Les populistes démagogues le répètent sans modération, dans
une litanie qui a fait leur succès:
«Les puissants, les gens de la haute vous méprisent, vous
prennent pour des imbéciles, vous roulent dans la farine grâce à ce régime de
la démocratie qui n’est en fait qu’un moyen de leur domination, qu’un leurre
pour vous amadouer.»
Ces diatribes antidémocratiques sont aussi vieilles que
l’établissement de la démocratie moderne elle-même et elles ont pris des
tournures inquiétantes qui ont abouti à des cataclysmes et des tragédies qui
ont marqué l’Histoire.
Aujourd’hui elles connaissent un nouveau regain, toujours
véhiculée par les mêmes idéologies mortifères.
Pourtant, il y a une autre explication à ce «décrochage»
entre les «élites» (ou considérées comme telles par ces populistes démagogues)
et le «peuple» (entité fantasmée par ces mêmes populistes démagogues), entre la
démocratie représentative et libérale et une partie de la population.
Et celle-ci serait qu’au contraire de prendre les gens pour
des imbéciles, les pères de la démocratie moderne les avaient cru plus intelligents
qu’ils ne le sont.
Oui, ils pensaient avec optimisme et espérance mais
également avec conviction que la démocratie et ses valeurs humanistes possédaient
cette évidence qu’elles étaient au service des personnes quand ce sont les
personnes qui sont au service des régimes autoritaires et totalitaires et que
le peuple en serait aisément convaincu grâce aux vertus de la liberté dans
l’égalité et de l’égalité dans la liberté, le tout garanti par la loi.
Oui, ils étaient persuadés que l’individu préfère sa liberté
à ses chaînes et que cette démocratie aurait la même une évidence pour lui.
Ceux qui mirent en place cette démocratie pensaient qu’elle
s’imposerait comme une flagrance avec son idéal émancipateur qui permettrait de
prodiguer à tous l’enseignement et l’information nécessaires qui aboutiraient à
faire de chacun de nous, quel que soit nos aptitudes intellectuelles et
émotionnelles, une personne éclairée, responsable de sa vie et respectueuse de
celle des autres, comprenant où est son intérêt.
Or, alors que le plus vieux régime démocratique moderne se
rapproche de ses 250 ans d’existence, voilà que nous nous rendons compte que
nous sommes toujours et encore des êtres qui peuvent croire à tous les bobards
même les plus délirants, à toutes les croyances même les plus improbables, à
toutes les idéologies même les plus sanglantes, à tous les personnages ambigus
même les plus dangereux, que nous critiquons sans cesse la démocratie, la
rendant responsable de tous nos maux, que nous sommes prêts à donner ses clés à
ses ennemis les plus déterminés et que nous en redemandons souvent et sans
modération!
Oui, force est de constater que les pays démocratiques ne
sont pas composées de ces citoyens éclairés et responsables, que nous manquons
souvent du plus élémentaire bon sens, que nous ne sommes pas capables d’avoir
une réflexion sans préjugés sur les faits qui se présentent à nous, que nous
préférons souvent ignorer le réel pour nous réfugier dans un monde fantasmé.
Que ce soit parce que nous sommes à la recherche de sens
d’une vie qui semble souvent en manquer ou parce que nous ne parvenons pas à rationaliser
les choses ou que ce soit pour un autre motif, la réalité est bien celle-là, de
cette espérance qui ne s’est pas réalisée mais sur laquelle nous nous sommes
appuyés pour assoir un régime pour lequel nous nous rendons compte que ne nous
ne sommes pas encore préparé à le faire fonctionner.
Le pire est que nous nous sommes accommodés de cette
situation plus que bancale que nous connaissons depuis longtemps, incapables de
faire surgir des limbes de l’ignorance et de l’obscurantisme une personne
instruite, avisée, sensée dotée d’un minimum de sagesse et que nous avons, dans
la foulée, dévoyé petit à petit l’idéal démocratique.
