Avant même la conférence de presse du 26 mars qui va
officialiser sa place de numéro un de la liste La république en marche,
Nathalie Loiseau, la ministre des Affaires européennes du gouvernement
d’Edouard Philippe, est donc la personnalité désignée pour conduire la majorité
présidentielle lors des élections européennes de mai prochain.
Le numéro deux de la liste est également connu, il s’agit de
l’écologiste Pascal Canfin, le directeur général de WWF, ancien ministre de
François Hollande et ancien député européen qui avait pourtant refusé le pose
de ministre de l’environnement après le départ de Nicolas Hulot du Gouvernement.
Lors d’un entretien au Figaro, Nathalie Loiseau a déclaré,
«c’est le moment de changer l’Europe» en ajoutant que «quand on a mes
convictions, on se dit qu’il faut mener le combat».
Voici ses propos:
Vous
avez répété à maintes reprises que vous n’étiez pas candidate. Pourquoi avoir
finalement sauté le pas?
Nous
vivons un moment historique pour l’Europe, dans un contexte où elle peut soit
se retrouver à l’écart des grandes transformations du monde, soit les subir,
soit en prendre le contrôle. C’est le moment de changer l’Europe. Quand on a
mes convictions, on se dit qu’il faut mener le combat.
Sur
la forme, beaucoup ont raillé votre déclaration de candidature à la télévision,
face à Marine Le Pen, et certains vous considèrent comme trop techno…
Je
me suis adressée aux Français, pas aux commentateurs! Je n’ai pas regretté
d’être montée sur le ring, là où beaucoup d’autres ne l’auraient pas fait. Ma
mue est faite. Et connaître l’Europe me paraît être un avantage plutôt qu’un
inconvénient.
Marine
Le Pen est-elle votre adversaire prioritaire?
Battre
le RN serait la première victoire. Je ne peux pas continuer à vivre avec le RN
premier parti de France au Parlement européen. En cinq ans, ils n’ont participé
à rien, ils ont fait le contraire à Bruxelles et Strasbourg de ce qu’ils ont
dit à Paris. Ce sont des sortants encombrants, qui ont affaibli la France. Ils
se sont servis, plus qu’ils n’ont servi les Français.
Entre
le projet européen proposé par Emmanuel Macron à la Sorbonne, qui semble
pousser à une intégration renforcée, et sa tribune publiée le 4 mars dans 28
pays, il y a des différences…
Ce
sont des débats d’exégète. Avec Emmanuel Macron, nous sommes pour une Europe
des solutions. Selon les besoins, les réponses peuvent être différentes. Prenons
l’exemple du renseignement: on vient d’installer un collège européen du
renseignement en faisant travailler ensemble des agences nationales. Cela
n’aurait aucun sens de créer une CIA européenne, ce serait un affaiblissement.
De l’autre côté, sur les questions fiscales, l’Europe est la bonne échelle pour
faire face aux Gafa. Ceux qui disent que l’Europe ne peut être qu’une addition
de souverainetés nationales sont sans doute heureux de voir qu’on n’arrive pas
à une position commune sur la taxation des géants du numérique, justement parce
qu’un pays tout seul peut tout bloquer sur les questions fiscales.
Le
président veut «remettre à plat Schengen». Concrètement, qu’est-ce que cela
signifie?
Nos
prédécesseurs ont fait disparaître les frontières intérieures et ne se sont pas
intéressés aux frontières extérieures. On ne peut pas continuer comme cela. Il
faut une police européenne et des frontières fortes. Frontex emploie 600 hommes,
c’est insuffisant. Il faut 10.000 personnes, pas pour se substituer, mais pour
compléter les polices nationales.
L’opposition
entre nationalistes et progressistes, chère à Emmanuel Macron au début de son
quinquennat, est-elle toujours opérante?
C’est
un état des lieux. Vous avez des populistes, des démagogues, qui viennent avec
du rejet et de la haine de l’autre comme projet politique. En face, vous avez
des progressistes qui ne sont pas satisfaits du statu quo, ni en France ni en
Europe. Vous avez enfin les «assis» de l’Europe, qui siègent depuis des années
à la tête de la Commission ou au Parlement européen – la droite traditionnelle –,
qui nous disent qu’il faut se protéger de l’Europe. Non, c’est l’Europe qui
doit nous protéger.
Quels
seront vos points d’appuis au Parlement européen?
