François Bayrou |
De même, il a apprécié l’investissement d’Emmanuel Macron qui
a participé à de nombreuses réunions.
Le leader centriste affirme que la démocratie est la grande gagnante
de ce moment de prise de parole de tous.
Il souhaite que ce qui sortira de ce Grand débat soit la capacité
de la France et des Français, mais aussi de l’Union européenne, de rependre leur
destin en main face aux menaces qui sont déjà présentes et d’autres qui se profilent.
Et le président du MoDem de conclure: «Jamais
l'Histoire n'a été plus dangereuse, jamais».
Extraits de l’interview de François Bayrou:
Le Grand débat a démarré dans le scepticisme puis,
finalement, cela a pris. Il y a eu des dizaines de milliers de contributions il
y a eu des débats publics, vous. Bref, il y a eu un réel intérêt
des Français.
Vous avez dit quelque chose absolument vrai: en dehors
du Président de la République et de très peu de ses amis, personne n’y croyait.
C'était un total scepticisme, à la fois de la part de ceux qui sont des
militants contre le Président de la République.
Les partis d'opposition.
Oui, et la sensibilité d'opposition, dans la rue, des
gens qui ne l’aiment pas. Ceux-là avaient le sentiment qu'on allait les
manipuler, que c'était de l'enfumage. Vous avez entendu tous ces mots-là. Puis,
parmi les soutiens, la majorité ou le gouvernement, cela arrive aussi du
Président de la République, ils avaient le sentiment d'un objet politique non
identifié, ingérable et qu'il allait sortir tellement de choses qu’il était
impossible d'apporter des réponses.
On en est là, aux réponses!
Depuis le premier jour (…) je croyais et même je peux
dire j’avais le sentiment de savoir que, lorsqu'on offre à des citoyens de
participer à une vraie réflexion de bonne foi sur leur avenir, de poser les
questions qu'ils considèrent comme étant les questions cruciales, alors ils
s'engagent. Et ce sont des centaines de milliers de Français qui se sont engagés.
Tous ceux qui prétendaient que cela n'intéresserait personne, qu'il n'y aurait
que les élus peut-être après la première réunion avec les maires, c'était très
drôle (…). Il suffit que tout cela soit de bonne foi et ce que les Français ont
vu – et c'est cela qui a tout changé, dans les heures et les heures que le
Président de la République a prises, il a pris plus d'heures encore que
moi, j'en ai pris près de 30 – dans l'engagement du Président de la République,
c'est que c'était un engagement absolument authentique, sincère, de bonne foi.
Ils ont vu qu'il était compétent, qu'il connaissait
vraiment très très bien les sujets du pays, qu'il avait la mémoire précise des
gens et des choses et des événements. Et ils ont vu qu'il était à l'écoute,
présent, qu'il prenait sa part, y compris dans l'émotion. Je me souviens très
bien de ce jeune dyslexique qui est venu expliquer ce qu'étaient les
difficultés de ceux qui ne sont pas tout à fait comme les autres à certains
moments de leur vie. Cela touche des millions de gens, mais lui était
profondément ému. J'ai vu la personne au salon de l'agriculture, l'agriculteur
âgé qui n'avait pas reçu tous ses droits, c'était une émotion partagée.
Vous comprenez, la démocratie, la représentation
démocratique, cela ne s'arrête pas au jeu des idées. Il y a quelque chose
d'autre. C'est que l'on participe, on prend sa part de la profondeur de la vie
de ceux que l'on a en face de soi. (…)
On arrive à l'issue de ce Grand débat on attend
maintenant les arbitrages du Président de la République. Entre autres, il
promet des réponses précises. Qu'attendez-vous, vous, de
concret?
La question posée par les Français, si l’on veut
trouver une question qui fédère et rassemble toutes les autres, c'est: est-ce
qu’on peut reprendre notre destin en main? Depuis des décennies, vous savez
exactement ce qui se passe. Le moment démocratique majeur, c'est l'élection
présidentielle, à ce moment sortent des attentes, des questions, des angoisses
qui sont fortes. Puis, l'élection se passe, celui qui est élu est en général
celui qui a le mieux ressenti ces questions-là, il s'installe au pouvoir avec
ses équipes et tout reprend comme avant, avec une déclaration doctrinale ou
idéologique, une déclaration répétée sous toutes les formes, c'est: il n'y a
pas moyen de faire autrement.
Comment faire autrement ?
