Face à la montée des populismes, des extrémismes, de l’intolérance,
du racisme et de l’antisémitisme, des violences et des attaques contre la
liberté et la démocratie, sans oublier le mensonge, l’insulte et le révisionnisme
historique, l’équipe du CREC a décidé de publier l’éditorial ci-dessous.
Dans ses, Leçons sur la philosophie de l’Histoire, Hegel
affirmait avec regret que «L'expérience et l'Histoire nous enseignent que
peuples et gouvernements n'ont jamais rien appris de l'Histoire, qu'ils n'ont
jamais agi suivant les maximes qu'on aurait pu en tirer».
Afin d’éviter que la sentence du premier historien,
Thucydide, «L'Histoire est un perpétuel recommencement» (Paul Morand, disait:
«L’Histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète»), il faut «savoir» car
comme le dit Marx «Celui qui ne connaît pas l'Histoire est condamné à la
revivre», avertissement paraphrasé par Churchill, «Un peuple qui oublie son
passé se condamne à le revivre».
Pire, nous dit George Santayana, «Ceux qui ne peuvent se
rappeler le passé sont condamnés à le répéter», c'est-à-dire à être des acteurs
actifs de ce recommencement qui a conduit à maints désastres.
Pour cela, Thucydide nous encourage à «Voir clair dans les
événements passés et dans ceux qui, à l'avenir, du fait qu'ils mettront en jeu
eux aussi des hommes, présenteront des similitudes ou des analogies».
En effet, comme Tocqueville le notait, «L'Histoire est une
galerie de tableaux où il y a peu d'originaux et beaucoup de copies».
Et l’on veut bien croire Nietzsche quant il affirme que
«L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue» et qui
l’utilisera pour aller de l’avant en se servant des enseignements de l’Histoire.
Bien sûr, l’Histoire est instrumentalisée depuis toujours.
Ce qui faisait dire à Paul Valéry:
«L'Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie
de l'intellectuel ait élaboré. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur
engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles
plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à
celui de la persécution et rend les nations amères, superbes, insupportables et
vaines. L'Histoire justifie ce que l'on veut, n'enseigne rigoureusement rien,
car elle contient des exemples de tout et donne des exemples de tout.»
Si tout n’est pas faux ou exagéré dans cette sentence sans
appel, malheureusement le «déjà-vu» avec les mêmes conséquences désastreuses
qui jalonnent l’épopée humaine sur la planète permet de s’inscrire en faux
quand on parle de l’Histoire, la vraie, et non les histoires (les petites, les
mesquines auxquelles Valéry fait plutôt référence et qui faisait dire à Anatole
France que «L'Histoire n'est pas une science, c'est un art. On n'y réussit que
par l'imagination») qui veulent l’instrumentaliser et qui ne sont que des
contes souvent maléfiques pour exciter une communauté, soit en la faisant
passer pour la dominatrice naturelle de l’Humanité, soit pour l’opposer aux
autres communautés dans une vision d’affrontement, soit pour justifier un
pouvoir oppresseur.
D’autant que le même Valéry disait aussi, que l’Histoire
«peut nous aider à mieux voir».
Et c’est déjà un énorme bienfait de sa part.
Car oui, comme l’expliquait Fernand Braudel, « Tout le passé
pèse sur le présent» et «le passé est toujours présent » nous prévenait de son
côté Maurice Maeterlinck.
Mais le plus important est que l’Histoire est un outil
indispensable pour l’agir.
C’est ce que nous disent Marc Bloch – «L'ignorance du passé
ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent: elle compromet, dans le
présent, l'action même» – et Fustel de Coulanges – «L'histoire ne nous dira
sans doute pas ce qu'il faut faire, mais elle nous aidera peut être à le trouver».
Oui, ainsi que l’explique Lucien Febvre, «L'histoire, c'est
cela: un moyen de comprendre et, par là même d'agir sur le cours des
événements».
Dès lors «Si nous voulons être les acteurs responsables de
notre propre avenir, nous avons d'abord un devoir d'Histoire (Antoine Prost).
