Discours sur l'Europe de Macron à la Sorbonne |
La tribune d’Emmanuel Macron que publient de nombreux
quotidiens européens et qui est disponible en 28 langues sur le site internet
de l’Elysée, est un plaidoyer centriste pour la construction européenne et son
approfondissement à trois mois des élections au Parlement européen.
Tout y est: la promotion de l’Union européenne mais une UE
qui ne peut être que démocratique, progressiste et sociale pour, non seulement,
être digne des pionniers qui l’ont imaginée et qui ont commencé à la construire
mais aussi des valeurs issues de l’histoire de l’Europe.
Emmanuel Macron n’oublie pas que cette construction
européenne est en danger et qu’elle doit également se structurer pour être un
espace de paix et de sécurité pour ses citoyens sous peine de disparaitre.
Pas de lyrisme béat mais une obligation de réformer l’Union
européenne et de la doter des outils indispensables à sa survie, à la poursuite
d’une intégration de plus en plus grande des pays et des peuples qui la
composent et d’une adhésion de tous ses habitants.
Pas de pudeur non plus pour ménager tous ceux qui attaquent
l’Union européenne, des populistes aux extrémistes, qui la mettent en danger de
mort et qui sont à l’origine d’un renouveau nationaliste qui s’est notamment
incarné dans le Brrexit qu’Emmanuel Macron considère comme un «symbole de la
crise» que vit l’Europe actuellement.
Voici le texte de cette tribune:
Citoyens
d’Europe,
Si
je prends la liberté de m’adresser directement à vous, ce n’est pas seulement
au nom de l’histoire et des valeurs qui nous rassemblent. C’est parce qu’il y a
urgence. Dans quelques semaines, les élections européennes seront décisives
pour l’avenir de notre continent.
Jamais
depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a été aussi nécessaire. Et pourtant,
jamais l’Europe n’a été autant en danger.
Le Brexit en est le symbole.
Symbole de la crise de l’Europe, qui n’a pas su répondre aux besoins de
protection des peuples face aux grands chocs du monde contemporain. Symbole,
aussi, du piège européen. Le piège n’est pas l’appartenance à l’Union
européenne; ce sont le mensonge et l’irresponsabilité qui peuvent la détruire.
Qui a dit aux Britanniques la vérité sur leur avenir après le Brexit? Qui leur
a parlé de perdre l’accès au marché européen? Qui a évoqué les risques pour la
paix en Irlande en revenant à la frontière du passé? Le repli nationaliste ne
propose rien; c’est un rejet sans projet. Et ce piège menace toute l’Europe :
les exploiteurs de colère, soutenus par les fausses informations, promettent
tout et son contraire.
Face
à ces manipulations, nous devons tenir debout. Fiers et lucides. Dire d’abord
ce qu’est l’Europe. C’est un succès historique: la réconciliation d’un
continent dévasté, dans un projet inédit de paix, de prospérité et de liberté.
Ne l’oublions jamais. Et ce projet continue à nous protéger aujourd’hui: quel
pays peut agir seul face aux stratégies agressives de grandes puissances? Qui
peut prétendre être souverain, seul, face aux géants du numérique? Comment
résisterions-nous aux crises du capitalisme financier sans l’euro, qui est une
force pour toute l’Union? L’Europe, ce sont aussi ces milliers de projets du
quotidien qui ont changé le visage de nos territoires, ce lycée rénové, cette
route construite, l’accès rapide à Internet qui arrive, enfin. Ce combat est un
engagement de chaque jour, car l’Europe comme la paix ne sont jamais acquises.
Au nom de la France, je le mène sans relâche pour faire progresser l’Europe et
défendre son modèle. Nous avons montré que ce qu’on nous disait inaccessible,
la création d’une défense européenne ou la protection des droits sociaux, était
possible.
Mais
il faut faire plus, plus vite. Car il y a l’autre piège, celui du statu quo et de la
résignation. Face aux grands chocs du monde, les citoyens nous disent bien
souvent: «Où est l’Europe? Que fait l’Europe?». Elle est devenue à leurs yeux
un marché sans âme. Or l’Europe n’est pas qu’un marché, elle est un projet. Un
marché est utile, mais il ne doit pas faire oublier la nécessité de frontières
qui protègent et de valeurs qui unissent. Les nationalistes se trompent quand
ils prétendent défendre notre identité dans le retrait de l’Europ ; car c’est
la civilisation européenne qui nous réunit, nous libère et nous protège. Mais
ceux qui ne voudraient rien changer se trompent aussi, car ils nient les peurs
qui traversent nos peuples, les doutes qui minent nos démocraties. Nous sommes
à un moment décisif pour notre continent; un moment où, collectivement, nous
devons réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre
civilisation dans un monde qui se transforme. C’est le moment de la Renaissance
européenne. Aussi, résistant aux tentations du repli et des divisions, je vous
propose de bâtir ensemble cette Renaissance autour de trois ambition : la liberté, la protection et le
progrès.
Défendre notre liberté
Le modèle européen repose sur la liberté de l’homme, la diversité des opinions, de la
création. Notre
liberté première est la liberté démocratique, celle de choisir nos gouvernants
là où, à chaque scrutin, des puissances étrangères cherchent à peser sur nos
votes. Je propose que soit créée une
Agence européenne de protection des démocraties qui fournira
des experts européens à chaque Etat membre pour protéger son processus
électoral contre les cyberattaques et les manipulations. Dans cet esprit
d’indépendance, nous devons aussi interdire
le financement des partis politiques européens par des puissances étrangères.
Nous devrons bannir
d’Internet, par des règles européennes, tous les discours de haine et de
violence, car le respect de l’individu est le fondement de notre
civilisation de dignité.
