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François Bayrou |
Dedans et dehors: l’entretien accordé par François Bayrou au
quotidien Le Monde est encore une preuve de son jeu politique de se présenter
comme une sorte d’opposant à l’intérieur même de la majorité présidentielle (ce
qui permet, à la fois, les serments de fidélité et les attaques frontales…).
Une aubaine pour les intervieweurs du président du MoDem
parmi lesquels on retrouve le journaliste qui avait réalisé un entretien
scandaleux dans ses attaques grossières et primaires d’Emmanuel Macron pendant
la campagne présidentielle de 2017 (et qui avait fait réagir le candidat
d’alors, se demandant pourquoi tant de hargne…).
Mais au-delà de cette volonté d’enfoncer encore et toujours
le Président de la République et son gouvernement (même le titre choisit par la
rédaction du Monde est caractéristique «Il faut un changement profond de culture
et de méthode de gouvernance», laissant entendre une attaque dure contre le
pouvoir alors même que cette affirmation est introuvable dans le corps de
l’interview!), les propos tenus sont récurrents avec ceux exposés depuis 2017
et son «soutien critique», une fois qu’il dut sortir du gouvernement à propos
de l’affaire des attachés parlementaires du Mouvement démocrate au Parlement
européen.
Mais, de manière que certains qualifient depuis longtemps
d’opportuniste, le maire de Pau tente de se placer comme un rénovateur de la
politique, ce qui fera sourire nombre de ses amis politiques (anciens et
actuels).
Ainsi, quand il affirme que «le grand souffle du changement
ne s’est plus fait sentir», on chercherait en vain dans sa pratique politique,
tant gouvernementale que législative ou locale, sans parler de sa présidence
très peu ouverte de son parti, des preuves qu’il est l’homme «du nouveau
départ» qu’il appelle de ses vœux...
Voici les principaux extraits de cette interview:
Le
regain de violences de samedi montre que la crise des «gilets jaunes», pour
Emmanuel Macron, n’est pas derrière lui mais devant lui. En avait-il
conscience ?
Il
a toujours eu conscience de la nature complexe de cette crise. Car il y a deux
crises en une. L’une représente une atteinte intolérable à notre société, des
bandes et des individus qui ont l’obsession de détruire, de brûler, de casser,
de mettre à sac. Face à cette volonté d’abattre notre mode de vie, notre pays a
le devoir de mobiliser sans aucune faiblesse ses forces de sécurité. L’autre
crise est une crise de nature sociale et démocratique, qui fait s’exprimer des
frustrations qui fermentaient depuis trente ans au cœur de la société
française. Celle-là mérite des réponses profondes.
Emmanuel
Macron a déclaré que «tous ceux qui étaient» sur les Champs-Elysées samedi «se
sont rendus complices» des violences. Etes-vous d’accord avec ça?
Les
casseurs se servent des manifestations pour trouver un prétexte et un alibi. Et
il est vrai qu’il y a très peu de réactions de la part des manifestants non
casseurs pour condamner et chasser ces casseurs.
Y
a-t-il un problème de maintien de l’ordre ? L’action du ministre de
l’intérieur, Christophe Castaner, semble entachée…
Le
souci constant de tous les gouvernements à toutes les époques devant les
questions de maintien de l’ordre, c’est d’éviter autant que possible les
accidents de personnes. La stratégie qui en découle est-elle aujourd’hui adaptée
aux bandes destructrices? Ce n’est évidemment plus le cas. Des décisions
s’imposent et elles sont en train d’être prises.
Le
grand débat national devait en théorie permettre de sortir de cette crise…
Les
destructeurs ne doivent pas nous détourner de la nécessité d’apporter des
réponses à la hauteur de l’attente des Français qui s’est exprimée au long du
grand débat. Il y a au moins trois types de frustrations. Frustration sociale,
autour de la question du niveau de vie et des inégalités. Frustration de représentation,
car de très nombreux citoyens se sentent exclus du fonctionnement des
institutions. Frustration démocratique, parce que les sujets qui surgissent
lors de chaque campagne présidentielle paraissent aussitôt oubliés.