Ceux
qui veulent transformer l’Europe parmi les démocrates, les libéraux, parmi les
sociaux-démocrates qui sont malheureux de ce qui se passe, parmi les élus du
Parti populaire européen (PPE) qui sont malheureux aussi. Dans la droite
européenne, on assiste à un raidissement ultraconservateur.
Annegret
Kramp-Karrenbauer, la présidente du parti conservateur allemand (CDU), souhaite
un siège permanent commun au Conseil de sécurité des Nations unies…
Le
traité d’Aix-la-Chapelle inscrit dans le marbre la position française
traditionnelle: nous sommes favorables à un siège de membre permanent pour
l’Allemagne au conseil de sécurité de l’ONU. En revanche, il n’a jamais été
question d’un quelconque partage du siège français. Annegret Kramp-Karrenbauer
est nouvelle en politique. Et je me garderais bien d’être dure avec une
nouvelle, l’étant moi-même! Il y a actuellement cinq membres de l’Union qui
siègent au conseil de sécurité. En quoi n’en avoir qu’un renforcerait l’Europe?
Le
siège du Parlement européen à Strasbourg, est-ce un sujet tabou?
Cette
ville est la capitale de la démocratie en Europe: elle accueille le Parlement,
le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme. Je suis
hostile à une Europe qui se racornirait dans une bulle, dans un seul endroit.
Ce n’est pas un hasard s’il y a plusieurs capitales, Luxembourg, Bruxelles,
Strasbourg ou Francfort, pour éviter l’entre-soi bruxellois. Pour la France,
comme le président de la République l’a déjà dit, le siège de Strasbourg n’est
pas négociable.
Que
dites-vous à Laurent Wauquiez, qui assure qu’Emmanuel Macron veut poursuivre
l’élargissement de l’union?
J’ai
un souvenir très précis de Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes,
qui a ouvert l’élargissement au Monténégro. Je me rappelle ses discours
enflammés en faveur de l’élargissement. Et j’ai un souvenir également très
précis de ce que j’ai fait, moi, en juin 2018, quand j’ai bloqué pendant huit
heures l’ouverture des négociations avec l’Albanie et la Macédoine. Je renvoie Laurent
Wauquiez aux actes.
Qu’est-ce
qui vous distingue du projet porté par François-Xavier Bellamy, qui se proclame
lui aussi européen?
Ce
que je vois sur les affiches, c’est le souci de rassembler Les républicains
autour de Laurent Wauquiez. Je n’entends pas un parti qui parle des intérêts
des Français en Europe. Ni lui, ni Raphaël
Glucksmann, ni Jordan Bardella ne nous avaient fait partager leurs
convictions européennes jusqu’à ce qu’ils deviennent têtes de liste. Moi, je
les porte depuis mon adolescence, depuis la présidentielle, depuis que je suis
ministre.
Marine
Le Pen veut créer une «alliance européenne des nations». Avec l’essor des
régimes populistes, elle ne manquerait pas d’alliés!
L’Union
européenne, c’est aujourd’hui une alliance de nations! Personne n’est jamais
forcé de faire ce qu’il ne veut pas faire. Ceux qui veulent sortir sortent… Ils
ont bien du mal, car ils ne savent pas où ils veulent aller. Il n’y a rien de
«carcéral», comme elle dit. Ce que dit Marine Le Pen se traduit par l’envie de
sortir de l’Europe. Elle parle beaucoup de recouvrer notre souveraineté monétaire:
cela s’appelle sortir de l’euro. Elle a parfaitement le droit de défendre ce
projet, mais dans ce cas il faut le dire aux Français. Elle préfère avancer
masquée. L’alliance européenne des nations est un projet de déclin.
Vous
faites allusion au Brexit…Quelle leçon en tirez-vous?
Il
faut tirer les leçons du référendum de 2016. C’était une campagne axée sur
beaucoup de simplismes, sur beaucoup de manipulations. On a dit aux
Britanniques que sortir de l’UE allait leur rapporter de l’argent, que rester
dans l’UE allait faire rentrer des millions de Turcs. Cela résonne étrangement
avec le fantasme de Madame Le Pen, qui voit 10 millions d’Algériens arriver en
Europe. Pourquoi la sortie du Royaume-Uni ne se fait pas plus vite? C’est le
fait des Britanniques, qui ne savent pas ce qu’ils veulent, pas de l’UE. L’idée
n’est pas d’aller à l’encontre du résultat du référendum, sûrement pas. C’est
de le mettre en œuvre sans casser la vaisselle et sans détruire l’Union
européenne.
Compte
tenu de votre expertise, allez-vous revendiquer des responsabilités au
Parlement européen, à la Commission?