Protéger notre continent
Fondée
sur la réconciliation interne, l’Union européenne a oublié de regarder les
réalités du monde. Or aucune communauté ne crée de sentiment d’appartenance si
elle n’a pas des limites qu’elle protège. La frontière, c’est la liberté en
sécurité. Nous
devons ainsi remettre à
plat l’espace Schengen : tous ceux qui veulent y participer
doivent remplir des obligations de responsabilité (contrôle rigoureux des
frontières) et de solidarité (une même politique d’asile, avec les mêmes règles
d’accueil et de refus). Une police
des frontières commune et un office européen de l’asile, des
obligations strictes de contrôle, une solidarité européenne à laquelle chaque
pays contribue, sous l’autorité d’un Conseil
européen de sécurité intérieure: je crois, face aux migrations,
à une Europe qui protège à la fois ses valeurs et ses frontières.
Les
mêmes exigences doivent s’appliquer à la défense. D’importants progrès ont été
réalisés depuis deux ans, mais nous devons donner un cap clair: un traité de défense et de sécurité devra
définir nos obligations indispensables, en lien avec l’OTAN et nos alliés
européens : augmentation des dépenses militaires, clause de défense mutuelle
rendue opérationnelle, Conseil de sécurité européen associant le Royaume Uni
pour préparer nos décisions collectives.
Nos
frontières doivent aussi assurer une juste
concurrence. Quelle puissance au monde accepte de poursuivre
ses échanges avec ceux qui ne respectent aucune de ses règles? Nous ne pouvons
pas subir sans rien dire. Nous devons réformer notre politique de concurrence,
refonder notre politique commerciale: sanctionner
ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts
stratégiques et
nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales,
la protection des données et le juste paiement de l’impôt ; et assumer, dans
les industries stratégiques et nos marchés publics, une préférence européenne
comme le font nos concurrents américains ou chinois.
Retrouver l’esprit de progrès
L’Europe
n’est pas une puissance de second rang. L’Europe entière est une avant-garde:
elle a toujours su définir les normes
du progrès. Pour cela, elle doit porter un projet de convergence
plus que de concurrence: l’Europe, où a été créée la sécurité sociale, doit
instaurer pour chaque travailleur, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, un bouclier social lui
garantissant la même rémunération sur le même lieu de travail, et un salaire
minimum européen, adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement.
Renouer
avec le fil du progrès, c’est aussi prendre la tête du combat écologique.
Regarderons-nous nos enfants en face, si nous ne résorbons pas aussi notre
dette climatique? L’Union européenne doit fixer son ambition – 0 carbone en
2050, division par deux des pesticides en 2025 – et adapter ses politiques à
cette exigence: Banque
européenne du climat pour financer la transition écologique; force sanitaire européenne
pour renforcer les contrôles de nos aliments; contre la menace des lobbies, évaluation scientifique indépendante
des substances dangereuses pour l’environnement et la santé... Cet impératif
doit guider toute notre action : de la Banque centrale à la Commission
européenne, du budget européen au plan d’investissement pour l’Europe, toutes
nos institutions doivent avoir le climat pour mandat.
Le
progrès et la liberté, c’est pouvoir vivre de son travail: pour créer des
emplois, l’Europe doit anticiper. C’est pour cela qu’elle doit non seulement
réguler les géants du numérique, en créant une supervision européenne des grandes plateformes
(sanction accélérée des atteintes à la concurrence, transparence de leurs
algorithmes…), mais aussi financer
l’innovation en dotant le nouveau Conseil européen de
l’innovation d’un budget comparable à celui des Etats-Unis, pour prendre la
tête des nouvelles ruptures technologiques, comme l’intelligence artificielle.
Une
Europe qui se projette dans le monde doit être tournée vers l’Afrique, avec laquelle
nous devons nouer un pacte d’avenir. En assumant un destin commun, en soutenant
son développement de manière ambitieuse et non défensive: investissement,
partenariats universitaires, éducation des jeunes filles…
Liberté, protection, progrès. Nous devons bâtir sur ces piliers
une Renaissance européenne. Nous ne pouvons pas laisser les nationalistes sans
solution exploiter la colère des peuples. Nous ne pouvons pas être les
somnambules d’une Europe amollie. Nous ne pouvons pas rester dans la routine et
l’incantation. L’humanisme européen est une exigence d’action. Et partout les
citoyens demandent à participer au changement. Alors d’ici la fin de l’année,
avec les représentants des institutions européennes et des Etats, mettons en
place une Conférence
pour l’Europe afin de proposer tous les changements nécessaires à notre projet
politique, sans tabou, pas même la révision des traités. Cette
conférence devra associer des panels
de citoyens, auditionner des universitaires, les partenaires
sociaux, des représentants religieux et spirituels. Elle définira une feuille
de route pour l’Union européenne traduisant en actions concrètes ces grandes
priorités. Nous aurons des désaccords, mais vaut-il mieux une Europe figée ou une
Europe qui progresse parfois à différents rythmes, en restant ouverte à tous?
Dans cette Europe, les peuples auront vraiment repris le
contrôle de leur destin ;
dans cette Europe, le Royaume Uni, j’en suis sûr, trouvera toute sa place.
Citoyens
d’Europe, l’impasse du Brexit est une leçon pour tous. Sortons de ce piège,
donnons un sens aux élections à venir et à notre projet. A vous de décider si
l’Europe, les valeurs de progrès qu’elle porte, doivent être davantage qu’une
parenthèse dans l’histoire. C’est le choix que je vous propose, pour tracer
ensemble le chemin d’une Renaissance européenne.
Emmanuel
Macron
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