Il ne faut pas confondre individualisme et nombrilisme.
Le premier est une pensée de l’émancipation de l’individu,
le deuxième est un comportement destructeur de la démocratie républicaine.
La démocratie moderne ainsi que le progrès économique,
social et sociétal depuis le début du XIX° siècle et après l’indépendance des
Etats-Unis qui voit la création de la première – et imparfaite – démocratie
moderne puis de la révolution française qui met à l’honneur la devise
indépassable de la démocratie, «liberté, égalité, fraternité», et qui devient
un phare pour tous les démocrates de la planète, a permis une montée de
l’autonomie de l’humain qui est en soi une avancée majeure de la condition humaine.
Mais cette autonomisation qui est portée par
l’individualisme, une philosophie de la vie qui veut promouvoir et protéger les
droits imprescriptibles de chacun, peut être la meilleure comme la pire des
choses.
Si cette autonomisation est une réelle émancipation, qu’elle
ressort d’un comportement individualiste c'est-à-dire d’un comportement
responsable de l’individu vis-à-vis de sa liberté et de ses choix, alors on peut
construire une vraie démocratie républicaine dessus à la fois respectueuse,
équilibrée et solide qui s’inscrit dans un lien social fort de personnes égales
entre elles, dotées de droits et de devoirs.
Si cette autonomisation ne se transforme qu’en atomisation,
c'est-à-dire d’humains qui ne veulent plus partager un destin commun (local,
national ou mondial) les uns avec les autres, elle devient un outil du nombrilisme,
qui est en train de gangréner les démocraties jusque dans un populisme revigoré
mais qui se produit aussi dans tous les pays du monde et pas seulement les
démocraties, alors la menace est réelle d’une société violente, irrespectueuse,
égoïste.
D’autant que ce nombrilisme, tout en se parant d’une révolte
d’apparat cache en réalité une demande extravagante et impudique d’assistanat.
Qu’est ce qu’un comportement nombriliste?
C’est, dans une formule, l’individualisme sans la
responsabilité et le respect.
Le nombrilisme, c’est, comme je l’ai écrit dans «L’individu
du XXI° siècle, le grand prédateur de la démocratie» (1), «une attitude
narcissique et égocentrique qui consiste à n’attacher d’importance qu’à sa
personne, qu’à poursuivre ses intérêts sans s’intéresser à l’autre et à la
communauté, sans ressentir aucune obligation morale ou sociale vis-à-vis
d’eux».
Bien entendu les comportements égoïstes, égocentriques,
égotistes, d’assistés, d’irresponsabilité, d’irrespect ne datent pas de la
montée de la démocratie et de l’autonomie de chacun.
Néanmoins, ils y trouvent un terreau particulièrement fertile
en transformant la devise «liberté, égalité, fraternité» en l’impudique
trivialité «licence, égalitarisme, égotisme» dans une sorte d’autolâtrie
individuelle parce que la démocratie républicaine offre la possibilité à
l’individu de réaliser son projet de vie et donc qu’il peut tout à fait en
faire un simple outil au service de son unique intérêt, de son unique personne
et non qui s’inscrit dans la communauté dans laquelle il vit où il refuse tout
respect, toute solidarité avec ses congénères.
Il s’agit d’un véritable défi libertario-hédoniste porté par
une hybridation du citoyen et du consommateur (que l’on pourrait dénommer d’un
barbarisme néologique «consopolite», consommateur de politique) qui fait son
marché politique et social dans une absolue démarche égocentrique.
Il faut bien comprendre que le nombriliste n’est pas contre
la liberté, l’égalité et la fraternité mais qu’il les veut d’abord pour lui,
voire exclusivement pour lui!
En ce sens il n’est pas contre la démocratie et pour un
quelconque régime autoritaire ou totalitaire.
Cependant, en dévoyant ainsi la démocratie républicaine, il
en devient une des principales menaces à la fois par ses comportements mais
aussi contre les réactions plus ou moins extrêmes qu’il peut susciter.
Face au nombrilisme, nous devons organiser une résistance ferme
et efficace avec des pare-feux.
Mais la seule vraie solution ne peut venir que du
comportement de chacun où, en regard de sa liberté, l’individu accepte d’être
responsable de ses choix et s’impose le respect de l’autre.
C’est à cette seule condition que la démocratie républicaine
peut être pérenne dans le temps et ne s’effondre pas sur elle-même comme les
volcans dans une super-éruption qui les font disparaitre avec, ici, un magma d’exigences
individuelles toujours plus exorbitantes.
Oui, nous devons prouver à Tocqueville et à d’autres que le
pire de la démocratie libérale n’est pas une fatalité.
(1) L’individu du XXI° siècle, le grand prédateur de la
démocratie?, Editions du CREC, 2019
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