Mon
ambition est de faire la différence au Parlement européen, d’avoir un groupe
puissant qui soit incontournable pour faire avancer nos ambitions. La liste
sera présente dans les commissions qui comptent. Nous ne venons pas pour
prendre notre place, nous venons pour prendre notre part, pour travailler. Ça a
l’air idiot, mais quand on fait le bilan de ceux qui sortent, c’est moins vrai.
Les questions de qui et où sont prématurées. D’abord, il faut gagner.
Quelle
philosophie a présidé à la constitution de la liste?
Celle
d’un rassemblement large, avec des personnes qui viennent d’horizons politiques
nationaux au-delà de ceux qui sont au gouvernement aujourd’hui, qui croient à
la nécessité de changer l’Europe. Vous avez LREM, le MoDem, Agir, les radicaux,
des gens qui viennent de la sensibilité écologique et de la société civile.
C’est donc une liste large qui porte ce projet de transformation de l’Europe
autour d’une Europe verte, de l’innovation, d’un bouclier social. Ce qu’on
veut, c’est construire ensemble un vrai projet où l’Europe sociale dit quelque
chose.
Avec
Pascal Canfin en numéro deux, avez-vous l’intention de présenter un attelage
plutôt qu’une seule tête?
C’est
une liste, donc des personnalités qui portent des convictions, qui vont
ensemble. Avec Pascal Canfin, nous n’arrivons pas à trouver un point sur lequel
nous ne sommes pas d’accord. Mais ce n’est pas un attelage. Je suis très
heureuse que Pascal soit numéro deux. On regarde dans la même direction.
Allez-vous
rejoindre l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE) ou
créer votre propre groupe politique au parlement européen?
Si
nous nous y prenons bien, nous serons la délégation la plus importante de ceux
qui sont véritablement déterminés à changer l’Europe. A partir de là, nous
avons des contacts très fréquents avec des partis qui sont membres de l’ALDE,
mais aussi des partis qui n’en sont pas membres. Une grande partie de l’ALDE
viendra avec nous, et il y en a qui ne sont pas dans l’ALDE qui viendront avec
nous aussi. Les lignes vont bouger. L’ambition est d’être un groupe
incontournable, de mettre fin à une cogestion entre la droite traditionnelle et
la gauche traditionnelle qui a créé une paralysie.
Quelle
campagne allez-vous mener?
Je
vais aller écouter les Français. Aller au plus près des secteurs concernés par
la question européenne: l’agriculture, la pêche, les artisans, les PME… Il y
aura quelques gros meetings, des moins gros, également en Europe. Je vais
recevoir des Européens, car ce qui me frappe beaucoup, c’est que Marine Le Pen
court derrière les Européens, mais eux ne courent pas derrière elle. Je n’en ai
pas vu un seul aller à un meeting du RN. Elle est très isolée au sein de
l’extrême droite européenne. Nous sommes dans une situation clairement
différente, car le leadership d’Emmanuel Macron est reconnu en Europe. Nous
sommes plutôt dans le tri de ceux qui voudraient se faire passer pour des
Macron…
Refaire
ce qu’a réussi Emmanuel Macron en 2017, cette fois-ci en Europe…
Ce
qui s’est passé en 2017 en France se passe partout ailleurs. Il n’y a pas un pays
européen où l’alternance bipartisane classique soit aujourd’hui indemne.
Partout, les partis traditionnels sont contestés avec une percée nationaliste
et l’attente d’une offre nouvelle du type de celle que nous avons apportée.
Quelle
place va occuper le chef de l’État? Va-t-il participer à des meetings?
Il
y réfléchit. Ce sera certainement là où on ne l’attend pas, comme d’habitude.
Et certainement pas tout de suite, puisque les Français sont dans le grand
débat.
N’est-il
pas la véritable tête de liste?
N’avons-nous
pas de la chance d’avoir un président qui porte la voix de la France en Europe?
Est-ce qu’il a choisi Nathalie Loiseau ministre, pour conduire la liste, parce
qu’il n’avait personne sous la main, ou est-ce qu’il m’avait demandé, à
l’époque, de bouger les lignes? Il a pris quelqu’un qui avait vécu partout à
travers le monde, qui n’avait pas une trajectoire classique, parce que,
justement, il ne voulait pas d’une Europe installée. C’est ça, l’histoire qui
s’est passée. Sinon, il aurait pu mettre un techno de l’Europe: il y en a plus
d’un qui en rêvait!