Regards Centristes est une série d’études du CREC qui se penchent sur
une question politique, économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une vision
centriste. Dix-huitième numéro
consacré au rapport du Centrisme avec la sécurité, composante incontournable de
sociétés qui se veulent démocratiques, c’est-à-dire qui veulent assurer la
liberté de tous et dont les centristes sont les défenseurs.
La sécurité est, sans doute, une des raisons essentielles,
si ce n’est la première, qui a fait que les humains aient décidé de faire
société, c'est-à-dire de s’associer en nombre pour être plus à même d’affronter
du mieux possible les défis que leur présence sur terre les obligeaient à
relever.
On retrouve cette nécessité chez nombre d’espèces animales,
nécessité qui permet de protéger sa vie contre les agressions multiples.
Dans une société démocratique et républicaine moderne, la
sécurité que l’Etat doit à la population est multiforme.
Il y a évidemment la sécurité contre la violence physique
qu’elle vient de l’intérieure de la société (lutte dévolue à la police) ou qu’elle
lui soit extérieure (lutte dévolue à l’armée).
Il y a, ensuite, la sécurité contre l’atteinte à ses biens
qui revient à la police et à la justice.
Il y a également la sécurité quant au cadre juridique dans
lequel les individus nouent des relations et des contrats avec d’autres,
sécurité qui est dévolue, également, à la police et à la justice.
Mais il y a également la sécurité quant à l’existence des
personnes au-delà de leur intégrité physique et psychologique face à la
violence, la sécurité d’avoir une vie digne (avec la sécurité d’être à l’abri
du besoin), la sécurité d’être en bonne santé physiologique et psychologique.
Sans oublier la sécurité vis-à-vis des produits et des
services pour que ceux-ci ne soient pas dangereux pour les citoyens (comme la
sécurité alimentaire ou celle du transport aérien).
On le voit, la sécurité regroupe de nombreux domaines – loin
de la vision libérale originelle qui la limitait à la défense de l’individu et
de ses biens contre la violence physique et le vol dans le cadre de la loi – où
les pouvoirs publics doivent faire en sorte qu’elle obéisse à des règles
claires et efficaces.
Mais cette sécurité multiforme indispensable et nécessaire
dans des sociétés complexes du XXI° siècle pour le Centrisme ne doit pas
devenir un moyen de contrôle social ou de limitation des libertés.
En effet, pour les centristes, sécurité et liberté doivent
se mouvoir dans une relation de juste équilibre.
Sur le plan moral il ne peut y a avoir de liberté sans
sécurité, cela est chose sûre.
Ou, plus concrètement, sans la sécurité, seule la liberté
(c'est-à-dire la licence) du plus fort, du plus retors et du plus malhonnête
peut réellement avoir cours puisque sans règles (système juridique) et sans
moyen de les faire appliquer (police, justice, armée) aucune véritable liberté
pour chaque citoyen ne peut exister.
Du coup, la sécurité est consubstantielle à la démocratie,
régime de la liberté pour tous, puisqu’elle assure la régulation de la violence
au sens large et permet à chacun de pouvoir exercer réellement sa liberté à
l’abri du danger.
Mais, bien sûr, pour le Centrisme, tout cela doit se faire
dans le juste équilibre.
L’ordre sécuritaire ne doit pas être liberticide et la
liberté ne doit pas être confondue avec la licence.
Mais comment assurer correctement – c'est-à-dire au mieux
que l’on puisse faire – la sécurité tant intérieure qu’extérieure.
Si face aux menaces externes, on n’a pas mieux inventé que
la force pour les grands pays (les petits pouvant jouer sur un autre registre
tant que les grands le tolèrent…), même si le «soft power» peut également
amener de la stabilité dans le rapport de force, sans oublier les organisations
internationales (comme l’ONU) ou fédératives (comme l’Union européenne), ne
doit-on pas également, voire avant tout, penser à un ordre mondial plus juste
qui éloignerait le risque de conflits de toute sorte et, in fine, armés?
Si, sur le plan intérieur, l’existence d’une police semble
une évidence, est-ce que celle-ci ne doit pas être mise en regard également
d’une justice sociale qui pacifierait les rapports sociaux et feraient en sorte
que la violence serait moins importante?