Ainsi, au lieu de l’approfondir en investissant massivement
et constamment dans la formation et l’information d’un citoyen conscient et
responsable, pierre angulaire de la réussite du projet démocratique, nous avons
cru pouvoir régler l’incapacité de l’être humain actuel à maîtriser le
fonctionnement de la démocratie à la manière de tout système bâti sur la
négation de l’existence d’un individu émancipé en lui donnant, pour le faire adhérer
à cet idéal, du pain et des jeux.
Ceux-ci se sont appelés, entre autres, «croissance
économique» à tout va et anarchique qui nous revient dans la figure aujourd’hui,
«société de consommation» du tout, tout de suite et plus encore et «culture
populaire» niaise et abrutissante avec la vénération de la réussite matérielle.
Le matérialisme trivial, l’avoir, comme succédané au
spirituel, l’être, voilà bien l’erreur commise sciemment devant la difficulté
de construire un «peuple» démocratique.
Non pas que l’amélioration des conditions de vie et la
montée des loisirs soient négatifs, bien au contraire.
Mais ils ne pouvaient en aucune façon remplacer une adhésion
à la démocratie du fait qu’elle est et restera «le» seul et unique régime
émancipateur de l’être humain indépendamment de toute gratification matérielle.
Voilà donc ce qu’est largement devenu aujourd’hui en grande
partie le projet démocratique et le projet républicain où nous avons créé des
êtres accros à l’avoir et inapte à être de manière consciente et irresponsable.
Ajoutons immédiatement que ces êtres ont été largement
coopératifs, voire enthousiastes, dans ce processus.
Mais avec la disparition d’une croissance forte et la
progression constante de l’insatiable désir de consommer et de posséder qui
nous frustre plutôt qu’il nous libère ainsi que cette propension à nous abrutir
plus que de nécessaire dans la pratique active ou passive de loisirs
décervelants, nous creusons la tombe de la démocratie au lieu de travailler
sans relâche à créer cet individu instruit et donc éclairé, le seul qui peut
vivre en démocratie et faire vivre la démocratie.
Ceci pose évidemment deux problèmes principaux.
Le premier est de se demander comment résoudre ce hiatus
entre le fonctionnement d’une démocratie et l’incapacité dans laquelle nous
sommes de l’appréhender et de l’apprivoiser.
Le deuxième est de se demander comment protéger cette même
démocratie des agissements destructeurs de ceux à qui pourtant elle est
destinée, qui, seule, peut garantir les droits de l’individu dont sa liberté,
face à nos insuffisances qui la mette en péril.
L’évidence est que ce n’est pas le système qui est la cause
de ses dysfonctionnements mais que celle-ci vient bien de ceux à qui il est
destiné.
De même, ce n’est pas ces puissants et ces élites qui
l’empêchent de fonctionner mais notre ignorance et notre bêtise à nous tous.
Faisons donc en sorte de nous améliorer pour mériter de
vivre en démocratie au lieu de puiser dans nos médiocrités pour tenter de
l’abattre.
Cela est possible mais requiert un volontarisme de tous les
instants ainsi qu’un optimisme basé sur le réalisme et non un fatalisme, voire
un renoncement, parce que la démocratie n’est pas un régime «naturel» qui
s’imposerait sans rien faire.
Nous avons sans doute oublié que la loi du plus fort, du
plus malin, du plus rusé et non une véritable méritocratie est la règle depuis
la nuit des temps et que, seule, notre souhait de vivre libre et en paix, égaux
et solidaires soutient cette démocratie fragile que nous devons protéger à
chaque instant et devant tous ses ennemis dont, souvent… nous-mêmes!
Oui, sans doute, nous pouvons et devons travailler à cette
œuvre émancipatrice que seul le régime démocratique permet.
Mais, force est de reconnaître que nous n’y sommes pas
encore parvenus.
Le cauchemar serait que nous n’en soyons jamais capables.
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