Quant Balzac affirme que «raconter ce qui fut, n'est-ce pas
presque toujours dire ce qui sera», on ajoutera, c’est également presque
toujours dire ce qui est parce que celui qui raconte est souvent le seul qui
connait dans cette désolante constatation que les peuples ne sont pas seulement
déculturés en matière historique mais souvent acculturés.
Voilà pourquoi un peuple sans Histoire, au sens de son
ignorance de ce qui fut, est condamné à répéter les erreurs et les fautes du passé.
Parce que, comme l’expérience et la transmission du savoir
nous permet d’évoluer et d’avoir construit nos civilisations actuelles, la
connaissance de l’Histoire est indispensable pour poser les jalons humanistes
d’un présent et d’un avenir de paix, de progrès et de respect de la dignité de
chacun et de tous.
La démocratie républicaine, celle qui défend les valeurs
humanistes, celle qui se bat pour une mondialisation à échelle humaine, celle
qui met au plus haut la nécessité de la reconnaissance de la dignité de chacun,
celle qui veut bâtir un lien social fort et protecteur entre personnes à
l’individualité reconnue et protégée, celle que défendent le Centre et le
Centrisme, a besoin de cette Histoire, et non des affabulations historiques qui
peuplent nos récits nationaux à travers le monde (Napoléon, qui s’y connaissait
en manipulations de l’Histoire, disait sans rire «Qu'est ce l'histoire, sinon
une fable sur laquelle tout le monde est d'accord ?»…) sans parler de l’instrumentalisation
des faits historiques (Churchill ne disait-il pas, en s’inspirant sans nul
doute de César, «L'Histoire me sera indulgente, car j'ai l'intention de
l'écrire»!), cet outil qui nous permet de regarder en face tout ce que
l’Humanité a accompli pour que, dans nos vies présentes et dans celles, futures
de nos descendants, nous continuions sur la voie de l’émancipation de l’humain
et nous tournions définitivement le dos à nos errements.
Car c’est bien à la méconnaissance totale de notre passé que
certains tentent de nous emmener vers l’aventurisme qui causa, lors de la
Grande guerre mondiale de 1914 à 1945, une tragédie humaine qui, déjà, venait
de ce que nous n’avions rien appris du passé.
Alors, dans cet «ère de troubles» que l’Occident vit comme
l’écrivait le grand historien britannique Arnold Toynbee, nous devons utiliser
sans cesse avec discernement l’outil de l’Histoire pour éviter la
«désagrégation» de nos sociétés démocratiques.
Et avec Jean François Revel, nous pouvons bien affirmer que «Le
problème n'est pas de se tromper mais de persévérer dans l'erreur en la
reconduisant, une fois qu'on a pu tirer les leçons de l'Histoire», avec Aldous
Huxley, nous inquiéter que «Le fait que les hommes tirent peu de profit des
leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous
enseigne» mais aussi, avec Jean Jaurès, nous rassurer, car si «L'histoire
enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des
accomplissements» elle justifie néanmoins «l'invincible espoir».
Si Raymond Aron a raison de nous dire que «Ce sont les
hommes qui écrivent l'Histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils
écrivent», en revanche, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Albert Camus, qui
explique avec clairvoyance, dans la même sentence, que «L'homme n'est pas
entièrement coupable: il n'a pas commencé l'Histoire; ni tout à fait innocent
puisqu'il la continue».
Oui, c’est en la continuant par la répétition des erreurs
commises alors que nous pourrions nous en garder grâce à notre savoir et notre
intelligence, tant intellectuelle qu’affective, que nous devenons coupables des
monstruosités du présent et de l’avenir qui se sont déjà déroulées dans le
passé.
Terminons avec cette affirmation que nous faisons notre de
Cicéron: «L'Histoire est le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie
de la mémoire, l'institutrice de la vie, la messagère de l'antiquité».
A nous de nous en servir avec sagesse car, comme nous le
déclare Confucius, «Celui qui par la connaissance du passé obtient une
connaissance nouvelle est digne d’être un maître».
L’équipe du CREC
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