Sachant, tout de même, que l’éradication totale de la
violence est sans doute impossible parce qu’il y aura toujours un gouvernement
d’un pays qui voudra dominer sa sphère soi-disant «naturelle» d’influence ou
même le monde par des moyens guerriers et parce qu’il y aura toujours des
individus qui voudront profiter des autres par la contrainte physique et psychologique.
Pour autant, on ne peut réduire la sécurité à l’intervention
d’une force de répression.
Celle-ci doit être couplée avec des moyens de prévention et
des mesures permettant d’éviter les causes même de l’insécurité (comme la lutte
contre la pauvreté qui est, au-delà de son caractère moral, une action très en
amont pour assurer la sécurité collective).
Cependant, la proportionnalité de la prévention et de ses
mesures est indispensable pour garantir le plus haut degré de liberté
individuelle (dont fait partie le respect de la vie privée).
En ce XXI° siècle, on pense évidemment à toutes les
technologies de surveillance qui peuvent être liberticides et qui le sont dans
certains pays, la Chine étant le leader incontesté en ce domaine et le fait qu’elle
est un régime totalitaire n’y est évidemment pas étranger.
Pour autant, on ne peut tomber dans un excès inverse qui
serait de réduire la sécurité au minimum, ce que demandent nombre de courants
politiques (comme les libertariens aux Etats-Unis) parce que cela reviendrait à
faire de la liberté un bien uniquement accessible à certains.
On l’aura compris, pour le Centrisme, c’est bien la notion
même de sa vision politique, le juste équilibre, qui peut résoudre la
problématique.
Celle-ci doit évidemment se coupler avec la situation
présente.
Ainsi, on ne peut suivre ceux qui condamnent des lois anti-terroristes
prises dans les démocraties républicaines ces dernières années comme uniquement
liberticides en oubliant, non seulement, les menaces réelles et les victimes
des terroristes mais aussi du sentiment d’insécurité qui irradie les sociétés
où il est présent (qu’il soit interne ou externe à celles-ci), sentiment qui
grève l’existence de leurs membres, donc qu’il faut canaliser par des mesures
qui ramènent la confiance.
A l’inverse, le terrorisme ne doit pas être l’alibi et le
paravent pour établir un contrôle social et policier sur une population comme c’est,
par exemple, le cas dans la province chinois du Xinjiang où les Ouïghours musulmans
font l’objet d’une véritable chasse à l’homme et sont incarcérés dans des
proportions gigantesques dans des «camps de rééducation» sans parler de leur
élimination physique.
Cette question de la proportionnalité entre sécurité et
liberté est un des débats essentiels dans les démocraties républicaines depuis
l’avènement de républiques aux régimes démocratiques au XVIII° et XIX° siècle
aux Etats-Unis et en France.
En devenant plus complexes, les sociétés démocratiques ont
complexifiées le débat même si le principe demeure le même «sans sécurité pas
de liberté».
Aujourd’hui, comme hier, trouver le point d’équilibre est
difficile d’autant que la pression des événements joue constamment sur sa
position sur la balance.
On le voit avec la question migratoire qui agite toutes les
sociétés démocratiques occidentales avec des réponses diverses où les mesures
sécuritaires sont souvent le seul outil utilisé fasse à l’incapacité de trouver
de vraies solutions pérennes ou à la mauvaise volonté de les trouver et de les
mettre en place.
► Le
Centrisme et le principe de précaution
L’immobilisme a toujours été,
pour les sociétés, un danger de stagnation voire, souvent, de régression,
surtout dans le monde tel qu’il s’est constitué depuis le XIX° siècle. A
l’inverse, l’action est une vertu essentielle permettant à une société de devenir
plus humaniste, plus développée et plus juste. Une action qui doit
s’accompagner tout à la fois de la nécessaire prévention du risque mais aussi
de l’indispensable promotion de la prise de risque.