Ce
grand débat est une idée-clé, sans précédent dans les démocraties du monde. Une
idée si originale que, dans les milieux de pouvoir ou médiatiques, personne n’y
croyait! Mais le président de la République a puissamment ressenti la vraie
signification de cet orage de frustrations et de colères. C’est pour cela qu’il
est allé personnellement au contact direct des Français, à hauteur d’homme.
Ce
sera un nouveau départ. D’habitude, c’est l’élection présidentielle qui offre
une telle occasion. Cette fois, nous allons pouvoir trouver cette chance en
dehors de la pression, des passions et des illusions propres aux séquences
électorales. Voilà l’exigence: la redéfinition du projet national de la France
et des Français. Nous sommes un grand peuple politique, qui a profondément
besoin d’être réuni autour d’un projet, d’une vision de l’avenir, avec des
choix concrets, mais aussi une part d’idéal national.
Mais
ce projet, Emmanuel Macron l’avait présenté au moment de l’élection
présidentielle…
Pendant
la campagne, Emmanuel Macron a profondément senti l’attente d’un changement.
D’un changement d’inspiration pour l’action et d’un changement de gouvernance
du pays. Mais ce qu’ont ressenti les Français, une fois Emmanuel Macron entré à
l’Elysée et ses équipes constituées, c’est qu’en réalité rien n’a vraiment
changé dans la culture du pouvoir. Cette culture – centralisée, technicienne,
gestionnaire –, qui est celle de l’Etat depuis des décennies et explique
beaucoup de nos échecs, a naturellement repris son cours traditionnel. Le
renouvellement de l’Etat, la créativité, la novation, la simplicité, le partage
d’un nouveau souffle avec les Français, tout cela n’a plus été perceptible. Le
grand souffle du changement ne s’est plus fait sentir.
(…)
Se
dirige-t-on vers un changement de méthode de gouvernance et pas du fond de la
politique ?
Les
deux se tiennent. Ce sont deux faces d’une seule médaille. Le nouveau contrat
pour la France a besoin à la fois d’une inspiration nouvelle ou réaffirmée, et
d’une reconstruction de la gouvernance en direction d’une société de confiance,
d’une société de fluidité sociale. Il faut ouvrir les cercles de pouvoir! Ne
pas les limiter à des milieux socialement clos! Il faut un changement profond
de culture et de méthode.
Qu’a-t-il
manqué au président de la République pour éviter la crise des «gilets jaunes»?
La
crise se préparait depuis des décennies, il était très difficile de l’empêcher
d’éclater. Il aurait fallu rompre dès l’élection avec trente années de pratique
traditionnelle du pouvoir. Car l’élection portait cette promesse de changement
radical. Mais, après l’élection, il faut gouverner. Il faut s’installer au
pouvoir et pour cela il faut bien sûr des équipes qui ont l’expérience de
l’Etat. On retrouve donc naturellement les pratiques classiques: on prend des
textes qu’on écrit comme on les a toujours écrits, les conseillers conseillent
comme ils ont toujours conseillé. Tout cela est humain et normal, mais
s’accommode peu de l’exigence des grands changements!
(…)
Quelles
mesures vous semblent prioritaires aujourd’hui ?
Je
ne raisonne pas d’abord en termes de mesures. Les mesures doivent suivre le
projet et non pas le remplacer, comme on le fait dans les programmes
électoraux. Cela posé, quels sont les grands sujets? Il y en a un autour de la
démocratie et de la place des citoyens dans les institutions, y compris entre
deux élections. Comment l’information et l’influence sur les décisions
peuvent-elles se partager? La démocratie élective doit profondément se
renouveler pour échapper à sa caricature.
(…)
Concernant la règle électorale aux élections législatives, l’idée que la proportionnelle
ne concerne que 15% des sièges, moins d’un député sur six, paraît désormais parfaitement
déplacée. Si proportionnelle il y a, il faut qu’elle soit conséquente. Enfin,
le vote blanc, qui est ressenti comme un besoin de légitimation, doit être
reconnu.
Et
concernant le référendum?
Les
seuils actuellement définis pour déclencher un référendum d’initiative
citoyenne sont trop hauts, on doit y réfléchir. Enfin, je trouve que la
Constitution devrait pouvoir être modifiée par référendum, comme l’avait fait
le général de Gaulle, tout en mettant à l’abri le bloc de constitutionnalité,
les droits fondamentaux.
(…)
Plaidez-vous
en faveur d’une remise à plat de la fiscalité?
La
fiscalité est ressentie comme privée de sens. Toujours trop lourde pour ceux
qui paient les impôts, inéquitable pour tous, et en réalité sans consentement
réel. Il faut réaffirmer les principes. Il y a par exemple absolument besoin
d’un travail sérieux et partagé avec les Français sur l’évasion fiscale.
Certes, il y a beaucoup de fantasmes, car je ne crois pas qu’il y ait 100 milliards
d’euros d’évasion fiscale. Mais le seul fait que les citoyens le croient crée
une rupture avec l’Etat. De la même manière, il y a une réflexion à avoir sur
la fiscalité locale. Il y a un besoin de remettre à plat la fiscalité et en
même temps que le président de la République définisse, au nom du pays, les
principes que l’on va suivre désormais.
Etes-vous
favorable à une suppression de la TVA sur les produits de première nécessité?
Je
veux bien qu’on supprime tous les impôts, mais alors il faut tailler à la serpe
dans les dépenses de l’Etat.
La
question du virage social revient régulièrement…
On
a eu un virage social en décembre. Dix milliards d’euros, c’est beaucoup
d’argent. Beaucoup de Français en ont bénéficié, même s’ils ne le disent pas.
Je pense aussi que l’indexation des retraites du bas et du moyen de l’échelle
sur la croissance ou l’inflation est fondée. Mais on ne doit pas oublier la
réforme générale des retraites. Sur tous ces sujets, il faut une vision de ce
qui va se passer, mais la mise au point devra aller bien au-delà des élections
européennes et de l’été.
Les
retraités ont-ils été maltraités depuis le début du quinquennat?
Je
trouvais que la hausse de CSG touchait des retraites réellement trop modestes.
J’ai été heureux que l’une des premières décisions prises en décembre ait été
de relever significativement ce seuil.
L’acte
II du quinquennat doit-il s’incarner par un remaniement du gouvernement?
Nos
institutions sont faites pour des gouvernements qui durent. Une fois une équipe
installée, la logique veut qu’elle reste en place, sauf s’il y a divergence ou
crise. Le président de la République a tous les moyens d’orienter l’action du
gouvernement. C’est sa mission. (…)
Dans
une tribune à la presse européenne, M. Macron évoque le projet d’une Europe qui
protège. C’est la bonne direction ?
On
ne s’est pas rendu compte à quel point la tribune du président de la République
est profondément novatrice. Un chef d’Etat européen qui s’adresse aux citoyens
européens, c’est la naissance d’une vie politique européenne, de l’échange
d’idées non pas sous une forme diplomatique mais démocratique. La proposition
de reprendre Schengen pour avoir une politique de protection et d’asile unique,
c’est une novation importante. L’affirmation qu’il faut cesser d’être naïfs
dans les échanges commerciaux internationaux, c’est très important. La décision prise par la France sur la
taxation des GAFA, c’est
une avant-garde. La question principale des peuples aujourd’hui, c’est la
souveraineté, reprendre le contrôle de son propre destin. C’est comme cela
qu’on va contrecarrer les nationalismes.