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François Bayrou |
Lors d’une interview sur franceinfo, François Bayrou a estimé
que le grand débat national devait parler
de tout et notamment du modèle français qui est selon lui, globalement en question.
Et de décliner:
«Oui, nous avons un problème de modèle social (…)
Nous avons un problème de modèle démocratique, civique (…) Nous avons un problème
d’État. (…) Tout ce qui a fait le modèle français est aujourd'hui en question»
Au cours de cet entretien, le président du Mouvement démocrate
oscille entre des positions fermes vis-à-vis des gilets jaunes et une justification
de leur action en évoquant une crise du système politique.
Par ailleurs, il rappelle que les élections légitiment les dirigeants
politiques du pays à l’encontre des demandes des principaux leaders de ce mouvement
de foule qui souhaitent pouvoir révoquer par référendum jusqu’au Président de la
république.
Extraits de l’interview:
- Peut-on encore sauver le grand débat national promis par
Emmanuel Macron?
Il le faut. On a vécu une période de troubles, il faut que
l'on en sorte. Il y a absolument besoin de remettre de l'ordre dans les
esprits, il faut que l'on soit un pays qui tienne et pas que l'on s'enfonce dans
cette espèce de déliquescence que l'on voit, que l'on sent, pour laquelle il y a
des gestes, des images qui sont insupportables au sens propre du terme.
- Vous pensez à quoi en particulier?
Aux images que l'on a vues samedi dernier à Paris, aux images
des forces de l'ordre et de sécurité agressées qui sont obligées de reculer pour
ne pas qu’il y ait d'accidents sur ceux qui les agressent et donc il y a un moment
où il faut que tout cela entre dans une nouvelle étape, dans une nouvelle période.
- Comment faire?
Cette nouvelle période sera ouverte par le débat dont vous parlez,
auquel beaucoup de Français s'intéressent. Ce débat, c'est une fixation ou une redéfinition
de ce qu'est le projet du pays.
- Cela a tellement mal démarré, François Bayrou, que nous sommes
à 5 jours de l'échéance, Emmanuel Macron n’annoncera finalement que lundi, soit
la veille du coup d’envoi, qui pilotera ce débat et Chantal Jouanno a démissionné
avant-hier après la révélation du montant de son salaire 14 600 € bruts mensuels.
C'est-à-dire le salaire du Président de la République. Cela vous choque ?
Oui, je trouve que c'est complètement excessif, que l'on perd
le sens élémentaire de la mesure.
- Mais, ces salaires sont fixés par les pouvoirs publics. Qu'est-ce
que cela révèle?
Ce qui est pour moi incompréhensible, c'est que l'on veuille
à tout prix introduire une commission dont personne ne sait rien, dont la légitimité
est nulle, formée de personnes qui n'ont pas été élues et dont on peut s'interroger
sur l'expérience. Qu'est-ce que cela vient faire dans un débat qui est un débat
profondément politique au sens le plus noble du terme? La conduite de la cité, c’est
un débat qui intéresse les citoyens, que le Président de la république a voulu et
pour lequel il existe des intermédiaires qui sont absolument légitimes et qui sont
les maires. La question est que les citoyens peuvent aller, doivent aller, iront
dans leur mairie pour qu'il y ait des débats et que l'on puisse dire à nouveau tous
ensemble quel est le but que nous nous fixons pour notre pays parce que les questions
posées, que le Président de la République va expliciter dans sa lettre, sont extrêmement
fondamentales, elles n'intéressent d'ailleurs pas que les Français car tout autour
de la planète…
- Qui pour piloter au niveau national? Quel est le portrait-robot
de celui ou celle qui doit diriger cela?
Le Président de la République doit avoir autour de lui une, deux,
trois personnalités que l’on considère comme d'expérience, mais dont le responsable
sera le Président de la république.
- Expérience, qui a été ministre par exemple, qui ne l'est plus
aujourd'hui, qui pourrait être vous François Bayrou ou pas ? C'est un job qui ne
vous intéresse pas
Je ne parle pas à la première personne.
- Je pose la question. Êtes-vous intéressé ou pas par le poste
?