Or, c’est tout le contraire qui
se passe aujourd’hui en France! La reconnaissance juridique du principe de précaution
(qui se trouve dans la Constitution suite à une volonté de Jacques Chirac) et
le refus de la prise de risque par les citoyens et leurs élus, rendant impossible
toute réforme, montrent, s’il en était encore besoin, comment notre société devient
frileuse, apeurée devant un futur qu’elle semble incapable de maîtriser, pire
de conceptualiser. Dès lors, elle dresse des barrières aussi futiles et
inutiles que dangereuses pour son avenir sans pour autant agir efficacement
contre certains risques. Ainsi, avec ce fameux principe de précaution, nous
pourrions assister, dans les années à venir, à la multiplication d’actions juridiques
dont les conséquences seront de paralyser l’action et la positive prise de
risque. Ce risque qui est, par ailleurs, un constituant incontournable de notre
existence individuelle et collective.
Ce n’est pas d’un principe de
précaution castrateur dans un monde où le risque est inhérent à la vie que nous
avons besoin mais d’un principe de prévention. Car précaution n’est point
prévention. Prévenir, c’est être capable d’identifier puis de traiter le mal à temps
pour l’éliminer tout en garantissant la vitalité d’une société. En revanche, le
principe de précaution est un principe contre la vie. Il interdit, a priori et
sans aucun motif prégnant, toute prise de risque et même toute activité qui
pourrait comporter potentiellement ou éventuellement un risque. Les
philosophes, les scientifiques et les chefs d’entreprise qui sont au cœur de la
réflexion sur la prise de risque et sur son application ne s’y sont pas trompés
en condamnant sa mise en place.
La prévention a, en plus,
d’autres atouts. Elle est ainsi beaucoup plus efficace et beaucoup plus
économique que l’interdiction, la répression, la punition et la réparation.
Nous devons totalement repenser nos sociétés sur la base de la prévention qui
doit être le fil rouge de leur développement. Il ne faut plus se contenter de
punir puis de réparer des dégâts qui, par ailleurs, sont la plus souvent
impossibles à réellement réparer, il faut faire en sorte qu’ils ne se
produisent pas.
Il n’y a pas de vie sans risques,
disions-nous. Le risque fait donc partie intégrante de notre vie. C’est
d’ailleurs ce que nous disent les philosophes, les physiciens et les
biologistes quand ils affirment que nous devons apprendre à vivre avec le
risque et à le gérer. Les sociologues nous disent même que nous sommes entrés
dans une société du risque depuis que l’être humain est devenu capable de
détruire l’humanité tout entière grâce à l’atome. Or donc, le risque fait
partie de notre quotidien.
Dans le même temps, de nombreux
hommes politiques et observateurs attentifs de la société nous affirment que
nous ne sommes plus capables, nous, les Français (et les Européens), de prendre
des risques. En fait, nous ne désirons plus en prendre et nous demandons une
société de sécurité totale que ce soit au plan économique, social et physique
tout en demandant à être plus autonomes... Ce qui est évidemment impossible.
Mais tout ceci n’est-il pas un
méli-mélo où l’on mélange tout et n’importe quoi? Lorsque l’on parle de risque,
il est essentiel de faire des distinguos pour clarifier ce fatras d’idées
reçues. La première et la plus fondamentale des distinctions est à faire entre
le risque pris et le risque subi.
Il y a, dans la société, deux
sortes de risques : les risques subis et les risques pris. Il n’est pas
question d’agir sur les seconds (sauf lorsqu’ils mettent en danger des personnes
extérieures qui subissent alors le risque) mais sur les premiers. D’ailleurs,
la recherche constante des êtres humains et des sociétés a été de réduire ce
risque subi, de le confiner voire de le faire disparaître.
Prendre un risque n’a rien à voir
dans le processus de décision avec se prémunir d’un risque subi. Un alpiniste
qui gravit une montagne pour son plaisir prend consciemment le risque d’être
emporté par une avalanche. Les enfants qui vont à l’école du village dans la
vallée subiront cette avalanche. Dans le premier cas, c’est de responsabilité
et de liberté individuelle dont on parle. Dans le second cas, on parle de
responsabilité collective et de sécurité individuelle et collective. La
distinction est énorme.
Dans les risque subis, il faut
une nouvelle distinction entre ceux qui sont inhérents à la vie, inévitables à
plus ou moins long terme (comme la mort), qui sont généralement des risques «
naturels » mais qui sont néanmoins reportables dans le temps et ceux que nous
pouvons prévenir (comme un accident de la route), qui sont généralement des
risques « sociétaux », des risques créés par la société, mais qui sont
contrôlables et dont on peut tenter de les éradiquer (même s’il faut distinguer
aussi avec les risques nés du fait même de la constitution d’une société qui,
eux, sont inévitables sauf à vouloir la détruire). Nous devons vivre avec les
premiers même en s’en protégeant et nous devons travailler à éliminer plus ou
moins totalement les seconds.