Il n'y a aucune possibilité, dit-on aux Français et
c'est ce que les Français entendent, de bâtir un destin qui soit différent de
celui que l'on voit régner partout sur la planète.
Cela veut dire quoi? Faire vivre plus la démocratie
sur le temps long, c'est-à-dire sur le temps du quinquennat?
Plus que cela, donner aux Français les outils et la
légitimité de penser que l'on n'est pas sous le coup ou condamné à une fatalité
qui fasse que l'on ne pourrait pas changer, non pas le monde, il ne faut pas
croire que l'on ait des baguettes magiques, mais une partie du monde et une
partie de la société française. Cela implique deux choses. La première, c'est
formuler un nouveau projet national pour la France. Est-ce que la France a
quelque chose à dire qui soit différent de ce que tous les autres puissants de
la planète, toutes les puissances économiques, financières, politiques, les
grands empires, disent.
Qu'est-ce qu'ils disent? Est-ce que la France peut dire
quelque chose de différent? Si vous avez lu la tribune que le Président de la
République a publiée mardi dans tous les journaux européens sur l'Europe, c'est
cela qu'elle dit: face à toutes les puissances de la planète, oui nous pouvons
porter un projet de société différent, un projet qui tienne compte aussi bien
de la justice que de la création de richesse, qui introduise la justice dans ce
monde qui est entièrement tourné vers la création, c'est-à-dire la création de
richesse. Cela, c'est la première question.
La deuxième question: la société démocratique
française, est-ce qu’elle permet d'exprimer les attentes profondes du peuple
français? On s'aperçoit qu'il y a sûrement quelque chose qui ne va pas dans ce
système parce que tant de Français ne se sentent pas représentés. Ils n’ont pas
voix au chapitre et ces deux grandes séries de questions entraînent une série
de changements très importants qui répondent aux angoisses et difficultés. Qu'est-ce
qu’ils disent les Français participant au débat? Déjà, ils disent: On n'est pas
représenté. Bon il y a des réponses sur la démocratie la représentation.
(…) Vous
dites démocratie. Vous le savez bien, je mène un combat depuis très longtemps
pour que tous les grands courants d'opinion aient une juste représentation.
Vous savez bien que j'ai exprimé des réserves sur le point d'équilibre.
(…) Je pense qu'il y a la nécessité
d'une représentation de tous les grands courants d'opinion. Il y a la nécessité
de rendre plus facile l'expression directe des Français, les référendums, que
les gilets jaunes appellent d'initiative citoyenne. Cela existe dans la
Constitution. Cela n'a jamais été utilisé.
(…) Pourrait-on regarder l'extension du
domaine du référendum sans aller évidemment jusqu'à la possibilité de remettre
en cause les principes fondamentaux de la Déclaration des Droits de l'Homme des
Libertés qui sont les piliers de la société dans laquelle nous vivons.
(…) En France, quand on est minoritaire, cela m'est
arrivé suffisamment souvent pour que j'aie une expérience précise de ce sujet,
on est sur la touche. Or, un pays, ce n'est pas que sa majorité, alors ceux
qui, hier, les deux forces principales, étaient majoritaires et qui croyaient
que c'était normal qu’elles eussent la majorité à jamais, elles découvrent
aujourd'hui que ce n'est pas une situation aussi équitable qu'elles le
croyaient. Peut-être cela peut nous permettre d'évoluer vers une démocratie car
une démocratie, ce n'est pas seulement le règne de la majorité, c'est aussi la
protection des minorités.
Avez-vous des idées particulières sur
ce qu'il faudrait changer dans la fiscalité française ?
La question de la fiscalité, pour ceux qui
interviennent très souvent, c'est la justice. Est-ce que l’effort que l'on me
demande, à moi, est juste? Est-ce qu’on ne pourrait pas en demander à d'autres,
etc.? Il y a, me semble-t-il, une question qui est importante sur laquelle les
Français ont des doutes et à propos de laquelle il faut apporter une réponse indiscutable.
Les Français ont le sentiment, et il y a parfois des contributions qui le
répètent à l'envi, qu'il y a des dizaines de milliards, peut-être
100 milliards, d'évasion fiscale. On ne peut pas laisser les Français avec
cette suspicion-là. Il faut donc une démarche crédible, partagée, ouverte pour
que la lutte contre l'évasion fiscale soit garantie aux Français comme étant
efficace et équitable.
Vous suggérez, à l'issue de ce Grand débat, de revoir
cette réforme de l'ISF?