Je parle de ce que nous avons à faire ensemble. Nous avons besoin
de retrouver des institutions qui aient du sens. Le Président de la république est
élu par l'ensemble des Français. Ce n’est pas rien. Les maires sont élus par l'ensemble
de leurs concitoyens, ce n'est pas rien. Il y a un Parlement, pourquoi est-ce que
l’on n'organise pas à l'Assemblée nationale, au Sénat, un débat par des personnalités
qui, elles, sont légitimes? Elles ont été élues, et qui pourront s'exprimer.
- Est-ce que ce n'est pas précisément, François Bayrou, parce
qu’aujourd’hui la légitimité et du Président de la République que vous évoquiez,
et des parlementaires est fortement contestée dans le pays ?
Je n'accepte pas cette affirmation. Je considère que, quand on
élit un responsable pour une durée de mandat, que ce responsable assume les fonctions
qui sont les siennes, il ne sert à rien ou plus exactement il est dangereux de le
dépouiller de ses légitimités. Encore une fois, il y a 36000 communes en France.
Il y a 36000 maires. Les mairies sont ouvertes. On peut trouver à l'intérieur de
la mairie des personnes ou en tout cas des institutions qui recevront les contributions,
où les Français vont pouvoir s'exprimer. Il n'y a rien de plus simple. Qu'est-ce
qu’on va chercher?
- Ce n’est pas aussi simple que cela, on entend ce matin, y compris
sur l’antenne de France Info, des maires et l'Association des maires de France qui
disent : on n'est pas là pour jouer les pompiers de service, on n’est pas là pour
faire le job du gouvernement et il y a même une tentation aujourd'hui à l'Association
des maires de France qui est de dire: service minimum.
Et bien je trouve que ce n'est pas digne et ce n'est pas à des
associations très politisées, disons la vérité, pas la peine que l’on se cache derrière
son petit doigt.
- Dirigée par François Baroin, en l'occurrence c'est le premier
vice-président qui est un socialiste qui dit cela.
J'allais dire, vous aggravez encore son cas car c'est un des
plus politisés.
- André Laignel en l'occurrence.
Vous savez, c'est le thème de cette phrase immortelle : «Vous
avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire» disait-il
à l'opposition en 1981. Je reviens à la question. C'est une affaire de citoyens.
C'est une affaire simple. Nous sommes un pays qui a devant lui des questions fondamentales
: Quel va être son modèle social? Quel est le rôle des institutions publiques et
de l'action publique? Qu'est-ce qu’on doit faire pour l'environnement? Et de quelle
manière on peut avoir une vie démocratique où les citoyens soient représentés?
- Est-ce que le gouvernement François Bayrou a bien fait de bordurer
le débat en prévenant : «L’IVG, pas touche, la peine de mort, pas touche, le mariage
pour tous, on n'en débat pas non plus»?
Je ne comprends pas bien ce que signifie dire: telle question
ne sera pas traitée. On voit bien que l'on ne va pas remettre en cause des traités
internationaux, je pense à celui sur la peine de mort; c'est un traité international
qu'un très grand nombre de pays ont signé on ne va pas remettre en cause un traité
international dans des débats qui sont un peu improvisés.
- Mais on ne peut pas empêcher les citoyens d’en parler.
Oui on ne peut pas les empêcher de s'exprimer. Après tout, il
n'y a rien à craindre dans l'expression des citoyens. Je suis sûr que les questions
fondamentales, la question de l'identité du pays, on a fait un procès au Président
de la république parce qu'il a dit: on va parler de l'immigration. Mais il n'y a
rien de plus normal que, lorsqu’il y a une grande inquiétude sur l'identité d'un
pays, les citoyens puissent s'exprimer sur cette identité.
- Pas de tabou, si je vous comprends bien. Vous nous dites qu'à
l'exception de la peine de mort vous souhaitez que tous les sujets soient débattus.
Ce n'est pas que je souhaite, c’est que je trouve qu'il n'est
pas de bonne approche d'interdire les questions à l'avance. Les questions seront
exprimées par les citoyens, les maires seront là pour faire une analyse, un filtre
lorsque des propos dépasseraient… bon. Et, ensuite, tout cela va remonter dans le
débat vers le Président de la République et le parlement. Je souhaite que le parlement
s’exprime sur les quatre grands thèmes du pays, peut-être y en aura-t-il davantage.
