jeudi 5 décembre 2019

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Doit-on parler de «réalité» ou de «vérité»?

Dans un monde depuis toujours dominé par l’opinion, la conviction, l’esprit partisan et un certain hubris où l’individu souvent croit qu’il sait alors qu’en réalité il ne sait pas ou, plus grave, sait faux, nous devons tout faire pour que l’on dise les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient.
Beaucoup de gens emploient pour caractériser cette situation le terme de «vérité».
Pour ma part, j’ai une préférence pour la réalité.
La «vérité» est définie par le CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS) comme une «connaissance reconnue comme juste, comme conforme à son objet et possédant à ce titre une valeur absolue, ultime».
De son côté, la «réalité» est caractérisée par le même organisme comme «ce qui existe».
La différence est que la vérité fait appel à des valeurs parce que ceux qui la disent affirme connaître l’absolu de ce qui est au-delà de sa manifestation alors que la réalité n’est que la constatation de ce qui est.
Dès lors, la réalité précède toujours la vérité car sans établissement de la réalité, pas de vérité possible.
Car, la réalité est, pour le CNRTL «ce qui constitue le monde de l'humain», l’«environnement concret et matériel de l'humain».
Ajoutons que, selon le même organisme, le réel est ce «qui existe, qui se produit effectivement, qui n'est pas un produit de l'imagination», «qui est tel qu’il est» ou comme le définit le Robert, «les choses elles-mêmes».
Rien ne peut interférer dans la réalité, elle est.
De son côté, la vérité a besoin d’être reconnue comme juste avant de pouvoir être considérée comme une valeur absolue.
La vérité est en effet la tentative d’expliquer le réel, donc de signifier ce qui est et non seulement de le dire, de relier certains éléments de ce réel pour démontrer et expliquer la réalité.
La vérité prétend donner un sens à la réalité.
Dès lors, on comprend bien qu’il ne peut y avoir qu’une seule réalité et qu’il peut y avoir un nombre important puisque chacun peut en construire une à partir de la réalité mais en y ajoutant d’autres choses.
En revanche, il y a bien une Vérité avec un grand V mais celle-ci ne nous est pas accessible, à nous humains.
Seul Dieu, s’il existe, en est le détenteur (ou la mémoire de l’univers, aussi difficilement interrogeable que le premier pendant notre existence terrestre…).
«Dieu» est ainsi le seul à posséder le saint graal qui excite tant la communauté scientifique depuis toujours dans une recherche chimérique, notamment les physiciens, la fameuse équation qui expliquerait le tout.
De même, on cherche la vérité (ce qui implique que notre culture personnelle interfère largement pour y parvenir) alors que la réalité est (même si, bien entendu, nous devons travailler à l’établir mais, une fois établie, elle n’est pas parasitée par nos valeurs personnelles).
On peut d’ailleurs placer la Vérité au-dessus de la réalité alors que la vérité, elle, est contingente du réel.
La première définit la réalité alors que la deuxième tente de lui donner un sens.
Ayant dit cela, on comprend bien qu’il vaut mieux se fier à quelqu’un qui dit la réalité plutôt qu’à quelqu’un qui prétend détenir la vérité (même si, pour certains, la vérité et la réalité seraient des synonymes, proposition que je ne partage pas, on l’a compris).
Cela peut paraître un débat un peu superfétatoire et une sorte de masturbation intellectuelle mais ce n’est pas du tout le cas.
D’abord parce que les philosophes et les scientifiques ont noirci tant de pages à savoir ce qu’était la vérité (et la Vérité, ici, rejoints par les théologiens) que l’on ne peut écarter d’une main cette problématique.
Ensuite, dire les choses, bien définir de quoi l’on parle, c’est essentiel pour une communauté humaine dont une des principales caractéristiques sociales c’est la communication.
C’est aussi replacer la situation actuelle qui est de plus en plus gangrénée par la propagande, les théories du complot, les infox (fake news), la post-vérité, les faits alternatifs, les fausses équivalences, etc. le tout sur fond d’une information qui n’est plus seulement de l’«infotainement» ou qui utilise le marketing mais bien une simple technique marketing pour s’attacher des consommateurs d’information (à qui on parle de ce qu’ils veulent qu’on leur parle et à qui on dit ce qu’ils veulent entendre notamment grâce à l’instrument du sondage et diverses autres enquêtes publiées ou non) dans un cadre plus large de réflexion mais aussi dans un cadre historique où l’on s’aperçoit que la manipulation de la réalité a toujours existé et que des personnes comme César, Napoléon et bien d’autres ambitieux narcissiques ayant dirigé le monde ont raconté leur «vérité» au mépris total de la réalité.
La réalité, donc, est l’outil irremplaçable qui permet à tout humain, tout individu, toute personne, tout citoyen de savoir dans quel monde il vit, donc de pouvoir en prendre, sinon la mesure, en tout cas la connaissance et le fonctionnement, afin de pouvoir construire son projet de vie du mieux possible et être en capacité du mieux qu’il le peut de le mener à bien et de la réussir tout en prenant ses décisions et en appliquant sa volonté avec la plus grande efficacité possible au regard de celui-ci.
Savoir la réalité, pouvoir vivre dans le réel sont donc d’une importance primordiale pour un individu dans une démocratie républicaine parce que c’est cela qui lui permet de pouvoir devenir et être une personne libre dotée de droits et de devoirs, responsable de ses actes, à la fois, pour en répondre mais surtout pour pouvoir prendre librement les décisions qui vont impacter son présent et son avenir.
On comprend aussi quelle est l’importance de pouvoir avoir accès à cette réalité, c'est-à-dire à pouvoir s’informer du réel par tous les outils de communication à sa disposition.
C’est la raison pour laquelle l’ensemble du système de la transmission du savoir constitué par la formation et l’information est un des fondements d’un citoyen éclairé.
Pour ce faire, les démocraties républicaines ont mis en place un service public de la formation (enseignement) important.
En revanche, même s’il existe également un service public de l’information, celui-ci ne fait souvent pas le poids face au secteur privé, ce qui est malheureux.
De même, ni le service public de la formation, ni celui de l’information ne répondent à des critères d’impartialité suffisants pour être ce qu’ils devraient être, des outils qui permettent à l’individu de construire son individualité dans un savoir libéré au maximum de toute opinion extérieure qui le parasite.
Même si l’on comprend que cela est quasiment impossible d’éliminer toute opinion dans la transmission du savoir, il est, en revanche, possible de nettement améliorer ce qui existe actuellement.
Et ce n’est qu’à ce moment là, quand tous les individus sans exception pourront avoir accès à ce savoir s’appuyant sur le réel et qu’ils pourront l’utiliser (dans leur capacité et dans son existence) qu’enfin on pourra parler d’un citoyen réellement éclairé et émancipé.


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