En tout cas ce n'est pas une question interdite. Le
Président de la République a dit, tout le monde fait semblant de ne pas l'avoir
entendu, en sachant ce qu'il disait: «Il n'y a pas de question taboue.» On peut
tout à fait discuter de ce sujet. Faut-il alourdir sur l'immobilier? Je ne le
crois pas parce qu'il y a peut-être de grandes fortunes placées dans
l'immobilier et encore je demanderai des vérifications sur ce sujet, mais
l'immobilier c'est important pour beaucoup de familles et notamment au moment
de la succession. J'ai lu qu'il y avait des gens qui voulaient alourdir l'impôt
sur les successions. Je pense que ce n'est pas une bonne idée.
On en vient à cette tribune européenne, Emmanuel
Macron l’a lancée cette semaine à l'adresse de tous les citoyens européens, ce
qui était inédit. On a bien compris qu'il se vivait un peu comme le chef de la
campagne européenne, on n'a pas bien compris avec quels alliés il comptait
travailler demain.
Ce que le Président de la République a fait, vous avez
dit inédit, c'est en effet sans précédent. Un chef d'Etat qui s'adresse à tous
les citoyens européens, pas seulement à ceux qui votent chez lui, mais à tous
les citoyens européens pour mettre en évidence la nécessité historique que nous
sommes en train de vivre, alors c'est en effet sans précédent. Qu'est-ce qui se
passe? C'est très simple. Vous avez des forces incommensurables économiques,
financières, politiques, qui veulent la destruction de l'Europe, qui voient,
là, la seule chose qui puisse contrebalancer…
Une question sur l'Europe et un départ attendu.
François Bayrou le Brexit va avoir lieu, qu'il soit ordonné ou pas, mais en
tout cas il aura lieu. Quelle leçon tirez-vous de cette affaire qui est quand
même un échec collectif et faut-il que l'Union Européenne, à votre sens, fasse
un dernier geste en faveur de Theresa May voire repousse la date du
29 mars pour ce divorce ?
C'est la Première Ministre Britannique qui risque de
demander le report. Je pense qu'il est impossible que les instances européennes
renoncent aux exigences qu'elles ont mises sur la table. Pourquoi? Parce que
s'il apparaissait que l'Europe soit prête à faire plus pour ceux qui la
quittent que pour ceux qui sont fidèles à l'accord et à l'alliance et au
traité, alors, vous ouvrez la boîte de Pandore. Il y a des tas de pays qui se
diront : Bonne pioche, on va pouvoir à la fois avoir les avantages et se
libérer des contraintes. Eh bien ceci est strictement impossible. Cela dit une
deuxième chose, l'affaire du Brexit : on ment au peuple, il croit les
mensonges, mais il y a un rendez-vous derrière qui est celui du réel. Vous vous
souvenez comment la campagne a été faite par ceux qui ont soutenu l'idée de «leave», Quittez, partez,
référendum. Ils ont dit: Mais, vous vous rendez compte, on donne donc des
dizaines de milliards tous les ans à l'Union Européenne, on va les récupérer
pour nous, on va construire des hôpitaux, des écoles avec cet argent.
Ces bruits-là, vous les entendez en France aussi. Qu'est-ce
qui se passe au bout du chemin? On s'aperçoit que c'est une impasse absolue,
que c'est un chaos, et ils le savaient très bien. C'est cela qui est
fantastique. Ils ont fait campagne là-dessus, mais dès le lendemain du résultat
du référendum, ils sont partis. Ils ont refusé les responsabilités, ils se sont
échappés en courant et c'est la preuve qu'ils savaient que ce qu'ils disaient
était un mensonge éhonté. Simplement, ce sont des mensonges qui déclenchent des
passions et prendre des décisions dans une ambiance passionnelle comme cela, ou
pour des raisons passionnelles généralement, des passions noires, des passions
qui visent à rejeter, à écarter, eh bien au bout du compte on fait du mal aux
peuples que l'on entraîne vers des solutions désespérantes. C'est cela que le
Brexit montre. On devrait avoir tout cela présent à notre esprit au moment des
grands choix que nous allons faire maintenant.
Jamais l'Histoire n'a été plus dangereuse, jamais. Je
n'ai pas souvenir d'une situation dans laquelle les piliers mêmes de notre
maison soient remis en cause par un tremblement de terre déclenché par des gens
qui savent très bien ce qu'ils font. Cette fois-ci, on est devant de grands
choix. Gardons l'exemple du Brexit parce que le peuple britannique a déjà
beaucoup perdu et risque de perdre beaucoup dans cette affaire.
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