C’est cette dernière catégorie
qui doit être l’objet de toute l’attention du politique lorsqu’il met en place
des politiques de sécurité et de protection. Mais le politique doit aussi
garantir le risque pris et même le promouvoir. Bien entendu, le risque pris ne
doit pas être un risque subi pour d’autres car alors il entre en conflit avec
la liberté et la sécurité de l’autre. Prévenir le risque de guerre est un but
humaniste. Promouvoir le risque d’entreprendre l’est également puisque
entreprendre est une action d’émancipation indispensable à la vie et au progrès
humaniste. Risquer sa vie ou une partie de sa vie doit avoir un sens
émancipateur et non être une fatalité voire une imposition.
Dans le domaine du risque pris,
il faut distinguer le risque à vocation sociale et celui à vocation
individuelle. Bien entendu, dans le risque à vocation sociale (créer une
entreprise commerciale, par exemple), la dimension individuelle est présente.
Mais, il ne peut être totalement assimilé au risque que l’on prend, par
exemple, lorsque l’on fait du parapente pour son plaisir.
En outre, dans tous ces types de
risque, la prévention ne peut pas agir de même et, dans certains cas, ne doit
pas agir. On peut, évidemment, informer sur les risques encourus mais il serait
vain et même contre-productif de prévenir certains risques sauf à créer une
société sclérosée même si l’on doit aussi réfléchir sur qui doit prendre le
risque social et en supporter les éventuelles conséquences (par exemple, lors
de la faillite d’une entreprise).
Le principe de prévention ne peut
que concerner les risques subis. Et encore, il ne doit pas intervenir de
manière systématique dans la mécanique d’un risque pris qui peut parfois être
assimilé à tort à un risque subi. Ainsi, toute opération chirurgicale comporte
un risque. Celui-ci est pris par le patient. Si une erreur est commise, le patient
prétend qu’il a été la victime d’un risque subi. Mais cela ne peut et ne doit
être vrai que s’il y a eu une faute réelle ou un désir de nuire. Le seul fait
du danger de l’opération ne peut être retenue à la fois pour ne pas prendre le
risque ou pour condamner ceux qui ont agi afin d’opérer et donc de rendre sa
santé au patient.
Quoiqu’il en soit, il est
important de promouvoir le risque pris, notamment en matière économique, et
bâtir une protection efficace contre le risque subi évitable. Il ne faudrait
pas oublier que la conquête d’une plus grande liberté et d’une plus grande autonomie
de l’individu s’accompagnent d’une plus grande incertitude face à son existence
et donc à une augmentation de certains risques ou à la perception du risque.
S’il n’est plus obligé d’entrer dans un moule, il n’a plus, en conséquence à en
suivre le cadre et il se retrouve souvent dans une angoisse existentielle qui
s’apparente à un risque subi. Nous sommes dans une société où l’individu a
gagné en liberté ce qu’il a perdu en certitudes. L’idée n’est pas de revenir en
arrière, ce que même les citoyens ne souhaitent pas, mais d’accompagner cette
nouvelle réalité de l’individu par l’invention d’un lien social rénové et par
une formation adéquate de l’individu qui lui permette d’affronter le monde et
de prendre les bonnes décisions pour lui-même, sa famille et son entourage en
minimisant au maximum les risques subis mais en maximisant la prise de risque.
Réconcilier la France avec
elle-même, réconcilier les Français avec l’effort, l’envie d’entreprendre et la
réalité des choses passent par un discours honnête, une concertation continue
de la population et de ses médiateurs, une volonté de promouvoir l’initiative
individuelle dans ce qu’elle a de meilleur pour l’individu tout en s’attachant
à offrir le maximum de sécurité et protection possible en rapport de la
situation sociale et économique du moment. Car si le risque est inhérent à la
vie, si la prise de risque est fondamentale, n’oublions pas pour autant que la
fonction première de la collectivité est d’assurer la protection de ses
membres. C’est même la raison principale pour laquelle les êtres humains ont
fondé les premières communautés.
Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC
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