Autrement dit, des choses simples. Quelle est la question ? Elle est évidente :
Quel est le projet de société du pays ? En France, à chaque élection présidentielle,
on voit resurgir les mêmes problèmes, les mêmes attentes, les mêmes colères parfois
et, après, les élus arrivent au pouvoir et on a l'impression que ces questions ont
disparu. Pour la première fois, on va avoir l'occasion de faire, j'allais dire à
tête reposée, le bilan de ce qu'est la volonté du pays, de ce que sont ses grands
choix. Je voudrais ajouter une phrase : les questions que la France se pose, ce
ne sont pas uniquement des questions françaises. Cette question du projet de société,
elle parcourt la planète. L'élection de Bolsonaro au Brésil, le mode de gouvernement
de Trump, les choix qui ont été faits par le peuple britannique au moment du Brexit,
ce qui se passe en Europe centrale.
- Justement, vous ne craignez pas une vague populiste sur ce
dernier débat? Vous citez des exemples où les populistes sont arrivés au pouvoir
légalement avec la majorité. Est-ce qu’en France, c’est ce qui menace le débat ?
C'est un adjectif que je n'utilise jamais.
- Je l’utilise, moi, pour vous poses la question.
Parce que je n'abandonne pas l'idée de peuple à ceux qui au contraire
sont des démagogues, ceux qui conduisent à l'accident majeur.
- Matteo Salvini et Luigi Di Maio soutiennent fermement les gilets
jaunes et les encouragent à ne rien lâcher et à continuer de contester Emmanuel
Macron.
Eh bien cela devrait être pour beaucoup d’entre nous une raison
de plus de nous interroger sur ce qui se passe. Vous voyez bien que ceux qui attisent
le feu, ceux qui essaient de pousser les citoyens vers les solutions les plus extrêmes
ou les plus violentes, ceux-là en réalité conduisent leur peuple dans le mur. Pouvez-vous
me citer un seul exemple dans l'histoire où ce type de solution a conduit à du bien-être,
à du positif ? À de la volonté nationale ? Jamais.
- Ecoutons précisément ce qu'a dit le ministre de l'Intérieur
italien Matteo Salvini à l'adresse des gilets jaunes et d'Emmanuel Macron. « J'apporte
tout le soutien possible aux Français qui, de façon bien élevée et respectueuse
disent à leur président qu'il ne pense pas à l'intérêt du peuple français, que plus
vite il rentre chez lui et mieux c'est. Mais tout épisode de violence est à condamner
sans condition.» Vous êtes un fervent européen. Qu'est-ce que cela dit du projet
européen auquel vous êtes attaché?
Cela dit que l'on est entré dans des phases de la vie politique
européenne dans lesquelles des attitudes, des expressions de cet ordre peuvent mettre
à mal l'ensemble du projet européen.
- C'est l’effondrement de votre rêve européen, François Bayrou?
Non, d'abord parce que pour moi l'Europe ce n'est pas un rêve,
c'est un idéal et ce n'est pas la même chose. Un rêve, c'est une fumée tandis qu’un
idéal c'est quelque chose à quoi on attache sa vie et donc le projet européen, l'idéal
européen est profondément mis en cause lorsque les dirigeants d'un pays font des
déclarations de cet ordre sur les dirigeants d'un autre. Mais notre responsabilité
politique, c'est de prendre précisément ces inquiétudes et ces attentes et de les
transformer en un projet qui soit un projet rassembleur pour les Français. C'est
exactement cela le sujet. Et c'est pourquoi ce n'est pas une affaire de commission
tartempion, il n'y a pas de débats extérieurs en politique, c'est le rôle l'engagement
d'un citoyen qui veut diriger sa propre vie, les Français sont des citoyens qui
veulent diriger leur propre vie et le sujet du débat c'est: dans quel sens allons-nous
diriger ce projet national?
