Emmanuel Macron à une réunion du Grand débat national |
Bouleverser la sphère politique est un des objectifs de
Macron.
C’est aussi celui du mouvement de foule des gilets jaunes.
Bien sûr, le deuxième ne cesse d’insulter, de menacer et
d’appeler à la destitution et au meurtre du premier mais le Président de la
république et les manifestants partagent un même objectif, détruire le «vieil»
ordre politique, économique et social.
Et après une phase de sidération, Emmanuel Macron s’est
emparé, on va dire, logiquement, de cette fronde de quelques milliers
d’individus (soutenus dans certaines de leur revendication par une majorité de
la population selon les sondages) pour faire avancer son projet politique.
Il faut voir avec quelle envie et volonté il participe
pendant des heures à des réunions, la dernière en date à Evry, organisées dans
le cadre du «Grand débat national» qu’il a décidé de mettre en place pour répondre
à la «crise» pour mesurer son degré d’implication qui vient de son analyse
politique, économique, sociale et sociétale de la société française et, plus
largement, des sociétés démocratiques occidentales.
Cette démarche rappelle aussi qu’il partage, avec les gilets
jaunes, une certaine vision populiste de la situation.
Non pas en donnant la parole à cet hypothétique «peuple» mais
dans sa volonté de casser les sphères du pouvoir, qu’il soit politique,
économique ou social.
Car, à côté de son programme largement central voire même
centriste, il y a une part de son projet politique qui s’appuie sur une analyse
qui veut que la société civile investisse les lieux de pouvoir pour les
démocratiser, les massifier et les populariser (dans le sens de les ouvrir à
tous ceux qui n’y avaient pas accès jusqu’à présent du fait de leur origine
sociale) et avec un discours très critique de leur fonctionnement et leur composition
pour casser ces «bulles aristocratiques».
C’est d’ailleurs pourquoi il a pu partager et partage
toujours certaines des positions d’un Donald Trump sur le «coup de balai» à
donner dans les cercles du pouvoir et contre certaines élites.
Tout cela n’est pas, d’ailleurs, de l’opportunisme mais
vient d’une réelle conviction, ce qui pose des questions sur la finalité de son
projet politique comme nous l’avons fait ici dès ses premiers propos, avant
même qu’il se déclare candidat à la présidentielle, lorsqu’il était ministre de
l’Economie de François Hollande.
Parce que s’il veut faire reposer son populisme sur la
méritocratie et permettre à tous de participer, tout au moins dans sa phase
délibérative, à l’élaboration des grands axes de la politique nationale, cette
volonté de casser les codes et les conduites d’une élite montrée du doigt peut
aboutir à une instabilité chronique d’une démocratie républicaine basée sur la
représentativité et mettre à mal tout l’édifice qui demeure, quoi qu’on en
dise, le meilleur qu’il est possible de mettre en place actuellement.
Globalement et, avouons-le, dans un raccourci un peu
caricatural, on pourrait dire que tout ce que Macron lutte pour est d’essence
centriste (la défense des valeurs démocratiques, la promotion de la
méritocratie par la formation, la nécessaire responsabilité de l’individu, la
libéralisation des énergies créatrices, l’affirmation que sans sécurité il n’y
a pas de liberté, etc.) et tout ce qu’il lutte contre (les blocages
administratifs, le pouvoir dominateur de la technocratie, les privilèges des
élites, l’enlisement des politiques, les revendications corporatistes, etc.) a
une connotation populiste plus ou moins forte.
Certains critiqueront cette thèse au motif qu’Emmanuel
Macron a montré jusqu’à présent une volonté plus libérale que sociale, plus
verticale qu’horizontale.
Ce procès fait au Président de la république dès le premier
jour de sa présidence, est plus partisan que réel si l’on se souvient qu’il a
bien été élu sur un agenda qui privilégiait, au départ, une relance de
l’économie et une baisse du chômage par des mesures et des réformes
d’incitations et de libéralisation pour ensuite passer à une réorganisation sociale
qui doit faire la part belle à une promotion du «peuple d’en bas» ainsi qu’à
une société plus ouverte et plus participative.
La crise des gilets jaunes a accéléré cet agenda mais, et
c’est là le point important, ne l’a pas bouleversé, ni même changé de nature.
Cependant, c’est bien aussi dans cet «en même temps» (qui,
ici, se différencie du «juste équilibre» centriste) que se trouvent les
principales contradictions du projet d’Emmanuel Macron comme si l’on pouvait
réunir dans une même politique celle prônée par les centristes et celle
défendue par le duo Le Pen-Mélenchon, comme si l’on pouvait avoir un président
des Etats-Unis à deux têtes, Barack Trump et Donald Obama!
Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC