François Bayrou |
Lors d’un entretien sur la chaine LCI, François Bayrou s’est
à nouveau félicité du changement de cap qu’il affirme que le pouvoir en place a
pris et qui ressemble étrangement à son propre projet de société.
Il en a profité une nouvelle fois pour critiquer la gouvernance
du pays pendant «un an et demi», estimant que les Français ne se retrouvaient pas
alors dans leur vote de la présidentielle.
En disant cela, il critique toute la période cruciale des réformes
entreprises par Emmanuel Macron et qui devait, dans les propos même du chef de l’Etat,
être la phase un de son quinquennat…
L’avenir dira si le président du MoDem a pris ses désirs
pour des réalités ou s’il a été un des artisans d’une possible nouvelle donne qui
semble se dessiner au sein de la majorité présidentielle.
Son message réactualisé est désormais le remplacement de «la
société du plus fort par la société du plus juste» qui est effectivement un des
objectifs du Centrisme.
Et, pour y parvenir, il veut «changer et imposer une
nouvelle gouvernance», «imposer un nouveau rapport de force entre le pouvoir et
le pays», c'est-à-dire, d’une certaine manière «désétatiser» la France.
Il affirme qu’il s’agit du massage des Français lors du
Grand débat alors même que d’autres y ont plutôt entendus une autre musique,
celle, au contraire, de renforcer l’interventionnisme étatique…
Voici les principaux extraits de cette interview:
- Pour vous qui écouterez ce message, ce discours de
politique générale, on dit que c'est l'acte 2 du quinquennat, quelle est la
priorité que vous attendez dans ce discours ?
La priorité, c'est de changer, d'imposer une nouvelle
gouvernance, d'imposer un nouveau rapport entre le pouvoir et le pays. Pendant
très longtemps, depuis des années et des décennies peut-être, on a en France un
État qui est en situation d'absence de confiance par rapport à la société. On a
une société vivante, on a des entreprises, on a des associations, on a des
familles, on a la vie du pays, puis l'État sa propre logique, son propre
rythme, très lent, les décisions mettent du temps à se prendre et encore
d'avantage à s'appliquer.
- C'est ce qui s'est passé pendant ces deux premières
années.
La profondeur du terrain ne s'y reconnaît pas. Ce qui s'est
passé pendant ces deux premières années, c'est que le Président de la
République a été élu sur une vision nouvelle, sur un engagement nouveau, sur un
engagement à changer ces choses-là et les Français n'ont pas eu toujours le
sentiment que cela allait aussi vite, aussi loin, que cela ressemblait à ce
qu'ils avaient entendu de la promesse d’Emmanuel Macron quand il se présentait
à l'élection présidentielle. Pour moi, c'est la priorité. Je ne dis pas que
tout le monde entend cette priorité, mais le Président de la République, lui,
l'entend.
- Quand vous dites tout le monde, vous parlez du Premier
ministre ?
Non, pas du tout, je parle avec le Premier ministre aussi de
ce genre de sujet. L'organisation de l'État en France, elle a une tradition,
une histoire, elle a des formes que l'on voit sur votre écran. Tout cela est
solennel et n'a pas l'agilité, la vivacité et aussi le degré de confiance
immense qu'il faudrait dans un grand pays comme le nôtre entre ceux qui vivent
la vie sur le terrain et ceux qui occupent les responsabilités politiques et
administratives.
- Est-ce que votre souhait rejoint le constat d’Emmanuel
Macron qu'il a fait cet après-midi lors d'un discours quand il a confessé une
erreur dans la crise des gilets jaunes.
En tout cas, ce que je peux attester, c'est ce que vient de
dire le Président de la République, c'est exactement ce qu'il a vécu, en tout
cas dans le dialogue que j'ai avec lui. Cette crise a été une crise extrêmement
lourde, y compris pour lui-même, avec des incidents qui ont été très choquants.
- Le Puy-en-Velay?
Par exemple, et tous les observateurs disaient: «c'est
fini», «voilà, on n'y arrivera plus, en fait on s'est trompé», «c'était une
erreur». Puis, lui a vécu cette rencontre avec les Français que le Grand débat
a été comme au fond se replonger dans le bain d'authenticité qu'avait été la
campagne électorale et qu'était son attente à l'égard du pouvoir et de la
responsabilité qui était la sienne.
- Pour vous, ce discours de politique générale pour l'acte 2
du quinquennat, est-ce qu’il doit marquer une profonde continuité dans la
volonté de réformer, une inflexion ou bien un tournant, peut-être un tournant
social?
C'est un tournant et il faut que cela en soit un.
- Sur le fond?
Sur le fond. Cela ne veut pas dire que l'on renie ce qui
s'est passé dans les deux premières années, bien ou mal; d'ailleurs, il ne faut
jamais renier.
- Mais il faut un tournant sur le fond?
Vous voyez bien ce qui est arrivé. L'élection
présidentielle, c'est une promesse de changement profond qui a emporté les
cadres habituels de la vie politique française et, jusqu’aux élections
européennes, il y avait des tas de gens qui croyaient que ce n'était qu'une
parenthèse des tas de gens qui croyaient qu'on allait revenir aux formes
antérieures, puis les présidentielles suivies des européennes sanctionnent le
fait qu'il y avait une perte de confiance absolue entre les Français et, au
fond, la représentation politique et le sommet de l'appareil administratif. Cela,
c'est fait. C'était la première chose. Puis, on a eu une année et demie où les
Français avaient un sentiment d'inconfort par rapport à la manière dont la
politique était conduite et à la pensée qui la gouvernait. Ils avaient le
sentiment que ce qui avait été promis n'était pas au rendez-vous. Puis il y a
eu cette immense crise et comme le Président de la République vient de le dire,
il l’a vécu, et à mon avis à juste titre, comme une opportunité.
- Ce tournant sur le fond que vous souhaitez, dans quel sens?
Un tournant social? Une accélération?
On vient de parler de l'État et c'est très important, mais
il y a aussi la recherche que le Président de la République a profondément
annoncée dans la conférence de presse à la sortie du Grand débat, la recherche
d'un nouveau modèle de société.
- Donc un tournant écologique.
L'écologie cela en fait partie mais cela ne résume pas tout.
On peut essayer de voir l'ampleur de ce qui se passe. Vous voyez bien quel est
le sujet. Le sujet, c'est qu'à la surface de la planète, dans les pays
développés en tout cas, il y a un modèle de société qui s'impose, qui gouverne,
qui commande tout et, ce modèle de société, c'est la société du plus fort et,
souvent, du plus riche. La société de ceux qui imposent leur volonté aux
autres. C'est à l'échelon international ; vous voyez bien ce que Donald
Trump montre chaque fois qu'il parle. Le président des États-Unis, chaque fois
qu'il parle, il dit : « Nous sommes les plus forts et vous allez nous
obéir » et cette vision du monde, elle est profondément le contraire de ce
que l'histoire de la France et la vocation de la France attendent et
appellent ; ce qu'au fond de Gaulle avait assez bien senti en son temps.
- Donc c'est un discours de gauche, pardon… Vous souhaitez
une inflexion à gauche? Humaniste?
Avec l'histoire de ma vie, est-ce que je peux vous dire que
cette vision qui consiste à penser que tout est en droite/gauche, pardonnez-moi
de le dire, est une vision périmée. Je crois qu'elle a toujours été fausse,
mais elle est périmée.
- Comment la qualifieriez-vous? Humaniste?
On le voit bien. Il s'agit de remplacer la société du plus
fort par la société du plus juste. Pourquoi? Qu'est-ce cela veut dire la
société du plus juste? Cela ne veut pas dire qu'on ignore l'économie, qu'on
ignore la finance, cela ne veut pas dire que l'on ne sait pas qu'il faut de
l'argent pour faire vivre la société, la vôtre, comme les autres, cela veut
dire simplement que l'on pense que le moyen ne doit pas être plus fort que tout
le reste. L'argent est un moyen, il ne doit pas être plus fort que tout le
reste. Cette attente-là, vous voyez bien tout ce qu'elle représente. D'abord,
vous parliez de l'environnement, de l'écologie, de la préservation de ce qui
nous appartient à tous.
- Cela, c'est une dimension que vous attendez?
De ce climat. Ensuite il y a la question des retraites. A-t-on
des retraites justes? Tout le monde sait que non. Il y a la question travail.
- Sur les retraites, il y a eu un débat, en tout cas dans la
majorité: il faut inciter les gens à travailler davantage car l'équilibre financier
du système de retraite le demande. Mais il y a deux façons de le faire:
incitative, vous travaillez au-delà de 64 ans, vous aurez une prime à la
retraite et une autre façon «punitive»: si vous n'allez pas jusque-là votre
retraite sera sous-cotée, il y aura une décote de votre retraite. Faut-il une
décote de la retraite? Est-ce que le Premier ministre doit l’annoncer?
Je crois que ce qui est incitatif est bon et vous voyez bien
de quoi il s’agit. Il se trouve que la durée de la vie s'allonge et il n'y a
pas un Français parmi ceux qui nous écoutent qui imagine, qu'alors que la vie
s'allonge, on va raccourcir le temps de travail. Ce serait un mensonge d'État
et ce serait une manière de tromper si profondément les gens qu'on aurait le
droit de se mettre en colère contre. Bien sûr, il va falloir que tout
le monde adapte sa vie de travail à sa vie physiologique, à la durée de sa
vie physiologique de sorte que la retraite demeure un long temps, mais un temps
proportionnel à la durée de la vie.
- Faut-il passer par la décote?
Ce qui est incitatif est intéressant. Qu'est-ce cela veut
dire la retraite par points? Tout le monde dit cela sans que l'on ait réfléchi
à cette question. Vous vous souviendrez que j'en ai défendu le principe depuis
très longtemps. Cela veut dire que l'on donne aux Français plus de liberté pour
choisir l'âge de départ à la retraite. Et choisir l'âge de départ à la
retraite, d'une certaine manière à la carte, cela veut dire aussi que l'on
choisit le niveau de la pension et le niveau de la pension est d'autant plus
grand que l'on reste plus longtemps dans des cadres définis par la loi. Et,
avec cela, vous avez le principe et un principe qui est juste.
- Y compris quand cela peut amoindrir le niveau de la
retraite si l’on ne travaille pas jusqu’à 64 ans, il faut peut-être en passer
par là?
Je n'ai pas dit cela. Le choix du niveau de la pension est
un choix qui va avec l'âge de départ à la retraite, mais, moi, je pense que
l'on devrait pouvoir enrichir cela encore davantage, car il y a des gens qui
ont eu des vies avec un travail très difficile, le point ne doit pas être le
même.
- Selon les parcours?
La durée de travail n'est pas là même selon que vous avez
travaillé dans le bitume sur le trottoir, comme cela arrive assez souvent,
comme on le voit dans nos villes ou que vous avez été exposé aux intempéries ou
que vous avez travaillé de nuit. Cette adaptation-là, c'est la question même du
nouveau régime de retraite qu'on a le temps pour installer, mais qui est
nécessaire.
- L'immigration devrait faire partie de ce discours de
politique générale avec peut-être un nouveau projet de loi, après celui de
Gérard Collomb. Est-ce que ce serait justifié et nécessaire?
Tout d’abord, je ne sais pas si c'est vrai et vous entendez
le point d'interrogation dans ma voix. Mais on verra demain. En tout cas, que
la question de l'immigration doive être traitée les yeux ouverts par des
gouvernants qui soient à la hauteur de ce que ressentent les citoyens, eh bien
cela, c'est légitime. Je ne dis pas que cela va se faire demain. Vous vous
souvenez que le Président de la République avait mis cela dans sa première
lettre aux Français et que cela avait suscité une espèce d'interrogation, de
sentiment d'étrangeté par les gens qui préfèrent mettre la poussière sous le
tapis.
- Pas chez vous donc, on le comprend.
Moi, je pense que c'est légitime que l'on en parle et que
l'on essaie d'inventer des systèmes, y compris des systèmes nouveaux, qui
permettront de résoudre cette question. Je crois qu'on peut le faire.
- Un mot des enseignements des Européennes où l’on a
constaté que, de plus en plus, le vote de ceux qui se disent de droite était
aujourd'hui un vote Emmanuel Macron. Est-ce que vous aussi vous dites après ces
élections aux élus de droite, aux maires: Rejoignez-nous?
Je vais vous surprendre, je n'aime pas les injonctions. Les
gens qui veulent décider à la place des autres et j’aime le pluralisme… Vous
vous souvenez que, lorsque l'UMP s’est créée, j'étais à la réunion de formation
de l'UMP à Toulouse, il y a longtemps, c'était juste avant l'élection
présidentielle de 2002. J'ai dit : Vous dites que l'on pense tous la même
chose, mais si l’on pense tous la même chose, c'est que l'on ne pense plus
rien. Je pense que la majorité a besoin de pluralisme ; je ne pense pas
qu'il faille réduire ou enfermer tout le monde sous la même étiquette. Ce n'est
pas ma manière de voir les choses. En revanche, votre interrogation suscite
chez moi une réflexion. Je pense que c'est un très mauvais service à rendre au
Président de la République que d'en faire le président d'un bord, très mauvais
service. J'ai toujours pensé que, au contraire, le Président de la République
avait une vocation de fédérateur au centre de la démocratie française.
- Même aujourd'hui encore?
Aujourd'hui encore et aujourd'hui plus que jamais.
- Alors que les électeurs semblent dire l'inverse?
Vous avez bien entendu ce que j'ai dit. L'enjeu majeur,
c'est de trouver un projet de société qui ne soit pas le projet de la société
de la loi du plus fort, mais le projet de société de la loi du plus juste. Si
nous arrivons à faire cela alors, je n'ai aucun doute que ceux qui vont se
reconnaître dans cette action, d'un bord et de l'autre et du grand socle
central, ceux-là se réuniront dans la diversité avec des aspirations
différentes; ils en ont bien le droit et c'est nécessaire que l'on puisse faire
respirer cette diversité.
- En attendant, le macronisme, en tout cas d'un point de vue
électoral, penche plutôt à droite et du coup, est-ce qu’Édouard Philippe dont
on disait qu'il était peut-être sur la sellette avant n'a pas une autoroute
pour terminer à Matignon jusqu'en 2022?
C'est le Président de la République et le Premier ministre
qui voient cela. J'ai toujours pensé que la fonction du Président de la
République et celle du Premier ministre n'étaient pas les mêmes et que l'on a
tort de les regarder comme s'ils exerçaient la même fonction. Il y a, d'un
côté, une fonction d'inspiration et, de l'autre, une fonction de conduite de
l'action quotidienne. Ces deux fonctions-là sont nécessaires au pays.
Jamais je n'ai cru que le Premier ministre était un collaborateur du Président,
même à l'époque où c'était la doctrine d'État, la doctrine officielle.
- Vous savez que l'on avait évoqué votre nom comme possible
prétendant à Matignon. Cette hypothèse s'éloigne. Est-ce que vous en nourrissez
un regret?
J'ai la responsabilité d'une collectivité locale pour
laquelle j'ai une immense affection et de toute cette région qu'est le Béarn au
pied des Pyrénées et tout cela est pour moi très précieux. Et j'ai la
responsabilité d'un courant politique national important ; au fond que le
courant politique a été le précurseur de ce qui s'est passé aujourd'hui ;
Donc, pour moi, c'est très bien, je suis un tout tient du Président de la
République, un soutien amical et un soutien, quelqu'un qui se sent partie
prenant de cette immense aventure que 2017 a permis aux Français de vivre et
dont ils n'ont pas découvert encore, et de très loin, la profondeur car ce qui
se joue aujourd'hui a une grande importance, pour la France pour l’Europe et je
crois une grande importance pour le monde. Nous sommes précisément dans ce
moment et dans ce pays où ces questions peuvent être posées sans avoir l'air
déplacé. Je trouve, moi, que c'est une très grande chance.
- Un seul mandat suffira-il à Emmanuel Macron? On estime
déjà qu'il faudrait qu'il envisage un deuxièmement mandat. Est-ce que vous, vous
souhaitez qu'il se représente?
J'aime beaucoup la tradition agricole française. Il y a un
proverbe que je vous encourage à méditer: «Il ne faut pas mettre la charrue
avant les bœufs». Il ne faut pas inverser le temps. Laisser le temps se vivre.
Ce que nous sommes en train de vivre est crucial. Ce que nous vivons dans les
jours où nous sommes-là, est-ce que c'est possible d'inventer une deuxième
phase, un deuxième acte à partir de la même élection ? Est-ce qu’on peut
approfondir l'action pour que les Français découvrent qu'il y a là, pas
seulement de la gestion, c'est nécessaire la gestion, mais qu'il y a aussi un
projet qui porte dans les années qui viennent, dans les 5, 10, 15, 20 ans à
venir, que quelque chose se fonde, que les fondations soient en train de se
couler sur lesquelles on va bâtir quelque chose de très important.
- Un nouveau projet qui n'était pas celui de 2017.
Il était en germe en 2017, mais il n'a pas été explicité. Si
j'avais ce sentiment-là, au fond, l'élection présidentielle a ouvert un cycle
qui a été un cycle de décisions importantes dans le domaine de la gestion mais,
pour moi, la politique, et singulièrement la politique quand elle est exercée
par le Président de la République, cela va beaucoup plus loin. Ce n'est pas seulement
fait pour régler des problèmes qui sont des problèmes très importants,
économiques financiers, c'est fait pour donner aux gens des raisons de vivre,
des raisons d’y croire, des raisons au fond de s'engager et de retrouver
confiance dans la vie que nous partageons, dans la société qui est la nôtre et
dans le pays qui est le nôtre.
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