(…) C'est une démarche de citoyens, c'est une démarche de responsables
de leur avenir. Cette démarche, elle a un intermédiaire normal qui est le maire
et c'est pourquoi le débat va être organisé avec les maires. Pour garantir cette
institution, il y a le Président de la république, il aura probablement autour de
lui des responsables. Il y a le parlement et il y a évidemment le contact nécessaire
avec les partenaires sociaux ou les partenaires associatifs. Il y a en France une
vie extrêmement riche, peut-être pas assez car les syndicats eux aussi connaissent
une crise, et il faut que tout le monde accepte simplement, j'allais dire de manière
tranquille et positive, de traiter des questions qui se posent pour nous. Oui, nous
avons un problème de modèle social, c'est indiscutable. Cette question doit être
traitée. Nous avons un problème de modèle démocratique, civique, les gens ne se
sentent pas représentés. Cette question doit être traitée.
- Et de fiscalité aussi?
Nous avons un problème d’État, c'est à cela que je voulais venir.
On parle de fiscalité. La question, c'est l'organisation de l'Etat. Nous sommes
un pays qui a une chance absolument incroyable ou qui a construit une chance incroyable.
Chez nous, l'éducation est gratuite ou presque, la santé est gratuite ou presque,
les services de sécurité heureusement sont gratuits. Tout ce qui a fait le modèle
français, ce modèle est aujourd'hui en question.
- Ces questions peuvent être traitées par référendum, François
Bayrou ?
S'il y a une ou des questions précises, oui.
- Un référendum sur les institutions, l'introduction de la proportionnelle,
la réduction du nombre de parlementaires, est-ce que vous y êtes favorable ?
Vous savez à quel point je me suis battu sur le sujet sans un
énorme succès.
- Cela peut être un moyen de faire bouger les choses?
Vous voyez bien que l'on confond l'issue du débat avec le débat
lui-même. Comme Maire de Pau, j'organiserai le débat à Pau. Naturellement, nous
allons organiser des rencontres et, à la mairie, on va pouvoir déposer des textes.
Les maires partout en France vont organiser le débat et, au fur et à mesure que
les quelques semaines vont passer, on va voir des questions arriver, se construire.
Au bout du compte, il faudra y répondre. Le Président de la République a dit qu'il
donnerait lui-même des orientations, il exercera sa responsabilité et les Français
peuvent parfaitement être appelés à répondre.
(…)
- Il pourrait y avoir un référendum sur l'ISF en France ? C'est
un moyen de trancher le débat.
Vous mettez la charrue avant les bœufs.
- Non, j'essaie de voir s'il y a une possibilité à la fin ou
si vous dites aux Français : Débattez, débattez, de toute façon la porte est fermée.
Pour moi, aucune porte n’est fermée, c'est le sens ou la noblesse
du débat ouvert par le Président de la république que de dire: nous allons, comme
un peuple de citoyens, faire face à nos responsabilités et, ensemble, évoquer la
direction que nous allons suivre. Aucune porte n'est fermée. Cela veut dire qu'en
termes de justice fiscale, par exemple l'alourdissement de la taxation des grosses
successions est une piste, une proposition avancée par certains, c'est aussi une
hypothèse.
(…)
- Dans un entretien à
l'hebdomadaire Valeurs Actuelles, Marine Le Pen la Présidente du Rassemblement National
explique, je la cite que «le mouvement des gilets jaunes a incontestablement souligné
certaines convergences entre la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement
national» de Marine Le Pen. Est-ce qu’elle a raison ?
Les démagogues de tous les pays, c'est ce que vous évoquiez avec
les actuels dirigeants italiens, c'est en effet un risque qu'ils se rapprochent.
Ce que je crois, c'est qu'il y a cependant en France des dirigeants républicains,
y compris à l'extrême-gauche, qui n'ont pas la tentation d'aller faire un amalgame
de cet ordre.
(…) Ce que je sais, c'est que quand vous conduisez un peuple
vers l'excès, vous le conduisez dans le mur, vous le conduisez à l'accident majeur.
Toute ma vie, j'ai défendu l'idée qu'il était nécessaire d'avoir, dans la passion
démocratique, une modération quand on conduit les hommes. La démocratie, c'est une
passion et ce sont des passions, mais quand on conduit les citoyens, alors, on a
le devoir de retenir les passions.
(…)