolitique et en relations internationales
ainsi que de nombreuses personnalités politiques et des intellectuels parmi les
plus lucides.
A noter que cette interview est publiée alors
d’Emmanuel Macron revient d’un voyage en Chine où il a plutôt vanté le
partenariat avec le pouvoir communiste dirigé par le liberticide Xi Jinping, ce
qui peut être interprété comme un aveu de faiblesse de la France et de l’Europe
(voir d’un cynisme parfait) ou, a contrario, une volonté de construire une
relation de puissance à puissance.
Quant aux réactions à des propos, ils sont contrastés,
ce qui n’étonnera personne avec un rappel du secrétaire d’Etat américain que l’OTAN
compte beaucoup pour les Etats-Unis (mais que les Européens doivent
payer plus pour leur sécurité en achetant des armes… aux Américains!) et une
critique d’Angela Merkel, la chancelière allemande estimant qu’ils étaient trop
radicaux, l’Allemagne ayant toujours refusé jusqu’à présent de faire de l’Union
européenne une véritable puissance politique et militaire mondiale.
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
► Voici les principaux passages des propos d’Emmanuel Macron
à The Economist:
- [L’Europe a une] fragilité extraordinaire. [Elle] disparaîtra
si elle ne se pense pas comme puissance dans ce monde. Je ne crois pas
dramatiser les choses, j’essaye d’être lucide. L’Europe a oublié qu’elle était
une communauté.
- [Le danger vient du] désalignement de la politique
américaine du projet européen, et [de l’émergence de la puissance chinoise qui]
marginalise clairement l’Europe.
- Depuis soixante-dix ans, on a réussi un petit miracle
géopolitique, historique, civilisationnel: une équation politique sans
hégémonie qui permet la paix. (…) Mais il y a aujourd’hui une série de
phénomènes qui nous mettent dans une situation de bord du précipice.
- [l’Union européenne] s’épuise sur le Brexit.
- l’Europe a oublié qu’elle était une communauté, en se
pensant progressivement comme un marché, avec une téléologie qui était
l’expansion. [Il s’agit] d’une faute profonde parce qu’elle a réduit la portée
politique de son projet, à partir des années 1990.
- Notre grand allié [Les Etats-Unis] regarde ailleurs vers la
Chine et le continent américain.
- Pour la première fois, nous avons un président américain qui ne partage pas l’idée du projet européen,
et la politique américaine se désaligne de ce projet.
- [Il y a un] retour des puissances autoritaires, au
voisinage de l’Europe, qui nous fragilisent également très profondément.
- [Si les Européens n’ont pas] un réveil, une prise de
conscience de cette situation et une décision de s’en saisir, le risque est
grand, à terme, que géopolitiquement nous disparaissions, ou en tout cas que
nous ne soyons plus les maîtres de notre destin. Je le crois très profondément.
- Ce qu'on est en train de vivre, c'est la mort cérébrale de
l'Otan. Vous n'avez aucune coordination de la décision stratégique des
États-Unis avec les partenaires de l’Otan et nous assistons à une agression
menée par un autre partenaire de l'Otan, la Turquie, dans une zone où nos
intérêts sont en jeu, sans coordination. Ce qui s'est passé est un énorme
problème pour l'Otan.
- [Il faut] clarifier sans attendre les finalités
stratégiques de l'Alliance atlantique.
- Le président Trump, j'ai beaucoup de respect pour cela,
pose la question de l'Otan comme un projet commercial. Selon lui c'est un
projet où les États-Unis assurent une forme d'ombrelle géopolitique, mais en
contrepartie, il faut qu'il y ait une exclusivité commerciale, c'est un motif
pour acheter américain. La France n'a pas signé pour ça.
- [Article 5 du traité de l’Otan qui prévoit une solidarité
militaire entre membres en cas d’ attaque de l’un d’entre eux] C’est quoi
l’Article 5 demain? Si le régime de Bachar al-Assad décide de répliquer à la
Turquie, est-ce que nous allons nous engager? C’est une vraie question.
- Nous nous sommes engagés pour lutter contre Daech. Le
paradoxe, c'est que la décision américaine et l'offensive turque dans les deux
cas ont un même résultat: le sacrifice de nos partenaires sur le terrain qui se
sont battus contre Daech, les Forces démocratiques syriennes. L’Otan en tant
que système ne régule pas ses membres. Et à partir du moment où un membre sent
qu’il a le droit de suivre son propre chemin, il le fait. Et c’est ce qui s’est
passé.
- Nous avons besoin de plus d'expansionnisme, de plus
d'investissement (...) Je pense que c'est pour ça que le débat autour du 3%
dans les budgets nationaux, et du 1% du budget européen, est un débat d'un
autre siècle. Ce n’est pas le débat qui permet d’avoir cette politique. Ce
n’est pas le débat qui permet de préparer l’avenir. Quand je regarde notre
niveau d’investissement en intelligence artificielle, à comparer avec la Chine
ou les Etats-Unis, nous ne sommes pas dans la même division.
- Les Allemands sont les grands gagnants de la zone euro, y
compris avec ses dysfonctionnements. Aujourd'hui simplement il faut que le
système allemand intègre que cette situation n'est pas durable. A un moment donné
ils vont devoir repivoter.